Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20090303

Dossier : A‑361‑08

Référence : 2009 CAF 62

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

FRITZ MARKETING INC.

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 mars 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                            LE JUGE NADON

 


            Date : 20090303

Dossier : A‑361‑08

Référence : 2009 CAF 62

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

FRITZ MARKETING INC.

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La présente affaire soulève la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour annuler un relevé détaillé de rajustement émis par l’Agence des services frontaliers du Canada en vertu de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1. Si la Cour a compétence, la question est celle de savoir si les relevés détaillés de rajustement en cause en l’espèce devraient être annulés au motif qu’ils ont été émis sur le fondement de renseignements obtenus lors de l’exécution d’un mandat de perquisition dont il a été jugé, dans le cadre d’une instance pénale subséquente, que celui‑ci contrevenait à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Les motifs de l’ordonnance dont il est fait appel ont été publiés sous les références Fritz Marketing Inc. c. Canada, 2008 CF 703, 329 F.T.R. 221, 174 C.R.R. (2d) 74.

Cadre législatif

[2]               Pour comprendre les questions qui se posent dans la présente affaire, il est nécessaire de comprendre certains éléments du régime de la Loi sur les douanes relatifs à la détermination et à la perception de droits d’importation. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) est responsable de l’application de ce régime législatif.

 

[3]               Les droits d’importation sont déterminés selon une formule qui prend en compte différents éléments, dont l’origine des marchandises importées, le classement tarifaire des marchandises importées déterminé conformément aux articles 10 et 11 du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36, et la valeur en douane des marchandises importées déterminée conformément à la partie III de la Loi sur les douanes (articles 44 à 72.1). En l’espèce, le seul élément litigieux du calcul est la valeur en douane, qui est le coût net des marchandises importées.

 

[4]               L’importateur de marchandises au Canada est tenu de déclarer l’importation conformément à la partie II de la Loi sur les douanes (articles 11 à 43). L’article 32 de la Loi sur les douanes exige que l’importateur déclare les marchandises selon les modalités réglementaires et paie les droits afférents.

 

[5]               Le paragraphe 58(1) de la Loi sur les douanes confère à l’Agence le pouvoir de déterminer la valeur en douane de marchandises importées. Cependant, si l’Agence ne fait pas cette détermination, au titre du paragraphe 58(2), la détermination est réputée avoir été faite selon les énonciations formulées dans la déclaration de l’importateur. Ainsi, en l’absence d’une détermination initiale par l’Agence de la valeur en douane de marchandises importées, la déclaration de l’importateur est traitée comme la détermination de l’Agence.

 

[6]               En vertu du paragraphe 32.2(2) de la Loi sur les douanes, l’importateur qui a des raisons de croire que sa déclaration de la valeur en douane est inexacte doit effectuer une déclaration corrigée dans le délai prescrit et payer tout complément de droits payables, le cas échéant. Le paragraphe 32(3) dispose que, pour l’application de la Loi sur les douanes, une telle correction est assimilée à la révision par l’Agence prévue à l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes. L’obligation d’effectuer des corrections prend fin après quatre ans (paragraphe 32.2(4) de la Loi sur les douanes).

 

[7]               En vertu de l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes, l’Agence peut procéder à une révision de la valeur en douanes de marchandises importées, mais elle doit le faire dans les quatre années suivant la date de la détermination initiale. Des réexamens sont aussi permis par l’alinéa 59(1)b), à l’intérieur d’autres délais prescrits dans certains cas.

 

[8]               Le paragraphe 59(2) de la Loi sur les douanes dispose que l’importateur a le droit d’être avisé de toute détermination faite en vertu du paragraphe 58(1) ou de toute révision effectuée en vertu du paragraphe 59(1). L’avis se présente sous la forme d’un « relevé détaillé de rajustement » (aussi appelé RDR). Si la détermination ou la révision modifie le montant des droits payables, l’importateur doit payer le manque ou a droit à un remboursement, selon le cas. Par exemple, les relevés détaillés de rajustement en cause en l’espèce avisent l’importateur de marchandises que l’Agence a déterminé que la valeur en douane de certaines marchandises était plus élevée que le montant déclaré par l’importateur, et que les droits payables en vertu de la Loi sur les douanes étaient augmentés en conséquence.

 

[9]               L’importateur qui reçoit un relevé détaillé de rajustement peut demander au président de l’Agence de procéder à un réexamen en vertu de l’article 60. La demande doit être présentée dans le délai prescrit, lequel peut être prorogé par le président ou, dans certaines circonstances, par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) (articles 60.1 et 60.2). L’article 61 de la Loi sur les douanes confère au président de l’Agence le pouvoir de procéder à un réexamen, sous réserve de certaines conditions qui ne sont pas pertinentes pour le présent appel.

 

[10]           En vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, la décision du président à la suite d’une demande présentée en application de l’article 60 et la révision effectuée par le président au titre de l’article 60 ou de l’article 61 peuvent être portées en appel devant le TCCE. La décision du TCCE peut à son tour être portée en appel devant la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes.

 

[11]           Le régime législatif relatif aux déterminations et aux révisions prévues aux articles 58 à 61 de la Loi sur les douanes comporte trois clauses privatives. Elles sont ainsi rédigées :

 

58. (3) La détermination faite en vertu du présent article n’est susceptible de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 59 à 61.

58. (3) A determination made under this section is not subject to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by sections 59 to 61.

[…]

59. (6) La révision ou le réexamen fait en vertu du présent article ne sont susceptibles de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 59(1) ou aux articles 60 ou 61.

59. (6) A re‑determination or further re‑determination made under this section is not subject to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by subsection 59(1) and sections 60 and 61.

[…]

62. La révision ou le réexamen prévu aux articles 60 ou 61 n’est susceptible de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 67.

62. A re‑determination or further re‑determination under section 60 or 61 is not subject to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by section 67.

 

LES FAITS

[12]           Les faits essentiels ne sont pas contestés et sont exposés de façon exhaustive dans les motifs du juge Hughes. Pour les besoins du présent appel, un simple résumé suffira.

 

[13]           L’intimée Fritz Marketing Inc. (Fritz) est une importatrice de marchandises de Chine. Fritz a été partie à quatre instances distinctes relatives à 21 transactions d’importation entre octobre 2002 et juin 2003 : (1) une instance pénale devant la Cour de justice de l’Ontario, (2) une instance civile aboutissant à un appel devant le TCCE, (3) une demande en Cour supérieure de justice de l’Ontario, et (4) une demande en Cour fédérale qui a mené au présent appel.

 

[14]           Toutes ces instances trouvent leur origine dans certains événements survenus au printemps de 2002, alors qu’un employé de Fritz a informé un employé de l’Agence que Fritz semblait avoir pour pratique de sous‑déclarer systématiquement de 50 % la valeur en douane de ses marchandises importées. En juin 2002, un enquêteur de l’Agence a rencontré l’informateur et a pris note de ces renseignements. L’enquêteur a comparé ses notes aux renseignements contenus dans la base de données de l’Agence, et il a conclu qu’il y avait plusieurs transactions pour lesquelles Fritz avait déclaré une valeur en douane de certaines marchandises importées qui correspondait à 50 % de la valeur facturée de ces marchandises.

(1) L’instance pénale

[15]           L’enquêteur a demandé à un juge de paix de décerner un mandat de perquisition, qui s’est avérée la première étape officielle ayant mené à la procédure pénale contre Fritz. Le mandat a été décerné le 16 juin 2003 et a été exécuté le jour suivant. Les documents saisis en vertu du mandat ont servi de fondement au dépôt d’accusations criminelles contre Fritz à l’automne de 2004. Les 21 transactions en cause en l’espèce étaient celles auxquelles se rapportaient les accusations.

 

[16]           À un certain moment, probablement au début de 2006, l’Agence a demandé et obtenu une ordonnance de communication de documents en vertu de l’article 487.012 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, essentiellement sur le fondement des mêmes renseignements que pour l’obtention du mandat de perquisition. Un juge de paix a prononcé l’ordonnance de communication le 10 février 2006.

 

[17]           Fritz a demandé à la Cour de Justice de l’Ontario (à une date incertaine) de rendre une ordonnance annulant le mandat de perquisition et exigeant la remise des documents saisis au motif que la fouille et la saisie enfreignaient l’article 8 de la Charte. Le juge Cowan a entendu cette demande au début d’août 2006. Dans une décision rendue le 31 août 2006, le juge Cowan a fait droit à la demande et a prononcé l’ordonnance suivante :

[traduction]

En conséquence, je suis d’avis que les droits conférés aux demandeurs par l’article 8 de la Charte ont été violés. Je ne suis pas certain d’avoir le pouvoir d’annuler le mandat, mais je peux, en application du paragraphe 24(2) de la Charte, accorder une réparation en disant que les pièces saisies conformément au mandat sont exclues et qu’elles doivent être retournées sur‑le‑champ aux demandeurs.

 

 

[18]           Cette ordonnance privait le ministère public des éléments de preuve dont il avait besoin pour donner suite aux accusations au criminel contre Fritz. En conséquence, toutes les accusations ont été retirées.

 

[19]           Le ministère public n’a pas remis les documents saisis et ne les a pas non plus détruits, ce qui a amené Fritz à demander une autre mesure de redressement au juge Cowan. Le 11 octobre 2006, le juge Cowan a prononcé l’ordonnance suivante :

[traduction]

Pour donner plein effet à mon ordonnance du 31 août 2006, j’ordonne également que le procureur général du Canada et tous les organismes publics qui lui donnent des instructions dans la présente affaire restituent aux demandeurs toutes les copies des documents qui ont été saisis entre les mains des demandeurs, quelle que soit leur forme, ou, subsidiairement, qu’ils détruisent toutes les copies des documents, quelle que soit leur forme. S’agissant des fichiers informatiques dont la destruction n’est pas possible, ils seront écrasés jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus être lus ou récupérés.

Ces organismes remettront alors au procureur général, et le procureur général déposera auprès de l’avocat des demandeurs, une attestation que cela a été fait.

 

[20]           Le ministère public s’est conformé à cette ordonnance.

 

(2) L’instance civile devant le TCCE

[21]           À l’été 2005, un avocat agissant pour le compte de Fritz a appris que l’Agence était en voie d’émettre des relevés détaillés de rajustement pour donner effet à sa conclusion selon laquelle Fritz avait délibérément sous‑évalué la valeur en douane des marchandises dans le cadre des transactions d’importation en cause dans l’instance pénale. L’avocat de Fritz a conclu que des corrections devraient être présentées en vertu du paragraphe 32.2(2) de la Loi sur les douanes en ce qui concerne ces transactions. Ces corrections ont été présentées le 8 août 2005. Le motif évoqué pour les corrections était le suivant :

[traduction]

MODIFICATION VOLONTAIRE. ERREUR DANS LA DÉTERMINATION DE LA VALEUR EN DOUANE. DEVRAIT ÊTRE FONDÉE SUR LE PRIX DE VENTE, MOINS RABAIS OU FRET MARITIME PLUS EMBALLAGE ET AUTRES FRAIS PASSIBLES DE DROITS DE DOUANE. SE RÉFÉRER À LA FDC RÉVISÉE, FACTURE ADDITIONNELLE. LETTRE D’EXPLICATION DU FOURNISSEUR JOINTE.

 

[22]           Le 24 août 2005, l’Agence a émis à Fritz 21 relevés détaillés de rajustement en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur les douanes. Chaque relevé détaillé de rajustement correspondait à une des transactions d’importation en cause dans l’instance pénale. Ces 21 relevés détaillés de rajustement sont l’objet du présent appel.

 

[23]           Il n’est pas contesté que, bien que les relevés détaillés de rajustement aient été émis en réponse aux corrections présentées par Fritz, ils se fondaient sur des renseignements obtenus à la suite de l’exécution du mandat de perquisition. (Quant à savoir si l’Agence aurait pu obtenir ou aurait obtenu ces renseignements sans le mandat, il s’agit d’une question de fait contestée au sujet de laquelle je n’exprime aucun avis.)

 

[24]           Fritz a demandé au président de l’agence de procéder à un réexamen des relevés détaillés de rajustement en vertu de l’article 60 de la Loi sur les douanes, mais sans succès. Le 23 août 2006, Fritz a interjeté appel des relevés détaillés de rajustement auprès du TCCE en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes. Fritz a par la suite produit auprès du TCCE toutes les factures relatives aux transactions visées par les relevés détaillés de rajustement. Le TCCE a apparemment suspendu l’appel en attendant le dénouement de la présente affaire. Voilà où en est actuellement l’appel dans le cadre de l’instance civile devant le TCCE.

 

(3) Demande à la Cour supérieure de justice de l’Ontario

[25]           À un certain moment au début de 2007, Fritz a demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario une ordonnance annulant l’ordonnance de communication émise par un juge de paix le 10 février 2006 et les relevés détaillés de rajustement.

 

[26]           Le 7 juillet 2007, le juge Corbett a annulé l’ordonnance de communication au motif qu’elle devait nécessairement connaître le même sort que le mandat de perquisition. Cependant, il a refusé d’annuler les relevés détaillés de rajustement, concluant qu’il n’avait pas compétence pour ce faire. Il a noté que les parties avaient soutenu devant lui que le TCCE avait compétence pour accorder une mesure de réparation en vertu de la Charte. Il n’a exprimé aucun avis sur ce point, mais a conclu que la Cour fédérale avait compétence pour annuler les relevés détaillés de rajustement.

 

(4) L’instance en Cour fédérale

[27]           À un certain moment (dont la date précise n’est pas certaine), Fritz a demandé à l’Agence d’annuler les relevés détaillés de rajustement au motif qu’ils se fondaient sur des éléments de preuve obtenus illégalement. L’Agence a refusé d’acquiescer à cette demande.

 

[28]           En septembre 2007, Fritz a demandé à la Cour fédérale une ordonnance annulant les relevés détaillés de rajustement au motif qu’ils avaient été émis sur le fondement de renseignements obtenus en violation de l’article 8 de la Charte. Le juge Hughes a fait droit à cette demande par ordonnance datée du 5 juin 2008. Le ministère public a interjeté appel de cette décision.

 

ANALYSE

[29]           La question de la compétence de la Cour fédérale en l’espèce a été soulevée par la Cour. À la demande de la Cour, les parties ont formulé des observations de vive voix à ce sujet lors de l’audition de l’appel. La question se pose parce que le juge Hughes a prononcé une ordonnance annulant les relevés détaillés de rajustement émis à Fritz en vertu du paragraphe 59(1), même si le paragraphe 59(6) énonce qu’une détermination au titre du paragraphe 59(1) ne peut être annulée sauf dans la mesure prévue par le régime législatif. Je reproduis le paragraphe 59(6) par souci de commodité [Non souligné dans l’original.] :

59. (6) La révision ou le réexamen fait en vertu du présent article ne sont susceptibles de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 59(1) ou aux articles 60 ou 61.

59. (6) A re‑determination or further re‑determination made under this section is not subject to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by subsection 59(1) and sections 60 and 61.

 

[30]           Les deux parties ont soutenu devant la Cour fédérale et devant la Cour que la Cour fédérale a compétence pour annuler des relevés détaillés de rajustement. Ils ont invoqué principalement Rolls Wood Group (Repairs and Overhauls) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national) (2001), 199 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, un juge de la Cour fédérale a annulé « la décision qui figure dans un Relevé détaillé de rajustement » au motif que l’agent qui l’avait émis n’était pas autorisé à le faire en raison d’une délégation de pouvoir invalide. Les motifs n’indiquent pas si les paragraphes 58(3) et 59(6) et l’article 62 de la Loi sur les douanes avaient été portés à l’attention du juge dans Rolls Wood.

 

[31]           La compétence de la Cour fédérale en matière de relevés détaillés de rajustement a été examinée plus récemment dans Abbott Laboratories, Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 140. Dans cette affaire, le juge Lemieux a conclu qu’en vertu du régime de la Loi sur les douanes, qui comporte les clauses privatives précitées, le législateur a exclu la compétence de la Cour fédérale pour annuler un relevé détaillé de rajustement (voir le paragraphe 40 de ses motifs). Subsidiairement, il se serait déclaré incompétent au motif de l’existence d’un recours adéquat prévu par la loi.

 

[32]           La décision du juge Lemieux a été suivie par celles de la juge Mactavish dans 1099065 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1263 (confirmé en appel, 2008 CAF 47), et du juge Shore dans Danone Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 44 (au paragraphe 19). Le juge Shore a conclu que la Cour fédérale avait néanmoins compétence pour ordonner le sursis d’une décision anticipée de l’Agence (un appel et un appel incident de cette décision sont en instance).

 

[33]           Je suis d’accord avec le juge Lemieux pour dire que le paragraphe 59(6) de la Loi sur les douanes prive la Cour fédérale de la compétence d’annuler un relevé détaillé de rajustement pour quelque motif que ce soit. À mon avis, le jugement Rolls Wood est mal fondé. Il s’ensuit que l’ordonnance dont appel est interjeté ne peut subsister.

 

[34]           Je sais que, dans la demande en Cour fédérale, les relevés détaillés de rajustement n’étaient pas contestés au fond, mais plutôt au motif que l’Agence n’aurait pas dû les émettre en utilisant des renseignements jugés par la suite avoir été obtenus en violation de l’article 8 de la Charte. De fait, la question formulée par les parties, et adoptée par le juge Hughes, était une contestation de la décision de l’Agence de refuser d’annuler les relevés détaillés de rajustement sur demande après que le juge Cowan eut conclu que l’article 8 de la Charte avait été violé.

 

[35]           Cependant, à mon avis, les parties et le juge Hughes ont mal formulé la question. Admettre leur formulation reviendrait à admettre un exercice de sémantique. Toute contestation d’un relevé détaillé de rajustement peut être qualifiée de contestation d’une décision de l’Agence de ne pas l’annuler, dans la mesure où l’agence refuse de l’annuler sur demande.

 

[36]           À mon avis, la question fondamentale en l’espèce est et devrait être l’admissibilité des éléments de preuve contestés dans l’instance devant le TCCE, qui est le tribunal investi du mandat de statuer sur la validité et le bien‑fondé des relevés détaillés de rajustement. Personne n’a donné à entendre que le TCCE n’avait pas compétence pour exclure des éléments de preuve pour des motifs fondés sur la Charte s’il est convaincu qu’il y a lieu d’accorder une telle réparation. Personne n’a cité aucun précédent à la Cour donnant à entendre que le TCCE ne pouvait pas exclure d’éléments de preuve sur ce fondement.

 

[37]           Je n’ai pas négligé l’argument selon lequel les règles du TCCE ne semblent pas permettre la modification d’un avis d’appel déposé en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes. Je ne suis pas certain de la pertinence de cet argument, puisque l’avis d’appel n’énonce aucun motif d’appel; il est simplement une lettre affirmant qu’un appel est introduit et énumérant les éléments des relevés détaillés de rajustement dont appel est interjeté (Dossier d’appel, volume 2, pages 321‑2). Cependant, je comprends de cet argument qu’il traduit la préoccupation de Fritz selon laquelle elle pourrait rencontrer des difficultés d’ordre procédural à soumettre ses arguments relatifs à la Charte au TCCE. De fait, suivant ce qui a effectivement été fait dans l’instance devant le TCCE jusqu’à présent, le TCCE pourrait bien considérer qu’il est trop tard pour évoquer ces questions liées à la Charte. Si tel est le cas, ce serait le résultat malencontreux de la stratégie choisie par Fritz dans le cadre de ce litige.

 

[38]           Cependant, ce dénouement n’est pas inéluctable. Aucune règle du TCCE ni aucun précédent n’ont été porté à l’attention de la Cour qui empêcheraient l’appelant, dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 67, de présenter au TCCE une requête visant à faire annuler les relevés détaillés de rajustement au motif que l’Agence ne peut pas les fonder sur autre chose que des éléments de preuve obtenus illégalement. Il est également loisible à Fritz de communiquer avec le TCCE pour déterminer si une procédure plus appropriée ne pourrait pas être envisagée.

 

[39]           J’ajouterais que si les questions reliées à la Charte sont soulevées à bon droit devant le TCCE, le TCCE doit examiner ces questions de novo, sur le fondement du dossier dont il dispose. Le TCCE n’est pas lié par la décision du juge Hughes ni par aucune de ses conclusions, y compris sa conclusion selon laquelle « n’eût été la perquisition illégale et la saisie illégale des documents, l’Agence n’aurait pas examiné ni révisé la situation de la demanderesse au regard des droits exigibles », sa conclusion selon laquelle « l’Agence n’aurait jamais entrepris une telle enquête sans son activité illégale » ou sa conclusion selon laquelle cette affaire s’apparente à l’affaire O’Neill Motors Ltd. c. Canada, [1998] 4 C.F. 180 (C.A.F.) (motifs du juge Hughes, paragraphes 8 et 16).

 

[40]           Pareillement, rien de ce que le juge Cowan a dit dans ses deux décisions dans l’instance pénale mettant en cause Fritz, ni rien de ce que le juge Corbett n’a dit dans sa décision ultérieure relative à la demande d’annulation des relevés détaillés de rajustement, ne peut être interprété comme une décision concernant l’admissibilité des éléments de preuve contestés dans l’instance devant le TCCE. Le juge Cowan et le juge Corbett s’exprimaient, et étaient seulement habilités à s’exprimer, au sujet de la procédure dont ils étaient saisis.

 

[41]           Pour ces motifs, j’accueillerais le présent appel avec dépens. J’annulerais l’ordonnance dont appel est interjeté pour cause d’absence de compétence et, rendant l’ordonnance qu’aurait dû rendre la Cour fédérale, je rejetterais avec dépens la demande de Fritz Marketing Inc. visant à faire annuler les relevés détaillés de rajustement qui lui ont été émis le 24 août 2005.

 

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

     Alice Desjardins, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     M. Nadon, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑361‑08

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                                                FRITZ MARKETING INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 21 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                La juge Sharlow

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                            

MOTIFS CONCOURANTS :                                              

MOTIFS DISSIDENTS :                                                     

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 3 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexandre Kaufman

POUR L’APPELANTE

 

Alan D. Gold

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

Alan D. Gold Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.