Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                    THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2013 COMC 79

Date de la décision : 2013-05-07
TRADUCTION

 

 

DANS L’AFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Runway Beauty, Inc. à l’encontre de la demande no 1,453,764 pour la marque de commerce RUNWAYMAGAZINE.CA au nom de Errol Hernandez

 

[1]               Runway Beauty, Inc. (l’Opposante) s’est opposée à l’enregistrement de la marque de commerce RUNWAYMAGAZINE.CA (la Marque) visée par la demande no 1,453,764 produite par Errol Hernandez (le Requérant).

[2]               La demande a été produite le 30 septembre 2009 et est fondée sur l’emploi de la Marque au Canada depuis le 26 mars 2009, en liaison avec les services suivants :

Exploitation d'un site Web (service), nommément collecte et diffusion de texte, de sons, d'images et d'information vidéo, dans le domaine de la mode. (les Services)

[3]               L’Opposante allègue que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), et que le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque aux termes des alinéas 16(1)a) et c) de la Loi, car la Marque crée de la confusion avec la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante et le nom commercial Runway Beauty, Inc. de l’Opposante, que l’Opposante a antérieurement employés et/ou révélés au Canada en liaison avec, entre autres choses, des publications imprimées et électroniques, nommément des magazines. L’Opposante allègue également que la demande d’enregistrement de la Marque n’est pas conforme aux exigences de l’article 30 de la Loi pour diverses raisons, l’une d’elles étant que le Requérant n’a pas employé la Marque en liaison avec les Services depuis la date de premier emploi revendiquée dans sa demande.

[4]               J’estime que les deux questions déterminantes en l’espèce sont les suivantes :

                               I.      le Requérant a-t-il employé la Marque en liaison avec les Services depuis la date de premier emploi revendiqué dans sa demande;

                            II.      la Marque crée-t-elle de la confusion avec la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante.

[5]               Pour les raisons exposées ci-dessous, j’estime que la réponse à la question no I est « non » et que la réponse à la question no II est « oui ».

Le dossier

[6]               L’Opposante a produit sa déclaration d’opposition le 10 décembre 2010. Le Requérant, qui s’est représenté lui-même pendant toute la durée de la présente procédure, a produit sa contre-déclaration le 28 février 2011. Je souligne que le Requérant a inclus, à tort, des arguments et des éléments de preuve dans sa contre-déclaration. Je souligne, en outre, que le Requérant a produit la majeure partie, si ce n’est la totalité, de sa correspondance et des documents procéduraux en plusieurs copies. Par souci de commodité, je mentionnerai uniquement les pièces des documents procéduraux produits par le Requérant qui sont nécessaires à mon analyse.

[7]               À titre de preuve, l’Opposante a produit l’affidavit de Vincent Mazzotta, président et directeur général de l’Opposante, souscrit le 25 juillet 2011, tandis que le Requérant a produit son propre affidavit, qu’il a souscrit le 24 novembre 2011.

[8]               Aucun contre-interrogatoire n’a été mené. Seul le Requérant a produit un plaidoyer écrit. Aucune des parties n’a sollicité la tenue d’une audience.

Fardeau de preuve incombant à chacune des parties

[9]               L’Opposant a le fardeau de preuve initial d’établir les faits allégués à l’appui de chacun de ses motifs d’opposition. Une fois que l’Opposante s’est acquittée de ce fardeau initial, le Requérant a le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa marque est enregistrable [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); et Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA et al (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

Question no I : Le Requérant a-t-il employé la Marque en liaison avec les Services depuis la date de premier emploi revendiquée dans sa demande?

[10]           L’Opposante allègue que la demande d’enregistrement de la Marque n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi en ce que le Requérant n’a pas employé la Marque en liaison avec les Services depuis la date de premier emploi revendiquée dans sa demande.

[11]           La date pertinente pour l’examen des circonstances relatives à ce motif d’opposition est la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp c. Scott Paper Ltd (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.)]. À cet égard, l’alinéa 30b) de la Loi exige que la marque visée par la demande ait été employée de façon continue depuis la date revendiquée [voir Labatt Brewing Co c. Benson & Hedges (Canada) Ltd (1996), 67 C.P.R. (3d) 258 (C.F. 1re inst.)]. Le fardeau de preuve dont doit s’acquitter l’Opposante relativement à la question de la non-conformité à l’alinéa 30b) de la Loi est considéré comme léger, car les faits ayant trait à ce motif sont mieux connus du Requérant que de l’Opposante [voir Tune Masters c. Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.)]. En outre, l’Opposante a la possibilité de s’acquitter de son fardeau en s’appuyant sur la preuve du Requérant, dans la mesure où la preuve du Requérant est manifestement incompatible avec les revendications formulées dans demande de ce dernier [voir Labatt Brewing Co c. Molson Breweries, A Partnership (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.)]. J’estime que c’est le cas en l’espèce.

[12]           Bien qu’il n’était pas tenu d’établir l’emploi continu de la Marque depuis la date de premier emploi du 26 mars 2009 revendiquée dans sa demande, le Requérant a choisi de produire une preuve à cet égard. Aux pages 8 et 9 de son affidavit, le Requérant affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]
Il est indiqué dans [la demande d’enregistrement de la Marque] que la date de premier emploi est le 26 mars 2009. Cette date est la date à laquelle le nom Runwaymagazine.ca a été employé pour la première fois aux fins de l’« exploitation d’un site Web » fournissant du contenu média à l’intention du public canadien. Le 26 mars 2009, des textes, des éléments sonores, des éléments graphiques et des vidéos en lien avec des bandes-annonces choisies de films populaires (dont certaines contenant, selon le Requérant, des exemples de références à « l’univers de la mode au cinéma ») ont été mis en ligne sur le site Web.

De plus, à la date du 26 mars 2009, le nom du site Web Runwaymagazine.ca était « RunwayMagazine.Com » et le message de « bienvenue » affiché sur le site était rédigé comme suit :

Bienvenu sur RunwayMagazine.Com…votre portail en ligne vers tout ce qui concerne le « runway » [podium, passerelle, plateforme]!

Ce message visait à signaler aux internautes que le site Web portait sur toutes sortes de choses associées au mot « runway ». Dans le contexte culturel actuel (de 2009 et d’aujourd’hui), le mot « runway » est fortement associé à (et évocateur de) l’univers de la mode. […]

Ainsi, même si le mot « fashion » [mode] ne figurait nulle part sur la page principale du site Web, l’idée de mode était sous-entendue dans le nom du site Web, le nom de domaine et le message de « bienvenue » - du fait de cette association.

[…]

En somme, le site Web (Runwaymagazine.ca) était opérationnel sur Internet le 26 mars 2009 et sa fonction à cette époque pourrait être décrite de la manière suivante :

« Exploitation d’un site Web » (service), qui fournit du contenu multimédia à l’intention du public canadien, et dont le nom, le nom de domaine et le message de bienvenue évoquent un lien avec l’univers de la mode.

[…]

Pour de plus amples renseignements, veuillez consulter les PIÈCES [sic] 109.

[13]           Après examen de la pièce 109, je souligne que cette dernière est formée d’un imprimé de deux pages daté du 3/26/29 et extrait du portail runwaymagazine.com, lequel a été consulté par l’intermédiaire du lien http://www.runwaymagazine.ca. En plus du message de bienvenue décrit ci-dessus, le site Web comprend un « Menu » contenant le message suivant :

[TRADUCTION]
À venir bientôt – « De nombreux
runway magazines [magazines traitant de ce qui se passe sur les podiums] sont publiés dans le monde »… Entretemps, visionnez les bandes-annonces de films…

[14]           Huit bandes-annonces de films tels que « Twilight », « Titanic », « Spiderman » et « Indiana Jones », sont ensuite proposées. Ces bandes-annonces sont suivies du message [TRADUCTION] « RunwayMagazine.Com… plus à venir… ». Les avis légaux suivants figurent au bas du site Web :

[TRADUCTION]
L’ensemble des marques, des produits, des services, des marques de commerce, des marques de service et des marques déposées mentionné sur ce site Web sont la propriété de leurs propriétaires respectifs.

Runway Magazine® est une marque déposée aux États-Unis, mais pas au Canada, elle est la propriété de [l’Opposante] aux États-Unis.

RunwayMagazine.Com et RunwayMagazine.Com, Inc. ne sont pas liés à [l’Opposante] ou à sa publication intitulée Runway Magazine®.

Le nom de domaine « RunwayMagazine.Com » a été enregistré légalement le 4 mars 1999, soit bien avant l'enregistrement de la marque de commerce susmentionnée.

RunwayMagazine.Com, Inc. est une entité enregistrée au fédéral au Canada et a été créée avant que la marque de commerce susmentionnée ne soit enregistrée.

[15]           La preuve décrite ci-dessus est manifestement incompatible avec la date de premier emploi de la Marque revendiquée par le Requérant, pour les raisons qui suivent :

  1. Le nom de domaine runwaymagazine.ca est employé uniquement comme moyen d’accéder au portail runwaymagazine.com. Un tel emploi ne me permet pas de conclure à l’emploi de la Marque en liaison avec les Services au sens de l’article 4 de la Loi. Le nom de domaine runwaymagazine.ca n’est pas employé à titre de marque de commerce dans le but de distinguer les Services du Requérant de ceux de tiers. Ainsi qu’il est écrit dans Fox (Kelly Gill, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e édition, suppléments sur feuilles mobiles (Toronto: Carswell, 2013), à la page 17-3):

[TRADUCTION]
Bien que les noms de domaine soient semblables aux marques de commerce en ce qu’ils peuvent distinguer et identifier une source, il existe plusieurs différences importantes entre les deux. […] Ces différences et similitudes supposent un certain nombre de conclusions. Premièrement, le fait de détenir un nom de domaine ne confère pas nécessairement de droits de propriété industrielle et commerciale à l’égard de ce nom de domaine. Le simple fait de détenir et d’employer un nom de domaine ne confère pas automatiquement de droits de propriété industrielle et commerciale; le nom de domaine lui-même doit être employé comme marque de commerce pour que le propriétaire puisse se réclamer de tels droits. […] [le soulignement est de moi]

  1. L’imprimé produit comme pièce 109 ne fait qu’établir que le Requérant exploite un portail rudimentaire intitulé « RunwayMagazine.com », sur lequel sont affichées quelques bandes-annonces de films. Cette offre de service n’équivaut en rien aux Services, lesquels sont décrits comme l’exploitation d’un site Web aux fins de la collecte et de la diffusion de texte, de sons, d'images et d'information vidéo dans le domaine de la mode. En outre, il n’existe aucun élément de preuve indiquant que des Canadiens ont consulté le site Web du Requérant à cette époque.

[16]           Avant de conclure mon examen de ce motif d’opposition, je souligne que le Requérant lui-même reconnaît à la page 5 de sa contre-déclaration et à la page 10 de son affidavit que :

[TRADUCTION]
Le nom (RunwayMagazine.Com) qui figure dans le coin supérieur gauche de l’imprimé [pièce 109] n’est pas le même que l’adresse URL (http://www.runwaymagazine.ca/) du site Web parce que c’est RunwayMagazine.Com qui avait été choisi comme titre pour la page principale du site Web (à l'époque).

Une affirmation qui, plutôt que d’être en contradiction avec mes constatations ci-dessus, leur donne du poids.

[17]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’Opposante s’est acquittée du fardeau léger qui lui incombait. Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) est accueilli du fait que le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve.

Question no II : La Marque crée-t-elle de la confusion avec la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante?

[18]           Comme je l’ai mentionné précédemment, l’Opposante a soulevé divers motifs d’opposition se rapportant à la question de la confusion entre la Marque et la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante ou le nom commercial Runway Beauty, Inc. de l’Opposante, que l’Opposante a antérieurement employés et/ou révélés au Canada en liaison avec, entre autres choses, des publications imprimées et électroniques, nommément des magazines. J’axerai mon analyse sur la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante, car cette dernière constitue l’argument le plus solide de l’Opposante. Il va sans dire que si cette marque ne permet pas à l’Opposante d’obtenir gain de cause, son nom commercial ne le lui permettra pas davantage. J’amorcerai mon analyse par l’examen du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement aux termes de l’alinéa 16(1)a) de la Loi

[19]           L’Opposante a plaidé que le Requérant n’était pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque suivant les dispositions de l’alinéa 16(1)a) de la Loi, car à la date de premier emploi de la Marque revendiquée par le Requérant, soit le 26 mars 2009, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante que l’Opposante avait antérieurement employée et/ou révélée au Canada en liaison avec diverses marchandises et divers services, y compris des publications imprimées et électroniques, nommément des magazines.

[20]           Pour s’acquitter de son fardeau de preuve à l’égard de ce motif d’opposition, l’Opposante doit démontrer que la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante avait déjà été employée ou révélée au Canada à la date revendiquée de premier emploi de la Marque au Canada et qu’elle n’avait pas été abandonnée à la date où la demande du Requérant a été annoncée dans le Journal des marques de commerce, soit le 20 octobre 2010 [alinéa 16(5) de la Loi]. Tel qu’il ressort de mon examen des parties pertinentes de l’affidavit de M. Mazzotta ci-dessous, l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve pour ce qui est des marchandises décrites comme des publications imprimées et électroniques, nommément des magazines.

[21]           En effet, dans son affidavit, M. Mazzotta affirme que, depuis mars 2006, l’Opposante conçoit, produit, distribue, commercialise et vend des magazines en liaison avec sa marque de commerce RUNWAY MAGAZINE. L’Opposante emploie également sa marque de commerce RUNWAY MAGAZINE aux fins de la commercialisation et de l’exécution de services; elle exploite un site Web fournissant de l’information dans les domaines de la mode, de la beauté, du divertissement, du magasinage et des relations amoureuses, et fournit des services publicitaires et promotionnels à des tiers par l’intermédiaire de son magazine et de son site Web [para. 3 de l’affidavit de M. Mazzotta].

[22]           Pour étayer sa déclaration selon laquelle l’Opposante a employé la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de façon continue en liaison avec les marchandises susmentionnées, M. Mazzotta a joint, comme pièce « B », des images de couvertures du magazine de l’Opposante sur lesquelles la marque de commerce figure bien en vue. Après examen de ces couvertures de magazine, je souligne que les numéros Automne 2008 et Hiver 2009 confirment que la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante était déjà en usage à la date revendiquée de premier emploi de la Marque; les autres numéros démontrent, quant à eux, que la marque de l’Opposante a continué d’être employée au cours des saisons et des années qui ont suivi [voir le numéro Printemps/Été 2009 et l’Édition Maillots 2009, ainsi que les numéros Hiver, Printemps, Été et Automne 2010, et les numéros Printemps et Été 2011]. M. Mazzotta affirme que ces magazines étaient vendus et continuent d’être vendus et distribués trimestriellement par l’Opposante partout au Canada, et qu’ils sont disponibles dans les kiosques à journaux et en ligne. Cette déclaration est également corroborée par le fait que le prix du magazine est affiché à la fois en dollars canadiens et dollars américains sur la couverture des numéros fournis en pièce « B ». Je souligne, en outre, que la pièce C est constituée d’images du site Web de l’Opposante obtenues à l’adresse http://web.archive.org, dont certaines datant de l’année 2008, c’est-à-dire avant la date de premier emploi de la Marque revendiquée par le Requérant [para. 4 et 5 de l’affidavit de M. Mazzotta].

[23]           Il incombe donc au Requérant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante.

Le test en matière de confusion

[24]           Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que :

L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[25]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Comme l’a souligné le juge Denault dans Pernod Ricard c. Molson Breweries (1992), 44 C.P.R. (3d) 359, à la page 369:

[TRADUCTION]
Les marques de commerce devraient être examinées dans l'optique du consommateur moyen qui a un souvenir non pas précis, mais général de la marque précédente. En conséquence, les marques ne devraient pas être disséquées ni soumises à une analyse microscopique en vue d'apprécier leurs ressemblances et leurs différences. Au contraire, elles devraient être envisagées dans leur globalité et évaluées en fonction de leur effet sur l'ensemble des consommateurs moyens.

[26]           Dans l’application du test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles énoncées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive et tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération. De plus, le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces facteurs n’est pas nécessairement le même, car il varie en fonction des circonstances [voir Mattel, Inc c. 3894207 Canada Inc (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.); Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 (C.S.C.); et Masterpiece Inc c. Alavida Lifestyles Inc (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.) pour un examen approfondi des principes généraux qui régissent le test en matière de confusion].

[27]           En l’espèce, tous les facteurs énumérés ci-dessus favorisent l’Opposante.

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[28]           J’estime que les marques de commerce en cause possèdent toutes deux un caractère distinctif inhérent relativement faible. Dans le contexte des marchandises et/ou des services, le mot « magazine » est descriptif et, par conséquent, il n’est pas intrinsèquement distinctif. Le même raisonnement s’applique à l’indicatif de pays « .ca ». Quant au mot « runway », il suggère, dans le contexte des marchandises et/ou des services des parties, des publications ayant trait au domaine de la mode. En effet, le mot « runway » peut être perçu comme évoquant la plateforme sur laquelle les mannequins défilent lors d’un défilé de mode.

[29]           S’agissant de la mesure dans laquelle les marques de commerce en cause sont devenues connues, je ne dispose d’aucun élément de preuve établissant que la Marque a été employée au Canada d’une manière qui aurait eu pour effet d’accroître son caractère distinctif. Comme il a été mentionné précédemment, le simple fait que le Requérant détienne et emploie le nom de domaine runwaymagazine.ca n’équivaut pas à un emploi à titre de marque de commerce.

[30]           En revanche, la preuve qu’a produite l’Opposante par l’intermédiaire de l’affidavit de M. Mazzotta établit que la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE de l’Opposante a été employée au Canada dans une certaine mesure, suffisamment, du moins, pour qu’elle acquière un caractère distinctif. En effet, en plus des exemples d’emploi fournis aux pièces « B » et « C », M. Mazzotta a fourni le nombre de numéros vendus pour les années 2008 à 2011, lequel varie de 993 à 11 554 [para. 6 de l’affidavit de M. Mazzotta].

[31]           En somme, après examen de ce premier facteur, qui concerne à la fois le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis, j’estime que ce facteur favorise l’Opposante.

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[32]           Pour les raisons précitées, ce facteur joue également en faveur de l’Opposante.

c) le genre de marchandises, services ou entreprises; et d) la nature du commerce

[33]           Il est évident que les Services du Requérant recoupent les publications imprimées et électroniques de l’Opposante. Il en va de même pour la nature du commerce. Le fait que les publications électroniques de l’Opposante soient consultées par l’intermédiaire du site Web de l’Opposante à l’adresse www.runwaybeauty.com n’a aucune incidence sur l’issue de la présente procédure. La marque de commerce RUNWAY MAGAZINE est affichée bien en vue sur le site Web et sur les publications électroniques de l’Opposante.

[34]           Ces troisième et quatrième facteurs jouent donc en faveur de l’Opposante.

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[35]           Les marques de commerce en cause sont pratiquement identiques. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’indicatif de pays « .ca » n’accroît en aucune façon le caractère distinctif de la Marque. Par conséquent, il ne contribue en rien à distinguer la Marque de celle de l’Opposante. Ce cinquième facteur favorise également l’Opposante.

Autres circonstances de l’espèce

[36]           Dans son affidavit, le Requérant s’attarde sur le fait qu’il est légalement propriétaire du nom de domaine runwaymagazine.ca et qu’il a fait enregistrer ce nom de domaine avant que l’Opposante ne commence à employer la marque de commerce RUNWAY MAGAZINE au Canada. Le Requérant insiste également sur le fait que les parties ont été impliquées dans un litige concernant les noms de domaine www.runwaymagazine.com, www.runwaymagazine.net et www.runwaymagazine.org, et que ce litige a été tranché en faveur du Requérant par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle conformément aux Principes directeurs pour un règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine de l’ICANN. Or, le fait que le Requérant ait pu faire enregistrer ces noms de domaine de bonne foi n’est pas pertinent aux fins de la présente procédure. Comme je l’ai mentionné précédemment, la question en l’espèce est celle de savoir si le Requérant a droit à l’enregistrement de la Marque.

[37]           Avant de conclure mon analyse, je formulerai des observations sur certains passages de l’affidavit du Requérant. Aux pages 6 et 9, le Requérant affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]
Le Requérant ne doute pas que l’Opposante a vendu des magazines au Canada. Toutefois, le Requérant est d’avis que l’Opposante ne détenait pas et ne détient pas actuellement le droit exclusif à l’emploi du nom « Runway Magazine », à titre de marque de commerce ou de nom commercial, au Canada.

[…]

Depuis près de 20 ans, le mot « runway » est un terme très couramment employé dans le domaine de la mode, en particulier dans le contexte des nouveaux médias, d’Internet et de la culture populaire. Ces 10 dernières années, le terme « runway »

est devenu un symbole des domaines des arts, du style de vie et de la mode, auxquels il est maintenant intimement associé.

Exemples :

[1]   le magazine de mode haut de gamme fictif ayant pour titre « Runway Magazine » dans le roman à succès The Devil Wears Prada, de Lauren Weisberger, et la superproduction du même nom [;]

[2]   la très populaire émission de télévision « Project Runway » (www.projectrunwaycanada.ca);

[3]   « Rip the Runway » (www.bet.com/specials/riptherunway10);

[4]   « Runway », un magazine qui est publié en Australie depuis 2002 (www.runway.org.au).

[38]           Je ne suis pas disposée à accorder de poids à ces prétentions du Requérant, car il s’agit en réalité d’arguments fondés sur des allégations de fait qui ne sont corroborées par aucun élément de preuve. Je ne suis pas non plus disposée à admettre d’office que le nom « Runway Magazine » aurait acquis une grande popularité au Canada par suite de la parution du roman The Devil Wears Prada et de son adaptation cinématographique. Ces observations s’appliquent également aux allégations concernant l’emploi du mot « runway » par les autres tiers mentionnés.

Conclusion quant à la probabilité de confusion

[39]           Comme il est indiqué ci-dessus, le paragraphe 6(2) de la Loi ne concerne pas la confusion entre les marques elles-mêmes, mais sur la possibilité que des marchandises et services provenant d’une source puissent être perçus comme provenant d’une autre source. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si une personne n’ayant qu’un vague souvenir de la marque de commerce de l’Opposante employée en liaison avec les publications imprimées et électroniques de l’Opposante, serait susceptible de conclure, en se fiant à sa première impression et à son souvenir imparfait, que les Services du Requérant sont loués ou exécutés par l’Opposante.


 

[40]           J’estime que c’est précisément ce qui pourrait se produire en l’espèce. Comme je l’ai mentionné précédemment, tous les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) jouent en faveur de l’Opposante. Je souligne, en outre, que le Requérant a lui-même jugé nécessaire de préciser dans l’avis légal (examiné précédemment) qui figure sur son portail « RunwayMagazine.com » que : [TRADUCTION] « RunwayMagazine.Com et RunwayMagazine.Com, Inc. ne sont pas liés à [l’Opposante] ou à sa publication intitulée Runway Magazine® ». Le Requérant a également affirmé ce qui suit à la page 8 de son affidavit : [TRADUCTION] « la décision de ne pas mentionner explicitement le mot « mode » sur la page principale du site Web (Runwaymagazine.ca) a été prise le 26 mars 2009 et avait pour but d’éviter d’éventuels différends avec l’Opposante, à l'époque ».

[41]           En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement aux termes de l’alinéa 16(1)a) de la Loi est accueilli, car le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau.

Autres motifs d’opposition

[42]           Comme j’ai déjà donné gain de cause à l’Opposante sur deux motifs d’opposition, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs d’opposition.


Décision

[43]           Compte tenu de ce qui précède, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

[44]           ______________________________

Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme
Judith Lemire

 

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