Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2007CCI507

 

Dossiers : 2006-2569(EI)

2006-2570(CPP)

ENTRE :

 

AVENZA SYSTEMS INC.,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimée.

 

 

CERTIFICATION DE LA TRANSCRIPTION DES

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Que la transcription certifiée ci‑jointe de mes motifs du jugement rendus oralement à l’audience le 31 juillet 2007, à Toronto (Ontario), soit versée au dossier.

 

 

 

« N. Weisman »

Juge Weisman

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de septembre 2007.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2007.

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

                                         Toronto (Ontario)

--- L’audience débute le mardi 31 juillet 2007, à 15 h 49.

MOTIFS DU JUGEMENT RENDUS ORALEMENT

JUGE WEISMAN : J’ai entendu les deux appels interjetés par Avenza Systems Inc. à l’égard des déterminations par lesquelles le ministre du Revenu national a décidé que le travailleur, David William Hunter, exerçait pour l’appelante un emploi aux termes d’un contrat de louage de services à titre de programmeur d’ordinateur et de gestionnaire de développement de produit pendant la période en cause, à savoir les 37 mois écoulés entre le 1er avril 2002 et le 9 septembre 2005.

Le ministre a donc décidé que l’appelante était responsable d’avoir omis de déduire et de remettre les cotisations d’assurance‑emploi et les contributions au Régime de pensions du Canada.

La Cour est saisie de la question de savoir si, pendant la période en cause, M. Hunter agissait comme entrepreneur indépendant ou comme employé puisqu’il n’existe aucune obligation d’effectuer des retenues salariales à l’endroit des entrepreneurs indépendants.


Il ressort de la jurisprudence que, pour résoudre cette question, il convient d’examiner la relation globale existant entre les parties de même que l’effet conjugué de l’ensemble des activités. C’est ainsi que la Cour peut trancher la question centrale ou fondamentale de savoir si le travailleur fournissait ses services à l’appelante à titre de personne exploitant une entreprise pour son propre compte ou à titre d’employé.

À cette fin, la preuve en l’espèce doit être appréciée à la lumière du critère à quatre volets que la Cour d’appel fédérale a énoncé à titre de lignes directrices dans l’arrêt Wiebe Door Services Limited v. the Minister of National Revenue, publié à (1986), 87 DTC 5025, qui a été confirmé dans les arrêts 671122 Ontario Limited c. Sagaz Industries Canada Incorporated, [2001] 2 R.C.S. 983, et Precision Gutters Limited c. Canada, [2002] A.C.F. no 771, de la Cour d’appel fédérale, et précisé par ce même tribunal dans les arrêts Légaré c. Canada, [1999] A.C.F. no 878, et Pérusse c. Canada, [2000] A.C.F. no 310.


Les quatre lignes directrices énoncées dans les décisions susmentionnées se fondent sur l’examen du droit de contrôle, de la propriété de l’outillage, de la possibilité de profit et du risque de perte. À cet égard, la preuve présentée à l’instruction m’a convaincu et a permis d’établir ce qui suit, tout d’abord en ce qui concerne le droit de contrôle. Les décisions font un lien entre le droit de contrôle et la question de la subordination, selon la théorie voulant qu’un entrepreneur indépendant n’ait effectivement pas de lien de dépendance avec le payeur tandis qu’un employé se trouve dans une relation de subordination avec ce dernier.

Je suis convaincu, à la lumière de la preuve, que les employés engagés par l’appelante aux termes de contrats de louage de services étaient obligés de travailler de neuf heures à dix‑sept heures tandis que M. Hunter pouvait aller et venir à sa guise. Il n’a jamais travaillé 40 heures en une semaine même si une condition à cet effet était stipulée dans le contrat produit sous la cote A-1 et daté du 1er août 2002.

Il ressort de la preuve qu’il quittait habituellement le travail à 16 heures, qu’il lui arrivait d’avoir des réunions prévues avec M. Florence, le directeur de l’appelante, et qu’il appelait et avisait l’appelante lorsqu’il avait d’autres engagements. M. Florence devait alors reporter la réunion en conséquence.


La preuve montre en outre que M. Hunter pouvait refuser les projets. Cet élément revêt une certaine importance parce qu’il donne à penser que celui qui est libre de refuser des projets est plus vraisemblablement un entrepreneur indépendant qu’un employé. C’est ce qui a été décidé dans l’arrêt Precision Gutters, susmentionné, dans l’arrêt Le Livreur Plus c. Le ministre du Revenu national, [2004] A.C.F. no 267, de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 41, et dans l’arrêt D & J Driveway c. Le ministre du Revenu national, 2003 CAF 453, au paragraphe 11, et le numéro du paragraphe précis dans l’arrêt Precision Gutters était le paragraphe 27.

M. Hunter n’était pas seulement libre d’aller et de venir à sa guise et de refuser des projets. Ses allées et venues, ses heures de travail et le mode de paiement – soit 7 000 $ par mois, sans consigner ses heures, payables qu’il y ait ou non un jour férié, jusqu’à concurrence de dix jours de vacances, payables sur présentation d’une facture et par chèque plutôt que par dépôt direct, toutes ces modalités étant en place et applicables aux employés embauchés par l’appelante – placent M. Hunter dans une catégorie différente et montrent qu’il n’était en aucune façon intégré à l’exploitation de l’appelante.


L’importance de la coordination ou de l’adoption de la culture du payeur a été illustrée dans l’arrêt Rousselle c. Le ministre du Revenu national, [1990] A.C.F. no 990, de la Cour d’appel fédérale. Le manque de coordination ou d’intégration culturelle tend à montrer que le travailleur était un entrepreneur indépendant.

On a remis à M. Hunter une carte professionnelle sur laquelle figuraient la dénomination et les numéros de l’appelante, ce qui pouvait laisser croire qu’il existait un élément d’intégration culturelle, qu’il y avait un certain élément de coordination dans ses fonctions, comme il est énoncé dans l’arrêt Rousselle. Mais, dans l’arrêt Wolf, au paragraphe 85, on n’accorde aucun poids aux cartes professionnelles.

De même, l’arrêt Wolf, au paragraphe 91, vise un travailleur hautement spécialisé et qui, dans les circonstances particulières de l’exercice de son emploi pour le payeur dans cette affaire, bénéficiait de vacances payées. La Cour d’appel a conclu qu’il s’agissait là d’un facteur neutre.

Après avoir lu la décision Wolf à maintes reprises, j’arrive à la conclusion que les compétences et les talents particuliers de M. Hunter étaient analogues à ceux du travailleur visé dans cet arrêt et je conclus donc que le fait qu’il continuait d’être payé 7 000 $ par mois, même s’il pouvait prendre jusqu’à dix jours de vacances, constitue un facteur neutre.


Un autre élément de preuve susceptible d’être assimilé à une forme de contrôle consiste en le contrat intervenu entre les parties et produit sous la cote A-1. Au paragraphe 2 de ce document, on énumère dix fonctions. Bien souvent, lorsqu’une liste d’exigences a été consignée par écrit, cela peut inciter le tribunal à conclure à l’existence d’un droit de contrôle. De fait, il ressort sans équivoque de la jurisprudence qu’il faut établir une distinction entre le contrôle exercé sur un travailleur au moyen de la surveillance du résultat de son travail, mesure qui n’a aucune incidence sur la situation d’employé ou d’entrepreneur indépendant du travailleur, et d’autres formes de contrôle.

L’expression employée dans la jurisprudence est la suivante : « Le contrôle du résultat des travaux ne doit pas être confondu avec le contrôle de l’ouvrier. » Ce passage figure au paragraphe 10 de l’arrêt Vulcain Alarme, dans lequel on renvoie à l’arrêt Charbonneau c. Le ministre du Revenu national, [1996] A.C.F. no 1337, au paragraphe 2. Dans l’éventualité où j’aurais omis de donner la référence plus haut, l’arrêt Vulcain Alarme a été rendu par la Cour d’appel fédérale et est publié à [1999] A.C.F. no 749.

J’ai conclu, et j’ai accepté le témoignage de M. Florence sur ce point, que ces dix fonctions avaient pour objet de faire en sorte que M. Hunter offre son temps en contrepartie d’une somme garantie de 7 000 $ par mois.


On a également laissé entendre que M. Hunter devait être présent à certaines réunions, ce qui s’apparente à un élément de contrôle. Mais M. Florence a répondu ce qui suit à cet égard : [TRADUCTION] « Bien sûr, je devais rencontrer M. Hunter pour lui dire ce que je voulais qu’il fasse, comme je l’aurais fait avec un entrepreneur indépendant. »

Cet élément de preuve est étayé par le témoignage très franc de M. Hunter qui, s’adressant à M. Florence, a déclaré : [TRADUCTION] « Vous ne pouviez intervenir dans la majorité de mes projets. » À mon avis, ce témoignage permet de répondre aux hypothèses 7i) et 7j) formulées dans la réponse du ministre à l’avis d’appel, soit celle où on invoque que le travailleur devait rendre compte au président de l’appelante au moins une fois par semaine et, j), celle où on allègue que le travailleur était supervisé par Edward Florence. Je reviendrai toutefois sur cette question lorsque j’examinerai l’obligation qui incombe à l’appelante de réfuter les hypothèses énoncées dans la réponse du ministre à l’avis d’appel.


Le contrat, au paragraphe 7b)(ii), mentionne également le fait que M. Hunter doit se conformer aux instructions raisonnables que lui donne le président d’Avenza, et que M. Hunter est tenu de fournir ses services en personne. Cela est important parce que la nécessité de rendre les services en personne dénote habituellement que le travailleur est un employé par opposition, disons, à un électricien dont on ne s’attend pas à ce qu’il fournisse ses services en personne et qui peut envoyer à sa place un employé ou un sous‑traitant dont il a retenu les services.

Mais, en l’espèce, il ressort de la preuve que M. Hunter possédait des connaissances spécialisées dans ce domaine et ce sont ces connaissances spécialisées qui intéressaient l’appelante. Selon moi, la situation de M. Hunter en l’espèce ressemble à celle d’un médecin; chacun souhaite certainement que son médecin fournisse ses services en personne, mais cela ne fait pourtant pas de lui un employé.

Au paragraphe 7aa) se trouve l’hypothèse selon laquelle M. Hunter est tenu de recommencer les travaux insatisfaisants pendant ses temps libres et à ses propres frais. Dans la présente situation, cette hypothèse ne peut s’appliquer dans la mesure où on souhaite établir que M. Hunter était un employé puisqu’il touchait une somme fixe de 7 000 $ par mois peu importe le nombre d’heures travaillées.


Parmi tous ces divers éléments de preuve dont je suis saisi et qui peuvent donner à penser que M. Hunter était un employé, un a plus de poids que chacun des autres – mais je ne veux pas laisser entendre qu’il faut lui accorder plus de poids qu’à tous les autres réunis. C’est que le contrat, pièce A-1, exige que M. Hunter consacre tout son temps et toute son attention à l’entreprise de l’appelante; cette clause se trouve au paragraphe 2i). Cette exigence d’un service exclusif tendrait à montrer que le travailleur était un employé.

En ce qui concerne la question du contrôle, j’ai mentionné de nombreux facteurs, qui laissent tous penser que M. Hunter était un entrepreneur indépendant. Il en existe un à l’effet contraire mais, tout bien considéré, la preuve établit sans équivoque que le facteur relatif au contrôle étaye la conclusion voulant que M. Hunter soit un entrepreneur indépendant.

Quant à l’outillage, je suis saisi d’éléments de preuve selon lesquels l’appelante fournissait un local, un bureau, une chaise, un accès Internet et un courriel vocal, tandis que M. Hunter, pour les premiers six à douze mois, emportait son propre ordinateur, son propre écran et ses propres logiciels. Mais ces instruments ont par la suite été fournis par l’appelante, tant pour exercer un contrôle que pour les besoins de la sécurité en matière de propriété intellectuelle. Il ressort de la preuve que M. Hunter fournissait son propre téléphone cellulaire, son propre ordinateur portatif et qu’il avait un ordinateur à son domicile. Toutefois, à cet égard aussi, M. Hunter a fait preuve d’une grande candeur et il était tout à fait digne de foi lorsqu’il a affirmé que l’ordinateur portatif ne lui servait pas nécessairement à remplir les fonctions ou les tâches qui lui étaient confiées.


En définitive, il est plus probable que l’outillage était fourni par l’appelante, ce qui laisse croire que M. Hunter était un employé engagé aux termes d’un contrat de louage de services.

La possibilité de profit : Comme je l’ai signalé pendant l’instruction, il faut établir une distinction entre, d’une part, la rémunération supplémentaire versée parce que le travailleur a fait des heures supplémentaires ou, s’il fait du travail à la pièce, parce qu’il a produit davantage de produits, et, de l’autre, le profit au sens commercial du terme. Cette distinction est faite dans l’arrêt Hennick c. Le ministre du Revenu national, [1995] A.C.F. no 294, de la Cour d’appel fédérale.

Pour nous aider à différencier la notion de rémunération de celle de profit, la jurisprudence fait état de la possibilité de tirer profit d’une saine gestion dans l’accomplissement de sa tâche. La meilleure façon d’illustrer clairement ce critère est la suivante : nous avons ici M. Florence, qui est un homme d’affaires et qui, grâce à une saine gestion, à son ingéniosité et à son imagination, peut organiser ses activités commerciales de façon à maximiser ses profits. Il s’agit donc de savoir si M. Hunter se trouve d’une manière ou d’une autre dans une situation analogue.


À l’appui de mon affirmation voulant que la jurisprudence expose la question de la saine gestion en ces termes, je vous renvoie à l’arrêt Wiebe Door Services, au paragraphe 17, où on cite la décision Market Investigations Limited v. the Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, aux pages 738 et 739.

Si on examine les activités de M. Hunter au regard de la question de savoir s’il avait la possibilité de tirer profit d’une saine gestion, il convient de préciser qu’il pouvait augmenter son revenu d’une somme pouvant atteindre 20 000 $ par année aux termes du contrat conclu entre les parties, pièce A-1, paragraphe 4(2), où on fait état de cette somme de la manière suivante :

[TRADUCTION] « [...] primes accordées pour l’achèvement rapide de projets et fondées sur les objectifs trimestriels de réalisation en matière de rendement. »

M. Florence a mentionné à titre d’exemple combien il était important que M. Hunter prépare rapidement ses objectifs trimestriels de réalisation en matière de rendement et établisse les présentations habituelles à l’ADRC afin que l’appelante puisse obtenir en temps opportun les économies d’impôts de l’exercice au titre des activités de recherche scientifique et de développement expérimental.


La preuve m’a convaincu que, par une saine gestion et l’accomplissement rapide de ses tâches, M. Hunter avait la possibilité d’augmenter son profit d’une somme pouvant atteindre 20 000 $ par année, en d’autres termes, grâce à une saine gestion. À mon sens, ce fait montre qu’il était un entrepreneur indépendant.

Risque de perte : Dans son témoignage, M. Hunter a déclaré qu’il n’engageait aucune dépense au titre de son travail chez l’appelante. Les sommes qu’il dépensait pour le compte de l’appelante lui étaient remboursées. Il a affirmé qu’il avait un revenu garanti de 70 000 $ par année. J’ai lu avec attention les observations formulées par M. le juge Desjardins dans l’arrêt Wolf, au paragraphe 26, où il assimile l’absence de promesse d’un emploi futur à un risque. S’agit‑il d’un risque de perte au sens financier du terme, je n’en suis pas sûr. Mais, comme il n’avait aucune dépense – aucune dépense d’entreprise – et comme il avait un revenu annuel garanti de 70 000 $, je dois conclure que, selon ce facteur, M. Hunter était un employé.

Nous nous trouvons donc dans une situation où le facteur relatif au contrôle tend à montrer qu’il était un entrepreneur indépendant, où le facteur relatif à l’outillage tend à montrer qu’il était un employé, où le facteur relatif au profit tend à montrer qu’il était un entrepreneur indépendant et où le facteur relatif au risque de perte tend à montrer qu’il était un employé.


La jurisprudence m’oblige à ne pas me restreindre aux quatre lignes directrices énoncées dans l’arrêt Wiebe Door et à plutôt examiner l’ensemble des circonstances ainsi que la relation globale existant entre les parties. L’une des circonstances pertinentes liées aux parties consiste en l’intention de ces dernières. Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce, les parties avaient toutes deux manifestement l’intention initiale que M. Hunter agisse à titre d’entrepreneur indépendant, ce qui est précisé clairement dans le contrat intervenu entre elles, pièce A-1.

Cependant, l’intention des parties, aussi claire soit‑elle, ne lie pas la Cour. C’est ce qui ressort de nombreuses décisions, notamment, pour n’en nommer que deux, l’arrêt Wiebe Door et l’arrêt Sagaz Industries. La raison pour laquelle cette intention ne lie pas la Cour tient au fait que ce genre de décision est une conclusion de droit qui entraîne des conséquences non seulement pour les parties au litige, mais également pour les tiers.

Dans l’arrêt Sagaz Industries, la Cour apporte les précisions suivantes :

La distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est utile non seulement en matière de responsabilité du fait d’autrui mais aussi lorsqu’il s’agit d’appliquer diverses lois sur l’emploi [...]

(C’est ce dont nous parlons ici aujourd’hui.)

[...]de déterminer si une action pour congédiement injustifié peut être intentée, d’établir des cotisations en matière d’impôt sur le revenu ou de taxe d’affaires, de dresser l’ordre de collocation dans le cas où un employeur devient insolvable ou d’appliquer des droits contractuels.

Bien que l’intention des parties en l’espèce soit claire, elle ne lie donc pas la Cour. Mais elle n’est pas dénuée de pertinence pour autant. Nous pouvons commencer avec l’arrêt Ready‑Mixed Concrete, [1968] 1 All E.R. 433, qui a été rendu en Angleterre par la division du Banc de la Reine. Dans cette décision, le tribunal déclare ce qui suit, en 1968 :


[TRADUCTION] « [...] que le point de savoir si la relation entre les parties au contrat est une relation commettant‑préposé ou une relation d’une autre nature, était une conclusion de droit tributaire des droits et obligations prévus au contrat et que, si ces droits et obligations étaient tels que la relation en est une de commettant à préposé, le fait que les parties aient déclaré qu’il s’agissait d’une relation d’une autre nature n’a aucune pertinence. Cette déclaration n’est toutefois pas nécessairement sans effet puisque, dans les cas où il y a un doute quant aux droits et aux obligations que les parties souhaitaient prévoir au contrat, elle pourra servir à écarter ce doute. »

En d’autres termes, nous avons un indice préliminaire que l’intention des parties sert en quelque sorte d’élément de démarcation.

J’ai employé cette expression en pesant bien mes mots parce qu’en 2002, soit quelque 34 années plus tard, M. le juge Noël, dans l’arrêt Wolf, a mentionné ce qui suit :


[...] dans une issue serrée comme en l'espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l'intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

Cette observation est difficile à réconcilier avec la décision Royal Winnipeg Ballet, dans laquelle le juge siégeant à l’instruction a conclu que l’intention des parties servait d’élément de démarcation. Sa décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale. Cette dernière a énoncé dans différents passages le critère qu’il convient d’appliquer. En effet, Mme la juge Sharlow a tout d’abord déclaré ce qui suit au paragraphe 64 :

Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

Au paragraphe 81 de cet arrêt, M. le juge Desjardins tient des propos qui vont pour l’essentiel dans le même sens :


Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis, à mon avis, une erreur de droit lorsqu’il a déclaré que l’intention des parties ne pouvait être utilisée qu’à titre d’élément de démarcation (paragraphes 31 et 82 de ses motifs). Je souscris à l’analyse de la juge Sharlow, exposée au paragraphe 64 de ses motifs, selon laquelle le juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait dû prendre acte du témoignage non contredit relatif à l’interprétation commune des parties selon laquelle les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants et se demander ensuite, en se fondant sur les facteurs de l’arrêt Wiebe Door, si cette intention avait été réalisée. Elle s’est fondée pour tenir ce raisonnement, au paragraphe 61 de ses motifs, sur toute une série de décisions de la Cour, adoptant le point de vue exprimé par le juge Stone dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Standing, [1992] A.C.F. no 890 (C.A.) (QL), que j’ai reformulé dans l’arrêt Wolf c. Canada, au paragraphe 71, lorsque j’ai déclaré qu’il ne convenait d’accorder du poids à l’intention des parties que si le contrat reflétait exactement la relation juridique qui les unissait


Bon, ces décisions ne me permettent pas vraiment de savoir de manière définitive ce qui doit être fait lorsque l’application des quatre critères aboutit à l’égalité, deux contre deux. Mais la solution, à mon avis, se trouve dans la jurisprudence, et je crois qu’il s’agit de l’arrêt Wiebe Door, voulant que ces quatre lignes directrices, telles qu’elles ont initialement été énoncées dans l’arrêt Wiebe Door, à savoir le contrôle, la propriété de l’outillage, la possibilité de profit et le risque de perte, n’ont pas toutes le même poids d’une affaire à l’autre. Elles doivent donc être appréciées en fonction des faits propres à chaque cas.

En l’espèce, je crois que l’absence de contrôle et de lien de subordination de même que la possibilité de profit dont bénéficiait M. Hunter dans le cadre de sa relation avec l’appelante revêtent une importance certaine.

J’estime que la preuve est davantage compatible avec la conclusion selon laquelle M. Hunter agissait comme entrepreneur indépendant aux termes d’un contrat d’entreprise pendant la période en cause, conformément à l’intention contractuelle et à l’entente initialement formulées par les parties.


Maintenant, dans ce genre d’affaires, il incombe à l’appelante de démolir les hypothèses énoncées dans la réponse du ministre à l’avis d’appel. J’ai demandé à M. Hunter de passer en revue chacune de ces hypothèses et j’arrive à la conclusion suivante : comme c’est souvent le cas, un grand nombre d’hypothèses ne sont ni déterminantes ni litigieuses, et les paragraphes 7a), b), c) et d) appartiennent à cette catégorie.

Je ne suis pas certain que le paragraphe e) soit pertinent pour m’aider à décider si M. Hunter était un travailleur ou un entrepreneur indépendant, mais la preuve a établi qu’il est vrai qu’il assumait les fonctions de gestion susmentionnées, qu’il concevait le produit et qu’il veillait à ce que les programmeurs employés de l’appelante l’exécutent. L’exactitude du paragraphe f) a été mise en preuve et cette hypothèse a été précisée par le seul témoin de l’appelante, M. Florence, lequel a affirmé que la proportion visée était d’environ 60 pour 100 au bureau et 40 pour 100 au domicile. À nouveau, cette hypothèse ne permet pas de trancher la question dont je suis saisi.

En ce qui concerne le paragraphe g), il ressort de la preuve qu’aucun local isolé n’était réservé à l’usage de M. Hunter; il s’agissait d’un espace de travail partagé. Néanmoins, l’exactitude du paragraphe g) et du paragraphe h) a été établie.


L’exactitude du paragraphe i) n’a quant à elle pas été établie. Aucun élément de preuve n’a été présenté à cet égard, ou alors la preuve montre que le travailleur n’avait pas à rendre compte à chaque semaine et que ce qui se passait entre lui et le payeur ne constituait pas réellement une reddition de compte; il était nécessaire pour le travailleur d’obtenir des instructions sur ce qui devait être fait. À mon avis, il ne s’agissait pas tant de rendre compte, mais bien de recevoir des instructions et d’être surveillé. J’ai déjà dit que, selon la jurisprudence, un entrepreneur indépendant peut faire l’objet de surveillance au même titre qu’un employé.

La preuve n’a pas montré que le travailleur était supervisé par M. Florence. J’ai déjà fait mention du témoignage de M. Hunter lui‑même, lorsqu’il a affirmé qu’il jouissait d’une liberté d’agir relativement grande. À nouveau, [TRADUCTION] « Vous ne pouviez intervenir dans la majorité de mes projets. »

Le paragraphe k), selon lequel [TRADUCTION] « le travailleur devait obtenir l’approbation de la direction pour les plans des tâches », je crois que cela est équivoque; la même exigence pourrait s’appliquer autant à un employé qu’à un entrepreneur indépendant. L’exactitude du paragraphe l) est établie, mais pas celle du paragraphe m). Il ne ressort pas de la preuve que le travailleur était tenu de travailler de 9 h à 17 h, comme je l’ai déjà dit; il ressort de la preuve qu’il quittait habituellement à 16 h. Certains jours, il n’allait même pas au travail et il n’a jamais travaillé 40 heures en une semaine.


L’exactitude des paragraphes n), o) et p) a été établie. Le paragraphe q) laisse à penser que le travailleur recevait parfois une prime trimestrielle. Il tend à montrer que le travailleur était un employé, mais il ressort de la preuve que le versement d’une telle prime était plutôt sporadique et n’avait lieu que si le travailleur avait réussi à faire preuve d’une saine gestion de manière à exécuter rapidement un projet.

De même, selon la preuve, le paragraphe r) est inexact puisque le taux de salaire du travailleur n’était pas fixé par le représentant de l’appelante. La preuve établit que ce taux était négocié.

Quant au paragraphe s), qui vise les jours fériés et les dix jours de vacances payées, j’ai déjà expliqué pourquoi cet élément ne permet pas d’affirmer que ce travailleur était un employé.

J’ai déjà examiné le paragraphe t) touchant la question de savoir si le travailleur se faisait rembourser ses dépenses. Selon le paragraphe u), [TRADUCTION] « le travailleur ne pouvait engager ou renvoyer de travailleurs. » Je ne vois pas en quoi cela peut m’aider à décider si le travailleur était un employé ou un entrepreneur indépendant.

Je suppose que le ministre tente par là de faire valoir que, si le travailleur était un gestionnaire habilité à engager et à renvoyer du personnel, il agissait plus vraisemblablement à titre d’employé que d’entrepreneur général. Les entrepreneurs indépendants n’ont habituellement pas le pouvoir d’engager et de renvoyer du personnel. Quoi qu’il en soit, cet élément ne m’a pas aidé à trancher la question, ni dans un sens ni dans l’autre.


L’entente de confidentialité est équivoque; les employés peuvent être assujettis à des ententes de confidentialité au même titre que les entrepreneurs indépendants.

À nouveau, il ressort de la preuve que le paragraphe w) est inexact puisque le travailleur n’était pas tenu de se présenter aux réunions si les parties devaient discuter, c’est‑à‑dire M. Florence et M. Hunter. Il est exact que M. Hunter présidait des réunions, mais il s’agissait de rencontres des programmeurs chargés d’exécuter rapidement les projets que le travailleur avait conçus.

La preuve montre qu’il était très inhabituel que le travailleur communique avec les clients de l’appelante. L’exactitude du paragraphe y) a été établie; [TRADUCTION] « Le travailleur n’engageait aucune dépense dans l’exercice de ses fonctions. » Le paragraphe z) est exact, mais il dénote une certaine confusion de la part du ministre quant à savoir de quelle entreprise on parle. Évidemment, le travailleur n’avait aucun investissement dans l’entreprise de l’appelante. La question est celle de savoir s’il exploitait lui‑même une entreprise dans laquelle il avait investi.


Cette même confusion est également présente au paragraphe bb) : [TRADUCTION] « L’appelante assumait les charges liées aux créances irrécouvrables. » Encore une fois, bien sûr qu’elle assumait les charges liées aux créances irrécouvrables; c’était sa propre entreprise.

Selon l’hypothèse aa), [TRADUCTION] « L’appelante décidait si le travail devait être refait et assumait les charges connexes. » J’ai aussi déjà examiné ce point. On versait une somme de 7 000 $ par mois à M. Hunter et il importait vraiment très peu qu’il s’agisse de travail nouveau ou ancien.

Au paragraphe cc), [TRADUCTION] « L’appelante assumait les frais d’assurance responsabilité. » M. Florence a rapidement réglé cette question en répondant [TRADUCTION] « Nous n’en avons pas. »

Il y a ensuite les hypothèses dd) [TRADUCTION] « Qui est responsable du règlement des plaintes formulées par les clients? » et ee) [TRADUCTION] « L’appelante offrait des garanties. » Ces deux paragraphes n’influent pas sur ma décision puisqu’il s’agissait bien de l’entreprise de l’appelante et qu’elle devait évidemment régler les plaintes des clients et garantir le travail effectué.

L’exactitude du paragraphe ff) est établie; le travailleur devait fournir ses services en personne. Le paragraphe gg) est également exact, c’est‑à‑dire que [TRADUCTION] « Le travailleur fournissait ses services exclusivement à l’appelante » et le paragraphe hh) est exact, [TRADUCTION] « L’appelante avait le droit de ne plus recourir aux services du travailleur. »


Il ressort de l’examen de toutes ces hypothèses que la plupart d’entre elles ont été réfutées par l’appelante, en particulier celles qui étaient controversées. Celles qui restent, à mon avis, celles dont l’exactitude a été établie, ne suffisent pas à étayer la décision du ministre.

Quant à la question de la crédibilité, c’était un plaisir d’entendre une affaire dans laquelle les deux témoins étaient dignes de foi. Ils étaient justes, ouverts et, selon moi, honnêtes. Il importe peu que leurs points de vue aient divergé.

J’ai été particulièrement impressionné par M. Florence, parce qu’il était prêt, dans la présente instance, à soutenir une thèse qui allait sensiblement à l’encontre de ses intérêts financiers au regard du programme fédéral de la recherche scientifique et du développement expérimental. S’il s’était contenté de convenir avec M. Hunter que ce dernier était un employé, il aurait perdu entre 11 000 $ et 15 000 $ de cotisations d’assurance‑emploi et de contributions au Régime de pensions du Canada, mais il aurait sans doute gagné 168 000 $... non, c’est exactement le contraire.


S’il convenait que M. Hunter était un employé, il obtiendrait 168 000 $ dans le cadre du programme fédéral de crédit d’impôt mais, s’il affirmait que M. Hunter était un entrepreneur indépendant, il pourrait uniquement économiser 11 000 $ à 15 000 $ au titre des cotisations et contributions susmentionnées. Il comparaît devant la Cour aujourd’hui pour interjeter appel de la décision voulant que le travailleur ait été un employé, ce qui lui fait courir un risque de perte appréciable sur le plan financier et ajoute à sa crédibilité.

Bref, je conclus que M. Hunter exploitait une entreprise pour son propre compte lorsque l’appelante a retenu ses services à titre de programmeur d’ordinateur et de gestionnaire de développement de produit pendant la période en cause. La décision de l’intimé, le ministre du Revenu national, étant objectivement déraisonnable, elle sera annulée et l’appel sera accueilli.

Je vous remercie tous deux pour votre aide. Monsieur, l’audience est suspendue jusqu’à 9 h 30 demain matin.

LE GREFFIER : Oui, Monsieur le juge. L’affaire est close. La Cour a terminé pour aujourd’hui et reprendra ses activités demain matin à 9 h 30.

--- L’audience est levée à 16 h 41.  

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2007.

Aleksandra Koziorowska, LL.B.



RÉFÉRENCE :

2007CCI507

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2006-2569(EI) et

2006-2570(CPP)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Avenza Systems Inc. c.

Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS ORALEMENT PAR :

L’honorable juge N. Weisman,

juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT

PRONONCÉ ORALEMENT :            Le 31 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

Edward Florence

 

Avocate de l’intimée :

Me Annie Paré

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Avocat de l’appelante :

 

Nom :

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada Ottawa, Canada

 

 

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