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Date : 20070223

Dossier : IMM-57-06

Référence : 2007 CF 199

ENTRE :

DEEPAK NAYYAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition, le 13 février 2007, d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’une agente du Haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, de rejeter la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur. La décision faisant l’objet du présent contrôle est datée du 29 septembre 2005. Le demandeur allègue que son consultant en immigration n’a reçu la décision que le 20 octobre 2005, ou vers cette date.

 

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Un consultant en immigration a déposé en son nom une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie de l’immigration économique. Le demandeur a demandé d’être évalué au regard de la profession d’« acheteur ».

 

[3]               La demande du demandeur a été soumise pour examen pendant la période transitoire entre l’application de l’ancienne Loi sur l’immigration et l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Sa demande a donc été examinée sous les deux régimes. Le demandeur a obtenu soixante‑six (66) points d’appréciation sous le régime de la Loi sur l’immigration et de son règlement d’application, alors que soixante‑dix (70) points étaient nécessaires pour pouvoir immigrer au Canada. Par ailleurs, il a obtenu soixante‑six (66) points d’appréciation sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de son règlement d’application, alors que soixante‑sept (67) points étaient requis pour avoir le droit d’immigrer au Canada. Sa demande a donc été rejetée. Le dossier du tribunal ne permet pas cependant de savoir si l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur ou une appréciation de substitution qui lui aurait été favorable ont été envisagés.

 

[4]               L’avant‑dernier paragraphe de la demande de résidence permanente du demandeur, qui a été déposée par un consultant en immigration en son nom, était libellé comme suit :

[traduction]

Nous faisons respectueusement valoir que, si M. Deepak Nayyar obtient moins de 70 points d’appréciation – ce qui n’est cependant pas prévu –, ce résultat ne reflètera pas ses chances de réussir son installation au Canada. Nous vous demandons donc d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui vous est conféré au paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978 si M. Deepak Nayyar obtient moins de 70 points d’appréciation.

 

Le Règlement sur l’immigration de 1978, notamment le paragraphe 11(3) de ce règlement, est le régime juridique qui s’appliquait à l’époque où l’ancienne loi et son règlement d’application étaient en vigueur. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et son règlement d’application ne sont entrés en vigueur que près de deux (2) ans après la présentation de la demande.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               La Cour a été saisie de deux questions seulement dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire : premièrement, la demande de contrôle judiciaire du demandeur a‑t‑elle une raison d’être étant donné qu’elle n’a pas été présentée dans le délai imparti et que l’autorisation de la présenter hors délai n’a pas été accordée par la Cour lorsqu’elle a autorisé le demandeur à présenter sa demande de contrôle judiciaire, malgré le fait que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire renfermait une demande de prorogation du délai de dépôt; deuxièmement, l’agente dont la décision fait l’objet du présent contrôle a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d’examiner la demande présentée par le demandeur afin qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire ou substitue son appréciation en sa faveur, ou de noter qu’elle a pris cette demande en considération?

 

ANALYSE

La prorogation du délai de dépôt

[6]               Dans Khalife c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[1], mon collègue le juge Mosley a traité de la prorogation du délai de dépôt aux paragraphes 12 à 16 de ses motifs. Il a écrit :

Mais il était maintenant sans intérêt pratique de savoir si le demandeur avait pris connaissance de la décision et avait décidé de présenter sa demande de contrôle judiciaire à temps, a poursuivi son avocat, puisqu’un juge de la Cour avait autorisé l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Bien que l’ordonnance accordant cette autorisation soit muette au sujet du délai, le demandeur soutient que le juge saisi de la demande devrait présumer que le juge qui a accordé l’autorisation a aussi accordé une prorogation du délai pour le dépôt de la demande, conformément à l’alinéa 72(2)c) de la Loi, puisque c’est ce que les règles exigent.

 

Selon le paragraphe 6(2) […] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés […] (les Règles), il est statué sur la demande de prorogation de délai en même temps que sur la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier. De plus, soutient le demandeur, le défendeur s’est expressément opposé au dépôt hors délai dans le mémoire des faits et du droit qu’il a déposé en réponse à la demande d’autorisation. Il faut présumer que le juge qui a accordé l’autorisation a pris cette objection en considération et a décidé de ne pas la retenir, a‑t‑il été plaidé.

 

Bien que cet argument soit ingénieux, je ne peux pas convenir que la question soit théorique dans les circonstances. Conformément au paragraphe 6(1) […] des Règles, une demande visant la prorogation d’un délai se fait dans la demande d’autorisation même, selon la formule IR‑1 figurant à l’annexe […] des Règles. Aucune demande de la sorte n’a été faite par le demandeur dans sa demande d’autorisation. À mon avis, même si l’autorisation a été accordée, le retard à présenter la demande demeure une question pertinente que le juge saisi de l’affaire devra examiner, et qui pourrait décider du sort de la demande. Il y a des circonstances où la décision d’accorder ou non la prorogation d’un délai ne peut être prise qu’à l’audience. Le temps limité dont dispose un juge pour décider d’accorder ou de refuser une autorisation ne lui permet pas d’examiner attentivement les raisons pour lesquelles la prorogation d’un délai peut être justifiée. Je ne suis pas enclin à conclure que le silence sur cette question dans l’ordonnance d’autorisation doit être interprété comme un acquiescement à la prorogation, d’autant plus que le demandeur ne l’a pas demandée dans sa demande d’autorisation.

 

En tout état de cause, pendant tout le temps que dure l’examen d’une demande, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation d’un délai si elle le juge nécessaire pour faire justice aux parties […].

 

Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, je ne pense pas qu’on ferait justice à la demande en la tranchant sans en examiner le fond. Je vais donc accorder la prorogation que le demandeur aurait dû demander et traiter la demande comme si elle avait été faite dans le délai prescrit.

[renvois omis, non souligné dans l’original]

 

[7]               En l’espèce, une demande de prorogation du délai de dépôt figurait dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, mais il n’en a pas été question dans l’ordonnance accordant l’autorisation. Je fais mienne la conclusion du juge Mosley selon laquelle la Cour conserve, pendant tout le temps que dure l’examen d’une demande de contrôle judiciaire, le pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai si elle le juge nécessaire pour faire justice aux parties. Comme le juge Mosley, je suis convaincu que, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, on ne ferait pas justice à la demande en la tranchant sans en examiner le fond. Comme le juge Mosley également, j’accorderai une prorogation du délai de dépôt jusqu’à la date à laquelle la demande a effectivement été déposée. Aucun des avocats n’a pris cette décision en mauvaise part.

 

La norme de contrôle

[8]               Dans Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[2], mon collège le juge Blais a souligné, au paragraphe 8 de ses motifs, qu’il est bien établi en droit que la décision d’un agent des visas de délivrer ou non un visa de résident permanent est une décision discrétionnaire qui repose essentiellement sur une évaluation des faits. Il a toutefois ajouté au paragraphe 10 :

[traduction]

Toutefois, lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est allégué, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique. Si la Cour conclut qu’il y a effectivement eu manquement à l’équité procédurale, elle doit renvoyer l’affaire au décideur de première instance afin qu’il rende une nouvelle décision […].

[renvoi omis]

 

Je suis convaincu qu’en l’espèce l’allégation selon laquelle l’agente n’a pas envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou de substituer son appréciation en faveur du demandeur alors que celui‑ci le lui a demandé expressément dans sa demande de résidence permanente est une allégation de manquement à l’équité procédurale. J’appliquerai donc la norme de la décision correcte à cette allégation.

 

Le défaut d’envisager d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou de substituer son appréciation en faveur du demandeur

[9]               J’ai cité précédemment le paragraphe de la demande déposée au nom du demandeur où on demande à l’agente d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’éventualité où cette demande serait rejetée à cause du nombre de points d’appréciation accordés. Les parties n’ont pas contesté devant la Cour : premièrement, que la décision de l’agente ou les notes du STIDI l’étayant ne permettent pas, a priori, de conclure que l’agente a envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou de substituer son appréciation en faveur du demandeur, malgré le fait qu’il ne manquait à ce dernier que un (1) point pour obtenir le nombre requis par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et son règlement d’application; deuxièmement, que la Cour ne dispose d’absolument aucune preuve que le demandeur a réitéré sa demande concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou la substitution de l’appréciation en sa faveur au cours de son entrevue avec l’agente avant que ne soit rendue la décision faisant l’objet du présent contrôle; troisièmement, qu’il n’était aucunement question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou de la substitution de l’appréciation en faveur du demandeur dans la demande de réexamen de la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[10]           Dans Yan c  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[3], ma collègue la juge Gauthier a écrit aux paragraphes 16 à 18 de ses motifs :

[Le demandeur] se fonde sur la décision de notre Cour dans Gangadeen c. Canada (M.C.I.) […], où le juge McKeown a suivi la décision du juge McGillis dans Savvatee c. M.C.I. […], et statué qu’une fois formulée une demande spécifique de prise en compte du paragraphe 11(3) [la disposition du règlement d’application de l’ancienne Loi sur l’immigration prévoyant l’exercice du pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur], l’agent des visas ne peut en faire abstraction, et ce, même si les motifs avancés par le demandeur pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne sont pas très clairs.

 

Le demandeur soutient, en outre, qu’un tel manquement aux règles de l’équité procédurale constitue une erreur révisable qui permet à notre Cour d’annuler la décision, que cela importe ou non pour l’issue de l’affaire.

 

La Cour partage l’avis du défendeur selon lequel l’agente des visas n’était pas tenue de justifier dans ses motifs sa décision de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 11(3) du Règlement; cela ne veut pas dire toutefois que l’agente des visas n’avait pas à prendre en compte la requête spécifique formulée par [le demandeur].

[renvois omis]

 

[11]           En l’espèce, l’avocat du défendeur a insisté sur le fait que le demandeur n’a donné aucune raison justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou la substitution de l’appréciation en sa faveur, mais qu’il a simplement demandé que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé ou qu’il y ait substitution de l’appréciation. Renvoyant au passage cité ci‑dessus et tenant compte des faits de la présente affaire, l’avocat a fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’un cas où les raisons données n’étaient pas très claires, mais d’un cas où aucune raison n’avait été donnée. Selon lui, les critères décrits par le juge Rothstein, à l’époque où il était juge de la Cour, dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[4], n’étaient pas remplis. Le juge Rothstein a écrit au paragraphe 5 de ses motifs :

[…] Mais si c’est le demandeur qui veut [que l’agent des visas] exerce [le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3)], il semblerait qu’il faut qu’il en fasse la demande sous une forme ou sous une autre. Bien qu’il n’y ait pas une formule réglementaire à employer, il devrait à tout le moins présenter quelques bonnes raisons pour soutenir que la décision relative aux points d’appréciation ne reflète pas ses chances d’établissement au Canada. Il n’y a eu aucune demande de ce genre en l’espèce.

[non souligné dans l’original]

 

L’avocat du défendeur a fait valoir que la présente affaire est identique à la situation dont était saisi le juge Rothstein.

 

[12]           Je ne suis pas de cet avis. Dans la demande de visa de résident permanent qu’il a déposée au nom du demandeur, le consultant en immigration décrit de manière passablement détaillée les antécédents personnels du demandeur et explique, avec motifs à l’appui, le nombre de points d’appréciation qui, selon lui, devraient être accordés à ce dernier pour les études et la formation, l’expérience, la connaissance de l’anglais et d’autres langues et la personnalité. Il conclut ensuite dans le paragraphe précédent celui où il demande que le pouvoir discrétionnaire soit exercé en faveur du demandeur :

[traduction]

Nous faisons valoir respectueusement que, comme M. Deepak Nayyar remplit les conditions prévues à l’alinéa 9(1)a) et au sous‑alinéa 9(1)b)(i) du Règlement sur l’immigration de 1978, un visa d’immigrant devrait lui être délivré […].

 

[13]           Je suis convaincu que l’exposé du consultant en immigration constitue, comme l’a dit le juge Rothstein plus haut, « quelques bonnes raisons » de soutenir que les points d’appréciation accordés par l’agente, qui ne permettaient pas de délivrer un visa de résident permanent, ne reflètent pas les chances du demandeur de réussir son installation au Canada. L’exercice du pouvoir discrétionnaire ou la substitution de l’appréciation en faveur du demandeur serait donc justifié.

 

CONCLUSION

[14]           Compte tenu de la brève analyse qui précède, je suis convaincu que la décision faisant l’objet du présent contrôle n’a pas été rendue conformément à l’équité procédurale. Elle doit donc être annulée. La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la demande de résidence permanente présentée par le demandeur sera renvoyée au défendeur afin qu’un autre agent envisage d’exercer, en faveur du demandeur, le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent l’ancienne Loi sur l’immigration et son règlement d’application, ou de substituer son appréciation en faveur du demandeur en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et son règlement d’application.

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[15]           Les avocats ont été informés de la conclusion de la Cour à la fin de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire. Aucun d’eux n’a recommandé la certification d’une question. La Cour elle‑même est convaincue que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui permettrait de trancher un appel interjeté à l’encontre de la présente décision. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 février 2007

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-57-06

 

INTITULÉ :                                                       DEEPAK NAYYAR

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 13 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 23 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee and Company                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto

 



[1] [2006] 4 C.F. 437 (C.F.).

[2] 2007 CF 69 (décision non invoquée devant la Cour).

[3] [2003] A.C.F. no 655, 24 avril 2003.

[4] [1998] A.C.F. no 1239, 31 août 1998.

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