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Date : 20090911

Dossier : IMM-4138-08

Référence : 2009 CF 899

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2009

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

CESAR BENJAMIN GUZMAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), qui vise la décision datée du 13 août 2008 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté contre la mesure d’expulsion prise à l’endroit du demandeur.

 

[2]               Le demandeur sollicite la délivrance d’une ordonnance enjoignant qu’il soit de nouveau statué sur son appel.

 

Contexte

 

[3]               En 1997, le demandeur, ainsi que sa femme, ont été parrainés par sa fille et l’époux de cette dernière. Le demandeur a cinq enfants et dix petits-enfants, trois de ses enfants et sept de ses petits‑enfants étant des citoyens canadiens. Il semblerait que tous les enfants et petits-enfants du demandeur vivent au Canada.

 

[4]               À son arrivée au Canada, le demandeur avait pour seul revenu sa pension du Pérou; cette pension ne suffisant pas, il a commencé à travailler. Le demandeur avait été médecin au Pérou, mais il ne pouvait exercer sa profession au Canada. Il a occupé divers emplois au Canada, pour travailler en fin de compte comme aide-résidents au Wentworth Manor. En 2005, le demandeur a été déclaré coupable d’agression sexuelle à l’endroit d’une des résidentes, âgée de 86 ans et atteinte de démence. En 2006, le demandeur a plaidé coupable et on lui a infligé une peine de 18 mois d’emprisonnement et de deux ans de probation. Il a purgé onze mois de sa peine, puis a été libéré sous condition.

 

[5]               Le 4 mai 2007, une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur en raison de sa condamnation. L’appel du demandeur porté devant la SAI a été rejeté.

 

Motifs de la SAI

 

[6]               Le commissaire de la SAI a d’abord comparé la conclusion tirée par le juge ayant imposé la peine, sur la foi des rapports médicaux, selon laquelle le demandeur éprouvait du remords et l’argument du ministère public voulant que tel ne soit pas le cas.

 

[7]               Le commissaire a conclu qu’il n’était pas justifié de surseoir à la mesure d’expulsion. Le demandeur s’était vu infliger une longue peine compte tenu du fait que le ministère public avait accepté qu’on procède par voie de procédure sommaire; la peine infligée était la peine maximale selon cette voie. Le commissaire n’était guère impressionné par les remords exprimés par le demandeur, qu’il a jugé peu sincères, et il a conclu que ce dernier minimisait la portée de ses actes. Les membres de la famille du demandeur, en outre, avaient une attitude semblable.

 

[8]               Le lien étroit de prestation de soins ayant existé pendant trois ans, le fait que l’acte s’était produit la nuit alors qu’aucun visiteur ne risquait de faire irruption et les justifications données par le demandeur (troubles d’érection continus et crainte d’infidélité de la part de son épouse), tout cela faisait douter de la prétention du demandeur qu’il s’était agi d’un incident isolé.

 

[9]               Bien que le Dr Sirota, docteur en psychologie, avait recommandé des séances de counselling pour le demandeur, il n’y avait aucune preuve que ce dernier avait subi un tel traitement, qu’on se serait attendu à ce que le demandeur suive s’il avait voulu s’attaquer au problème pour de bon. Aucune preuve ne montrait non plus que le demandeur avait réglé ses problèmes de manière importante.

 

[10]           Le commissaire a relevé qu’on avait pris pour acquis dans les rapports d’évaluation psychologique et psychiatrique que l’agression avait constitué un incident isolé, et que les avis donnés s’étaient fondés principalement sur l’information transmise par le demandeur lui-même. On n’avait pas traité du lien existant entre l’agression sexuelle et l’inaptitude sexuelle dont le demandeur disait être atteint, un élément important étant donné que le sentiment d’inaptitude aurait été ressenti depuis un certain temps déjà. 

 

[11]           Le demandeur a choisi de travailler dans un lieu où se trouveraient des personnes à la capacité mentale restreinte, alors qu’il ne lui était pas nécessaire au plan financier de travailler, vu que lui et son épouse avaient des pensions et que leurs enfants leur venaient en aide. Cela a conduit le commissaire à mettre en doute les motivations du demandeur, et à se demander si l’on pouvait considérer que ce dernier avait réglé ses problèmes et se trouvait ainsi être réadapté.

 

[12]           En ce qui a trait aux difficultés, le commissaire a fait remarquer que le retour au Pérou du demandeur pourrait en fait faciliter sa réadaptation, car il y subirait un traitement médical spécialisé dans sa propre langue. L’hypothèse selon laquelle une telle aide pourrait ne pas être disponible au Pérou n’a pas été retenue, parce que le demandeur y était lui-même un médecin hautement spécialisé.

 

[13]           Le législateur a choisi de priver du droit d’interjeter appel devant la SAI les personnes condamnées à deux années d’emprisonnement. Le commissaire a cru que le demandeur avait pu décider de plaider coupable à l’infraction punissable par procédure sommaire pour ne pas risquer qu’on lui inflige une peine de plus de deux ans, et pour conserver ainsi son droit d’interjeter appel. Plaider coupable n’était pas à ce titre un indice fiable de l’existence de remords, particulièrement au vu du fait que le demandeur avait été pris en flagrant délit.

 

[14]           Contrairement au juge ayant prononcé la peine, le commissaire n’était pas convaincu que le demandeur éprouvait réellement des remords, et il a estimé en fin de compte que la nature du crime, la situation de la victime et d’autres facteurs se rapportant à la dissuasion étaient de tel ordre que les considérations humanitaires bel et bien présentes ne suffisaient pas pour accorder au demandeur le redressement demandé.

 

Norme de contrôle judiciaire

 

[15]           Le demandeur estime que la norme de la raisonnabilité est celle qui s’applique en l’espèce, le défendeur partageant cet avis, et que par suite de l’arrêt Dunsmuir (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190), la norme de la raisonnabilité appelle une plus grande retenue que ne le faisait la norme précédente de la décision raisonnable simpliciter.

 

Question en litige

 

[16]           La question en litige est la suivante :

            1.         La SAI a-t-elle traité la preuve de manière erronée, en se livrant à des conjectures ou encore en interprétant erronément la preuve ou en faisant abstraction d’éléments de preuve?

 

Prétentions du demandeur

 

[17]           Le demandeur a soutenu que le commissaire de la SAI s’était livré à des conjectures à l’égard de plusieurs points essentiels mentionnés ci-après.

  • Il ne s’agissait pas de la première infraction (ce n’était pas un incident isolé), et ce, malgré les remarques du juge ayant prononcé la peine, les évaluations psychologiques et les dépositions du demandeur et des témoins.
  • Le demandeur avait plaidé coupable pour qu’en contrepartie on procède par voie de procédure sommaire et qu’ainsi il puisse conserver son droit d’appel, sans qu’il n’y ait la moindre preuve en ce sens au dossier.
  • Le demandeur n’éprouve pas de remords, malgré les « conclusions » contraires du juge et des psychologues.
  • En procédant aux évaluations psychologiques, on avait fait de la « psychologie de cuisine » et on n’avait pas comparé des choses comparables.

 

[18]           On a allégué que le commissaire avait fait abstraction d’éléments de preuve pertinents et non contredits du demandeur lorsqu’il s’était livré à de telles conjectures. Le demandeur a bien pris part à des séances hebdomadaires de counselling pendant six mois, tel qu’il est mentionné dans les documents communiqués par son avocate. Les séances n’ont pas pris fin lorsqu’a débuté la période de probation, comme le commissaire l’avait conclu, et le demandeur a continué après cette période à consulter le Dr Baxter tous les deux mois. Le Dr Baxter et Mme Farmer ont confirmé cet élément de preuve.

 

[19]           Le demandeur soutient également que le commissaire a accordé trop d’importance à la condamnation, et pas suffisamment à la situation qui a donné lieu à l’infraction non plus qu’à ses explications. Le commissaire a non seulement procédé à une analyse subjective des faits, mais il a aussi imputé au demandeur des comportements inexistants.

 

[20]           Le demandeur soutient que la SAI doit prendre pour guides les facteurs énoncés dans Ribic, et que le commissaire a omis d’apprécier ces facteurs de manière équitable. De nombreux éléments de preuve montreraient que, pendant et après son incarcération, le demandeur a participé à des programmes destinés à contrer son problème et, malgré cela, le commissaire a refusé d’admettre les conclusions d’experts et a fait abstraction de tous les éléments de preuve – dont la quasi-totalité étaient favorables – concernant son traitement et sa réadaptation.

 

[21]           Le demandeur soutient enfin que le commissaire a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas participé aux programmes spécialisés qu’on lui avait recommandés, et commis une erreur dans l’appréciation de ses difficultés, en prenant pour hypothèse qu’il disposait des ressources financières et du soutien familial nécessaires.

 

Prétentions du défendeur

 

Question préliminaire concernant un nouvel élément de preuve

 

[22]           Le défendeur s’oppose à ce que le demandeur produise une lettre en date du 9 septembre 2008 dans laquelle Mme Baxter déclare que le demandeur a subi un traitement depuis janvier 2008, sans toutefois préciser la fréquence ou la date des consultations. Ce nouvel élément de preuve est non pertinent et inadmissible. La période de libération conditionnelle du demandeur a pris fin en août 2007, et aucune preuve ne révèle que celui-ci a pris part à des séances de counselling depuis le début de sa probation jusqu’à la tenue de l’audience devant la SAI. Ce que le demandeur a fait après cette audience n’est pas pertinent.

 

Argument principal

 

[23]           Le défendeur soutient que le demandeur est tout simplement en désaccord avec les conclusions de la SAI, son interprétation de la preuve et son appréciation de la crédibilité. Les conclusions de la SAI, toutefois, sont claires et étayées par la preuve. Le demandeur doit démontrer qu’il y a eu une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire et sans qu’on ait tenu compte de la preuve, et que la décision rendue se fondait sur cette conclusion erronée. Or le demandeur n’a satisfait à aucune de ces exigences. Le commissaire pouvait tirer les déductions qui ont été les siennes en fonction de la preuve dont il disposait, et ces déductions étaient de l’ordre de conclusions raisonnables. Le commissaire a pris en compte les facteurs favorables au demandeur. Vu la déposition faite à l’audience n’appuyant pas les prétentions de remords du demandeur et faisant état de l’omission de ce dernier de suivre une thérapie, il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de conclure que le demandeur n’éprouvait pas de remords ni n’était engagé dans un processus de réadaptation. Aucune preuve ne montrait que le demandeur s’était attaqué à ses problèmes personnels depuis sa condamnation. Par ailleurs, les  remords exprimés par le demandeur l’étaient  principalement à l’endroit de lui-même et de sa famille, et non de la victime.

 

[24]           Le défendeur soutient qu’était également raisonnable la conclusion voulant qu’on n’ait peut-être pas eu affaire à un incident isolé, le commissaire ne s’étant servi de cette conclusion qu’aux fins de l’évaluation de la réadaptation du demandeur. De plus, les justifications données par ce dernier – la victime et lui étaient devenus proches et celle-ci l’avait encouragé – dénotaient un certain degré de planification, bien plutôt qu’un crime de situation commis sous l’impulsion du moment. Le commissaire n’a pas conclu que le demandeur avait commis plus d’un crime, mais tout simplement qu’on ne pouvait se fier à lui sans preuve corroborante. Et une telle preuve n’était pas disponible vu les capacités réduites de la victime.

 

[25]           Le défendeur soutient en outre que le commissaire a accordé aux rapports psychologiques l’importance qui convenait, puisqu’on répondait dans ces rapports à une question différente de celle que la SAI avait à trancher, qu’on y visait des périodes différentes et qu’on y présumait la véracité des faits relatés par le demandeur. L’absence d’efforts consentis par le demandeur pour se réadapter était plus éloquente que ne l’étaient les rapports.

 

[26]           Le défendeur signale enfin que ce qui avait été demandé c’était l’octroi, de nature fortement discrétionnaire, d’un recours extraordinaire, et que la SAI avait pris en compte la preuve avant de refuser ce recours. Le commissaire n’a ainsi commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

Réplique du demandeur

 

[27]           Le demandeur conteste la preuve soumise par le défendeur quant à sa participation à des séances de thérapie. La documentation à communiquer du 8 février 2008 dont la SAI était saisie comprenait une lettre où le Dr Baxter déclarait que le demandeur avait suivi le programme fédéral de traitement des délinquants sexuels. Il y avait également dans cette documentation un rapport final sur la participation au programme daté du 1er décembre 2007. Le demandeur a en outre déclaré dans sa déposition qu’il suivait toujours un traitement. La preuve révélait que le demandeur avait participé à des séances hebdomadaires de counselling du 11 juin 2007 au 1er décembre 2007, puis à des séances à tous les deux mois. La lettre du 9 septembre 2008 du Dr Baxter ne faisait que rectifier l’impression fausse du commissaire que le demandeur n’avait pas voulu subir un traitement après son incarcération.

 

Analyse et décision

 

[28]           Après examen de la décision, il semble que le commissaire de la SAI a pris en compte de manière consciencieuse l’essentiel de la preuve, mais qu’il a cependant fait abstraction de divers éléments importants.

 

[29]           Le membre semble avoir commis une grave erreur lorsqu’il a tiré sa conclusion de fait relativement au traitement. Il appert en effet de la preuve que le demandeur a suivi des séances hebdomadaires de thérapie spécialisée pendant un certain temps, puis des séances à chaque deux mois, car le thérapeute ne semblait pas croire qu’une thérapie plus suivie était toujours requise.

 

[30]           Il semble également que les spécialistes de la santé mentale et le juge ayant prononcé la peine aient tous été d’avis qu’une récidive de la part du demandeur était improbable, ce qui laisserait entendre que ce dernier s’était bel et bien attaqué à ses problèmes. Or, le commissaire a fait abstraction de cet avis.

 

[31]           Le commissaire semble également avoir tiré des conclusions hypothétiques sans qu’il n’y ait suffisamment d’éléments de preuve à l’appui, et parfois même lorsqu’une preuve contraire digne de foi était disponible. Il semble, par exemple, avoir conclu

            1.         que l’agression ne constituait pas un incident isolé;

            2.         que le demandeur a choisi de travailler là où il l’a fait pour être près de personnes de capacité mentale réduite;

            3.         qu’il n’était pas nécessaire pour le demandeur au plan financier de travailler;

            4.         que des services psychologiques spécialisés seraient disponibles au Pérou parce que le demandeur y avait été un médecin spécialiste (dans un domaine totalement différent);

            5.         que le demandeur avait plaidé coupable pour conserver son droit de faire appel devant la SAI.

 

[32]           Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la décision de la SAI était déraisonnable et que, par conséquent, cette décision doit être annulée et l’affaire renvoyée à un autre tribunal (un autre commissaire) de la SAI pour qu’il soit à nouveau statué sur l’affaire.

 

[33]           Le demandeur soumet les questions suivantes à mon attention en vue de leur certification :

i.          La « retenue » requise envers le législateur et le commissaire de la SAI annule-t-elle l’obligation en droit du tribunal de ne pas tirer de conclusions de fait erronées, sans tenir compte de la preuve dont il dispose?

 

ii.          La « retenue » requise envers le législateur et le commissaire de la SAI annule-t-elle l’obligation en droit du tribunal de ne pas tirer de conclusions de fait erronées au vu de la preuve au dossier?

 

iii.         La « retenue » requise envers le législateur et le commissaire de la SAI annule-t-elle l’obligation en droit du tribunal de tenir compte convenablement de la preuve dont il dispose, particulièrement d’un élément de preuve pertinent?

 

 

[34]           Je ne suis pas disposé à certifier ces questions, car elles ne permettraient pas de trancher les questions en litige en l’espèce.

 

[35]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire renvoyée à un autre commissaire de la SAI pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre commissaire de la SAI pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4138-08

 

INTITULÉ :                                       CESAR BENJAMIN GUZMAN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 11 SEPTEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roxanne Haniff-Darwent

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Darwent Law Office

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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