Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 203

Date de la décision : 2015-11-16

[TRADUCTION CERTIFIÉE,
NON RÉVISÉE]

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION

 

 

Bayer Aktiengesellschaft

Opposante

et

 

Applied Medical Research

Requérante

 

 

 



 

1,587,383 pour la marque de commerce FASPRIN

 

Demande

Aperçu

[1]               La Requérante est une société de recherche médicale située à Austin, au Texas. Elle a produit une demande d'enregistrement pour la marque de commerce FASPRIN (la Marque) fondée sur l'emploi projeté au Canada en liaison avec des compositions pharmaceutiques contenant des AINS, comme de l'acide acétylsalicylique (AAS) et d'autres agents anti-inflammatoires sous forme de poudre, de comprimés ou de comprimés à dissolution rapide. Au Canada, ASPIRIN est une marque de commerce déposée pour de l'AAS depuis 1899.

[2]               L'Opposante et Bayer Inc. (Bayer Canada) font partie du Groupe de sociétés Bayer, une société mondiale ayant des compétences fondamentales dans les secteurs des soins de santé, de l'agriculture et des matériaux de haute technologie. L'Opposante est propriétaire de la marque de commerce déposée ASPIRIN (enregistrement no LMCDF06889) au Canada, et Bayer Canada est autorisée aux termes d'une licence à employer cette marque au Canada. L'Opposante s'oppose à la demande de la Requérante principalement au motif que la Marque crée de la confusion avec la marque déposée de l'Opposante, qui est employée au Canada depuis plus d'un siècle.

[3]               Pour les raisons exposées ci-après, l'opposition est accueillie.

Contexte

[4]               La Requérante a produit la demande no 1,587,383 relative à la Marque le 24 juillet 2012. Comme je l'ai déjà souligné, la demande est fondée sur l'emploi projeté au Canada en liaison avec des compositions pharmaceutiques contenant des AINS, comme de l'AAS et d'autres agents anti-inflammatoires sous forme de poudre, de comprimés ou de comprimés à dissolution rapide.

[5]               La demande relative à la Marque a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 4 décembre 2013 et, le 9 janvier 2014, l'Opposante s'y est opposée en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 (la Loi). Les motifs d'opposition invoqués sont fondés sur les articles 30i), 12(1)d), 16(3)a) et 2 (caractère distinctif) de la Loi.

[6]               La Requérante a produit une contre-déclaration le 26 février 2014 dans laquelle elle nie les allégations énoncées dans la déclaration d'opposition.

[7]               Comme preuve au soutien de son opposition, l'Opposante a produit les affidavits de Sheila McGurn, souscrit le 4 juillet 2014, et de Joan E. Brehl Steele, souscrit le 8 juillet 2014. Aucune de ces déposantes n'a été contre-interrogée.

[8]               Comme preuve au soutien de sa demande, la Requérante a produit les affidavits d'Edward J. Petrus et de Gerard Drover. Aucun de ces déposants n'a été contre-interrogé.

[9]               Les parties ont toutes deux produit un plaidoyer écrit. Une audience a été tenue et les parties y étaient toutes deux présentes.

Questions préliminaires

Plaidoyer écrit supplémentaire

[10]           Dix jours avant la tenue de l'audience, la Requérante a tenté de produire un plaidoyer écrit supplémentaire par la voie d'une lettre datée du 18 septembre 2015.

[11]           En vertu de l'article 46(2) du Règlement sur les marques de commerce (DORS/96-195), un plaidoyer écrit ne peut être produit après la date limite de production d'un plaidoyer écrit, sauf avec la permission du registraire. La Requérante en l'espèce n'a pas demandé la permission de produire ce plaidoyer écrit supplémentaire. Je conclus par conséquent que le plaidoyer écrit supplémentaire daté du 18 septembre 2015 ne sera pas considéré comme faisant partie du dossier dans la présente procédure. 

Preuve ne figurant pas au dossier

[12]           À l'audience, la Requérante a fait mention d'une preuve qui ne figure pas au dossier. Ces arguments, fondés sur des faits qui ne figurent pas au dossier, n'ont pas été pris en compte.

Fardeau de preuve

[13]           À l'audience, la Requérante a soutenu que le fardeau de preuve d'établir la probabilité de confusion entre les marques incombait à l'Opposante. Ce n'est pas le cas en droit canadien.

[14]           Sous le régime du droit canadien, la Requérante a le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux diverses exigences de la Loi (p. ex. enregistrabilité, droit à l'enregistrement et caractère distinctif). L'Opposante a l'unique fardeau de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de chacun des motifs d'opposition invoqués [John Labatt Limited c Molson Companies Limited (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst.), à la p. 298].

Analyse

Article 30i)

[15]           L'Opposante allègue que la demande relative à la Marque n'est pas conforme à l'article 30i) de la Loi, du fait que la Requérante ne pouvait pas être convaincue d'avoir droit d'employer la Marque, compte tenu de l'emploi et de l'enregistrement antérieurs par l'Opposante de sa marque de commerce ASPIRIN.

[16]           L'article 30i) de la Loi exige simplement que tout requérant se déclare convaincu d'avoir droit à l'enregistrement de sa marque de commerce dans sa demande. Lorsque le requérant a fourni la déclaration exigée, un motif d'opposition fondé sur l'article 30i) ne devrait être accueilli que dans des cas exceptionnels, comme lorsqu'il existe une preuve que le requérant est de mauvaise foi [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), à la p. 155]. La simple connaissance de l'existence de la marque de commerce d'un opposant n'appuie pas en soi une allégation qu'un requérant ne pouvait pas pu être convaincu de son droit à l'emploi de la marque de commerce [voir Woot, Inc c WootRestaurants Inc Les Restaurants Woot Inc 2012 COMC 197 (CanLII)].

[17]           En l'espèce, la Requérante a fourni la déclaration requise et l'Opposante n'a pas démontré qu'il s'agissait d'un cas exceptionnel. En conséquence, le motif fondé sur l'article 30i) est rejeté.

Non-enregistrabilité – article 12(1)d)

[18]           L'Opposante allègue que la Marque n'est pas enregistrable parce qu'elle crée de la confusion avec sa marque de commerce ASPIRIN (enregistrement no LMCDF06889).

[19]           La date pertinente pour l'examen du motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)d) est la date de ma décision [Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd et le Registraire des marques de commerce (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)].

[20]           J'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de consulter le registre et je confirme que l'enregistrement de l'Opposante est en vigueur [Quaker Oats Co of Canada c Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d) 410 (COMC)]. L'Opposante s'est donc acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait à l'égard de ce motif. Comme l'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait, la Requérante doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce ASPIRIN de l'Opposante.

[21]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. L'article 6(2) de la Loi porte que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[22]           Lorsqu'il applique le test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles expressément énoncées à l'article 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Le poids qu'il convient d'accorder à chacun de ces facteurs n'est pas nécessairement le même [Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc (2006), 49 CPR (4th) 321 (CSC) et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc (2011), 92 CPR (4th) 361 (CSC)].

Article 6(5)a) – le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[23]           Les marques de commerce des parties sont toutes deux formées d'un mot inventé et possèdent un caractère distinctif inhérent équivalent.

[24]           Le caractère distinctif d'une marque de commerce peut être accru par la promotion ou l'emploi, ce qu'on appelle le caractère distinctif acquis de la marque.

[25]           La preuve produite par l'Opposante à propos du caractère distinctif acquis de sa marque peut être résumée comme suit :

         La marque d'AAS ASPIRIN a été conçue en Allemagne à la fin du XIXe siècle. Suivant la conclusion d'essais cliniques fructueux en 1899, Bayer a commencé à distribuer la marque d'AAS ASPIRIN aux médecins. En 1915, la marque d'AAS ASPIRIN était offerte « en vente libre », sans ordonnance (affidavit de Mme McGurn, para. 6);

         Au Canada, les produits d'AAS de marque ASPIRIN sont emballés dans des contenants qui sont à leur tour vendus au public dans des cartons. La marque de commerce ASPIRIN figure bien en vue sur tous les contenants, cartons et emballages. L'emballage indique qu'ASPIRIN est une marque d'AAS, qu'il s'agit d'une marque de commerce déposée appartenant à l'Opposante et qu'elle est employée sous licence (affidavit de Mme McGurn, para. 17);

         Les ventes annuelles des produits d'AAS de marque ASPIRIN au Canada entre 2007 et 2013 étaient d'environ 31 millions de dollars (affidavit de Mme McGurn, para. 23);

         De 1987 à 1997 environ, les dépenses de publicité et de promotion de la marque d'AAS ASPIRIN ont dépassé les 100 millions de dollars; de 2008 à 2013, l'investissement approximatif dans la publicité et la promotion au Canada s'élevait à entre 3 000 000 $ et 6 000 000 $ par année (affidavit de Mme McGurn, para. 29);

         Les efforts de publicité, de commercialisation et de promotion à l'appui des produits d'AAS de marque ASPIRIN comprennent la publicité imprimée, la publicité télévisée, la promotion au point de vente et la promotion multimédia en ligne (affidavit de Mme McGurn, para. 30); et

         La marque de commerce ASPIRIN a été présentée dans le matériel publicitaire et promotionnel et dans le matériel de commercialisation destinés aux médecins, aux pharmaciens et aux consommateurs au Canada de 1930 à 2010 (affidavit de Mme McGurn, para. 33-39; affidavit de Mme McGurn, pièces 13-42); une grande partie du matériel dans lequel les publicités ont paru a été largement diffusée dans tout le Canada (affidavit de Mme Brehl Steele, para. 5, 7, 9, 11, 13, 15 et 17).

[26]           À la lumière de la preuve de l'Opposante, j'estime que la marque de l'Opposante est devenue connue dans une mesure significative dans tout le Canada.

[27]           La demande relative à la Marque, en revanche, est fondée sur un emploi projeté au Canada. L'affidavit de M. Petrus fournit des renseignements à propos du genre de produits de la Requérante et comporte des photographies de produits arborant la Marque. Si M. Petrus affirme que la Marque est accessible sur le marché aux États-Unis et dans d'autres pays depuis 2007, son affidavit ne dit rien quant à la question de savoir si la Requérante a en réalité offert en vente ou vendu des produits arborant la Marque au Canada. Ainsi, je ne suis pas en mesure de conclure qu'il y a eu emploi de la Marque au Canada au sens de l'article 4 de la Loi.

[28]           M. Petrus n'indique pas non plus si les produits de la Requérante ont été annoncés ou publicisés en liaison avec la Marque.

[29]           Compte tenu de ce qui précède, j'estime que, dans l'ensemble, ce facteur favorise l'Opposante.

Article 6(5)b) – la période pendant laquelle chaque marque a été en usage

[30]           Compte tenu de la preuve produite par l'Opposante, et étant donné que la Requérante n'a produit aucune preuve indiquant que la Marque a été employée au Canada, j'estime que ce facteur favorise l'Opposante.

Articles 6(5)c) et 6(5)d) – le genre de produits, services ou entreprises; la nature du commerce

[31]           S'agissant des facteurs énoncés aux articles 6(5)c) et d) de la Loi, l'appréciation de la probabilité de confusion aux termes de l'article 12(1)d) de la Loi repose sur la comparaison de l'état déclaratif des produits qui figure dans la demande relative à la Marque avec l'état déclaratif des produits qui figure dans l'enregistrement de l'Opposante [Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c Super Dragon Import Export Inc (1986), 12 CPR (3d) 110 (CAF) et Mr Submarine Ltd c Amandista Investments Ltd (1987), 19 CPR (3d) 3 (CAF)].

[32]           La demande relative à la Marque vise des compositions pharmaceutiques contenant des AINS, comme de l'AAS et d'autres agents anti-inflammatoires sous forme de poudre, de comprimés ou de comprimés à dissolution rapide, tandis que l'enregistrement de l'Opposante vise des comprimés d'AAS. Les produits des parties sont par conséquent effectivement les mêmes. La seule différence est que le produit de la Requérante prend la forme d'un comprimé à dissolution rapide.

[33]           Compte tenu que les produits des parties sont essentiellement les mêmes, en l'absence de preuve du contraire, j'estime raisonnable de conclure que les voies de commercialisation des parties se recouperaient.

Article 6(5)e) – le degré de ressemblance entre les marques de commerce

[34]           Dans l'affaire Masterpiece, la Cour suprême du Canada a fait observer que, même si le premier mot est souvent l'élément le plus important pour établir le caractère distinctif d'une marque de commerce [Conde Nast Publications Inc c Union des éditions modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CF 1re inst.)], il est préférable, lorsqu'il s'agit de comparer des marques entre elles, de se demander d'abord si l'un des aspects de la marque de commerce est particulièrement frappant ou unique.

[35]           En l'espèce, il existe un degré de ressemblance élevé entre les marques dans leur ensemble, dans la présentation et dans le son. À cet égard, la Requérante a, pour l'essentiel, adopté la marque de l'Opposante dans son intégralité et a simplement ajouté la lettre F au début de cette marque et a retiré un I muet.

[36]           Les idées suggérées par les marques sont également semblables. Le mot « aspirin » (aspirine) figure dans le Canadian Oxford Dictionary comme une marque exclusive d'un [Traduction] « acide acétylsalicylique blanc en poudre, employé pour soulager la douleur et réduire la fièvre », tandis que la Marque évoque une forme à action rapide et à dissolution rapide du même produit (c.-à-d. l'AAS).

Circonstance de l'espèce

Le terme ASPIRIN est-il reconnu comme un terme générique pour l'AAS?

[37]           Comme autre circonstance de l'espèce, j'ai tenu compte de la prétention de la Requérante selon laquelle le terme ASPIRIN est reconnu comme un terme générique pour l'AAS. Dans son plaidoyer écrit initial, la Requérante affirme que les affidavits de M. Petrus et de M. Drover étayent cette allégation.

[38]           Je soulignerai en premier lieu que la validité de l'enregistrement de l'Opposante n'est pas en cause dans la présente procédure d'opposition. En réalité, la Cour suprême du Canada a déjà conclu à la validité de l'enregistrement de l'Opposante en 1924 [voir The Bayer Co c American Druggist Syndicate 1924 RCS 558]. Si la Requérante prétend que la marque déposée de l'Opposante n'est plus distinctive des produits visés par l'enregistrement de l'Opposante, comme l'a mentionné le juge Cattanach dans l'affaire Sunshine Biscuits, Inc c Corporate Foods Ltd (1982), 61 CPR (2d) 53 (CF 1re inst.), p. 61, [Traduction] « le recours d'un requérant en pareil cas consiste à cherche à faire radier l'enregistrement de la partie adverse ».

[39]           Je résumerai maintenant la preuve de M. Petrus et de M. Drover.

[40]           M. Petrus atteste qu'il est le président de la Requérante. Il affirme que la marque de commerce FASPRIN a été enregistrée aux États-Unis le 23 mai 2006 et que FASPRIN est accessible sur le marché aux États-Unis et dans d'autres pays depuis 2007. Il explique qu'aux États-Unis, le mot « aspirin » (aspirine) est un mot générique ou descriptif pour l'AAS et que l'Office des brevets et des marques de commerce des États-Unis (USPTO) a établi que FASPRIN se distinguait de ce mot.

[41]           Comme l'a souligné l'agent de l'Opposante, M. Petrus n'a fourni aucune preuve indiquant que l'USPTO a conclu que la marque FASPRIN se distinguait de la marque ASPIRIN. Même s'il l'avait fait, on ne peut guère tirer de conclusion du fait que des marques de commerce coexistent dans d'autres pays, comme il peut exister des facteurs qui justifient leur coexistence dans le registre ou sur le marché à l'étranger qui n'existent pas au Canada (p. ex. des différences dans la loi ou un état du registre différent). La décision du registraire doit reposer sur les normes canadiennes, compte tenu de la situation au Canada [voir Quantum Instruments, Inc c Elinca SA (1995), 60 CPR (3d) 264 (COMC); Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co (2005), 2005 CF 707 (CanLII) 41 CPR (4th) 8 (CF), citant à l'appui Re Haw Par Brothers International Ltd c le Registraire des marques de commerce (1979), 48 CPR (2d) 65 (CF 1re inst.) et Sun-Maid Growers of California c Williams & Humbert Ltd (1981), 54 CPR (2d) 41 (CF 1re inst.)].

[42]           En l'espèce, nous ne disposons d'aucun élément de preuve quant au marché pertinent aux États-Unis ou au droit régissant l'enregistrement de la marque de commerce de la Requérante aux États-Unis. J'estime par conséquent que l'enregistrement américain de la Requérante n'est d'aucune utilité pour la Requérante en l'espèce [voir aussi Pitman-Moore Ltd c Cyanamid of Canada Ltd (1977), 38 CPR (2d) 140 (COMC)]. Comme l'a souligné la Cour fédérale dans la décision Sun-Maid Growers of California c William & Humbert Ltd, précitée, [Traduction] « …un enregistrement dans un pays étranger peut indiquer un caractère distinctif dans ce pays mais n'a rien à voir avec la question du caractère distinctif au Canada ».

[43]           M. Drover est le président de S & Op Consulting Services Inc. Avant d'exploiter sa propre firme de consultants, il était vice-président du Service des marques maison de Pharmascience Canada. Le poste qu'il y occupait comprenait les ventes, la commercialisation et la distribution de divers produits de marque maison dans tout le Canada, dont l'AAS à faible dose de 81 mg. Les parties les plus pertinentes de son affidavit peuvent être résumées comme suit :

-          d'après les renseignements qu'il a reçus de diverses chaînes de pharmacies de détail, les marques maison des produits d'AAS à faible dose de 81 mg représentent environ 65 à 85 % du marché de l'AAS dans diverses chaînes de pharmacies de détail (para. 5);

-          lorsqu'il a demandé à un employé d'une pharmacie de lui fournir les différents comprimés d'aspirine qui étaient offerts, on lui a fourni trois produits différents qu'il a décrit comme de [Traduction] « l'aspirine », dont l'AAS Life Brand 81 mg, Entrophen 81 mg et Bayer Aspirin 81 mg (para. 6 et 7);

-          la plus grande partie de l'espace d'étalage accordé au groupe de produits de 81 mg était occupée par le produit d'AAS de marque maison Life Brand 81 mg; et

-          selon lui, en raison de la prolifération des marques maison et de la publicité massive de ces marques par les détaillants dans tout le Canada, l'AAS est maintenant considéré comme le produit de référence pour la dose de 81 mg au Canada anglais et la dose de 80 mg dans la province du Québec.

[44]           Comme l'a souligné l'agent de l'Opposante, la preuve de M. Drover présente plusieurs lacunes.

[45]           En premier lieu, la preuve de M. Drover obtenue auprès de diverses chaînes de pharmacies de détail portant que la pénétration des marques maison de produits d'AAS à faible dose de 81 mg représente de 65 à 80 % du marché de l'AAS constitue du ouï-dire. Il a été établi dans l'affaire Labatt Brewing Co c Molson Breweries, A Partnership (1996), 68 CPR (3d) 216 (CF 1re inst.) que les déclarations faites dans un affidavit qui sont fondées sur des renseignements et des opinions constituent à première vue une preuve par ouï-dire inadmissible, sauf si elles satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité. Comme la Requérante n'a pas expliqué comment cette preuve satisfait aux critères de nécessité et de fiabilité, je ne suis disposée à lui accorder qu'une importance réduite.

[46]           L'Opposante s'est également opposée à la preuve de M. Drover quant à sa visite dans une pharmacie non identifiée pour demander à un pharmacien non identifié de lui fournir les différents comprimés [Traduction] « d'aspirine » qui étaient offerts dans ce point de vente au détail. En plus de ne pas dire dans quelle pharmacie M. Drover s'est rendu ou à qui il a parlé, la Requérante n'explique pas en quoi cette preuve est fiable ou pourquoi elle était nécessaire (c.-à-d. pourquoi le pharmacien n'aurait pas pu souscrire son propre affidavit). Je n'ai par conséquent également accordé qu'une importance réduite à cette preuve.

[47]           Enfin, il n'a pas été établi que M. Drover est un expert des ventes et de la commercialisation des produits pharmaceutiques et, par conséquent, il n'a pas les qualifications requises pour donner une opinion selon laquelle le consommateur anglophone ou francophone moyen des produits appellerait le produit de l'Opposante de l'AAS plutôt que par sa marque de commerce. Je ne suis par conséquent pas disposée à accorder quelque importance à cette déclaration de M. Drover, parce qu'elle constitue un témoignage d'opinion inadmissible.

[48]           Compte tenu de ce qui précède, j'estime que les éléments de preuve de la Requérante ne constituent pas une circonstance pertinente en l'espèce étayant les prétentions de la Requérante.

Absence de preuve de confusion réelle

[49]           Comme autre circonstance de l'espèce, la Requérante soutient qu'une conclusion défavorable doit être tirée du fait que l'Opposante n'a pas été en mesure de démontrer des cas de confusion réelle entre les marques. J'attire l'attention de la Requérante sur l'extrait suivant de la Cour fédérale dans la décision Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA (2002), 2002 CAF 29 (CanLii) 2002 CAF 29 (CanLII), 20 CPR (4th) 155, p. 164, para. 19 (CAF) :

[Traduction]
En ce qui concerne l'insuffisance des éléments de preuve présentés par l'opposante au sujet de cas concrets de confusion, le registraire s'est dit d'avis qu'un opposant n'a pas à produire ce genre de preuve. C'est vrai en théorie, mais lorsque le requérant a présenté certains éléments de preuve qui pourraient permettre de conclure à l'absence de risque de confusion, l'opposant court un grand danger si, se fiant à la charge de la preuve imposée au requérant, il présume qu'il n'a pas à produire de preuves au sujet de la confusion. Bien que la question à laquelle il faut répondre soit celle de savoir s'il existe un « risque de confusion » et non une « confusion effective » ou « des cas concrets de confusion », l'absence de « confusion effective » est un facteur auquel les tribunaux accordent de l'importance lorsqu'ils se prononcent sur le « risque de confusion ». Une inférence négative peut être tirée lorsque la preuve démontre que l'utilisation simultanée des deux marques est significative et que l'opposant n'a soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer l'existence d'une confusion [voir l'arrêt Pink Panther, précité au para. 10, au paragraphe 36; Petit Bateau Valton SA c Boutiques Le Bateau Blanc Inc (1994), 55 CPR (3d) 372 (CF 1re inst.); Bally Schuhfabriken AG/Bally's Shoe Factories Ltd c Big Blue Jeans Ltd/Ltée (1992), 41 CPR (3d) 205 (CF 1re inst.); Monsport Inc c Vêtements de Sport Bonnie (1978) Ltée (1988), 22 C.P.R. (3d) 356 (CF 1re inst.)].

[50]           En l'espèce, la Requérante n'a produit aucune preuve d'emploi de sa Marque au Canada. J'estime que ce fait à lui seul est suffisant pour expliquer pourquoi il y a absence de preuve de cas de confusion réelle. Je n'ai par conséquent pas tiré de conclusion défavorable à la thèse de l'Opposante compte tenu de l'absence de preuve de confusion réelle au Canada.

Conclusion

[51]           Après examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, j'estime que la Requérante ne s'est pas acquittée du fardeau ultime qui lui incombait. L'Opposante emploie sa marque et en fait la promotion dans une large mesure au Canada depuis plus d'un siècle. La Marque de la Requérante ressemble beaucoup à la marque de l'Opposante. La Requérante n'a pas démontré une quelconque notoriété de sa Marque, mais projette de l'employer en liaison avec les mêmes produits que ceux de l'Opposante et dans un secteur dans lequel la marque de l'Opposante est établie. La question qui se pose est celle de savoir si un consommateur qui n'a qu'un souvenir général et imprécis de la marque de l'Opposante sera porté à croire, à la vue de la Marque de la Requérante, que les produits proviennent de la même source. J'estime qu'il le serait. Je conclus par conséquent que la confusion quant à la source est raisonnablement probable.

[52]           En conséquence, le motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)d) est accueilli.

Absence de droit à l'enregistrement – article 16(3)a)

[53]           L'Opposante allègue que la Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la Marque parce que, à la date de production de la demande relative à la Marque, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce ASPIRIN de l'Opposante, qui avait été employée antérieurement au Canada par l'Opposante en liaison avec des produits d'AAS.

[54]           L'Opposante doit s'acquitter du fardeau initial à l'égard de ce motif d'opposition d'établir : i) l'emploi de sa marque de commerce à la date de production de la demande relative à la Marque; et ii) le non-abandon de sa marque de commerce à la date de l'annonce de la demande relative à la Marque. L'Opposante s'est acquittée de son fardeau de preuve initial, comme sa preuve démontre que sa marque avait été employée à la date de production de la demande relative à la Marque et qu'elle n'avait pas été abandonnée à la date de l'annonce de la demande relative à la Marque.

[55]           Dans les circonstances de l'espèce, la date à laquelle la question de la confusion est tranchée n'est pas déterminante. Par conséquent, je tire la même conclusion à l'égard du motif fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement que pour le motif fondé sur l'article 12(1)d).

Absence de caractère distinctif – article 2

[56]           L'Opposante allègue que la Marque n'est pas distinctive des produits de la Requérante, parce qu'elle n'est pas adaptée à les distinguer de ceux de l'Opposante qui sont offerts par l'Opposante en liaison avec sa marque de commerce ASPIRIN.

[57]           La date pertinente pour évaluer la probabilité de confusion en lien avec ce motif d'opposition est la date de production de la déclaration d'opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc (2004), 2004 CF 1185 (CanLII), 34 CPR (4th) 317 (CF)]. L'Opposante s'est acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait, comme sa preuve démontre que sa marque avait acquis une notoriété à ce moment au Canada qui était suffisante pour avoir une incidence sur le caractère distinctif de la Marque de la Requérante [voir Bojangles' International LLC c Bojangles Café Ltd (2006), 2006 CF 657 (CanLII), 48 CPR (4th) 427 (CF)].

[58]           Dans les circonstances de l'espèce, la date à laquelle la question de la confusion est tranchée n'est pas déterminante. Par conséquent, je tire la même conclusion à l'égard du motif fondé sur l'absence de caractère distinctif que pour le motif fondé sur l'article 12(1)d).

Décision

[59]           Compte tenu de ce qui précède, dans l'exercice des pouvoirs qui me sont délégués en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 38(8) de la Loi.

______________________________

Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

Traduction certifiée conforme

Marie-Pierre Hétu, trad.

Date de l'audience : 2015-09-28

 

Comparutions

 

Jane Steinberg                                                                          Pour l'Opposante

 

Edward Petrus                                                                         Pour la Requérante

 

Agents au dossier

 

Gowlings                                                                                 Pour l'Opposante

 

Aucun agent nommé                                                                Pour la Requérante

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