Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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OPIC

CIPO

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2021 COMC 106

Date de la décision : 2021-05-31

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

Nia Wine Group Co., Ltd.

Opposante

et

 

North 42 Degrees Estate Winery Inc.

Requérante

 

1,785,974 pour NORTH 42 DEGREES

Demande

Introduction

[1] North 42 Degrees Estate Winery Inc. (la Requérante) a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce NORTH 42 DEGREES (la Marque) en vertu de la demande no 1,785,974 (la Demande). La Demande, telle que modifiée pour la dernière fois, est fondée sur l’emploi en liaison avec les produits « Vins » (les Produits) depuis 2013, et l’emploi en liaison avec les services « Exploitation d’un établissement vinicole » (les Services) depuis 2009.

[2] Nia Wine Group Co., Ltd (l’Opposante) s’est opposée à la Demande, alléguant que la Marque n’est pas enregistrable au motif qu’elle est clairement descriptive et de son absence de caractère distinctif. Les autres motifs d’opposition sont fondés sur des contestations techniques de la Demande.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’opposition devrait être rejetée.

Le dossier

[4] La Demande d’enregistrement relative à la Marque a été produite le 7 juin 2016 et a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 8 février 2017. Le 15 mars 2017, l’Opposante a produit une déclaration d’opposition en vertu de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). Les motifs d’opposition sont fondés sur les articles 30b), 30i), 12(1)d), 12(1)b), et 2 de la Loi. Étant donné que la Loi a été modifiée le 17 juin 2019, toutes les mentions dans cette décision renvoient à la Loi modifiée, à l’exception des renvois aux motifs d’opposition (voir l’article 70 de la Loi qui prévoit que l’article 38(2) de la Loi tel qu’il se lit avant le 17 juin 2019 s’applique aux demandes annoncées avant cette date).

[5] Le 10 mars 2017, la Requérante a produit et signifié une contre-déclaration réfutant les motifs d’opposition. Les deux parties ont produit des preuves et des observations écrites, et ont été représentées à l’audience.

Aperçu de la preuve

[6] La preuve au dossier est résumée ci-dessous. Des parties pertinentes de la preuve sont approfondies dans l’analyse des motifs d’opposition. Pour parvenir à ma décision, j’ai examiné toute la preuve au dossier. Toutefois, je ne discute que des parties de la preuve qui sont directement pertinentes à mes conclusions.

La preuve de l’Opposante

[7] L’Opposante a produit l’affidavit de Pei (Violet) Chi Yeh, souscrit le 1er septembre 2017. Mme Yeh est directrice de l’Opposante et occupe ce poste depuis 2013. Les fonctions de Mme Yeh comprennent la supervision de toutes les activités de marketing de l’Opposante. Mme Yeh indique qu’elle a accès à tous les dossiers historiques de marketing de l’entreprise.

[8] Mme Yeh affirme que les faits énoncés dans son affidavit proviennent de sa connaissance personnelle, de sa participation personnelle dans cette affaire, ou de renseignements et de croyances. Elle déclare que tous les faits et que toutes les allégations contenues dans son affidavit sont exactes autant qu’elle sache et que toutes les déclarations faites sur des renseignements et des croyances sont considérées comme vraies.

[9] Mme Yeh fournit des renseignements limités sur l’entreprise de l’Opposante et son vin vendu sous la marque NORTH 43°. Mme Yeh tente également de présenter des preuves relatives à l’entreprise de la Requérante et à d’autres établissements vinicoles (tiers). Mme Yeh n’a pas été contre-interrogée.

[10] L’Opposante soutient que, puisque la Requérante n’a pas tenté d’obtenir l’occasion de vérifier la preuve de l’Opposante au moyen d’un contre-interrogatoire, la preuve de l’Opposante est non contestée. S’il est vrai que l’Opposante a choisi de renoncer au contre-interrogatoire, il se peut que l’Opposante ait décidé de ne pas contester les déclarations contenues dans l’affidavit au motif qu’elles ne constituaient pas une preuve suffisante aux fins de la présente procédure. À mon avis, l’absence de contre-interrogatoire ne m’empêche pas d’évaluer la valeur ou le poids de la preuve présentée par Mme Yeh [HD Michigan Inc c The MPH Group Inc (2004), 40 CPR (4th) 245].

Entreprise de l’Opposante

[11] Mme Yeh affirme que l’Opposante exploite un établissement vinicole dans la région de Niagara en Ontario, et qu’elle vend du vin sous plusieurs marques au Canada et ailleurs, y compris la marque NORTH 43° (para 3 et 4). La Pièce A est décrite comme une [traduction] « copie d’une publicité pour de vin vendu en Ontario sous le nom de marque NORTH 43° qui arbore bien en vue le nom de la marque sur une carte stylisée de la région de Niagara sur l’étiquette de front de la bouteille ». Je confirme que NORTH 43° est affiché bien en vue sur l’étiquette d’un cabernet franc 2013.

[12] Mme Yeh déclare que le vignoble et l’établissement vinicole de l’Opposante sont situés à la ou à proximité de la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord ou à proximité de « 43 degrees north » (43 degrés nord), où l’emplacement peut également être identifié comme étant « north 43° » (43° nord) en abrégé. C’est pour cette raison que l’Opposante a adopté NORTH 43° comme nom commercial pour l’un de ses vins (para 5).

[13] Mme Yeh affirme comprendre que toute la région du Niagara est située à la ou près de la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord et que cette latitude est semblable à celle des autres régions viticoles célèbres du monde, y compris celles de l’Italie et de la France (para 6). Mme Yeh joint, à titre de pièce à son affidavit, une copie d’un article de 2014 de Macleans.ca dans lequel l’auteur [traduction] « confirme ma (sa) compréhension de ce fait » (para 6, Pièce B). Toutefois, je conclus que cet article constitue du ouï-dire et qu’il ne satisfait pas aux critères de nécessité et de fiabilité [Reliant Web Hostings Inc c Tensing Holding BV; 2012 COMC 48, au para 35]. Par conséquent, cet article ne peut être accepté pour la vérité de son contenu [Candrug Health Solutions Inc c Thorkelson (2007), 60 CPR (4th) 35 (FC), infirmée (2008), 64 CPR (4th) 431 (CAF)].

[14] La Pièce C est une copie d’une lettre de la Requérante à l’Opposante demandant que l’Opposante cesse tout emploi de NORTH 43° comme marque de commerce au motif qu’il crée une confusion alléguée avec la Marque visée par la demande dans laquelle elle revendique des droits d’antériorité (para 7, Pièce C).

Entreprise de la Requérante

[15] Mme Yeh affirme qu’à la lumière de son examen du site Web de la Requérante, il semble que la Requérante exploite également un vignoble et un établissement vinicole dans le Comté d’Essex, en Ontario, et vend du vin. Mme Yeh joint des captures d’écran du site Web de la Requérante, qui selon elle ont été enregistrées par l’avocate de l’Opposante en juin 2016 et en août 2017, et note que dans les deux captures d’écran, la Requérante invite le public à visiter son établissement vinicole [traduction] « sur le 42e parallèle » (para 10, Pièces E et F). Mme Yeh joint également une copie des détails corporatifs de l’entreprise de la Requérante récupérée par l’avocate de l’Opposante en mars 2017 (para 9, Pièce D).

[16] Bien que je considère ces imprimés comme étant du ouï-dire, j’estime néanmoins qu’ils sont admissibles puisqu’il était nécessaire pour l’Opposante de les produire à l’appui de son opposition et qu’ils sont fiables puisque la Requérante, en tant que partie, a eu l’occasion de réfuter la preuve relative à ses propres affaires et au site Web.

Autres établissements vinicoles

[17] Mme Yeh joint à titre de Pièce G une capture d’écran d’une page du site Web essexcountywineries.ca qu’elle croit avoir été récupérée par l’avocate de l’Opposante en août 2017. Mme Yeh affirme que le contenu de la capture d’écran confirme sa perception que le Comté d’Essex est situé sur le 42e parallèle et que, par conséquent, tous ses établissements vinicoles sont [traduction] « sont à distance égale de l’équateur comme l’Italie, la France et les grandes régions vinicoles de Californie » (para 11). Mme Yeh fournit également un autre imprimé du site Web, indiquant 17 établissements vinicoles dans le Comté d’Essex, y compris celui de la Requérante (para 12, Pièce H).

[18] L’Opposante soutient que ces pièces (Pièces G et H) sont des ouï-dire. Je suis d’accord, et j’estime qu’elles ne satisfont pas aux critères de nécessité et de fiabilité. Par conséquent, ces documents ne peuvent être invoqués comme preuve de la véracité de leur contenu.

[19] Enfin, même si Mme Yeh donne son opinion sur le caractère descriptif de la Marque, j’ai négligé cette partie de sa preuve, puisqu’en fin de compte, c’est au juge des faits de prendre cette décision.

La preuve de la Requérante

[20] La Requérante a produit l’affidavit de Suzanne Dajczak, souscrit le 20 décembre 2017, une fondatrice, vice-présidente et secrétaire de la Requérante. Les activités quotidiennes de Mme Dajczak relativement à la Requérante comprennent la surveillance du marketing et de la vente de produits et services par la Requérante, y compris les produits et services mentionnés dans son affidavit (para 3).

[21] Mme Dajczak fournit des preuves relatives à l’établissement et à l’exploitation du vignoble, de l’établissement vinicole et de la boutique de vin de la Requérante. Mme Dajczak déclare que la Requérante a commencé à vendre du vin en Ontario en septembre 2012 et elle joint une copie de l’étiquette qui est ensuite employée par la Requérante (para 6, Pièce B). En contre-interrogatoire, Mme Dajczak a confirmé que la première bouteille arborant le logo actuel était un millésime de 2011 vendu en septembre 2012 (Q73 à 82).

[22] Mme Dajczak fournit également un tableau indiquant le produit (type de vin tel que sauvignon blanc, riesling, etc.), l’année de la première vente au Canada et les ventes approximatives au Canada (para 7). En contre-interrogatoire, Mme Dajczak a reconnu que les dates indiquées dans le tableau comme étant [traduction] « l’année de la première vente au Canada » étaient en fait les millésimes des vins, de sorte que les dates de la première vente auraient été au moins six mois plus tard (Q128 à 131). Donc, en ce qui a trait aux entrées qui indiquent que 2011 était la date de la première vente, les premières ventes ont eu lieu en septembre 2012 (Q122). Par la suite, Mme Dajczak a fourni à titre d’engagement un tableau révisé indiquant la date de la première vente (mois et année) pour chacune des variétés indiquées (Q133).

[23] Mme Dajczak affirme que les divers vins de la Requérante ont reçu des prix et une grande reconnaissance et renommée parmi les membres de l’industrie, les médias canadiens et les consommateurs (para 8). Pendant le contre-interrogatoire, Mme Dajczak a fourni des détails sur les prix qui ont été remportés par l’établissement vinicole (Q143 à 167).

[24] Mme Dajczak déclare que la Requérante a un site Web à www.north42degrees.com depuis 2012. Le site Web décrit l’entreprise et les produits viticoles de la Requérante qui peuvent être achetés directement au magasin de détail et à l’établissement vinicole de la Requérante, auprès de la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO) de propriété provinciale, et en ligne (para 9). La Pièce D est un imprimé de la page principale du site Web de la Requérante. La Pièce C10 contient des captures d’écran du site Web actuel de la LCBO (décembre 2017) où les vins pinot noir, riesling et cabernet sauvignon de la Requérante sont offerts à la vente et vendus (para 8).

[25] Mme Dajczak fournit également de l’information et des exemples représentatifs d’initiatives et de matériels promotionnels arborant la Marque qui ont été employés pour promouvoir les Produits et Services de la Requérante (para 10, Pièces E1 à E3).

[26] Mme Dajczak déclare que la Marque a été choisie :

a) Pour respecter et honorer les souvenirs de mon (son) beau-père, dont la ferme est située sur le 42e parallèle, et dont la ferme est l’inspiration derrière Ma Société (la Requérante), ses produits et ce qu’elle représente;

b) Dans le livre de Dougls Adams, Le Guide du voyageur galactique, 42 est la réponse à la question « ultime »;

c) 42 degrés sont l’angle (arrondi à des degrés entiers) auquel apparaît un arc-en-ciel.

[27] En contre-interrogatoire, Mme Dajczak a reconnu ce qui suit :

· La terre du beau-père de Mme Dajczak est encore cultivée par la famille de son mari (Q106)

· Le vignoble de l’entreprise est situé à, sur, ou près de cette ferme, qui est associée à l’adresse 130 County Road East à Colchester, Ontario (Q108)

· La ferme est située dans le Comté d’Essex (Q109)

· Dans Le Guide du voyageur galactique, en ce qui a trait aux références à 42 dans ce livre, les mots « degrees » (degrés) ou « north » (nord) ne sont pas importants (Q111)

· Le mot « nord » n’a aucune signification lorsqu’on parle des degrés d’angle auquel apparaît un arc-en-ciel (Q114)

[28] D’autres faits et aveux obtenus pendant le contre-interrogatoire de Mme Dajczak sont indiqués ci-dessous :

· Pendant le contre-interrogatoire, l’avocate de l’Opposante a marqué comme pièces quatre imprimés Web faisant référence à différents établissements vinicoles et à leurs produits, à savoir : un imprimé du site Web saq.com pour Tenute Silvo Nardi, 43° (Q184 à 186); un imprimé du site Web saq.com pour Paul Jaboulet Aine Parallele 45 (Q190 à 192); une photo de l’avant et de l’arrière d’une bouteille de vin étiquetée L50 (à l’avant) et LATITUDE 50 ROSE (sur l’endos) de 2016 de Gray Monk Estate Winery en Colombie-Britannique (Q193 à 197); et un imprimé du site Web saq.com pour Château Peyros Greenwich 43N 2010 (arborant une étiquette de produit cachée faisant en sorte que le nom du vin ne soit pas lisible) (Q198 à 202). Je note que les imprimés du site Web saq.com sont tous datés du 2018-04-13.

· Mme Dajczak a admis qu’elle ne connaissait pas l’établissement vinicole Tenute Silvo Nardi ni le vin appelé 43° (Q187 à 188). Même si elle n’avait pas connaissance de l’établissement vinicole Paul Jaboulet, elle croit qu’une amie lui a acheté le vin « Parallèle 45 » il y a des années (Q191). Mme Dajczak connaissait le vignoble ou l’établissement vinicole Gray Monk, mais pas ce vin en particulier. Mme Dajczak était également au courant de l’établissement vinicole Château Peyros (Q198), mais n’avait aucune connaissance de la marque « 43N » (Q201).

· L’avocate de l’Opposante a inscrit comme pièce une page que l’avocate décrit comme une [traduction] « capture d’écran d’un établissement vinicole australien appelé 42 Degrees South » démontrant une collection de vins annoncés, et a demandé à Mme Dajczak si elle connaissait bien l’établissement vinicole. Mme Dajczak a admis qu’elle ne l’était pas (Q203, 204). Je remarque que l’imprimé n’est pas daté et n’indique aucune adresse de site Web.

· L’avocate de l’Opposante a déclaré qu’elle croyait, d’après la preuve de sa cliente, que la plupart des raisins poussent le mieux dans les régions situées à une latitude comprise entre 42 et 50 degrés au nord, et que la plupart des établissements vinicoles se trouvent donc dans ces régions. L’avocate a demandé si Mme Dajczak n’était pas d’accord avec cette déclaration (Q218). Mme Dajczak a déclaré qu’il y a des établissements vinicoles situés à différentes latitudes dans le monde, au nord et au sud, en dehors de cela, qu’elle considérerait comme une réussite.

· L’avocate de l’Opposante a ensuite versé au dossier le paragraphe 6 de l’affidavit Yeh (énoncé au paragraphe 13 ci-dessus) et a demandé si Mme Dajczak n’était pas d’accord avec la déclaration de Mme Yeh. Mme Dajczak a déclaré qu’il est exact que Niagara est située autour du 43e parallèle. Quant à savoir si elle est similaire à celle d’autres régions viticoles célèbres du monde, y compris celles de l’Italie et de la France, Mme Dajczak a indiqué que non, il y a d’autres régions en Italie qui ne sont pas au 43e parallèle. C’est la même chose pour le sud de la France puisqu’il peut aller plus haut en termes de latitude (Q219).

· Mme Dajczak a admis qu’elle s’attend à ce que ses clients (la Requérante) comprennent que le nom 42 Degrees North fait référence à la marge de latitude à laquelle se trouve la ferme ou l’établissement vinicole de la Requérante (Q223).

Contre-preuve

[29] La contre-preuve doit se limiter aux questions en réponse [article 54 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/2018-227 et article 43 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195, qui est maintenant abrogé].

[30] En guise de preuve en réponse, l’Opposante a produit le deuxième affidavit de Pei (Violet) Chi Yeh, souscrit le 12 octobre 2018 (Deuxième affidavit Yeh). Le Deuxième affidavit Yeh se compose principalement des réponses de Mme Yeh aux affirmations faites par Mme Dajczak pendant le son contre-interrogatoire, en particulier celles qui ont trait au paragraphe 6 du Premier affidavit Yeh. Mme Yeh fournit également des preuves supplémentaires sur les climats tempérés ou les [traduction] « ceintures » situées dans les hémisphères nord et sud où les raisins poussent le mieux, ainsi que des captures d’écran de divers sites Web qui confirment ce qu’elle comprend.

[31] Mme Yeh ajoute que son affirmation (figurant au paragraphe 6 du Premier affidavit Yeh) selon laquelle la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord qui est semblable à celle d’autres régions viticoles célèbres du monde, faisait référence au fait que cette latitude est située au centre de la ceinture viticole du nord. Elle reflétait également le fait que les premiers vins exportés par l’Opposante sous la marque NORTH 43° employaient du jus de raisins qui ont été cultivés en Italie à la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord.

[32] La Requérante soutient que cette preuve ne fait pas partie des limites de la contre-preuve, qu’elle constitue un [traduction] « fractionnement de la cause » et qu’elle devrait être négligée.

[33] Bien qu’il s’agisse du contre-interrogatoire de la Requérante, je note que la transcription du contre-interrogatoire ne constitue pas une preuve de la Requérante à laquelle l’Opposante est autorisée à répondre par voie de réponse [MCI Communications Corp c MCI Multinet Communications Inc. (1995), 61 CPR (3d) 245 (COMC)]. L’article 54 du Règlement (anciennement la règle 43) prévoit le dépôt d’une preuve qui se limite strictement aux questions en réponse à la preuve produite par la Requérante en vertu de l’article 52 du Règlement (anciennement la règle 42). Je suis d’accord avec la position de la Requérante selon laquelle, en déposant le deuxième affidavit Yeh, l’Opposante fractionne la cause en tentant de s’appuyer sur l’article 54 du Règlement pour présenter une preuve qui aurait dû être produite dans le cadre de sa preuve principale. Par conséquent, j’ai négligé le deuxième affidavit Yeh.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[34] C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la Demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en produisant suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la p. 298].

Analyse des motifs d’opposition

[35] Étant donné que l’Opposante a indiqué comme motif d’opposition principal que la Marque donne une description claire du lieu d’origine des Produits et Services, je commencerai par ce motif d’opposition.

Le motif d’opposition en vertu de l’article 12(1)b)

[36] L’Opposante a plaidé que, contrairement à l’article 12(1)b) de la Loi, la Marque donne une description claire, en langue anglaise, du caractère des produits et des services identifiés dans la Demande ou de leur lieu d’origine en ce sens que le vignoble et l’établissement vinicole de la Requérante sont situés à la, ou près de la, 42e ligne de latitude constante dans l’hémisphère nord ou à proximité de « north 42 degrees » (42 degrés nord) et que le vin de la Requérante proviennent de la même région géographique.

Le droit sur la question de la description claire

[37] La date pertinente qui s’applique à un motif d’opposition portant qu’une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse est la date de production de la demande [General House Wares Corp c Fiesta Barbeques Ltd, 2003 CF 1021].

[38] Bien que le fardeau de persuasion incombe à un demandeur pour démontrer que sa marque de commerce est enregistrable, il y a un fardeau initial de la preuve sur l’opposant à l’égard de ce motif de produire suffisamment d’éléments de preuve admissible qui, si elle est crédible, appuierait la vérité de ses allégations que la marque de commerce demandée donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises du demandeur ou de leur lieu d’origine [article 12(1)b) de la Loi].

[39] La question de savoir si une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse doit être envisagée du point de vue de l’acheteur moyen des produits ou services connexes. Le mot « nature » s’entend d’une particularité, d’un trait ou d’une caractéristique des produits et services et le mot « claire » signifie [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple » [Drackett Co of Canada Ltd c American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29 (C de l’É), à la p. 34]. La Marque ne doit pas être analysée dans ses moindres détails, mais considérée dans son ensemble sous l’angle de la première impression [Wool Bureau of Canada Ltd c Registraire des marques de commerce (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst); Atlantic Promotions Inc c Registraire des marques de commerce (1984), 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst)]. En d’autres termes, la marque de commerce ne doit pas être considérée isolément, mais plutôt dans son contexte en relation avec les produits et services [Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général) (2012), 2012 CAF 60]. Enfin, il faut user de bon sens lorsqu’il s’agit de juger du caractère descriptif [Neptune SA c Canada (Procureur général), 2003 CF 1re inst 715].

[40] L’interdiction prévue à l’article 12(1)b) vise à empêcher un commerçant de monopoliser un mot qui donne une description claire ou qui est habituellement employé dans le commerce, et de placer ainsi des commerçants légitimes dans une position désavantageuse [Canadian Parking Equipment Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce) (1990), 34 CPR (3d) 154 (CF 1re inst)].

[41] Dans le cas d’une marque de commerce dont on prétend qu’elle donne une description claire du lieu d’origine des produits et services qui lui sont liés, une marque de commerce sera considérée comme donnant une description claire du lieu d’origine si elle est constituée d’un nom géographique et que les produits et services proviennent du lieu désigné par ce nom géographique [MC Imports Inc c AFOD Ltd, 2016 CAF 60, au para 65].

L’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau

[42] L’Opposante est d’avis qu’il n’y a rien dans le libellé de l’article 12(1)b) de la Loi qui exige qu’un [traduction] « lieu d’origine » désigne uniquement le nom d’une ville, d’une région, d’un pays ou d’un lieu géographique déterminé. À l’appui, l’Opposante cite General Motors of Canada c Décarie Motors Inc, 2000 CanLII 16083 (CAF) dans laquelle la Cour d’appel fédérale a jugé que la marque de commerce « DECARIE », une référence au « boulevard Décarie » à Montréal, n’était pas enregistrable en raison de son caractère descriptif géographique d’un lieu d’origine. L’Opposante cite également la décision du registraire dans Jordan & Ste‑Michelle Cellars Ltd c T.G. Bright & Co. Ltd. (1982), 72 CPR (2d) 263 où la marque de commerce THE WINERY a été jugée descriptive du lieu d’origine du vin de la requérante malgré le fait qu’elle n’était pas le nom d’un lieu géographique déterminé.

[43] Citant MC Imports, précité, l’Opposante soutient qu’une fois qu’il est conclu que la marque de commerce fait référence à un [traduction] « lieu », l’analyse se concentre sur l’origine des produits ou des services. Si les produits ou les services proviennent d’un lieu mentionné par la marque de commerce, la marque de commerce donne une description claire du lieu d’origine.

[44] J’accepte que la preuve démontre que les Produits et Services de la Requérante proviennent d’une ferme située le long du 42e parallèle. À cet égard, je note que l’affidavit Yeh comprend des captures d’écran de pages du site Web de la Requérante invitant les visiteurs à visiter la Requérante [traduction] « sur le 42e parallèle au milieu des forêts caroliniennes et des brises du lac Érié et à déguster nos bons vins » (Pièces E et F). La preuve de la Requérante confirme également que l’exploitation agricole de la Requérante est située le long du 42e parallèle (affidavit Dajczak, para 11; Q106 à 108).

[45] Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que l’approche adoptée dans MC Imports peut être appliquée dans ce cas, puisque la Marque n’est ni un nom géographique faisant référence à un lieu d’origine, ni même le nom d’un lieu. J’estime plutôt qu’en l’absence de preuve contraire, la Marque serait perçue par le consommateur moyen, sous l’angle de la première impression, comme une référence géographique qui fait allusion à une coordonnée pour un lieu ou une localité, mais ne décrit pas clairement un lieu ou une [traduction] « région géographique » d’une façon [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple ». Par conséquent, j’estime que cette affaire se distingue de celle de General Motors of Canada, précitée, et de Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd, précitée, qui ont été citées par l’Opposante, où les marques de commerce en cause étaient clairement reconnaissables comme étant des endroits, à savoir une route ou un boulevard à Montréal (DECARIE), et un endroit où le vin est fait (THE WINERY), respectivement.

[46] Dans MC Imports, dont certaines parties sont énoncées ci-dessous, la Cour d’appel fédérale a tenu compte du point de vue du consommateur ordinaire lorsqu’elle a évalué si une marque de commerce donne une description claire :

a) la marque de commerce contestée est-elle un nom géographique?

[57] Cela pourrait appeler le recours aux perceptions du consommateur lorsque, comme dans l’affaire Promotions Atlantiques, le nom d’un lieu géographique (le nom ou le lieu) a également un autre sens. Par exemple, « Sandwich » est le nom d’un certain nombre de villes aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais c’est aussi un mot qui désigne un produit alimentaire commun. Le juge Cattanach a examiné cette question à l’occasion de l’affaire Promotions Atlantiques, et déclaré que le sens premier d’un mot pour une personne [TRADUCTION] « d’une éducation et d’une intelligence ordinaires » (à la page 196) dicte son sens.

[58] Je souscris à cette approche, mais une nuance est de mise : cette première étape ne signifie pas que les noms des lieux qui ne sont pas largement connus des Canadiens se situent en quelque sorte en dehors du champ de l’interdiction de l’alinéa 12(1)b) qui vise les marques de commerce clairement descriptives. Cette nature de l’enquête est uniquement pertinente si plusieurs sens s’attachent au mot en question, dont tous ne sont pas géographiques. Ensuite, il convient de déterminer le sens qui prédomine. Si, en revenant sur mon exemple, il ressort des éléments de preuve pertinents que le sens premier de « Sandwich » ne renvoie pas à un lieu géographique, alors une telle marque de commerce ne saurait être considérée comme donnant une description claire ou donnant une description fausse et trompeuse du lieu d’origine.

[59] Par ailleurs, lorsqu’une telle recherche est nécessaire, le consommateur ordinaire pertinent, d’après le point de vue duquel cette question doit être examinée, est le consommateur ordinaire des produits ou des services avec lesquels la Marque est associée.

[…]

[63] En bref, dans un cas de description claire, le recours au point de vue du consommateur ordinaire que j’ai décrit (tel qu’il est défini au paragraphe [59] ci-dessus) n’est vraiment pertinent que lorsqu’il y a ambiguïté quant à la question de savoir si la marque de commerce renvoie réellement au lieu en question.

[47] L’Opposante soutient qu’il n’y a aucune ambiguïté quant à savoir si la Marque fait réellement référence à un lieu, puisque les mots « north 42 degrees » sont simplement « informatifs, descriptifs ou génériques » tels qu’ils s’appliquent au vin, et qu’ils ne sont pas susceptibles d’avoir d’autres fins que d’informer les acheteurs potentiels du lieu d’origine. L’Opposante soutient que les autres significations de la Marque présentées par la Requérante, à savoir que dans le livre Le Guide du voyageur galactique, 42 est la réponse à la question « ultime », et que le 42e degré est l’angle (arrondi à des degrés entiers) auquel apparaît un arc‑en‑ciel, n’ont pas survécu au contre-interrogatoire. À cet égard, l’Opposante note les aveux de Mme Dajczak selon lesquels, dans Le Guide du voyageur galactique, pour les références à 42 dans ce livre, les mots « degrees » (degrés) ou « north » (nord) ne sont pas significatifs (Q111) et que le mot « nord » n’a aucune importance lorsqu’on parle des degrés de l’angle dont un arc-en-ciel apparaît (Q114). L’Opposante soutient que, par conséquent, il n’y a aucune ambiguïté à savoir si la Marque a trait à un lieu, et que la seule conclusion appuyée par la preuve est que la Marque donne une [traduction] « description claire… en langue… anglaise de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer… ou de leur lieu d’origine ».

[48] Je conviens qu’il est peu probable que les autres significations de la Marque avancées par la Requérante soient reconnues par le consommateur ordinaire des Produits et Services, particulièrement parce que les deux significations ne s’appliquent qu’au nombre 42 et non à NORTH 42 DEGREES. Je ne suis toutefois pas d’accord qu’il n’y a aucune ambiguïté quant à savoir si la Marque fait réellement référence à un lieu. Au contraire, j’estime qu’au mieux, la Marque fait allusion à une coordonnée géographique pour un lieu ou une localité. La Marque suggère une direction ou une coordonnée géographique, mais ne permet pas d’identifier ou de nommer un lieu en soi, ce qui le rend ambigu.

[49] J’ajouterais que même si je devais conclure que la Marque décrit clairement une ligne de latitude, à savoir le 42e parallèle de latitude dans l’hémisphère Nord, je n’estime pas que la preuve est suffisante pour établir que le consommateur moyen comprendrait facilement et clairement cette ligne de latitude pour décrire la région géographique que Mme Pei affirme, soit la [traduction] « région du Niagara située à la ou près de la 43e ligne de latitude constante dans l’hémisphère Nord, cette latitude est semblable à celle des autres régions viticoles célèbres du monde, y compris celles de l’Italie en France » (para 6, Premier affidavit Pei) ou du Comté d’Essex, situé sur le 42e parallèle, de sorte que [traduction] « tous ses établissements vinicoles sont aussi éloignés de l’équateur que l’Italie, la France et les grandes régions viticoles de Californie » (para 11, Premier affidavit Pei).

[50] En outre, je souligne qu’à la suite de l’audience, l’Opposante a transmis une copie de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Hidden Bench Vineyards & Winery Inc c Locust Lane Estate Winery Corp, 2021 CF 156 (Hidden Bench). L’Opposante a soutenu que cette décision, rendue après l’audience dans la présente affaire, traitait de questions semblables dans une action visant à faire respecter les droits exclusifs sur les marques de commerce dans une marque descriptive du lieu d’origine. La Requérante a demandé au registraire l’autorisation de présenter des observations sur cette affaire, qui a été accordée par le Bureau. Par la suite, des observations supplémentaires ont été reçues des deux parties.

[51] Hidden Bench comportait deux établissements vinicoles menant leurs activités sur des propriétés adjacentes sur la même route, « Locust Lane », à Beamsville, en Ontario. La demanderesse vendait des vins depuis 2003, dont certains étaient étiquetés avec le terme « Locust Lane ». La défenderesse a été fondée en 2019 et a utilisé le nom « Locust Lane Estate Winery » pour étiqueter et commercialiser son vin. La demanderesse a soutenu qu’elle était propriétaire de la marque de commerce non déposée LOCUST LANE et que l’emploi par l’intimé du terme « Locust Lane » créait de la confusion avec ses produits, ses services et ses activités.

[52] La première question principale soulevée par la Cour était de savoir si la demanderesse détenait une marque de commerce valide et exécutoire sous la dénomination géographique « Locust Lane ». En concluant que la demanderesse satisfaisait à cette exigence minimale, la Cour a fait remarquer que, pour être une marque de commerce valide, une marque ne doit être employée que dans le but de distinguer les produits et les services de ceux des autres. Une marque de commerce n’a pas besoin d’être « distinctive » pour être une marque de commerce valide, puisque la question du caractère distinctif devient pertinente uniquement au moment de déterminer le degré de protection auquel une marque a droit. La Cour a ensuite examiné si la marque de la demanderesse possédait un caractère distinctif suffisant pour établir l’achalandage nécessaire à la réussite d’une demande de commercialisation trompeuse. Dans son analyse, la Cour a reconnu que MC Imports est une affaire d’enregistrabilité en vertu de l’article 12, mais elle a néanmoins conclu que son raisonnement guidait la prise en compte du facteur de caractère distinctif dans l’évaluation de la question de savoir si la requérante avait établi l’achalandage nécessaire pour appuyer sa commercialisation trompeuse alléguée.

[53] Je ne considère pas que la décision Hidden Bench soit d’une aide particulière, étant donné que les questions examinées par la Cour diffèrent de celles examinées en l’espèce. De plus, comme nous l’avons vu plus haut, je ne considère pas que la Marque visée par la demande soit clairement descriptive. Par conséquent, je n’ai pas examiné si la preuve établit que la Marque avait acquis un sens secondaire ni si une revendication en vertu de l’article 12(2) n’a même été faite par la Requérante. Enfin, dans Hidden Bench, la marque de commerce en cause (LOCUST LANE) est sans équivoque le nom d’une route.

[54] L’Opposante ne s’étant pas acquittée de son fardeau de preuve, il n’est pas nécessaire de déterminer si la Requérante s’est acquittée de son fardeau ultime. En conséquence, ce motif d’opposition est rejeté.

Le motif d’opposition en vertu de l’article 2

[55] L’Opposante a plaidé que la Marque n’est pas distinctive du fait que la Marque [traduction] « ne distingue pas réellement les Produits et Services en liaison avec lesquels son emploi est allégué par la Requérante des produits ou services d’autrui qui proviennent de la même région géographique, y compris les produits de l’Opposante, ni n’est adaptée pour distinguer les Produits et Services de la Requérante à la lumière du fait que la Marque est descriptive de l’origine géographique des Produits et Services identifiés ».

[56] La date pertinente pour évaluer ce motif d’opposition est la date de production de la déclaration d’opposition [Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF)].

[57] J’estime que ce motif d’opposition est à deux volets. En ce qui a trait au deuxième volet du motif d’absence de caractère distinctif fondé sur le caractère descriptif, je suis d’avis que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve consistant à démontrer que la Marque donne une description claire des Produits et Services visés par la demande pour les mêmes raisons que celles énoncées dans l’analyse de l’article 12(1)b). Même si la date pertinente qui s’applique au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est ultérieure, cette différence de dates n’entraîne pas un résultat différent dans la présente affaire.

[58] En ce qui a trait à l’argument de l’Opposante selon lequel la Marque ne fait pas de distinction entre les Produits et Services de la Requérante et ceux d’autrui, parce qu’ils emploient tous des marques de commerce comprenant une désignation de latitude similaire, y compris celle de l’Opposante, comme il en a été question dans l’analyse de l’article 12(1)b), j’estime que la preuve ne démontre pas que la Marque a un sens communément compris ayant trait à ou identifiant la région géographique des Produits et Services.

[59] La preuve de l’Opposante tente d’identifier les marques de commerce associées aux vins appartenant à la fois à l’Opposante et à des tiers. En ce qui a trait au vin de l’Opposante, Mme Pei affirme que l’Opposante exploite un établissement vinicole dans la région de Niagara en Ontario, et vend du vin au Canada sous le nom commercial NORTH 43°, et elle inclut une publicité non datée, d’une publication non nommée, démontrant une bouteille de vin avec une bouteille arborant NORTH 43° sur son étiquette. Je remarque que l’Opposante n’a fourni aucun renseignement supplémentaire sur ce produit, comme sa disponibilité à la date pertinente, des renseignements sur les ventes et des renseignements publicitaires et promotionnels supplémentaires qui indiqueraient la mesure dans laquelle ce vin aurait pu être devenu connu au Canada.

[60] En ce qui a trait aux vins de tiers, pendant le contre-interrogatoire Dajczak, l’Opposante a marqué comme pièces des imprimés (tous imprimés le 2018-04-13) du site Web saq.com pour les produits suivants : Tenute Silvo Nardi, 43°; Paul Jaboulet Ainé Parallèle 45; et Château Peyros Greenwich 43N 2010 (Pièces 1, 2 et 4).

[61] Mme Dajczak a admis qu’elle ne connaissait pas l’établissement vinicole Tenute Silvo Nardi ni le vin appelé 43° (Q187 à 188). Elle ne connaissait pas l’établissement vinicole Paul Jaboulet, mais elle croit qu’une amie lui a acheté le vin « Parallèle 45 » il y a des années (Q191). Elle était également au courant de l’établissement vinicole Château Peyros (Q198), mais n’avait aucune connaissance de la marque « 43 North » (Q201). Quoi qu’il en soit, je constate que ces imprimés constituent un ouï-dire et qu’ils ne peuvent donc pas être soumis pour la véracité de leur contenu. De plus, il n’y a aucune preuve de la mesure dans laquelle ces vins ont pu être devenus connus au Canada.

[62] Pendant le contre-interrogatoire Dajczak, l’Opposante a également présenté comme pièce des photographies non datées de l’avant et de l’arrière d’une bouteille de vin étiquetée L50 / 2016 LATITUDE 50 ROSE (Q193 à 197) de la Gray Monk Vineyard Estate Winery (Pièce 3). Bien que Mme Dajczak était au courant de cet établissement vinicole, elle ne connaissait pas ce vin en particulier. Nonobstant la question du ouï-dire, il n’y a aucune preuve de la mesure dans laquelle ce vin a pu être devenu connu au Canada.

[63] Pendant le contre-interrogatoire Dajczak, l’Opposante a également inscrit comme pièce une page que l’avocate décrit comme une [traduction] « capture d’écran d’un établissement vinicole australien appelé 42 Degrees South » démontrant une collection de vins arborant l’étiquette « 42°S » (Pièce 5). Mme Dajczak a admis qu’elle ne connaissait pas cet établissement vinicole (Q203, 204). Nonobstant la question du ouï-dire, il n’y a aucune preuve que ce vin a déjà été offert au Canada ou qu’il est devenu connu dans une certaine mesure.

[64] Étant donné que les éléments de preuve ci-dessus ne permettent pas d’établir que l’un des vins susmentionnés est devenu connu au Canada dans une certaine mesure ou que l’emploi de coordonnées géographiques semblables à la Marque est commun dans la commercialisation, j’estime qu’elle n’aide pas l’Opposante à s’acquitter de son fardeau de preuve en ce qui a trait à son allégation selon laquelle la Marque n’est pas distinctive au Canada puisque d’autres ont également employé des marques semblables pour indiquer une région géographique semblable.

[65] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve en vertu de ce motif. En conséquence, ce motif d’opposition est rejeté.

Le motif d’opposition fondé sur l’article 30b)

[66] L’Opposante a plaidé que cette Demande n’est pas conforme à l’exigence de l’article 30b) en ce sens que la Requérante n’avait pas employé la Marque comme marque de commerce au Canada, au sens de l’article 4, à compter des dates de premier emploi revendiqué, soit 2007 pour l’exploitation d’un vignoble, 2009 pour l’exploitation d’un établissement vinicole, et 2013 pour le vin, et qu’elle n’a pas identifié de prédécesseur en titre.

[67] La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de production de la demande [Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC)].

[68] Au début, je note que même si la preuve établit que la Requérante a subi un changement de nom de « North 42 Estate Winery Inc. ». à « North 42 Degrees Estate Winery Inc. » le 31 décembre 2011, rien ne suggère qu’il y ait eu des prédécesseurs en titre (affidavit Yeh, Pièce D; Affidavit Dajczak, para 4, Pièces A1 et A2).

[69] De plus, comme la Requérante a supprimé le service « Exploitation d’un vignoble » de la Demande au moyen d’une lettre datée du 19 janvier 2021, il ne sera pas inclus dans mon analyse de ce motif d’opposition.

[70] Le fardeau initial d’une Opposante est léger quant à la question de la non-conformité avec l’article 30b) de la Loi, puisque les faits concernant le premier emploi par une requérante relèvent particulièrement des connaissances d’une requérante [Tune Masters v Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC)]. Il est possible de s’acquitter de ce fardeau en renvoyant non seulement à la preuve de l’opposant, mais également à celle du requérant [Brasserie Labatt Ltée c Brasseries Molson (1996), 68 CPR (3d) 216 (CF 1re inst)]. Toutefois, une opposante peut uniquement se fonder avec succès sur un élément de preuve présenté par la requérante pour s’acquitter de son fardeau initial si elle démontre que la preuve de la requérante remet en question les allégations formulées dans la demande de la requérante [Corporativo de Marcas GJB, SA de CV c Bacardi & Company Ltd, 2014 CF 323, aux para 30 à 38].

[71] Si un opposant réussit à s’acquitter de son fardeau initial, le requérant doit alors, en réponse, prouver le bien-fondé de sa revendication d’emploi. Cependant, le requérant n’est pas tenu de le faire si sa revendication d’emploi n’a pas d’abord été remise en question par un opposant qui s’est acquitté de son fardeau initial [Masterfile Corporation c Ebrahim, 2011 COMC 85].

[72] En l’espèce, l’Opposante se fonde principalement sur la preuve énoncée dans l’affidavit et le contre-interrogatoire Dajczak pour tenter de s’acquitter de son fardeau. Certaines parties des observations écrites de l’Opposante sur ce motif sont reproduites ci-dessous :

67. Dans la demande de marque de commerce en question, la Requérante revendique avoir employé la marque de commerce pour l’exploitation d’un établissement vinicole depuis 2009. Toutefois, la Requérante a admis en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas de ventes avant 2012 et qu’elle avait employé le symbole du degré (c.-à-d. °) plutôt que le mot « degree » dans ses documents de marketing de 2009 jusqu’à ce que la Requérante ait changé sa dénomination sociale en 2011.

 

68. Enfin, dans la demande de marque de commerce en question, la Requérante revendique avoir employé la Marque visée par la demande pour du vin depuis 2013. Toutefois, la preuve de la Requérante démontre que la Requérante a toujours employé les mots « NORTH 42 DEGREES ESTATE WINERY » comme marque de commerce sur tous les emballages depuis septembre 2012. Pendant le contre-interrogatoire, la Requérante n’a indiqué aucun cas où elle a déjà employé la Marque visée par la Demande, nommément « NORTH 42 DEGREES », comme marque de commerce dans un emballage ou tout autre matériel promotionnel au point de vente sans les mots additionnels « ESTATE WINERY ».

 

69. En somme, rien n’indique que la Marque visée par la Demande a été employée comme marque de commerce conformément à l’article 4 de la Loi pour les produits et services identifiés à la date revendiquée dans la demande de marque de commerce en question. Il y a plutôt des preuves de la Requérante qui sont incompatibles ou qui contredisent complètement les dates de premier emploi revendiqué.

[73] Pour examiner la question de savoir si la présentation d’une marque de commerce constitue une présentation de la marque de commerce telle qu’elle a été déposée (ou dans le cas présent, la marque telle qu’elle fait l’objet de la demande), la question à se poser est celle de savoir si la marque de commerce a été montrée d’une manière telle qu’elle a conservé son identité et qu’elle est demeurée reconnaissable, malgré les différences entre la forme sous laquelle elle a été déposée et celle sous laquelle elle était employée [Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie International pour l’informatique CII Honeywell Bull SA (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF)]. Pour trancher cette question, il faut se pencher sur la question de savoir si les « traits dominants » de la marque de commerce déposée ont été préservés [Promafil Canada Ltée c Munsingwear Inc (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF)]. L’évaluation pour savoir si tous les éléments sont des caractéristiques dominantes et si la variation est suffisamment mineure pour permettre de conclure qu’il y a emploi de la marque de commerce telle qu’enregistrée est une question de fait qui doit être tranchée au cas par cas. Si la marque de commerce est employée conjointement avec d’autres mots ou caractéristiques, l’emploi sera examiné lorsque le public perçoit, comme première impression, que la marque en soi est employée [Nightingale Interloc Ltd c Prodesign Ltd (1984), 2 CPR (3d) 535 (COMC)].

[74] En ce qui a trait à l’aveu de la Requérante selon lequel elle aurait employé le symbole du degré (°) plutôt que le mot « degree » sur la signalisation affichée à l’établissement vinicole au moment de son ouverture, de sorte que la marque visée par la demande aurait figuré comme « NORTH 42° » (Q52 à 57), je conclus que cela n’entraînerait pas de perte d’identité et que la Marque demeurerait reconnaissable puisque l’élément « DEGREE/S » est simplement le symbole conventionnel du mot. En ce qui a trait à l’aveu de la Requérante qu’elle n’avait pas de ventes avant 2012, je note que les ventes ne sont pas requises pour qu’il y ait emploi en liaison avec des services, et Mme Dajczak, dans son affidavit, indique que la Requérante exploite un établissement vinicole [traduction] « depuis 2009 en liaison avec la marque de commerce NORTH 42 DEGREES, l’établissement vinicole étant régulièrement ouvert au public et aux clients pour des visites gratuites ou payantes… » (soulignement ajouté)

[75] En ce qui a trait à l’argument de l’Opposante selon lequel la Requérante a toujours employé les mots « NORTH 42 DEGREES ESTATE WINERY » comme marque de commerce sur tous les emballages depuis septembre 2012, je suis d’accord qu’à quelques exceptions près, l’affidavit Dajczak montre systématiquement l’emploi sur les étiquettes de vin et les documents promotionnels de NORTH 42 DEGREES ESTATE WINERY dans les variantes générales suivantes :

Pièce B, C1

Pièce C8

 

[76] Bien que la Marque apparaisse constamment avec les mots additionnels « ESTATE WINERY », j’estime que ces mots ne sont pas si substantiels que la Marque NORTH 42 DEGREES n’est plus reconnaissable, puisque je considère que les mots « ESTATE WINERY » ont une connotation suggestive ou descriptive (du type ou genre d’établissement vinicole). Je remarque également que la taille (beaucoup plus petite) et l’emplacement de ces mots supplémentaires (au-dessous de NORTH 42 DEGREES) diminuent encore davantage toute signification perçue. Par conséquent, les « caractéristiques dominantes » de la Marque ont été préservées de façon à ce que le public perçoive la Marque en soi comme étant employée.

[77] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau en vertu de l’article 30b) de la Loi. En conséquence, ce motif d’opposition est rejeté.

Le motif d’opposition fondé sur l’article 30i)

[78] L’Opposante a plaidé que la Demande n’est pas conforme à l’exigence de l’article 30i) en ce sens que la Requérante [traduction] « n’aurait pas pu être convaincue, à la date de production de la demande et à toute autre date pertinente, qu’elle avait le droit d’employer la Marque comme marque de commerce au Canada en liaison avec les produits et services indiqués dans la demande, puisque la Requérante savait que la Marque décrit l’origine géographique des produits et des services identifiés. »

[79] La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de production de la demande [Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC)].

[80] Dans ses observations écrites, l’Opposante soutient que la Requérante a avoué que l’entreprise de la Requérante, y compris son établissement vinicole et ses vignobles, est située à « 42 degrees north » (42 degrés nord) et qu’elle s’attend à ce que ses clients comprennent que la marque est une référence au fait que ses produits et services proviennent de « 42 degrees north ».

[81] L’article 30i) de la Loi exige qu’un requérant déclare qu’il est convaincu d’avoir le droit d’employer la marque visée par la demande, comme ce fût le cas dans cette affaire. L’article 30i) n’est pas une clause fourre-tout, mais elle peut être employée à titre de motif d’opposition si on allègue que le demandeur a commis une fraude ou si des dispositions législatives fédérales précises empêchent l’enregistrement de la marque visée par la demande [Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), à la p. 155, et Société canadienne des postes c. Registraire des marques de commerce (1991), 40 CPR (3d) 221].

[82] Comme j’ai conclu que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve en ce qui a trait à son allégation selon laquelle la Marque est clairement descriptive, j’estime également que l’Opposante ne s’est pas non plus acquittée de son fardeau de preuve selon lequel la Requérante a agi de mauvaise foi en déposant cette Demande que l’Opposante allègue être une marque de commerce clairement descriptive. De plus, il n’y a aucune interdiction d’employer une marque descriptive.

[83] Dans ses observations écrites, l’Opposante soutient en outre que la Requérante [traduction] « ne pouvait pas revendiquer de bonne foi des droits exclusifs sur une marque qu’elle s’attendait à ce que les clients considèrent comme une description du lieu d’origine des produits et services. La Demande a plutôt été déposée uniquement pour appuyer la mise en demeure envoyée à l’Opposante à la date de production dans le but de priver indûment l’Opposante de la possibilité d’employer “north 43 degrees” comme nom commercial pour décrire ses propres produits comme provenant d’un endroit semblable ».

[84] Toutefois, cette question n’a pas été soulevée dans la déclaration d’opposition. Par conséquent, je ne peux pas tenir compte. Lorsqu’un opposant a plaidé que la demande ne respecte pas un article de la Loi en raison de circonstances particulières, il n’est pas permis de la refuser au motif qu’elle n’est pas conforme à l’article de la Loi pour des raisons différentes de celles invoquées [Le Massif Inc c Station touristique Massif du sud (1993) Inc (2011), 95 CPR (4th) 249 (FC)].

[85] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial. En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’article 30i) est rejeté.

Disposition

[86] Compte tenu de ce qui précède, et conformément au pouvoir qui m’a été délégué en vertu de l’article 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition conformément à l’article 38(12) de la Loi.

 

Jennifer Galeano

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Marie-France Denis


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

DATE DE L’AUDIENCE 2021-02-04

COMPARUTIONS

Michelle Ballagh

POUR L’OPPOSANTE

Philip Kerr

POUR LA REQUÉRANTE

 

AGENTS AU DOSSIER

Ballagh & Edward LLP

POUR L’OPPOSANTE

Kerr & Nadeau

POUR LA REQUÉRANTE

 

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