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 Date :  20070831

Dossier :  IMM-510-07

Référence :  2007 CF 863

Ottawa (Ontario), le 31 août 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

MIGUEL CARLOS GONZALEZ MORALES et

MARIA DOLORES GOMEZ BASANTA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à l’encontre d'une décision rendue le 12 janvier 2007 par Madame Sylvie Lévesque de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, section de la protection des réfugiés (le Tribunal), rejetant la demande d’asile du demandeur et de sa conjointe, tous deux citoyens du Mexique.

 

 

I.         Questions en litige

[2]               La décision du Tribunal est-elle manifestement déraisonnable?

 

[3]               La réponse à cette question est positive. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

II.        Contexte factuel

[4]               Ingénieur de profession, le demandeur principal revendique le statut de réfugié au Canada suite à des menaces de mort et des agressions contre lui et son épouse parce qu’il dirigeait un projet environnemental pour aider un groupe de paysans mexicains à préserver leurs terres. Ce projet est dirigé par l’organisme écologiste OLLIN CABAN.

 

[5]               Le demandeur allègue que le Commandant Orozco Mejia aurait demandé aux agents de l’Agence fédérale d’investigation (A.F.I.) de l'assassiner ainsi que son épouse dans le but de protéger les intérêts économiques du député Emilio Chuayffet Chemor qui voulait confisquer les terrains des paysans. Certains de ces derniers ont informé le demandeur que des agents de l’A.F.I. leur avaient demandé des informations à son sujet.

 

[6]               En octobre 2005, le demandeur reçoit trois appels téléphoniques anonymes le menaçant de mort s’il ne renonce pas aux activités de l’OLLIN CABAN relativement à l’achat par le député Chuayffet Chemor des terrains appartenant à des paysans. En novembre 2005,  il reçoit un autre appel semblable.

 

[7]               Le lendemain, le demandeur porte plainte auprès du Commissariat de police. Aucune suite n'est donnée. Il envoie également un texte à plusieurs journaux pour publication afin d'expliquer le problème de la vente des terrains des paysans mexicains ainsi que les menaces de mort dont il a été victime.

 

[8]               Il raconte qu'il a été battu à deux reprises par des membres de l’A.F.I. et qu’il a dû être soigné pour ses blessures. Le 18 novembre 2005 il est arrêté par deux individus en uniforme de l’A.F.I. qui lui assène des coups et lui interdisent de continuer ses activités puisqu’elles déplaisent au Commandant Mejia.

 

[9]               Le 7 décembre 2005, son épouse échappe de justesse à deux individus qui tentaient de l'enlever. Suite à ce dernier incident, le couple quitte le Mexique et demande l’asile aussitôt arrivé au Canada le 12 décembre. Les demandeurs sont maintenant parents d'un enfant né à Montréal, le 2 décembre 2006.

 

III.        Décision contestée

[10]           Le Tribunal rejette la demande d’asile, concluant que les demandeurs ne sont pas crédibles. Ils auraient inventé une histoire afin d’obtenir le statut de réfugiés au Canada. Le Tribunal ne croit pas que le demandeur avait des liens avec OLLIN CABAN puisqu’il n’y a rien d’écrit sur sa carte de membre et qu'il ne connaît pas l’adresse du groupe écologiste. Par conséquent, il rejette en bloc tous les documents déposés par le demandeur.

 

IV.        Objections préliminaires

[11]           Le défendeur soutient que l’affidavit déposé par les demandeurs est irrégulier et n’est pas conforme à l’alinéa 10(2)d) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés D.O.R.S./93-22, (les Règles), qui prévoit ce qui suit :

MISE EN ÉTAT DE LA DEMANDE D’AUTORISATION

10. (1) Le demandeur met sa demande d’autorisation en état en se conformant au paragraphe (2) :

[. . .]

(2) Le demandeur signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

[. . .]

d) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l’appui de sa demande,

[. . .]

PERFECTING APPLICATION FOR LEAVE

10. (1) The applicant shall perfect an application for leave by complying with subrule (2)

 

[. . .]

(2) The applicant shall serve on every respondent who has filed and served a notice of appearance, a record containing the following, on consecutively numbered pages, and in the following order

 

[. . .]

(d) one or more supporting affidavits verifying the facts relied on by the applicant in support of the application, and

[. . .]

 

[12]           Le défendeur allègue que les paragraphes 4 et 5  n’établissent pas des faits mais présentent plutôt un argumentaire à l'encontre de la décision contestée. Or, selon la jurisprudence établie par cette Cour, l’argumentation des parties est insérée dans le mémoire. Les affidavits doivent se limiter aux faits pour soutenir les allégations invoquées (voir Bakary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 1418, 2006 CF 1111, au paragraphe 5; Ray c. Canada, [2003] A.C.F. no 1226, 2003 CAF 317, au paragraphe 14; Fabiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1510, 2005 CF 1260, au paragraphe 25).

 

[13]           En s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Metodieva c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 629 (C.A.F.) (QL), le défendeur prétend que cette irrégularité équivaut à une absence d’affidavit. Par conséquent, la Cour devrait le radier.

 

[14]           Je constate effectivement que les paragraphes 4 et 5 comportent de l'argumentation mais relatent aussi des faits au sujet de l'association du demandeur avec OLLIN CABAN (paragraphe 4), et mentionnent aussi de nombreux documents déposés par le demandeur ayant été rejetés en bloc par le Tribunal (paragraphe 5). Après analyse, je suis satisfait que l’affidavit n’est pas irrégulier et que les circonstances ne sont pas réunies pour procéder à la radiation de l’affidavit tel que préconisé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Metodieva, ci-dessus.

 

V.        Analyse

Norme de contrôle

[15]           Je suis d'accord avec les parties que la décision du Tribunal est fondée sur l’absence de crédibilité des demandeurs. Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, la Cour suprême du Canada s'est prononcée ainsi à ce sujet :

 

38        Cependant, et en dernier lieu, le degré de déférence requis est considérablement renforcé par la nature du problème -- une conclusion sur la crédibilité. L'appréciation de la crédibilité est essentiellement de nature factuelle. Il faut reconnaître l'avantage relatif dont jouissait le comité, qui a entendu les témoignages de vive voix.

 

 

[16]           Lorsqu'il s'agit d'une question de crédibilité, le Tribunal est appelé à apprécier des faits et la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732, le juge Robert Décary a écrit ceci au paragraphe 4 :

4          Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

 

[17]           Ce même principe a été adopté dans Aslam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 264, 2006 CF 189, au paragraphe 18 avec référence à Aguebor, ci-dessus, et Grewal v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (FCA), [1983] F.C.J. No. 129 (Q.L.)).

 

 

La décision du Tribunal est-elle manifestement déraisonnable?

[18]           Les demandeurs ont démontré selon moi que la décision contestée contient des erreurs significatives sur les faits. Une lecture attentive des transcriptions révèle que le demandeur a donné des explications sans équivoque et avec beaucoup de détails au sujet de ses responsabilités en tant que dirigeant du projet du mouvement écologiste qui visait la protection des terrains des paysans mexicains.

 

[19]           Le Tribunal s'est trompé lorsqu'il écrit ce qui suit à la page 2 de sa décision :

Analyse

[. . . ]

Nous avons trouvé les demandeurs non crédibles. Tout d’abord, le demandeur sera incapable de nous donner l’adresse du groupe OLLIN CABAN. Il nous dira : « je n’a pas une bonne mémoire, l’adresse est sur la carte » (en parlant de la pièce P-6). Il ne pourra même pas nous dire le nom de la rue, nous disant cette fois : « je n’ai pas un bon sens de l’orientation, c’est près de la route de l’aéroport, mais je n’ai pas la mémoire. Je suis allé souvent mais je ne fais jamais très attention au nom des rues ».

 

 

[20]           Or, le demandeur principal n’a pas dit cela. La transcription de son témoignage sur cette question révèle ce qui suit à la page 178: 

PAR LA COMMISSAIRE (s’adressant au revendicateur)

 

Q.                Et où était l’adresse de ce groupe?

 

R.                 C’est la maison de Fabian où on faisait les réunions, O.K. , l’adresse est sur la carte, je n’ai pas très bonne mémoire pour les . . . les adresses. Je sais m’y rendre, mais . . .

 

PAR LA CONSEILLÈRE (s’adressant au revendicateur)

 

Q.                Le nombre d’heures?

R.                 Je le répète, je n’ai pas une très bonne mémoire pour les adresses. Je sais me rendre, j’ai un très bon sens de l’orientation, mais j’ai du mal avec les noms.

 

 

[21]           Puisqu’il s’agit d’une erreur significative et que le Tribunal s'est basé sur cet élément pour en arriver à un manque de crédibilité, la décision doit être cassée. Par la suite, le Tribunal a rejeté en bloc l’ensemble de la preuve documentaire sans donner d'explications. En rejetant cette preuve je considère que l'intervention de la Cour est justifiée.

 

[22]           Aucune question n'a été soumise pour être certifiée et ce dossier n’en contient aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accordée et que le dossier soit retourné pourrait être réexaminé par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-510-07

 

INTITULÉ :                                       MIGUEL CARLOS GONZALEZ MORALES et

                                                            MARIA DOLORES GOMEZ BASANTA ET

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                 L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 31 août 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Éveline Fiset                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

 

Evan Liosis                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eveline Fiset                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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