Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

                                                                      Référence : 2015 COMC 104

Date de la décision: 2015-06-05

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Ubermédia Inc. à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,504,269 pour la marque de commerce UBER au nom de Uber Publicité Inc. faisant affaires sous la dénomination ‘Uber Communications’

 

 

Introduction

 

[1]               Uber Publicité Inc. faisant affaires sous la dénomination ‘Uber Communications’ (la Requérante) a produit le 8 novembre 2010 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce UBER (la Marque) portant le numéro no 1,504,269.

[2]               La demande est fondée sur un emploi au Canada depuis le 1er janvier 2004. Cette demande d’enregistrement a été amendée à quelques reprises. Le dernier amendement remonte au 18 août 2014 afin de modifier l’énoncé des services qui se lit depuis comme suit : agence de marketing et de mise en marché, agence de publicité, conception de sites Internet pour des tiers (les Services).

[3]               Je tiens à souligner que la demande amendée comprend également l’ajout d’une référence au prédécesseur en titre de la Requérante, à savoir Benoît Bousquet.

[4]               Cette demande fut annoncée le 10 octobre 2012 dans le Journal des marques de commerce pour fins d’opposition.

[5]               Ubermédia Inc. (l’Opposante) a produit le 10 décembre 2012 une déclaration d’opposition. Cette déclaration d’opposition fut amendée le 13 août 2013 avec la permission du registraire. Les motifs d’opposition soulevés dans la déclaration d’opposition amendée sont fondés sur les articles 30 a), 30 b) et 2 (caractère distinctif) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13 (la Loi). Ils sont plus amplement décrits à l’annexe A de la présente décision.

[6]               La Requérante a produit une contre-déclaration niant tous et chacun des motifs d’opposition. Elle fut également amendée pour répondre à la déclaration d’opposition amendée.

[7]               L’Opposante a produit les affidavits d’Éric St-Martin et de Grégory Vadnais-Alcide datés respectivement des 13 août 2013 et 14 août 2013; la Requérante a pour sa part produit celui de Benoît Bousquet daté du 6 mars 2014.

[8]               Les parties ont chacun produit un plaidoyer écrit et demandé une audience. Toutefois, après avoir reçu l’avis du registraire de la date d’audience, les parties se sont désistées de leur droit d’être entendues.

[9]               Pour les raisons plus amplement décrites ci-après, j’estime que la demande d’enregistrement doit être repoussée.

Fardeau de preuve

[10]           Dans le cadre de la procédure en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, c’est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi. Cela signifie que, si une conclusion déterminante ne peut être tirée une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée en sa défaveur. Toutefois, l’Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'Opposante signifie qu'un motif d'opposition sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ce motif d'opposition [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF); et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company (2005), 41 CPR (4th) 223 (CF 1re inst)].

Remarques préliminaires

[11]           Plusieurs incidents procéduraux sont survenus en cours d’instance. Je ne compte pas les décrire tous. Je m’en tiendrai qu’aux procédures incidentes qui m’apparaissent importantes pour comprendre ma décision.

Motif d’opposition fondé sur l’article 30a) de la loi

[12]           L’Opposante soutient que les Services ne sont pas décrits en termes ordinaires du commerce. Dans son plaidoyer écrit, elle se réfère plus particulièrement aux ‘services d’achat par Internet nommément services pour les marchandises et services de tiers’. Or ces services ont été retranchés de l’énoncé des services décrits dans la demande originale lorsque la Requérante a produit sa demande d’enregistrement amendée le 15 août 2014.

[13]           Ainsi le motif d’opposition fondé sur l’article 30a) de la Loi est maintenant caduc.

Motifs d’opposition soulevés sous l’article 30b)

[14]           Ainsi, suite à une substitution d’agents, l’Opposante a produit, avec la permission du registraire, une déclaration d’opposition amendée datée du 13 août 2013. Il est bon de souligner que le motif d’opposition fondé sur l’article 30 b) de la Loi, tel que décrit dans la déclaration d’opposition amendée, comporte quatre volets :

         La Requérante n’existait pas à la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement et ne pouvait donc pas prétendre avoir employé la Marque au Canada en liaison avec les Services depuis cette date;

         La Requérante ne pouvait pas prétendre avoir employé la Marque au Canada en liaison avec les Services depuis la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement puisque cette date coïncide avec un congé férié statutaire au Canada;

         La Requérante n’a pas employé la Marque au Canada en liaison avec les Services depuis la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement puisque la Requérante offrait les Services sous des marques et/ou des désignations différentes de la Marque, à savoir UBER PUBLICITÉ et/ou UBER COMMUNICATIONS;

         La Requérante n’a pas employé depuis le 1er janvier 2004 la Marque au Canada en liaison avec tous et chacun des Services.

[15]           Le premier volet est maintenant caduc. En effet, le 18 août 2014, la Requérante a produit une demande d’enregistrement amendée dans laquelle elle allègue l’emploi de la Marque depuis le 1er janvier 2004 au Canada par elle-même et son prédécesseur en titre, soit M. Bousquet. Le seul fait que la Requérante n’était pas légalement constituée à la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement ne peut plus soutenir ce motif d’opposition puisque la Requérante se réfère maintenant à l’emploi de la Marque au Canada par son prédécesseur. Un tel amendement à une demande d’enregistrement pour remédier à une lacune concernant la chaîne de titres au niveau des prédécesseurs d’une requérante remontant jusqu’à la date de premier emploi déjà alléguée dans une demande d’enregistrement a déjà été accordée par le registraire même à proximité de la date d’audience [voir Empire Comfort Systems Inc c Onward Multi-Corp Inc 2010 COMC 30 et Athletic Club Group Inc c Ottawa Athletic Club Inc, 2012 COMC 217 (CanLII)].

[16]           Il restera toutefois à déterminer si la Marque a été ainsi employée par la Requérante et/ou son prédécesseur en titre au Canada en liaison avec chacun des Services, et ce depuis la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement amendée.

Affidavit de M. Bousquet daté du 15 février 2013

[17]           En annexe à la contre-déclaration originale produite le 15 février 2013, se trouvait un affidavit de M  Benoît Bousquet, président de la Requérante, assermenté le même jour. Or cet affidavit a été produit prématurément. Toutefois dans son affidavit daté du 6 mars 2014 et produit à titre de preuve de la Requérante sous la règle 42 du Règlement sur les marques de commerce, C.R.C., ch.1559, M  Bousquet ‘réitère toutes et chacune des allégations contenues à mon affidavit du 15 février 2013’. Compte tenu de cette affirmation, je considère que son contenu fait partie du dossier. Ainsi, mes références ultérieures à l’affidavit du 6 mars 2014 de M Bousquet doivent s’entendre comme comprenant les affirmations contenues dans son affidavit du 15 février 2013.

Référence à ÜBER et UBER

[18]           Je tiens à souligner que j’ai bien pris soin de distinguer ÜBER de UBER tout au long de cette décision lorsque je fais référence aux pièces produites et aux allégations contenues dans les affidavits des parties.

Jugement de la Cour supérieure du Québec

[19]           Finalement, dans son plaidoyer écrit l’Opposante fait référence à de longs extraits d’un jugement de la Cour supérieure du Québec dans Über Publicité inc c Übermédia inc 2014 QCCS 1422 (CanLII). Je rappelle qu’un jugement ne fait pas foi de la preuve de faits présentés devant cette cour de justice mais il peut être cité pour y référer aux conclusions de droit en autant qu’elles soient pertinentes.

[20]           Comme la preuve au dossier semble différente de ce qui était devant la Cour et que les questions en litige n’étaient pas les mêmes que celles que j’ai à trancher, je considère que ce jugement a très peu de pertinence en l’espèce.

Analyse des motifs d’opposition

Motif d’opposition fondé sur l’article 30b) de la Loi

[21]           Je vais d’abord disposer de l’argument à l’effet que la date de premier emploi est erronée puisqu’elle coïncide avec un congé férié statutaire. Je suis prêt à prendre connaissance judiciaire que le 1er janvier de l’année est un congé férié statutaire au Canada. Je suis conscient que le registraire a déjà rendu des décisions dans ce sens [voir Thomas Research Associates Ltd c Daisyfresh Creations Inc/Créations Daisyfresh Inc (1983), 81 CPR (2d) 27 (COMC)].

[22]           Toutefois, un requérant peut toujours revendiquer une date de premier emploi postérieure à la date réelle de premier emploi par mesure de précaution. La date de premier emploi du 1er janvier 2004 ne serait pas ainsi fatale à la Requérante si la preuve au dossier révèle que M Bousquet, en tant que prédécesseur en titre de la Requérante, a employé la Marque avant le 1er janvier 2004. Y-a-t-il donc une preuve au dossier établissant un emploi de la Marque antérieur à la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement?

[23]           M. Bousquet, dans son affidavit du 6 mars 2014, décrit les faits suivants survenus avant la date de premier emploi alléguée dans la demande d’enregistrement :

4. À la fin novembre 2003, j’ai consulté des avocats pour m’informer sur mon devoir de loyauté envers mon ancien employeur, le tout tel qu’il appert de la facture d’honoraires professionnels Legault, Joly, Thiffault s.e.n.c. joint [sic] au présent affidavit comme pièce BB-1;

5. Le 5 décembre 2003, j’ai consulté un notaire pour l’incorporation de la Requérante, le tout tel qu’il appert de l’extrait d’agenda 2003, de la facture d’honoraires professionnels de Bousquet & Bousquet et de la facture de Marque d’Or joints en liasse au soutien du présent affidavit comme pièce BB-2;

6. En décembre 2003, j’ai proposé mes services sous la marque ‘UBER COMMUNICATIONS’, le tout tel qu’il appert notamment des devis datés du [sic] 8 et 16 décembre 2003 joints en liasse au soutien du présent affidavit comme pièce BB-3;

7. La Requérante et ses services sont connus dans le marché sous la marque ‘UBER’ depuis décembre 2003;

[24]           Que M. Bousquet ait consulté un avocat pour obtenir une opinion juridique sur son devoir de loyauté envers son ancien employeur et qu’il ait retenu les services d’un notaire pour l’incorporation d’une compagnie, cela ne constitue pas une preuve d’emploi de la Marque en liaison avec les Services au sens de l’article 4(2) de la Loi.

[25]           Toutefois qu’en est-il des devis produits comme pièce BB-3 au soutien de son affidavit? Je tiens à souligner, et d’ailleurs M. Bousquet le reconnaît lui-même dans son affidavit, que la marque qui apparaît sur ces devis est ÜBER COMMUNICATIONS. Il est indéniable que ces documents démontrent que le prédécesseur de la Requérante offrait les Services en décembre 2003 en liaison avec la marque ÜBER COMMUNICATIONS.

[26]           Or, l’Opposante plaide également que la Requérante a employé non pas la Marque mais les marques UBER COMMUNICATIONS et UBER PUBLICITÉ. Selon l’Opposante, ce n’est qu’en 2012 que la Requérante aurait adopté la Marque. Ainsi, malgré la référence au prédécesseur en titre, il n’en demeure pas moins selon l’Opposante que, la date de premier emploi de la Marque serait erronée.

[27]           Si j’arrive à la conclusion que l’emploi de la marque ÜBER COMMUNICATIONS constitue un emploi de la Marque, la Requérante aura démontré qu’il y a eu emploi de la Marque avant le 1er janvier 2004 en liaison avec les Services au sens de l’article 4(2) de la Loi. Par conséquent, elle pouvait déclarer dans sa demande d’enregistrement que la Marque avait été employée depuis le 1er janvier 2004.

[28]           Il ne faut pas perdre de vue que c’est l’Opposante qui a le fardeau initial de preuve et que le motif d’opposition doit être analysé à la date de production de la demande d’enregistrement, soit en l’occurrence, le 8 novembre 2010 [voir Georgia-Pacific Corporation c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 369 (COMC)]. Toutefois ce fardeau est léger [voir Tune Masters v Mr P's Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC)], et l’Opposante peut se référer à la preuve de la Requérante pour se décharger de son fardeau léger de preuve [voir Labatt Brewing Co v Molson Breweries, A Partnership (1996), 68 CPR (3d) 216 (CFPI)].

[29]           Ceci m’amène à revoir la preuve au dossier concernant ce point.

Preuve de l’Opposante

            Affidavit de M. Vadnais-Alcide

[30]           M. Vadnais-Alcide était un étudiant en droit qui effectuait de temps à autre des recherches pour le compte de l’agent de l’Opposante. Ainsi, on lui a demandé de vérifier l’utilisation des dénominations UBER et/ou UBER COMMUNICATIONS et/ou tout autre nom et/ou marque de commerce comprenant le mot ‘uber’ utilisés pour désigner la Requérante entre 2005 et 2013. À cette fin, il allègue avoir consulté les archives de deux sites Internet reconnus dans le domaine de la diffusion de bulletins d’information sur l’actualité dans l’industrie de la publicité soit : Infopresse et Marketing Qc.

[31]           M. Vadnais-Alcide n’explique pas pourquoi il n’a pas consulté les archives de ces sites remontant à janvier 2004, soit la date de premier emploi de la Marque alléguée dans la présente demande d’enregistrement. Toutefois cette anomalie n’aura aucune incidence sur ma décision.

[32]           Ayant pris connaissance du contenu des pièces GVA-1 à GVA-4 inclusivement jointes à l’affidavit de M. Vadnais-Alcide, soit des extraits des archives de Marketing Qc et Infopresse datant d’août 2005 à avril 2013, je constate que:

         La presque totalité des articles publiés (31 au total) avant novembre 2011 (à l’exception de deux articles) font référence à Über Communication;

         La presque totalité des articles publiés après novembre 2011 (sauf 1 article) font référence à Über.

[33]           D’ailleurs, dans un des articles produits par M. Vadnais-Alcide daté du 6 novembre 2012, on y annonce que ‘Über vient de lancer sa nouvelle image de marque, qui s’accompagne d’un nouveau logo, d’un site web actualisé, et d’un nom raccourci (l’agence laisse tomber le [mot] ‘communications’ qui suivait Über)’.

[34]           Je tiens à souligner que ces articles sont des reportages sur les activités de la Requérante et ne constituent pas en soi une preuve d’emploi de quelque marque que ce soit au sens de l’article 4(2) de la Loi. Toutefois ces articles démontrent que la Requérante était connue sous la dénomination sociale Über Communications et ce, jusqu’en 2012.

[35]           M. Vadnais-Alcide a également consulté le service en ligne Internet Archive - Wayback Machine et produit des pages du site web de la Requérante en date du 3 octobre 2010, soit le seul résultat obtenu avant la date pertinente. On y aperçoit au coin supérieur droit les mots ‘Über communications’ écrits avec un Ü majuscule et ‘Über’ y apparait en plus gros caractère que le mot ‘communications’ situé juste en dessous de ‘Über’.

[36]           M. Vadnais-Alcide a produit des extraits de certains dictionnaires retrouvés sur Internet pour le mot ‘Über’. Il s’agirait d’un mot allemand qui signifie ‘au-dessus de’. Je note que l’orthographe de ce mot comprend le tréma sur la lettre U. Or la Marque ne comporte pas de tréma.

Affidavit de M. St-Martin

[37]           M. St-Martin est le président de l’Opposante. Il explique qu’il a fait une recherche sur l’entreprise de la Requérante en consultant le site du Registraire des entreprises du Québec. Il a constaté que la Requérante fut incorporée que le 5 janvier 2004, soit postérieurement à la date de premier emploi alléguée par celle-ci dans sa demande d’enregistrement.

[38]           Par cette preuve, l’Opposante tente de prouver qu’il était impossible pour la Requérante d’avoir employé la Marque à compter du 1er janvier 2004. Toutefois, tel qu’indiqué auparavant, cette anomalie a été corrigée par la référence dans la demande d’enregistrement amendée à l’emploi de la Marque par un prédécesseur en titre.

[39]           Cette recherche a également révélé que la Requérante opère sous un autre nom soit Über Communications depuis le 30 mars 2004. Il n’y a aucune mention d’emploi de la Marque ou dénomination sociale ‘Über’ à ce registre depuis la date d’incorporation de la Requérante.

[40]           M. St-Martin ajoute que le 5 novembre 2012, il a appris, par un article publié dans Le Grenier aux nouvelles, une publication spécialisée dans la communication de l’actualité dans le milieu publicitaire, citant une représentante de la Requérante, que celle-ci avait décidé d’abandonner le mot ‘Communications’ et de s’appeler simplement ‘Über’. Il a produit comme pièce ESM-10 à son affidavit une copie de cet article. Bien que cet article soit postérieur à la date pertinente, son contenu concerne des faits qui se sont déroulés pendant la période pertinente.

Preuve de la Requérante

            Affidavit de M. Bousquet

[41]           Il est intéressant de noter que M. Bousquet, le prédécesseur en titre de la Requérante et représentant de cette dernière, a reconnu que la Requérante a employé le mot ‘Uber’ avec les mots ‘Publicité’ et ‘Communication’ (sic). D’ailleurs, les devis que M. Bousquet a préparé en décembre 2003 portaient la mention ‘Über Communications’.

[42]           M. Bousquet a produit  comme pièce BB-4 au soutien de son affidavit du 6 mars 2014 des extraits de publicités développées par la Requérante. Or les extraits portant une date sont tous postérieurs à 2011. Deux extraits ne portent pas de date mais la forme stylisée du mot ‘Über’ correspond à la nouvelle image corporative adoptée par la Requérante en octobre 2010 et plus amplement décrite ci-haut au paragraphe 35.

[43]           Je dois donc déterminer si l’emploi de la marque Über Communications, apparaissant entre autre sur les devis produits sous la pièce BB-3, constitue un emploi de la Marque. Si la réponse est affirmative, le motif d’opposition sous l’article 30 b), vu sous cet angle, devra être rejeté.

Conclusion sur l’emploi de la Marque depuis la date de premier emploi revendiquée

[44]           Je conclus que l’emploi de la marque Über Communications par la Requérante qui remonte à décembre 2003 constitue un emploi de la Marque. Le mot ‘Über’ est prédominant alors que le mot ‘Communications’ s’entend d’un suffixe descriptif des Services. Quant à l’ajout d’un tréma sur la lettre ‘U’, il s’agit d’une addition très mineure. Ainsi la Marque n’a pas été modifiée de façon telle qu’elle aurait perdu son identité. La Marque demeure reconnaissable [voir Canada (Registrar of Trade Marks) v Cie internationale pour l'informatique CII Honeywell Bull, SA, (1985) 4 CPR (3d) 523 (CAF)].

[45]           Pour toutes ces raisons, je rejette le motif d’opposition fondé sur l’article 30 b) de la Loi.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque

[46]           Tel qu’indiqué en annexe, le motif d’opposition plaidé dans la déclaration d’opposition amendée est libellé de la façon suivante:

La marque de la requérante n’est pas distinctive.

[47]           Il va de soi que si j’avais à disposer de ce motif d’opposition sans qu’il y ait eu preuve au dossier, je le rejetterais en vertu de l’article 38(3) de la Loi puisqu’il ne contient pas suffisamment de détails. D’ailleurs, c’est ce que la Requérante m’invite à faire.

[48]           Or la Cour d’appel fédérale dans Novopharm c AstraZeneca AB (2002), 21 CPR (4th) 289 (CAF) nous enseigne qu’une fois que de la preuve a été versée au dossier, le motif d’opposition doit se lire conjointement avec cette preuve.

[49]           Il est généralement accepté que la date pertinente pour analyser ce motif d’opposition est la date de production de la déclaration d’opposition, soit en l’occurrence le 10 décembre 2012 [voir Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd and The Registrar of Trade Marks (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)].

[50]           Dans l’arrêt Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657 la Cour fédérale a procédé à une analyse exhaustive des arrêts Motel 6 Inc c No 6 Motel Limited, [1982]1 CF 638 et E & J Gallo Winery c Andres Wines Ltd [1976] 2 CF 3 afin de déterminer ‘la norme de preuve à laquelle il faut satisfaire afin de prouver qu’une marque de commerce est suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque de commerce.’[Bojangles’ op.cit. paragraphe 24].

[51]           Je vais donc résumer la preuve versée au dossier par l’Opposante pour déterminer si elle s’est déchargée de son fardeau initial de preuve.

Preuve d’emploi de la dénomination sociale de l’Opposante

[52]           M. St-Martin est non seulement le président de l’Opposante mais également de la société Uberinnov Inc. (Uberinnov), constituée le 14 décembre 2006. M. St-Martin explique que l’Opposante est une entreprise de services, spécialisée dans la production audiovisuelle, et plus particulièrement, dans la production de vidéos haute-définition utilisant des techniques à la fine pointe de la technologie. Ainsi l’Opposante produit des contenus audiovisuels dont principalement de la vidéo corporative, et accessoirement des vidéos de formation, des vidéos de promotion de produits, des vidéos de couverture d’événements, des vidéos explicatifs pour accompagner des produits, des bannières web et des commerciaux pour la télé, en plus d’offrir des services de conception de sites Internet et de consultation dans le domaine audiovisuel.

[53]            M. St-Martin allègue que les dénomination sociale et marque de commerce UBERMÉDIA ainsi que la marque ÜBERMEDIA et dessin, telle que reproduite plus bas ont été cédées de Uberinnov à l’Opposante le 7 janvier 2008, date de sa constitution, et il a produit un acte de cession à cet effet :

 Je note de cette représentation graphique que l’emphase est placée sur le terme ÜBER de par son encadrement et la grosseur de la police employée pour la lettre U.

[54]           M. St-Martin affirme que la dénomination sociale UBERMÉDIA fut utilisée par Uberinnov entre janvier 2007 et le 7 janvier 2008.

[55]           Pour supporter l’allégation d’emploi de la dénomination sociale et/ou marque de commerce ÜBERMEDIA et de la marque de commerce ÜBERMEDIA et dessin par l’Opposante, M. St-Martin a produit une soumission de contrat datée du 11 juin 2007, des cartes d’affaires et des factures portant la marque ÜBERMEDIA et dessin émises par l’Opposante à compter de janvier 2007 [voir pièce ESM-3]. Il a également produit des extraits du site Internet de l’Opposante faisant la promotion de ses services en liaison avec la marque de commerce ÜBERMEDIA. D’autres factures émises entre avril 2008 et octobre 2012 par l’Opposante pour les services ci-haut décrits [voir la pièce ESM-5] et portant la marque de commerce ÜBERMEDIA et dessin sont aussi annexées à son affidavit.

[56]           Je tiens à souligner que je considère l’emploi de la marque ÜBERMEDIA et dessin comme un emploi de la marque ÜBERMEDIA [voir CII Honeywell Bull, supra.].

[57]           M. St-Martin affirme que l’Opposante a maintenant un chiffre d’affaires annuel qui se situe entre 200 000,00$ et 250 000,00$. Elle comptait à la date pertinente parmi sa clientèle, selon les factures produites comme pièce ESM-5 : Concession A25, Groupe Robert Inc., Table de concertation agroalimentaire des Laurentides et Les Toitures Hogue. M. St-Martin identifie d’autres clients dans son affidavit mais je n’ai aucune preuve que ces derniers étaient des clients de l’Opposante à la date pertinente.

[58]           À la lumière de cette preuve j’estime que l’emploi au Québec de la marque ÜBERMEDIA de l’Opposante pendant plus de quatre ans était suffisant à la date pertinente pour nier le caractère distinctif de la Marque. J’estime que la Marque n’était pas apte, au 10 décembre 2012, à distinguer les Services des services de l’Opposante qui étaient offerts au Québec depuis janvier 2007 en liaison avec la marque ÜBERMEDIA. Pour justifier cette conclusion je procéderai à une analyse de toutes les circonstances pertinentes, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi, à savoir : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; le genre de produits, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

[59]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece citée plus haut a interprété l’article 6(2) de la Loi et nous a éclairés sur la portée des différents critères énumérés à l’article 6(5) de la Loi.

[60]           Je note qu’aucune des parties n’a fait une analyse de ces critères, sauf pour des commentaires sur la preuve de l’Opposante quant à l’état du registre et de l’état du marché.

Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[61]           M. St-Martin a produit un extrait du dictionnaire allemand-français Larousse tirée de la version en ligne de ce dictionnaire. Ainsi, tel que souligné précédemment, le mot allemand ‘über’ signifie ‘au-dessus de’.

[62]           Par la production de certains extraits de Wikipedia et d’articles provenant de différents sites Internet, annexés à l’affidavit de M. Vadnais-Alcide, l’Opposante tente d’argumenter que le mot ‘über’ a été intégré dans la langue anglaise à titre de synonyme de ‘super’. Or, la preuve produite sur le sujet est insuffisante pour arriver à une telle conclusion. De plus les textes produits font référence aux États-Unis d’Amérique plutôt qu’au Canada.

[63]           Comme la Marque est un mot de langue étrangère et qu’il n’y a aucune preuve que le canadien moyen francophone, anglophone ou bilingue connaîtrait le sens de ce mot, j’estime que la Marque possède un caractère distinctif inhérent. Pour ce qui est de la marque ÜBERMEDIA, elle possède un caractère distinctif inhérent plus faible que la Marque en raison de la présence du terme ‘media’ qui est suggestif de la nature des services de l’Opposante.

[64]           Le caractère distinctif d’une marque peut être rehaussé par son emploi et la mesure dans laquelle elle est devenue connue au Canada en raison de son emploi ou promotion.

[65]           J’ai déjà décrit plus haut dans ma décision une partie de la preuve d’emploi des marques des parties. Or, j’ai conclu que la preuve d’emploi de la marque ÜBER COMMUNICATIONS constituait une preuve de l’emploi de la Marque.

[66]           Toutefois, toute cette preuve d’emploi des marques ÜBER COMMUNICATIONS et de la Marque est bien mince. En effet il n’y a que cinq extraits de publicité pour démontrer l’emploi de la Marque en liaison avec les Services. M. Bousquet affirme que le chiffre d’affaires de la Requérante était de 200 000,00$ à ses débuts et de 4 000 000.00$ maintenant. Toutefois, M. Bousquet ne nous indique pas les chiffres des ventes de la Requérante en liaison avec la Marque à la date pertinente.

[67]           J’ai décrit précédemment la preuve d’emploi de la marque ÜBERMEDIA par l’Opposante, qui est un peu plus étoffé de par la production de factures en liasse comme pièces ESM-3 et ESM-5. J’estime que cette marque était au moins aussi connue que la Marque à la date pertinente.

[68]           Dans les circonstances je ne considère pas que le poids attribué à ce facteur sera déterminant dans l’analyse des différents facteurs décrits à l’article 6(5) de la Loi.

La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[69]           L’Opposante emploie la marque ÜBERMEDIA depuis au moins 2007 alors que la Requérante emploie la Marque depuis décembre 2003.

[70]           Ce facteur favorise la Requérante.

Le genre de services ou entreprises; la nature du commerce

[71]           Il y définitivement un chevauchement entre les Services et ceux offerts par l’Opposante en liaison avec sa marque ÜBERMEDIA et décrits ci-haut. La nature du commerce de chacune des parties est similaire.

[72]           Ce facteur favorise donc l’Opposante.

Le degré de ressemblance entre les marques

[73]           La Marque est la première composante de la marque ÜBERMEDIA et la partie dominante de cette dernière. Je suis parfaitement conscient que la composante ÜBER de la marque ÜBERMEDIA comporte un tréma. Toutefois, je ne crois pas que l’absence de ce signe de ponctuation et du mot ‘media’, qui est à tout le moins suggestif de la nature des services de l’Opposante, dans la Marque constituent des différences marquantes qui serviraient à distinguer la Marque de la marque ÜBERMEDIA.

[74]           Pour le consommateur moyen qui n’a aucune connaissance de l’allemand, il y a une certaine ressemblance tant visuelle que phonétique entre la Marque et la marque ÜBERMEDIA en raison la présence du mot ‘Über’ comme première composante de la marque de l’Opposante.

[75]           Ainsi ce facteur favorise l’Opposante.

L’état du registre et du marché

[76]           L’Opposante a produit une preuve du registre pour démontrer l’emploi du préfixe ‘uber’ ou ‘über’ comme composante de plusieurs marques de commerce déposées. Je me réfère au contenu du paragraphe 11 et de la pièce GVA-8 produite au souteint de l’affidavit de M. Vadnais-Alcide. Bien que la recherche effectuée par M. Vadnais-Alcide date du 13 août 2013, soit postérieurement à la date pertinente, les citations produites concernent des marques qui étaient au registre à cette date.

[77]           M. Vadnais-Alcide a produit les extraits de 19 marques au registre. Seulement une marque de commerce, soit ‘überbabe’ enregistrée sous le n o  LMC721157, couvre des services similaires à ceux des parties en présence. Aucune des autres marques citées dans l’affidavit de M. Vadnais-Alcide ne concerne des services similaires ou de même nature que les Services ou ceux offerts par l’Opposante en liaison avec sa marque ÜBERMEDIA. Ainsi, la preuve de l’état du registre n’est pas un facteur déterminant dans ce dossier.

[78]           M. Vadnais-Alcide a également fait des recherches sur Internet afin de vérifier l’emploi du terme ‘uber’ par des entreprises situées au Canada, comme composante de leur dénomination sociale et/ou dans toute marque de commerce. Il a ainsi retracé quatre compagnies soit :

        ÜBER MARKETING, pour laquelle il a produit des extraits de son site web et un extrait du registre des compagnies de l’Ontario montrant qu’elle fut constituée le 22 septembre 2006 ;

        ÜBER DESIGN, pour laquelle il a produit des extraits de son site web. Toutefois nous ne savons pas quand cette entité a débuté ses activités commerciales;

        UBERTUS, pour laquelle il a produit des extraits de son site web et des extraits du registre de Corporations Canada montrant que cette société fut constituée en janvier 2008; et

        UBERFLIP, pour laquelle il a produit des extraits de son site Internet. Toutefois nous n’avons aucune information sur l’entité qui exploite ce site web et depuis quand cette entité est en opération au Canada.

[79]           J’ai noté que M. Vadnais-Alcide fait référence, dans le cas de UBERFLIP, à une demande d’enregistrement de marque de commerce et qu’il mentionne avoir produit une copie de cette demande. Or, la pièce GVA-12 à laquelle il fait référence ne contient pas cette demande d’enregistrement.

[80]           Ainsi, la preuve de l’état du marché est bien mince tant quantitativement que qualitativement. En effet, seulement deux citations semblent pertinentes (ÜBER MARKETING et UBERTUS) et même dans ces deux cas nous n’avons aucune information concernant l’ampleur de leurs activités au Canada.

[81]           J’estime que la preuve sur l’état du marché est insuffisante pour constituer un facteur pertinent dans ce dossier.

Conclusion

[82]           Je conclus, après l’analyse de la preuve au dossier et des arguments des parties, que la Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver que la Marque était distinctive au sens de l’article 2 de la Loi compte tenu de l’emploi de la marque ÜBERMEDIA par l’Opposante au moment de la production de sa déclaration d’opposition. Cet emploi a eu pour effet de nier le caractère distinctif de la Marque à cette date, compte tenu que les Services sont de même nature que ceux de l’Opposante offerts en liaison avec la marque ÜBERMEDIA et qu’il existe une ressemblance phonétique et visuelle entre les marques des parties. Ainsi le consommateur ordinaire plutôt pressé qui voit la Marque alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque ÜBERMEDIA de l’Opposante considérerait probablement que la Requérante et l’Opposante constituent un seul et même fournisseur de services de publicité.

[83]           Je maintiens donc ce motif d’opposition.

Disposition

[84]           En raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement, le tout selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

 

_________________________

Jean Carrière

Membre de la commission des oppositions

Office de la propriété intellectuelle du Canada


 

Annexe A

 

Les motifs d’opposition peuvent se résumer ainsi :

  1. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (Loi) en ce que les Services ne sont pas décrits conformément aux exigences prescrits à cet article;
  2. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 b) de la Loi en ce que la Requérante n’a pas employé la Marque en liaison avec les Services depuis le 1er janvier 2004, compte tenu que la Requérante n’a été constituée que le 5 janvier 2004;
  3. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 b) de la Loi en ce que la Requérante n’a pas employé la Marque en liaison avec les Services depuis le 1er janvier 2004, compte tenu que cette date est un jour férié;
  4. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 b) de la Loi en ce que la Requérante n’a pas employé la Marque en liaison avec les Services depuis le 1er janvier 2004, compte tenu qu’au fil des ans la Requérante offrait plutôt ses services sous des marques et/ou désignations différentes de la Marque, soit UBER PUBLICITÉ et/ou UBER COMMUNICATIONS;
  5. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 b) de la Loi en ce que la Requérante n’a pas employé la Marque en liaison avec tous et chacun des Services et ce depuis le 1er janvier 2004.
  6. La Marque n’est pas distinctive.

 

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