Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADEMARKS

Référence : 2020 COMC 40

Date de la décision : 2020-04-08

[TRADUCTION CERTIFIÉE,

NON RÉVISÉE]

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45

 

John H. Simpson (Shift Law)

Partie requérante

et

 

Imperial Tobacco Products Limited

Propriétaire inscrite

 

LMC453,962 pour CANADIAN GOLD & Design

Enregistrement

[1]  À la demande de John H. Simpson (Shift Law) (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a envoyé l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi) le 16 février 2018 à Imperial Tobacco Products Limited (la Propriétaire), la propriétaire inscrite de l’enregistrement portant le no LMC453,962 pour la marque de commerce CANADIAN GOLD & Design (la Marque). La Marque figure ci-dessous et comprend la revendication de couleur suivante :

[traduction]

La couleur est revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce. La feuille d’érable et les mots SMOOTH CANADIAN TASTE [douce saveur canadienne] reproduits sur le côté droit de la marque de commerce sont de couleur rouge. Les lignes horizontales foncées, le mot GOLD et l’ombrage qui jouxtent le mot CANADIAN inscrit verticalement et les mots 20 CLASS « A » CIGARETTES [20 cigarettes de première classe] sont de couleur or. Le mot CANADIAN inscrit verticalement est de couleur bleue. Le fond qui constitue le reste de la marque est de couleur jaune pâle.

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[2]  La Marque est enregistrée en liaison avec les produits [traduction] « Produits de tabac ».

[3]  Je note que la Marque a été enregistrée le 9 février 1996, avec l’avertissement suivant : « Le droit exclusif à l’emploi de tout ce qui est lisible, à l’exception du mot GOLD, est écarté de la marque de commerce ».

  • [4] L’avis enjoignait à la Propriétaire de fournir la preuve démontrant qu’elle a employé la Marque au Canada, à un moment quelconque entre le 16 février 2015 et le 16 février 2018, en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement. Dans la négative, la Propriétaire était tenue de fournir la preuve indiquant la date à laquelle la Marque a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[5]  La définition pertinente d’« emploi » à l’égard des produits est énoncée à l’article 4 de la Loi comme suit :

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[6]  Il est bien établi que de simples déclarations sur l’emploi ne sont pas suffisantes pour établir l’emploi dans le contexte de la procédure prévue à l’article 45 [Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)]. Bien que le niveau de preuve requis pour établir l’emploi dans le cadre de cette procédure soit peu élevé [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst)] et qu’il ne soit pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve [Union Electric Supply Co Ltd c le Registraire des marques de commerce (1982), 63 CPR (2d) 56 (CF 1re inst)], il n’en faut pas moins présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacun des produits et des services spécifiés dans l’enregistrement pendant la période pertinente [John Labatt Ltd c Rainer Brewing Co (1984), 80 CPR (2d) 228 (CAF)].

[7]  En réponse à l’avis du registraire, la Propriétaire a produit l’affidavit de Nada Aoude, souscrit le 14 mai 2018 à Montréal (Québec).

[8]  Seule la Propriétaire a produit des observations écrites; la tenue d’une audience n’a pas été sollicitée.

La preuve de la Propriétaire

[9]  Dans son affidavit, Mme Aoude se présente comme gestionnaire chez Imperial Tobacco Canada Limited (ITCan) [para 1].

[10]  Mme Aoude explique que la Propriétaire est une filiale appartenant en propriété exclusive à ITCan et qu’un contrat de licence existe et existait au cours de la période pertinente de sorte que la Propriétaire avait un contrôle direct sur la qualité et les caractéristiques des produits vendus en liaison avec la Marque par ITCan au cours de la période pertinente [para 2].

[11]  Mme Aoude indique qu’au cours de la période pertinente, ITCan vendait des cigarettes de marque CANADIAN GOLD au Canada par l’entremise de détaillants de cigarettes tel que des épiceries, des dépanneurs, des bars et des stations d’essence, ainsi que par l’entremise du distributeur d’ITCan, Imperial Tobacco Company Limited [para 4].

[12]  À l’appui, la pièce A jointe à son affidavit contient six photographies de l’emballage de cigarettes, dont Mme Aoude atteste qu’il est représentatif des [traduction] « 1 700 paquets de cigarettes CANADIAN GOLD » vendus au Canada en 2017, c’est-à-dire pendant la période pertinente. Les arêtes avant, latérale et supérieure de l’emballage figurent ci-dessous :

gold-front   gold-side   gold-top

[13]  Je remarque les couleurs suivantes pour chacun des éléments n’ayant pas trait à la mise en garde figurant sur l’arête avant de l’emballage : le mot CANADIAN est bleu avec de l’ombre dorée; le mot GOLD est doré; le chiffre 20 est rouge; les mots CIGARETTES KING SIZE sont dorés; et les armoiries encadrées sont rouges et dorées.

[14]  Mme Aoude explique que la représentation de la Marque dans les photographies produites en pièces jointes diffère de la Marque telle qu’elle est enregistrée en raison d’une mise en garde obligatoire en vertu de la loi canadienne. Elle atteste que le Règlement sur l’étiquetage des produits du tabac (cigarettes et petits cigares), DORS/2011-177 (le Règlement) exige qu’une mise en garde sur la santé figure sur 75 % des deux côtés les plus grands de chaque emballage de produits du tabac. Une copie du Règlement est jointe en tant que pièce B à son affidavit. Elle atteste que ces exigences sont entrées en vigueur en 2011 et qu’entre 2000 et 2011, il fallait que la mise en garde figure sur au moins 50 % de la zone d’application [para 6].

[15]  Mme Aoude atteste que, compte tenu du Règlement [traduction] « il était nécessaire que les mots “CANADIAN” et “GOLD” soient réorientés sur l’emballage de la manière indiquée [...] de sorte qu’ils s’insèrent dans les 25 % restants de la zone d’application disponible pour les marques de commerce ». Selon Mme Aoude, il s’agit là d’un [traduction] « rajustement mineur », et elle affirme ce qui suit : [traduction] « il est facile pour les acheteurs de produits du tabac CANADIAN GOLD (c’est-à-dire les détaillants et les fumeurs adultes) de constater que la marque et la source du produit demeurent les mêmes » [para 7].

[16]  Enfin, cinq exemples de factures sont joints en tant que pièce C à son affidavit, indiquant la vente de grandes quantités de cigarettes « Canadian gold » aux détaillants canadiens au cours de la période pertinente; Mme Aoude confirme que ces cigarettes ont été vendues dans des emballages comme indiqué ci-dessus et dans la pièce A à son affidavit [para 8].

Analyse

[17]  En l’espèce, je suis d’accord avec la Propriétaire que les éléments de preuve indiquent que les ventes de cigarettes de marque CANADIAN GOLD sont des « produits du tabac » au Canada pendant la période pertinente par le titulaire de licence de la Propriétaire. Toutefois, la marque de commerce en cause n’est pas CANADIAN GOLD, mais plutôt le dessin-marque particulier, comme on l’a vu plus haut.

[18]  Dans ses observations écrites, la Propriétaire fait écho à l’affidavit de Mme Aoude, soutenant que la partie dominante de la Marque a été conservée, soit les mots CANADIAN GOLD [para 27]. Elle indique que d’autres éléments de la Marque ont également été conservés, tels que le schéma des couleurs, le style de police unique et la taille de police comparative [para 27].

[19]  À cet égard, la Propriétaire semble soutenir que les mots CANADIAN GOLD stylisés figurant sur les arêtes supérieures et avant de l’emballage, comme il est indiqué ci-dessus, constituent la marque de commerce employée. En tout état de cause, lors de l’évaluation de l’avant de l’emballage, j’examinerai également la question de savoir si les 25 % inférieurs considérés dans leur ensemble constituent un emploi de la Marque.

[20]  La Propriétaire soutient que, depuis l’enregistrement de la Marque en 1996 [traduction] « il y a eu des changements importants dans les exigences d’étiquetage des produits du tabac » [para 28]. En particulier, elle indique que de 2000 à 2011, la législation fédérale exigeait qu’une mise en garde figure sur au moins 50 % de la zone d’application de l’emballage des cigarettes et qu’en 2011, cette exigence a été augmentée à 75 %. Par conséquent, la Propriétaire soutient qu’elle [traduction] « a été obligée de modifier son emballage [...] de sorte que les caractéristiques dominantes de [la Marque] puissent s’insérer dans les 25 % restants de la zone d’application disponible pour les marques de commerce » [para 29]. Nonobstant ces changements, la Propriétaire soutient [traduction] qu’« il est facile pour les acheteurs de produits du tabac CANADIAN GOLD de constater que la marque et la source des produits demeurent les mêmes » [para 30].

[21]  En outre, la Propriétaire soutient que la jurisprudence a indiqué que les modifications apportées à une marque de commerce enregistrée qui sont motivées par des modifications législatives ne devraient pas être retenues contre un propriétaire inscrit [citant Saccone & Speed Ltd c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1982), 67 CPR (2d) 119 (CF 1re inst) (Saccone); Molson Companies Ltd c Mitches & Co et al (1980), 50 CPR (2d) 180 (CF 1re inst); et Marks & Clerk c Sparkles Photo Ltd (2005), 41 CPR (4th) 236 (CF) (Nature’s Choice)] [Observations écrites de la Propriétaire, para 30].

[22]  En particulier, la Propriétaire soutient que l’espèce présente des analogies avec la décision du registraire dans Smart & Biggar c Rothmans, Benson & Hedges Inc., 2011 COMC 78 (Rothmans) [Observations écrites de la Propriétaire, para 31 et 32]. Dans Rothmans, le registraire a examiné un dessin-marque de ROTHMAN’S qui semblait inclure toute la zone d’application de l’avant d’un paquet de cigarettes, comme c’est le cas en l’espèce. En raison de l’exigence de placer une mise en garde en matière de santé qui doit occuper 50 % de la zone d’application (à l’époque), le dessin-marque employé a été modifié en conséquence. Citant Saccone et Nature’s Choice, le registraire a souligné qu’« une demande de modification à une marque de commerce ayant pour but de respecter une autre loi que la Loi sur les marques de commerce ne devrait pas être retenue contre un inscrivant » [au para 12]. Toutefois, le registraire a ajouté que « bien que l’Inscrivante puisse avoir été obligée de modifier sa Marque pour respecter la Loi sur le tabac et le Règlement sur l’information relative aux produits du tabac, je note également que certaines autres modifications apportées à la Marque n’étaient peut-être pas nécessaires » [au para 12]. Après avoir énuméré ces éléments modifiés, le registraire a néanmoins constaté que les caractéristiques dominantes du dessin-marque, y compris le mot ROTHMAN’S et des armoiries, étaient conservées et que les autres modifications étaient mineures.

[23]  À ce titre, je considère que Rothmans se distingue des faits de l’espèce. Premièrement, il est bien établi en droit que chaque affaire doit être tranchée au cas par cas [voir Express File Inc. c HRB Royalty Inc., 2005 CF 542, 39 CPR (4th) 59]. Deuxièmement, aux fins d’une procédure prévue à l’article 45, la question n’est pas de savoir si les consommateurs reconnaîtraient simplement [traduction] « la marque et la source » du produit, mais si, au sens des articles 4 et 45 de la Loi, la Marque a été employée telle qu’elle est enregistrée.

[24]  À cet égard, le critère de variation, tel qu’énoncé par la Cour d’appel fédérale, est le suivant :

Le critère pratique qu’il faut appliquer pour résoudre un cas de cette nature consiste à comparer la marque de commerce enregistrée et la marque de commerce employée et à déterminer si les distinctions existant entre ces deux marques sont à ce point minimes qu’un acheteur non averti conclurait, selon toute probabilité, qu’elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine. [Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie Internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull SA, (1985), 4 CPR (3d) à la page 525 (Honeywell Bull)].

[25]  Comme l’a indiqué la Cour d’appel, « Il faut répondre non à cette question, sauf si la marque a été employée d’une façon telle qu’elle n’a pas perdu son identité et qu’elle est demeurée reconnaissable malgré les distinctions existant entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et celle sous laquelle elle a été employée » [à la page 525].

[26]  Pour trancher cette question, il faut déterminer si les « caractéristiques dominantes » de la marque de commerce ont été préservées [Promafil Canada Ltée c Munsingwear Inc (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF)]. L’évaluation pour savoir si tous les éléments sont des caractéristiques dominantes et si la variation est suffisamment mineure pour permettre de conclure qu’il y a emploi de la marque de commerce telle qu’enregistrée est une question de fait qui doit être tranchée au cas par cas.

[27]  En l’espèce, je ne peux souscrire à l’argument de la Propriétaire selon lequel les mots CANADIAN GOLD dans les polices particulières constituent la caractéristique dominante de la Marque. À mon avis, la caractéristique dominante de la Marque n’est pas seulement ces mots, mais aussi la combinaison particulière de divers éléments de la Marque.

[28]  J’apprécie que la majorité des éléments verbaux de la Marque soient descriptifs; en effet, je remarque l’avertissement pour tous les « éléments lisibles » à l’exception du mot GOLD. À ce titre, je ne considérerais pas nécessairement l’omission des mots descriptifs « douce saveur canadienne » ou « de première classe » comme critique à l’enregistrement. De même, en soi, je ne considérerais pas que le changement d’orientation du mot CANADIAN par rapport au mot GOLD soit critique à l’enregistrement. Cependant, ces changements ne sont pas isolés. Tel qu’indiqué dans Promafil, « De toute évidence, lors de chaque modification , le propriétaire de la marque de commerce joue avec le feu » [à la page 71].

[29]  En particulier, je remarque l’omission totale des barres verticales au sommet de la Marque ainsi que de l’élément particulier de la feuille d’érable de la marque de commerce employée ou des marques de commerce employées. Si l’on considère que les mots CANADIAN GOLD dans les polices particulières comme la marque de commerce employée (sur les arêtes avant ou supérieures de l’emballage), tous les autres éléments sont manquants. Dans le cas contraire, si l’on considère que les 25 % inférieurs de l’avant de l’emballage comme la marque de commerce employée, non seulement la plupart des éléments de la Marque manquent, mais des armoiries distinctives de couleur rouge et dorée ont été ajoutées à l’ensemble de la marque de commerce telle qu’employée.

[30]  Bien que je remarque qu’un élément de feuille d’érable (qui n’est pas de taille onze) apparaît à côté ou dans le cadre du timbre [traduction] « DROIT PAYÉ » sur l’arête de côté de l’emballage en pièce jointe, je considère au mieux que cet élément constitue sa propre marque de commerce; il ne fait pas partie de la marque de commerce ou des marques de commerce en cause sur les arêtes supérieures ou de l’avant de l’emballage.

[31]  En d’autres termes, à mon avis, l’emballage de cigarettes produit en preuve ne conserve pas les caractéristiques dominantes de la Marque telle qu’elle est enregistrée.

[32]  À ce titre, je considère également que Nature’s Choice se distingue sur le plan des faits. Dans cette affaire, les modifications pertinentes apportées à la marque de commerce NATURE’S CHOICE & Design en cause étaient l’enlèvement d’une feuille d’érable de taille onze et l’ajout du mot « Co. » après les mots « Nature’s Choice » [choix de la nature], apparemment à la demande d’une autorité gouvernementale. Ces modifications ont été jugées peu importantes, la caractéristique dominante – les mots NATURE’S CHOICE [choix de la nature] dans la police et l’arrangement particuliers – étant toujours employée [au para 39].

[33]  En outre, la Cour dans Nature’s Choice a conclu qu’« il est raisonnable [...] que l’agent d’audience ait conclu que la situation devant elle était comparable à ce qui s’est produit dans Saccone, étant donné qu’une entreprise de petite envergure pourrait facilement ne pas voir la différence entre les exigences imposées par une nouvelle loi et l’administration de règlements déjà en place par un ministère fédéral » [au para 37]. À ce titre, la Propriétaire inscrite dans Nature’s Choice était également convaincue (que cette conviction soit erronée ou non) qu’elle devait modifier sa marque de commerce à la demande d’une autorité gouvernementale. À mon avis, cette raison de ne pas employer la marque de commerce telle qu’elle est enregistrée est examinée à juste titre sous les principes de circonstances spéciales [voir, par exemple, Spirits International NV c Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 520, 49 CPR (4th) 196, confirmée 2007 CAF 162, 60 CPR (4th) 31, dans laquelle la propriétaire inscrite croyait à tort qu’elle avait besoin d’une certification particulière avant de vendre ses produits sur le marché canadien].

[34]  À cet égard, je souligne que tant Saccone que Nature’s Choice étaient des décisions de la Cour fédérale qui précédaient la décision de la Cour d’appel fédérale dans Scott Paper Ltd c Smart & Biggar, 2008 CAF 129, 65 CPR (4th) 303, qui a clarifié les principes et les critères à prendre en considération en ce qui concerne les circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque de commerce. Je remarque en outre que Saccone a également précédé Honeywell Bull et Promafil, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale faisant autorité sur la question de l’analyse de la variation. À ce titre, dans la mesure où la jurisprudence antérieure du registraire et de la Cour fédérale peut avoir combiné des considérations relatives à la variation avec des considérations relatives à des circonstances spéciales, la bonne approche consiste à appliquer les décisions de la Cour d’appel fédérale dans Honeywell Bull et Promafil au moment d’examiner la variation et Scott Paper lorsqu’il s’agit d’examiner toute circonstance spéciale qui pourrait justifier le défaut d’emploi, s’il le faut.

[35]  Néanmoins, je pense qu’il est équitable d’examiner les exigences législatives ou réglementaires au moment d’aborder la question de la variation, dans la mesure où elles peuvent éclairer la détermination des caractéristiques dominantes d’une marque de commerce particulière. Par exemple, dans Nature’s Choice, ces exigences ont permis de déterminer que la feuille d’érable de taille onze et l’ajout du mot « Co. » n’étaient pas des caractéristiques dominantes dans cette affaire [au para 39]. Dans Saccone, elles ont informé la décision que « [o]n ne doit pas tenir compte des mots ajoutés pour assurer une observation » de ces lois [la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation (à l’époque)] [au para 56 de la version française]. Selon la Cour, la clé était que les « éléments signifiants » de la marque de commerce en cause dans cette affaire étaient conservés [à la page 128]. De même, dans Molson, l’ajout du terme descriptif « bière » n’a pas été considéré comme un changement important, mais d’autres modifications l’étaient, et la Cour fédérale a confirmé la décision du registraire de radier la marque de commerce dans cette affaire [à la page 182].

[36]  En l’espèce, l’affidavit de Mme Aoude n’indique pas que la Propriétaire était tenue de retirer ou d’ajouter des éléments, contrairement aux affaires susmentionnées. La seule « exigence » était un changement relatif de la taille pour laisser la place à l’étiquette de mise en garde obligatoire. Pour être clair, dans la mesure où la Propriétaire était tenue de placer une mise en garde sur son emballage de cigarettes, je ne considère pas que cette mise en garde fasse partie de la marque de commerce effectivement utilisée. Toutefois, cette exigence de mise en garde n’exigeait pas nécessairement les changements apportés par la Propriétaire. Outre l’élément CANADIAN GOLD, Mme Aoude n’explique pas pourquoi certains éléments ont été conservés dans l’emballage postérieur à 2011 et d’autres éléments ont été supprimés. Rien dans l’affidavit de Mme Aoude n’indique que la Propriétaire ne pouvait continuer à employer la Marque telle qu’elle était enregistrée, bien qu’elle ait une taille relativement réduite et peut-être une orientation différente pour s’inscrire dans l’arête supérieure ou dans les 25 % restants de l’arête avant dont dispose la Propriétaire.

[37]  Bien entendu, la Propriétaire a probablement pris une décision de marketing motivée de modifier la marque d’emballage afin d’optimiser son attrait visuel dans l’espace disponible. Néanmoins, c’était un choix de la Propriétaire, fondé sur la nature du dessin-marque tel qu’enregistré. Comme il semble être indiqué dans les décisions dans Rothmans et Molson, seules les modifications qui sont clairement prescrites par la loi peuvent être justifiables.

[38]  En d’autres termes, bien que j’accepte que la loi applicable puisse être pertinente pour l’examen des caractéristiques dominantes d’une marque de commerce donnée, la justification du défaut d’emploi ultérieur d’une marque de commerce doit plutôt être examinée comme une question de circonstances spéciales, et dans ce cas, cette question est examinée plus loin.

[39]  Compte tenu de tout ce qui précède, étant donné que la Propriétaire n’a pas produit de preuve de l’emploi de la Marque ou d’une variation acceptable de cette dernière, je ne peux conclure que la Propriétaire a démontré l’emploi de la Marque au sens des articles 4 et 45 de la Loi.

[40]  Par conséquent, la question est de savoir si des circonstances spéciales existaient pendant la période pertinente pour justifier le défaut d’emploi.

Circonstances spéciales

[41]  En l’espèce, je souligne que la Propriétaire n’a pas produit d’observations en soi sur la question des circonstances spéciales, ayant pris la position que les caractéristiques dominantes de la Marque étaient conservées et ayant traité par ailleurs sa conformité alléguée au Règlement par l’intermédiaire de la perspective de la question de la variation.

[42]  Néanmoins, en l’absence d’éléments de preuve de l’emploi d’une marque de commerce au cours de la période pertinente, la question est de savoir si, en vertu de l’article 45(3) de la Loi, des circonstances spéciales existaient pour justifier ce défaut d’emploi. En règle générale, le défaut d’emploi devrait donner lieu à la radiation, mais il peut y a voir une exception si le défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales [Scott Paper Ltd c Smart & Biggar, 2008 CAF 129, 65 CPR (4th) 303].

[43]  Pour déterminer si l’existence de circonstances spéciales a été établie, le registraire doit en premier lieu déterminer les raisons pour lesquelles la marque de commerce n’a pas été employée pendant la période pertinente. En second lieu, le registraire doit déterminer si les raisons du défaut d’emploi constituent des circonstances spéciales [Canada (Registraire des marques de commerce) c Harris Knitting Mills Ltd (1985), 4 CPR (3d) 488 (CAF)]. Les circonstances spéciales sont des circonstances ou des raisons qui sont inhabituelles, peu communes ou exceptionnelles [John Labatt Ltd c Cotton Club Bottling Co (1976), 25 CPR (2d) 115 (CF 1re inst)].

[44]  S’il détermine que les raisons du défaut d’emploi constituent des circonstances spéciales, le registraire doit encore déterminer si ces circonstances justifient la période de défaut d’emploi. Cette détermination repose sur l’examen de trois critères : (i) la durée de la période pendant laquelle la marque de commerce n’a pas été employée; (ii) la question de savoir si les raisons du défaut d’emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit; et (ii) s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque à court terme [selon Harris Knitting Mills, précitée].

[45]  En outre, l’intention de reprendre prochainement l’emploi doit être étayée par un « fondement factuel suffisant » [NTD Apparel Inc c Ryan, 2003 CFOI 780, 27 CPR (4th) 73, au para 26; voir également Arrowhead Spring Water c Arrowhead Water Corp (1993), 47 CPR (3d) 217 (CF 1re inst)].

[46]  En l’espèce, bien que Mme Aoude et la Propriétaire attribuent les modifications à la Marque aux exigences réglementaires susmentionnées de faire figurer des mises en garde en matière de santé sur les emballages des cigarettes, comme nous en avons discuté plus haut, il n’est pas évident que toutes les modifications subséquentes étaient effectivement prescrites par ces règlements. Bien que les modifications aient pu être motivées par les modifications réglementaires, la raison du défaut d’emploi de la Marque telle qu’elle est enregistrée peut être attribuée à la décision volontaire de la Propriétaire de rationaliser la Marque de façon à la rendre visuellement attrayante sur l’emballage de la cigarette en question. En outre, puisque le Règlement s’applique à tous les emballages de cigarettes au Canada, touchant tous les fabricants, il ne me semble pas évident que cela constitue des circonstances [traduction] « inhabituelles » dans l’industrie du tabac pertinente. Plutôt, les modifications apportées à la Marque semblent être une fonction du dessin-marque particulier en question, et de la décision de la Propriétaire de se concentrer uniquement sur l’élément CANADIAN GOLD.

[47]  Quoi qu’il en soit, si j’acceptais que les modifications réglementaires en question constituent des circonstances spéciales, je conclurais que de telles circonstances ne justifient pas la période de défaut d’emploi.

[48]  Premièrement, la période de défaut d’emploi est longue. Mme Aoude n’indique pas à quel moment la Marque telle qu’elle est enregistrée a été employée pour la dernière fois, mais indique plutôt que les exigences réglementaires actuelles sont entrées en vigueur en 2011 et que, de 2000 à 2011, il y avait une exigence semblable touchant 50 % de la zone d’application. À ce titre, la période de défaut d’emploi est d’au moins sept ans, c’est-à-dire de 2011 à l’émission de l’avis en 2018. Toutefois, lorsque la date du dernier emploi n’est pas fournie, le registraire considère la date de l’enregistrement comme la date pertinente aux fins de l’évaluation de la période au cours de laquelle la marque n’a pas été employée [voir Clark, Woods c Canaglobe International Inc (1992), 47 CPR (3d) 122 (COMC); et Oyen Wiggs Green & Mutala LLP c Rath, 2010 COMC 34, 82 CPR (4th) 77]. En l’espèce, la Marque a été enregistrée en 1996, ce qui fait que la période de non-utilisation peut aller jusqu’à 22 ans, selon les éléments de preuve dont je suis saisi.

[49]  En outre, comme nous en avons discuté plus haut, il n’est pas évident que les modifications particulières apportées à la Marque par la Propriétaire échappaient à son contrôle.

[50]  En tout état de cause, je ne suis saisi d’aucune preuve que la Propriétaire a une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la Marque telle qu’elle est enregistrée. Par exemple, Mme Aoude n’indique pas que la Propriétaire a l’intention de modifier son emballage de cigarettes afin d’y incorporer des éléments du dessin de la Marque telle qu’enregistrée qui sont toujours à la disposition de la Propriétaire, mais qu’elle avait choisi de rejeter par le passé. À cet égard, bien que je sache que les règlements récents sur l’« emballage neutre » ont probablement rendu cette question sans objet, de tels règlements supplémentaires datent d’après la période pertinente et ne sont pas en cause en l’espèce.

[51]  À la lumière de tout ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la Propriétaire ait démontré l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la Marque au sens de l’article 45 de la Loi.

Décision

[52]  Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi et conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi, l’enregistrement sera radié.

 

 

Andrew Bene

Membre

 

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Lili El-Tawil

 


COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

 

DATE DE L’AUDIENCE Aucune audience n’a été tenue

AGENTS AU DOSSIER

Smart & Biggar LLP

Pour la Propriétaire inscrite

John H. Simpson (Shift Law Professional Corporation)

Pour la Partie requérante

 

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