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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20110704


Dossier : IMM-5224-10

Référence : 2011 CF 821

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2011

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

 

RICARDO DE JESUS MENDEZ CERVANTES, VICTORIA GUADAL MONTIEL MANZO, ET MARIAH FERNANDA MENDEZ MONTIEL

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Vu la demande de contrôle judiciaire des demandeurs concernant la décision de la Section de la Protection des Réfugiés [SPR] rejetant leur demande d’asile parce qu’ils n’ont pas établi que leur État, le Mexique, ne pouvait les protéger contre M. Munoz.

 

[2]               Lecture faite de la documentation déposée par les parties, y inclus le dossier certifié, et ayant considéré les représentations orales de leurs procureurs.

 

[3]               Ayant noté que la SPR a soulevé plusieurs points affectant la crédibilité des demandeurs principaux, particulièrement quant à leur « plainte auprès d’un organisme des droits humains », aux menaces de mort présumément proférées contre M. Mendez Cervantes le 28 avril 2008, et comment ce demandeur avait pu vraisemblablement quitter son pays laissant derrière lui sa femme qui, selon ses dires, était terrorisée depuis le vol de ses vêtements et sous-vêtements (et leurs réapparitions sporadiques accompagnées de messages obscènes) et alors qu’un policier ou ex-policier, M. Munoz, était présumément obsédé par elle.

 

[4]               En fait, au paragraphe 17 de la décision, la SPR indique que, selon elle, la seule plainte portée par les demandeurs est celle du 14 octobre 2007 (vol perpétré peu après leur arrivée à Tijuana suite au renvoi de M. Mendez Cervantes des États-Unis où les deux époux ont vécu illégalement et se sont mariés). Elle conclut aussi que leur témoignage « n’est pas digne de foi car il lui est apparu invraisemblable en ce qui a trait à des éléments majeurs de leur revendication » y inclus les explications confuses et les contradictions concernant leur agresseur, les raisons pour lesquelles il a pu les retrouver à Mexico (District Fédéral) et par la suite à Hidalgo.

 

[5]               Ces commentaires et conclusions n’ont pas été contestés par les demandeurs dans leur mémoire non plus qu’à l’audience. En effet, ceux-ci ont plutôt concentré leurs représentations sur l’analyse et la conclusion de la SPR qu’ils n’ont pas présenté une preuve claire et convaincante que la présomption de protection de l’État ne s’applique pas et qu’ils ont quitté leur pays sans avoir tenté de faire les démarches raisonnables qui s’imposaient pour obtenir cette protection. En effet, selon eux, la SPR a ignoré de la preuve documentaire et n’a pas tenu compte de la gravité des évènements qu’ils ont vécus. Ils arguent qu’un examen poussé du dossier permettra à la Cour de conclure qu’ils ont fait tout ce qui pouvait et devait raisonnablement être fait dans les circonstances.

 

[6]               Ayant considéré que la norme de contrôle applicable aux questions décrites ci-dessus est celle de la décision raisonnable étant entendu que les demandeurs soulèvent des questions de fait et mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 51, 53 [Dunsmuir]; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 au para 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Gondara, 2011 CF 352 au para 25).

 

[7]               Ayant déterminé que malgré le fait que la SPR indique au paragraphe 9 que sa conclusion quant à protection de l’État s’appliquerait même si les faits allégués étaient vrais, la Cour ne peut faire abstraction de son évaluation quant au peu de crédibilité du témoignage des demandeurs principaux. Ceci est autant plus important lorsque l’on considère que compte tenu de la norme de contrôle applicable, la Cour ne peut simplement substituer sa propre évaluation de la preuve à celle du décideur. Elle doit seulement vérifier si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et si elle répond au critère de transparence, intelligibilité, et justification applicable (Dunsmuir au para. 47).

 

[8]               Les bases sur lesquelles les demandeurs revendiquent une protection n’étaient pas très précises. En effet, M. Mendez Cervantes, dans son formulaire de renseignements personnels, indique qu’il fait partie d’un groupe social non identifié alors qu’à l’audience il a été précisé que sa crainte est plutôt fondée sur la criminalité. Même s’il dit qu’à l’origine il s’agissait d’une obsession sexuelle de M. Munoz à l’égard de sa femme, il dit aussi qu’elle résulte d’une altercation entre M. Munoz et lui au poste de police le 14 février 2008 alors qu’il se plaignait à nouveau que la police ne trouvait pas le coupable du vol et des obscénités proférées à l’égard de sa femme. Le 25 février 2008, il se serait plaint de l’attitude de M. Munoz le 14 février auprès d’un organisme des droits humains et c’est suite à cela que ses problèmes ont commencé. Quant à elle, Mme Montiel Manzo dit craindre M. Munoz (policier ou ex-policier de Tijuana) et elle revendique sur la base de son appartenance au groupe des femmes Mexicaines victimes de violence ou, tel que l’indique l’agent de protection à l’audience devant la SPR, à titre de victime de criminalité. Pourtant, elle a témoigné que lors de son viol, c’est son mari que M. Munoz recherchait. Il aurait aussi proféré des menaces contre sa petite-fille.

 

[9]               C’est pour cela que la SPR concentre son analyse (pp. 7 à 11) sur les mesures prises par l’État Mexicain pour contrôler la corruption au niveau des policiers et fonctionnaires, pour en embaucher de meilleurs, de même que les mesures prisent pour s’assurer que les citoyens peuvent se plaindre d’eux et finalement celles prisent pour protéger les femmes victimes de violence (bien que la preuve documentaire traite généralement de violence conjugale, ce qui n’est pas le cas ici). La SPR se déclare satisfaite après examen de la preuve documentaire que l’État a pris des mesures importantes qui ont eu des résultats concrets, même si clairement imparfaits. Au paragraphe 28, elle note aussi que « les échecs locaux de maintenir l’ordre de façon efficace n’équivalent pas une absence de protection étatique ».

 

[10]           La Cour est satisfaite que la SPR a pris en compte les explications données par les demandeurs à l’effet que, selon eux, tous les policiers sont corrompus et qu’il existe une « loi bleue » selon ce qu’ils ont lu dans le journal, qui oblige les policiers à se couvrir les uns et les autres et que lorsqu’ils se sont plaint à la police pour leur vol et les obscénités proférées contre Mme Montiel Manzo, on (M. Munoz) s’est moqué d’eux.[1]

 

[11]           La SPR a simplement jugé plus crédible la preuve documentaire indiquant, entre autres choses, que les plaintes faites aux organismes mis en place à cet égard ont mené à de nombreuses enquêtes et que diverses mesures correctives concrètes ont été prises comme je l’ai déjà mentionné. La SPR ne s’est pas fermé les yeux sur les imperfections du système mexicain.

 

[12]           La Cour ne peut conclure que la SPR a commis une erreur révisable en ne référant pas expressément au document cité par mon collègue le juge James Russell dans Villicana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205 (rapport du professeur Adler Hellman). La Cour note à cet égard que ledit document n’est pas inclus dans le dossier certifié non plus que dans le dossier des demandeurs et qu’on n’y a pas fait référence non plus à l’audience devant la SPR dans le cadre des soumissions orales.

 

[13]           La protection internationale n’a jamais été voulue ni mise en place comme protection de première ligne. Tel qu’indiqué dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, « [l]a communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine […] » (au para 18). C’est pour cette raison que la Cour d’appel fédérale a réitéré récemment dans une affaire impliquant une citoyenne mexicaine, dans Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, que le demandeur d’asile a un fardeau de preuve important à rencontrer à cet égard.

 

[14]           Personne n’a mis en doute que les demandeurs croient vraiment que des plaintes portant sur les faits au cœur de ce dossier (plutôt que sur le vol) n’auraient rien donné. C’est justement à cause de tels préjugés que leur gouvernement a fait des campagnes de sensibilisation afin d’amener la population à recourir aux institutions et mécanismes qu’il a mis en place.

 

[15]           Malheureusement, une telle croyance n’est pas en soi suffisante pour réussir à rencontrer leur fardeau de preuve, particulièrement en vertu de l’article 97 de IRPA (voir Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 134 au para 31).

 

[16]           Il n’y a aucune commune mesure ici entre les démarches qu’ils disent avoir faites lorsqu’ils étaient à Tijuana pour obtenir de l’aide face à un simple vol, les messages obscènes, l’altercation du 14 février, et l’absence totale de démarches liées aux autres actes beaucoup plus graves décrits par les demandeurs et commis dans des juridictions où rien n’indique dans la preuve documentaire qu’un simple policier[2] ou ex-policier de Tijuana aurait des appuis.

 

[17]           Après un examen poussé du dossier, les demandeurs ne m’ont pas convaincue de l’existence d’une erreur révisable. Je suis satisfaite que les conclusions de la SPR dans les circonstances particulières de l’espèce et son analyse étoffée répondent à la norme de la décision raisonnable.

 

[18]           Les parties n’ont pas présenté de question pour certification. Selon moi, cette affaire ne soulève aucune question d’intérêt général.

 

[19]           La demande est rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5224-10

 

INTITULÉ :                                       RICARDO DE JESUS MENDEZ CERVANTES ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 avril 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Marilyne Trudeau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Ici encore, la preuve est contradictoire puisque le demandeur a aussi indiqué que l’on avait pris sa dénonciation par écrit et que la police l’avait dûment avisé d’être très prudent, car il pourrait s’agir de harcèlement sexuel qui pourrait avoir des conséquences graves.

[2] Il n’y a aucune preuve que M. Munoz était haut gradé ou qu’il faisait partie d’un réseau de trafiquants de drogues ou autre gang organisé.

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