Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 214

Date de la décision : 2015-11-30

[TRADUCTION CERTIFIÉE,
NON RÉVISÉE]

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION

 

 

Navsun Holdings Ltd.

Opposante

 

et

 

Sadhu Singh Hamdard Trust

Requérante

 

 

 



 

1,487,122 pour la marque de commerce AJIT

 

Demande

Le dossier

[1]        Le 10 juin 2010, Sadhu Singh Hamdard Trust (située au Pendjab, en Inde) a produit une demande en vue de faire enregistrer la marque de commerce AJIT sur la base de l'emploi de la marque depuis au moins 1968 en liaison avec des [Traduction] « publications, journaux, magazines imprimés et électroniques » et l'exploitation d'un site Web. La demande a, par la suite, été modifiée et vise depuis uniquement les produits suivants :

publications et journaux imprimés.

[2]        La Section de l'examen de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC », dont relève également la présente Commission) s'est opposée à la demande, dans une lettre en date du 9 août 2010, au motif que la marque AJIT visée par la demande créait de la confusion avec quatre marques de commerce faisant l'objet de demandes d'enregistrement en instance, toutes inscrites au nom d'une même propriétaire. Les demandes d'enregistrement citées visaient les marques AJIT et AJIT WEEKLY pour emploi en liaison avec des journaux, entre autres produits. La requérante a répondu à la Section de l'examen dans une lettre en date du 18 mai 2012, dans laquelle elle a indiqué que les demandes d'enregistrement citées avaient fait l'objet d'un retrait volontaire. La requérante a également informé la Section de l'examen, comme l'exige l'art. 29a) du Règlement sur les marques de commerce, que le mot pendjabi AJIT signifie « unconquerable » [indomptable] ou « invincible » [invincible] en anglais.

[3]        La demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 1er août 2012, et Navsun Holdings Ltd., la propriétaire des marques susmentionnées citées par la Section de l'examen, s'y est opposée le 28 décembre 2012. Le 29 janvier 2013, le registraire a transmis à la requérante une copie de la déclaration d'opposition, comme l'exige l'art. 38(5) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13. En réponse, la Requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie l'ensemble des allégations contenues dans la déclaration d'opposition.

[4]        La preuve de l'opposante est constituée de l'affidavit de Kanwar Bains. La preuve de la requérante est constituée de l'affidavit de Narinder Pal Singh. M. Bains a été contre-interrogé relativement à son témoignage par affidavit. La transcription de son contre-interrogatoire et les pièces y afférentes font partie de la preuve au dossier. Les parties ont toutes deux produit un plaidoyer écrit, et toutes deux étaient représentées à l'audience qui a été tenue.

La déclaration d'opposition

[5]        Le premier motif d'opposition, fondé sur l'art. 30a) de la Loi sur les marques de commerce, porte que la requérante n'a pas commencé à employer sa marque AJIT au Canada en 1968 ainsi qu'il est indiqué dans la présente demande.

[6]        Le deuxième motif d'opposition, fondé sur l'art. 30i) de la Loi, porte que la requérante ne peut pas avoir déclaré qu'elle avait droit d'employer au Canada la marque AJIT visée par la demande compte tenu de l'emploi par l'Opposante de la même marque au Canada.

[7]        Le troisième motif d'opposition, fondé sur l'art. 16(1)a), porte que la requérante n'a pas droit à l'enregistrement de la marque AJIT visée par la demande compte tenu de l'emploi antérieur de la même marque par l'opposante et ses prédécesseurs en titre.

[8]        Le dernier motif d'opposition, fondé sur l'art. 2, porte que la marque AJIT visée par la demande n'est pas distinctive des publications et journaux imprimés de la requérante compte tenu de l'emploi par l'opposante de la même marque en liaison avec des journaux.

[9]        Avant d'examiner les questions soulevées dans la déclaration d'opposition, je passerai en revue la preuve des parties et préciserai en quoi consistent le fardeau de preuve de l'opposante et le fardeau ultime de la requérante.

La preuve de l'opposante - Kanwar Bains

Preuve par affidavit

[10]      M. Bains atteste qu'il est l'un des directeurs de la société de l'opposante. La preuve qu'il a produite peut être résumée comme il suit.

[11]      L'opposante, Navsun Holdings Ltd. (et ses prédécesseurs en titre et licenciés, collectivement appelés « Navsun »), publie au Canada un journal hebdomadaire gratuit intitulé Ajit Weekly depuis 1993. Comme pièce E, M. Bains a joint à son affidavit une copie d'une facture, en date du 29 octobre 1993, de Weller Publishing Company Limited concernant 6 000 exemplaires de « THE AJIT ». L'éditeur actuel est 6178235 Canada Inc.

[12]      Le journal Ajit Weekly a été lancé par M. Bains, son père (aujourd'hui décédé) et d'autres membres de sa famille. Le journal est imprimé en pendjabi et s'adresse à la communauté pendjabi du Canada. La marque nominale AJIT et des variantes d'une marque figurative AJIT (les « Marques Navsun ») ont toujours figuré sur la première page du journal et sur les boîtes à journaux de l'opposante. Il existe deux variantes de la marque figurative AJIT. Ces variantes, écrites en caractères pendjabi manuscrits légèrement différents sont reproduites ci-dessous (telles qu'elles figurent aux pièces J et C de l'affidavit de M. Bains) :

                                


pièce J                                                                          pièce C

[13]      Selon le témoignage de M. Bains en contre-interrogatoire, la première cartouche de titre (pièce J) a été employée jusqu'à la fin de 2009 et la seconde cartouche de titre est employée depuis.

[14]      Navsun Holdings Inc. (auparavant ANAMCI) autorise 6178235 Canada Inc. à employer les Marques Navsun sous licence depuis janvier 2004. Une copie du contrat de licence est jointe comme pièce G à l'affidavit de M. Bains. Selon la clause no 4 du contrat, l'opposante contrôle directement les caractéristiques et la qualité des produits et services fournis sous la marque AJIT et les marques figuratives connexes de l'opposante.

[15]      Aux termes de sa licence, Navsun a commencé à exploiter un site Web associé au nom de domaine ajitweekly.com en 1998 (le « site Web Navsun »). L'opposante publie des versions électroniques du journal Ajit Weekly sur le site Web Navsun, où elle propose également divers autres services d'information, de divertissement et de communications à la communauté pendjabi.

[16]      Depuis 2005, les licenciés de Navsun produisent des émissions radiophoniques en liaison avec les noms Ajit Broadcasting Cmporation [sic] et ABC Radio à partir du site Web de Navsun. Les émissions radiophoniques s'adressent aux communautés indienne, pakistanaise, antillaise et bangladaise du Canada. Une version plus récente du site Web de Navsun dans laquelle les marques de l'opposante sont employées est présentée sous la forme de captures d'écran datant de 2011, jointes comme pièce N. L'opposante surveille l'utilisation qui est faite de son site Web mensuellement; le nombre de visites mensuelles sur le site Web de l'opposante varie de 14 000 à 38 000.

[17]      Le Ajit Weekly est livré en paquets à divers endroits des régions métropolitaines de Toronto et de Vancouver. Il est généralement livré à des épiceries, des supermarchés, des restaurants, des lieux de culte et des kiosques à journaux. Il reste rarement des exemplaires de l'Ajit Weekly dans les boîtes à journaux à la fin de la semaine. L'Ajit Weekly est généralement offert dans des boîtes à journaux sur lesquelles les marques Navsun sont affichées bien en vue. Il n'est pas rare que l'Ajit Weekly soit offert à côté d'autres journaux ethniques.

[18]      Le tirage hebdomadaire du journal a augmenté au fil des ans. L'opposante imprime maintenant, chaque semaine, 11 000 exemplaires dans son atelier d'imprimerie de Vancouver et 13 000 exemplaires dans son atelier d'imprimerie de Toronto.

[19]      L'opposante tire la totalité de ses revenus de la vente d'espaces publicitaires dans son journal Ajit Weekly et sur son site Web. Parmi les entreprises qui, à différents moments, ont fait paraître des publicités dans le journal figurent Canadian Tire, la Banque Royale, TELUS, Western Union, Remax, Royal LePage, Pizza Pizza, Honda, Toyota, GM, et Volvo.

[20]      M. Bain affirme, sans expliquer pourquoi, qu'il est impossible que la requérante ait employé la marque visée par la demande au Canada en liaison avec ses journaux ou son site Web avant 1993, c'est-à-dire l'année où l'opposante a commencé à publier son journal Ajit Weekly au Canada.

Témoignage en contre-interrogatoire

[21]      Il ressort clairement de la transcription du contre-interrogatoire de M. Bains que ce dernier ne connaissait pas personnellement le prédécesseur en titre mentionné dans son affidavit et n'avait pas non plus une connaissance directe des contrats de licence également mentionnés dans son affidavit, puisque ces arrangements ont été pris par son défunt père.

[22]      M. Bains s'est néanmoins révélé être, pour l'essentiel, un témoin crédible en contre-interrogatoire. Il est toutefois devenu réticent lorsqu'il a été questionné sur sa connaissance personnelle du journal de la requérante et du groupe de consommateurs ciblé par ce dernier. Étant donné que le journal de la requérante est un important journal pendjabi en Inde, j'estime qu'il est probable que l'opposante le connaissait lorsqu'elle a adopté la marque AJIT au Canada. Il est probable également que les lecteurs de l'opposante au Canada savaient, et savent encore aujourd'hui, qu'un journal du même nom était publié en Inde. Cependant, comme nous le verrons plus loin, le fait que l'opposante et son lectorat connaissaient l'existence du journal de la requérante n'est pas nécessairement fatal à la présente opposition.

[23]      En contre-interrogatoire, certains échanges ont porté sur la question de savoir si le mot AJIT écrit en caractères pendjabi manuscrits qui figure dans les cartouches de titre des journaux de chacune des parties était identique dans les deux cartouches. Il est devenu évident, suite à certaines remarques formulées par l'avocat de la requérante, que les parties étaient également parties à un litige relatif à des questions de droit d'auteur concernant le mot AJIT écrit en caractères pendjabi manuscrits. Il va sans dire que ces questions de droit d'auteur ne sont pas pertinentes en l'espèce. Aux fins de la présente procédure, j'accepte le témoignage qu'a fourni M. Bains en contre-interrogatoire (à la p. 23, lignes 114 et 115) au sujet des marques « AJIT » des parties écrites en caractères pendjabi manuscrits :

[Traduction]
Elles sont semblables et elles ne le sont pas. . . Elles seraient semblables de la même façon que la police Arial et la police Times Roman sont semblables en anglais. Elles seraient donc à la fois semblables et différentes.

[24]      J'accepte également le témoignage en contre-interrogatoire de M. Bains (aux pp. 15 et 16) selon lequel les lecteurs du journal de l'opposante savent lire et écrire en anglais et en pendjabi, et que même si la partie anglaise de la cartouche de titre du journal est « AJIT WEEKLY », les lecteurs comprendraient que le nom du journal est AJIT.

[25]      La requérante n'a pas soulevé la question de savoir si l'emploi par l'opposante du terme AJIT à titre d'élément de sa cartouche de titre, reproduite au para. 12 ci-dessus, constitue un emploi de la marque AJIT en soi. Toutefois, vu la constitution particulière de la clientèle de l'opposante, j'aurais conclu que l'opposante employait la marque AJIT en soi : voir Cheung's Bakery Products Ltd. c. Saint Honore Cake Shop Limited, (2011) 93 CPR (4th) 438 (COMC); conf. (2013) 121 CPR (4th) 64 (CF); conf. (pour des raisons en partie différentes) 2015 CAF 12. À cet égard, la clientèle de l'opposante percevrait les caractères pendjabi manuscrits comme une marque de commerce et comprendraient que le terme anglais AJIT a la même fonction, c'est-à-dire qu'il sert également de marque de commerce. En tout état de cause, les parties semblent s'entendre sur le fait qu'elles emploient toutes deux le terme anglais AJIT à titre de marque de commerce et qu'elles emploient également toutes deux, comme marque de commerce, les caractères pendjabi manuscrits qui correspondent au terme « ajit ».

[26]      En contre-interrogatoire, l'avocat de la requérante a présenté, comme pièce A, une copie partielle de la première page du journal de la requérante, en date du 22 juillet 2005, montrant la cartouche de titre de la requérante qui est reproduite ci-dessous. On ne le remarque pas nécessairement d'emblée, mais l'expression « Daily Ajit, Jalandhar » figure dans le coin inférieur gauche.


[27]      L'avocat de la requérante a également présenté, comme pièce B, des copies de dossiers contenus dans le registre des marques de commerce indiquant que l'opposante avait annulé son enregistrement de la marque reproduite ci-dessous :

AJIT WEEKLY Design

Le logo qui figure ci-dessus a été enregistré le 3 mars 2005 et son enregistrement a été annulé le 10 juin 2010. M. Bains a témoigné que le logo ci-dessus a été employé par l'opposante de 1993 jusqu'à la fin de 2009. Bien sûr, M. Bains a également témoigné que le logo figurant à la pièce C de son affidavit (voir le para. 12, ci-dessus) a été employé pendant cette période. Sans doute, M. Bains est-il d'avis qu'une forme de ce logo constitue une variante autorisée de l'autre. Je dirais que je suis de cet avis également : voir Promafil Canada Ltée c. Munsingwear, Inc. (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF), pp. 71 et 72).

La preuve de la requérante - Narinder Pal Singh

[28]      M. Singh atteste qu'il est un employé de la requérante et le directeur de la distribution du journal AJIT à Jalandhar, en Inde. La marque AJIT a toujours été employée conjointement avec les caractères pendjabi manuscrits qui sont l'équivalent du mot AJIT; la cartouche de titre qui est reproduite au para. 26, ci-dessus, constitue un exemple de cet emploi.

[29]      Le journal est livré à des adresses canadiennes. Au para. 5 de son affidavit, M. Singh a indiqué le nombre d'abonnements au Canada pendant la période allant de 1990 à 2010 inclusivement. D'après mes calculs, il y a eu, en moyenne, 29 abonnés annuels pendant la période allant de 1990 à 1993 inclusivement; 13 abonnés annuels pendant la période allant de 1994 à 2001 inclusivement; et 6 abonnés annuels pendant la période allant de 2002 à 2010 inclusivement.

[30]      M. Singh s'appuie sur les dossiers de l'Audit Bureau of Circulation de l'Inde pour corroborer la revendication d'emploi de la requérante selon laquelle la marque visée par la demande est employée au Canada [Traduction] « depuis au moins 1968 ». Ces dossiers établissent qu'il y a eu quatre abonnements au Canada pendant la période allant de janvier à juin 1968.

Fardeau de preuve initial et fardeau ultime

[31]      Comme dans d'autres procédures civiles, i) l'opposante a le fardeau de preuve de corroborer les allégations contenues dans la déclaration d'opposition et ii) la requérante a le fardeau ultime d'établir le bien-fondé de sa cause.

[32]      S'agissant du point i) ci-dessus, conformément aux règles de preuve habituelles, l'opposante doit s'acquitter du fardeau de prouver les faits sur lesquels elle appuie les allégations qu'elle formule dans la déclaration d'opposition : voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited, 30 CPR (3d) 293, p. 298 (CF 1reinst). Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'opposante signifie que pour qu'une question donnée soit prise en considération, il doit exister une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question. S'agissant du point ii) ci-dessus, la requérante doit s'acquitter du fardeau ultime de démontrer, selon la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités, que sa demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce ainsi que l'allègue l'opposante dans sa déclaration d'opposition (mais uniquement à l'égard des allégations relativement auxquelles l'opposante s'est acquittée de son fardeau de preuve initial). Le fait que le fardeau ultime incombe à la requérante signifie que s’il est impossible d'arriver à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée à l’encontre de la requérante.

Évaluation des motifs d'opposition

Premier motif - non-conformité à l'art. 30a)

[33]      Le premier motif d'opposition porte que la requérante n'emploie pas sa marque au Canada depuis aussitôt que 1968. L'opposante n'a pas produit la moindre preuve à l'appui de cette allégation et il n'y a au dossier aucun élément de preuve que l'opposante pourrait invoquer pour corroborer cette allégation. Le premier motif est donc rejeté du fait que l'opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve de prouver que le premier motif méritait d'être pris en considération. En tout état de cause, j'accepte la preuve non contredite et non contestée de la requérante (voir le para. 30, ci-dessus) comme établissant la date de premier emploi revendiquée par la requérante.

Deuxième motif - non-conformité à l'art. 30i)

[34]      Le deuxième motif d'opposition est également rejeté. À cet égard, le fait qu'un requérant connaissait ou devait forcément connaître l'existence de la marque de commerce d'un opposant créant prétendument de la confusion ne constitue pas une circonstance exceptionnelle et ne peut servir de fondement à un motif d'opposition au titre de l'art. 30i) : voir Luxo Laboratories Limited c. Magistral Fabrication Inc, 2004 CanLii 71818; Woot Inc. c. WootRestaurants Inc. / Les Restaurants Woot Inc, 2012 COMC 197, para. 10 et 11. Pour qu'un motif d'opposition fondé sur l'art. 30i) soit valide, un opposant doit alléguer l'existence de circonstances exceptionnelles telles que la mauvaise foi ou la non-conformité à une loi fédérale : voir Les Abris Harnois Inc c. Prima Innovations Inc, 2012 COMC 27.

Troisième motif - absence de droit à l’enregistrement suivant l'art. 16(1))

[35] L'article pertinent de la Loi sur les marques de commerce est libellé comme suit :

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande . . . en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce . . . que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée . . . au Canada . . . a droit . . . d’en obtenir l’enregistrement . . . à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée . . . elle n’ait créé de la confusion :

 

a)  soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne; (je souligne)

[36]      En l'espèce, la requérante a établi que sa marque AJIT est employée au Canada depuis 1968, alors que l'opposante n'a commencé à employer sa marque AJIT au Canada qu'en 1993. Le troisième motif d'opposition est rejeté parce que l'opposante n'a pas établi l'emploi antérieur ou la révélation antérieure de sa marque AJIT.

Quatrième motif - absence de caractère distinctif

[37]      Le sens qu'il faut donner au terme « caractère distinctif » relativement à une marque de commerce est précisé dans la section Définitions et interprétation de la Loi sur les marques de commerce :

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

[38]      Les tribunaux reconnaissent que la raison d'être d'une marque de commerce est le message qu'elle envoie au public indiquant que les produits ou les services proviennent d'une source unique. Si une marque de commerce ne peut véhiculer cette idée de source unique, elle n'est pas enregistrable et, en fait, elle ne constitue pas une marque de commerce.

[39]      Il est généralement admis que la date pertinente pour l'appréciation du caractère distinctif est la date de production de la déclaration d'opposition : voir Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF), p. 324. Par conséquent, en l'espèce, l'opposante a le fardeau de preuve d'établir que la marque AJIT visée par la demande était distinctive à la date pertinente du 28 décembre 2012. La preuve produite M. Bain confirmant que l'opposante emploie la marque AJIT depuis 1993 permet à l'opposante de s'acquitter de son fardeau de preuve.

[40]      La question du caractère distinctif d'une marque a été examinée par la présente Commission, et par la Cour, à de nombreuses occasions. En particulier, dans Bojangles' International LLC c. Bojangles Café Ltd. (2004) 40 CPR (4th) 553, la présente Commission s'est penchée sur la question de savoir où placer la barre lorsqu'il s'agit de déterminer si le caractère distinctif d'une marque est suffisant pour annuler le caractère distinctif d'une autre marque.

[Traduction]
Spanada [Re Andres Wines Ltd. and E. & J. Gallo Winery (1975) 25 CPR (2d) 126 (CAF), infirmant (1974) 14 CPR (2d) 204 (CF 1re inst.), confirmant (1973) 9 CPR (2d) 154 (COMC)] et Motel 6 [Motel 6 , Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981) 56 CPR (2d) 44 (CF 1re inst.)] . . . sont les arrêts de principe en ce qui concerne la mesure dans laquelle une marque doit être connue pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque. La norme fixée dans ces arrêts est que la marque de l’opposante doit être bien connue dans au moins une partie du Canada, ou connue d’un grand nombre.

[41]      Or, en appel devant la Cour fédérale ((2006) 48 CPR (4th) 427), le juge Noël a souligné que la Commission avait appliqué une norme erronée et a replacé la barre en s'exprimant dans les termes suivants :

[Traduction]
Une marque doit être connue au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif établi d’une autre marque, et sa réputation au Canada devrait être importante, significative ou suffisante

[42]      En l'espèce, il ressort clairement de la preuve de M. Bains que, à la date pertinente du 28 décembre 2012, la marque AJIT de l'opposante avait acquis au Canada une réputation significative au sein de la population cible à laquelle s'adresse son journal. Il ressort tout aussi clairement de la preuve de M. Singh (six abonnés pendant la période allant de 2002 à 2010) que, à la date du 28 décembre 2012, la marque de la requérante avait acquis, au mieux, une réputation minime au sein de la même population cible. Par conséquent, j'estime que la marque AJIT de l'opposante était suffisamment connue à la date pertinente pour faire perdre à la marque visée par la demande son caractère distinctif. En d'autres termes, à la date pertinente, la population cible lisant le journal AJIT canadien aurait su que la source de ce journal est un éditeur canadien, et non la requérante. En conséquence, le quatrième motif d'opposition de l'opposante est accueilli.

Jurisprudence connexe

[43]      Dans l'affaire Sadhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd 2014 CF 1139, sur laquelle s'est récemment prononcée la Cour fédérale, la demanderesse Sadhu (la requérante en l'espèce) accusait Navsun Holdings (l'opposante en l'espèce) de violation de droit d'auteur, de commercialisation trompeuse et de fausses déclarations relativement à la publication de Sadhu, l'Ajit Weekly. Aucune des demandes de Sadhu n'a été accueillie. Cette affaire se distingue évidemment de la présente opposition à plusieurs égards et, en particulier, par le fait que la marque en cause dans cette affaire était AJIT écrit en caractères pendjabi manuscrits et non le terme anglais AJIT. Néanmoins, je souligne que la Cour a tiré des conclusions de fait, reproduites ci-dessous, comparables aux conclusions de fait que j'ai moi-même tirées dans la présente opposition, mais à la lumière d'une preuve différente :

[Traduction]
[83]   La demanderesse a soutenu que la marque était [Traduction] « célèbre » parmi les membres du public parlant le pendjabi. À l’audience, la demanderesse a soutenu que ce n’était [Traduction] « pas contesté – il s’agit d’une institution célèbre ». La demanderesse a fait valoir que la preuve révélant le grand tirage du journal dans le Pendjab et sa disponibilité sur Internet démontrait bien que tout le monde connaissait son existence. Selon la preuve de la demanderesse, chaque famille pendjabi dans le monde connaît le Ajit Daily – d’ailleurs, la famille même des défenderesses lit le Ajit Daily en Inde.

 

[84]   La preuve de la demanderesse ne parvient pas à établir la réputation dans la région géographique des défenderesses. On ne m’a présenté aucune preuve par sondage ni aucune autre preuve fiable indépendante me permettant de conclure que le Ajit Daily disposait d’un achalandage commercial au Canada ou y était célèbre – le seul élément de preuve produit fait état de sept abonnés au Canada en 2010. . . (je souligne)

Décision

[44]      Le quatrième motif d'opposition de l'opposante étant accueilli, la présente demande d'enregistrement est repoussée. Cette décision a été rendue dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

______________________________

Myer Herzig, membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Judith Lemire, trad.

Date de l’audience : 2015-08-15

 

Comparutions

 

Tamara Ramsey                                                                       Pour l'Opposante

 

David Allsebrook                                                                    Pour la Requérante

 

Agents au dossier

 

Chitiz Pathak LLP                                                                   Pour l'Opposante

 

Ludlowlaw                                                                              Pour la Requérante

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