Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de A. Lassonde Inc. à la demande n682237 produite par Citrus World, Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce FLORIDA’S NATURAL

 

 

 

Le 17 mai 1991, Citrus World, Inc. (la requérante) a demandé l’enregistrement de la marque de commerce FLORIDA’S NATURAL (la marque) en liaison avec des jus de fruits (les marchandises).  La demande était fondée sur l’emploi projeté de la marque et revendiquait la priorité prévue à l’article 34 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi) en raison de la demande d’enregistrement numéro 74/163,384 déposée le 3 mai 1991 aux États‑Unis.

 

Le 15 novembre 1991, un examinateur a déterminé qu’en raison de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, la marque ne semblait pas enregistrable.  La requérante a demandé plusieurs prolongations de délai pour répondre au rapport de l’examinateur.  Elle y a finalement répondu le 20 juin 1996, en déposant une demande d’enregistrement modifiée dans laquelle elle déclarait que la marque était enregistrable en vertu de l’article 14 de la Loi, du fait que la même marque avait été enregistrée le 12 janvier 1993 aux États‑Unis sous le numéro 1,745,985.  Elle a également produit un affidavit souscrit le 6 juin 1996 par M. Walter M. Lincer, afin d’établir que la marque n’était pas dépourvue de caractère distinctif au Canada.

 

La demande a par la suite fait l’objet d’une approbation préliminaire, et elle a été annoncée dans la livraison du 27 novembre 1996 du Journal des marques de commerce.  Le 28 avril 1997, A. Lassonde Inc. (l’opposante) a produit une déclaration d’opposition dans laquelle elle a invoqué des motifs qui peuvent être ainsi résumés :

 

1)                  La demande d’enregistrement ne renferme pas d’état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises en liaison avec lesquelles la marque a été employée ou sera employée, contrairement à ce qu’exige l’alinéa 30a).

2)                  La demande d’enregistrement ne donne pas le nom du pays de l’Union où la requérante ou son prédécesseur en titre a employé la marque, contrairement à ce qu’exige l’alinéa 30d).  L’opposante conteste en effet l’allégation de la requérante selon laquelle elle a employé la marque aux États‑Unis en liaison avec les marchandises avant le dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité.

3)                  La marque n’est pas enregistrable parce qu’elle ne satisfait pas à l’article 14 de la Loi, du fait qu’elle :

a)      crée de la confusion avec la marque de certification FLORIDA, portant le numéro TMA178314 (al. 14(1)a));

b)       est dépourvue de caractère distinctif au sens de la définition énoncée à l’article 2 de la Loi (al. 14(1)b));

c)      est de nature à tromper le public (al 14(1)c));

d)     ne peut être adoptée en raison de l’article 10 de la Loi (al. 14(1)d));

e)      elle diffère de la marque déposée aux États‑Unis (par. 14(2)).

4)                  La requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la marque car, à la date de la production de la demande d’enregistrement, la marque créait de la confusion avec la marque de commerce FLORIDA enregistrée sous le numéro TMA178314, pour laquelle une demande avait antérieurement été produite au Canada par une autre personne (al. 16(2)b) de la Loi);

5)                  La marque n’est pas distinctive au sens des dispositions de l’article 2 de la Loi;

6)                  La marque n’est pas enregistrable parce qu’elle est dépourvue de caractère distinctif au sens des alinéas 14(1)b) et 12(1)b) de la Loi en ce qu’elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises, des conditions de leur production, des personnes qui les produisent ou de leur lieu d'origine.

 

Le 16 juin 1997, la requérante a déposé une contre‑déclaration niant les motifs d’opposition résumés plus haut et alléguant que la marque FLORIDA, numéro TMA178314, avait été radiée le 7 novembre 1986, que le deuxième motif d’opposition devrait être rejeté puisque la demande d’enregistrement est fondée sur l’emploi projeté de la marque et, enfin, que le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(2)b) de la Loi n’aurait pas dû être invoqué puisque, encore une fois, la demande d’enregistrement est fondée sur un emploi projeté.

 

L’opposante a demandé l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition pour remplacer le certificat d’enregistrement TMA178314 par le TMA276642 et pour alléguer que la demande aurait dû reposer sur l’emploi de la marque plutôt que sur l’emploi projeté.  Dans une décision rendue le 23 mars 1998, le registraire a refusé d’autoriser les modifications.

 

L’opposante a déposé les affidavits de Jean Gattuso et de Micheline Tellier, et la requérante, celui de Walter M. Lincer.  M Gattuso et M. Lincer ont été contre‑interrogés sur leur affidavit, mais seule la transcription du contre‑interrogatoire de M. Lincer a été versée au dossier.  L’opposante a déposé en contre‑preuve un second affidavit souscrit par Mme Tellier.  Les deux parties ont déposé un plaidoyer écrit, et elles étaient représentées à l’audience.

 

La preuve

 

M. Gattuso est le vice‑président exécutif et directeur général de l’opposante, et il travaille pour elle depuis le mois de juillet 1987.  Il déclare dans son affidavit qu’il estime, en raison de son expérience dans le domaine des jus de fruits  – laquelle n’est pas décrite –, que la marque n’est pas enregistrable parce que le mot FLORIDA indique que les marchandises proviennent de l’État du même nom.  Le mot NATURAL ajoute au caractère générique de FLORIDA, selon lui, car il donne à penser que le jus est un jus naturel provenant de la Floride et non un jus fait de concentré.  Il affirme que la requérante ne peut obtenir l’enregistrement de la marque sans se désister du droit à l’usage exclusif des mots FLORIDA et NATURAL en dehors de la marque.  Il n’a pas vu de jus de fruits portant la marque dans le marché canadien ni dans des listes de jus de fruits disponibles.  Il allègue enfin que l’expression « jus de fruits » n’est pas une description faite dans les termes ordinaires du commerce, affirmant qu’elle devrait préciser que les jus proviennent de l’État de la Floride, puisque la marque comporte le mot FLORIDA, autrement elle serait fausse et trompeuse.  Toutes ces déclarations constituent des arguments ou des conclusions de droit, et je n’en tiendrai pas compte, exception faite de l’allégation selon laquelle le déposant n’a pas vu de jus de fruits portant la marque dans le marché canadien.

 

Mme Tellier travaille pour le cabinet des agents de l’opposante, en qualité de technicienne juridique.  Elle a produit divers extraits pertinents de dictionnaires français et anglais, relativement aux mots « Floride », « Florida » et « natural ».

 

M. Lincer est le vice‑président aux ventes et au marketing de la requérante.  Il a joint comme annexe A à son affidavit un affidavit antérieur daté du 7 juin 1996, versé au dossier au stade de l’examen de la demande, à l’appui de l’enregistrabilité de la marque sous le régime de l’article 14 de la Loi.  Il confirme qu’il avait une connaissance personnelle de ce qui y était allégué et que ses déclarations continuent d’être vraies et exactes.  Il déclare en outre que la requérante a réalisé les ventes de jus de fruits suivantes au Canada :

PÉRIODE                   NOMBRE DE CAISSES                   VALEUR EN DOLLARS

 

Janv. à déc. 1996                    2240                                                   18000

Janv. à déc. 1997                         10                                                       120

Janv. à juil. 1998                     10184                                                  92000

 

Il a déposé en liasse des factures que la requérante a envoyées à ses distributeurs canadiens relativement à la période allant d’octobre 1997 à juillet 1998.

 

Il allègue que la requérante a annoncé sa marque aux moyens de commerciaux qui ont été télédiffusés aux États‑Unis au début du printemps 1996 et qui pouvaient être vus dans les villes situées près de la frontière canadienne et par les résidents canadiens ayant accès à la télévision par câble.  Ce témoignage constitue du ouï‑dire, car nous ne disposons d’aucun renseignement indiquant dans quelles villes on pouvait voir les commerciaux ou à quels canaux, à quelle heure et à quelle fréquence ils étaient diffusés, par l’intermédiaire de quelles entreprises de câblodistribution les Canadiens pouvaient voir les annonces et combien de Canadiens les ont vues.  Je ne tiendrai donc pas compte de ce témoignage [voir John Labatt Ltd. c. Miller Brewing Co (1996), 70 C.P.R. (3d) 351].

 

Dans son affidavit du 7 juin 1996, il déclare que la marque a commencé à être employée le 28 mai 1991 aux États‑Unis, en liaison avec des jus de fruits.  Il a déposé une copie certifiée conforme de l’enregistrement numéro 1,745,985 de la marque aux États‑Unis.  Les ventes des jus de fruits portant la marque de la requérante se sont chiffrées à plus de 700 000 000 $ pour la période allant de 1991 à avril 1996.  La requérante a dépensé plus de 22 000 000 $ en publicité aux États‑Unis.  Les marchandises portant la marque de la requérante ont commencé à être vendues au Canada au mois de mai 1991, et les ventes sont continues depuis le mois de janvier 1996.  Le déposant a annexé trois factures envoyées par la requérante à son distributeur canadien, pour faire la preuve des ventes réalisées au Canada du mois de janvier au mois de mars 1996 inclusivement.  Enfin, des échantillons d’emballage ont été déposés pour démontrer l’emploi de la marque.

 

Pendant son contre‑interrogatoire, M. Lincer a témoigné que les marchandises étaient fabriquées dans des usines situées en Floride et en Californie, mais que les marchandises vendues au Canada n’étaient pas faites de jus de fruits provenant de la Californie.  Entre 1991 et 1996, la requérante n’a pas vendu ses produits au Canada; elle a trouvé un distributeur canadien en 1996.  En 1997, l’opposante a communiqué avec la requérante car elle tentait d’obtenir une licence en contrepartie du retrait de son opposition.  De toute évidence, les parties ne sont pas parvenues à une entente.  Le témoin a confirmé que le chiffre de vente de 700 000 000 $ susmentionné représentait les ventes réalisées dans quinze pays.

 

La contre‑preuve a consisté en un deuxième affidavit de Mme Tellier contenant des définitions supplémentaires prises dans des sites web et dans d’autres dictionnaires.  Y sont annexés des extraits de sites web où l’on retrouve l’emploi combiné des mots « jus », « nature », « juice », « natural », « Florida » et « Floride ».

 

La requérante s’est opposée au dépôt de cet affidavit, faisant valoir que son contenu ne constituait pas une contre‑preuve acceptable suivant les dispositions de la règle 43 du Règlement sur les marques de commerce (1996).

 

Le droit

 

Je me prononcerai d’abord sur l’objection élevée par la requérante au dépôt du deuxième affidavit Tellier.  Je conviens avec la requérante que son contenu ne constitue pas une contre‑preuve acceptable car il ne répond pas aux questions soulevées dans l’affidavit de M. Lincer [voir Société Générale d’Avant Produits de Pâtisserie « Sograp » c. A. Lassonde & Fils Inc. (1991), 37 C.P.R. (3d) 362].  Les renseignements supplémentaires figurant dans cet affidavit auraient facilement pu être inclus dans le précédent à titre de preuve à l’appui des motifs d’opposition.  Par conséquent, je ne tiendrai pas compte du contenu du deuxième affidavit de Mme Tellier.

 

L’opposante n’a pas présenté d’élément de preuve confirmant l’existence du certificat d’enregistrement TMA178314 à la date de production de la présente demande, et la requérante n’en a pas soumis non plus à l’appui de sa prétention que l’enregistrement avait été radié avant la date de priorité revendiquée dans sa demande.  Dans ces circonstances, je n’ai d’autre choix que d’exercer le pouvoir discrétionnaire du registraire de vérifier l’état des enregistrements [voir Quaker Oats of Canada Ltd./La Compagnie Quaker Oats Ltée .c. Menu Foods Ltd., 11C.P.R. (3d) 410].  Après vérification du registre, je confirme que l’enregistrement a été radié le 7 novembre 1986.  Par conséquent, les motifs d’opposition décrits aux paragraphes 3(a) et 4 sont écartés.

 

C’est à la requérante qu’il incombe de démontrer que la demande d’enregistrement est conforme à l’article 30 de la Loi, mais l’opposante a le fardeau initial d’établir les faits étayant les motifs d’opposition.  Lorsque l’opposante s’est acquittée de ce fardeau, il revient alors à la requérante de prouver que les motifs d’opposition invoqués n’empêchent pas l’enregistrement de la marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux p. 329‑330 et John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293].

 

La date pertinente pour l’examen des questions de non‑conformité à l’article 30 de la Loi est la date du dépôt de la demande d’enregistrement, en l’espèce le 17 mai 1991 [voir Georgia-Pacific Corp.c. Scott Paper Ltd., (1984) 3 C.P.R. (3d) 469, à la p. 475].

 

L’opposante n’a présenté aucun élément de preuve me permettant de conclure que les marchandises n’ont pas été décrites dans les termes ordinaires du commerce.  Par conséquent, je rejette également ce motif d’opposition (paragraphe 1).

 

Dans son plaidoyer écrit, l’opposante soutient que si la requérante cherche à se prévaloir d’un enregistrement antérieur ou du dépôt d’une demande d’enregistrement antérieure dans un pays de l’Union et que sa demande au Canada repose sur l’emploi projeté de la marque, elle doit, conformément à l’alinéa 30d), nommer le pays où elle a employé la marque en liaison avec les marchandises.  Toutefois, sa demande revendique clairement une priorité sur le fondement d’une demande déposée aux États‑Unis.  Selon l’opposante, l’affidavit Lincer en date du 7 juin 1996 n’indique pas que la marque a été employée dans ce pays avant le dépôt de la demande au Canada.  Comme je l’ai dit plus haut, la demande est fondée sur l’emploi projeté de la marque et non sur une demande d’enregistrement ou un enregistrement à l’étranger.  La requérante a invoqué la demande correspondante qu’elle avait produite aux États‑Unis pour se prévaloir d’une date de priorité, comme le prévoit l’article 34 de la Loi.  Elle a plus tard invoqué l’enregistrement de la marque aux États‑Unis pour répondre à une objection formulée dans le rapport de l’examinateur quant à l’enregistrabilité de la marque au regard de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.  La demande d’enregistrement de la requérante ne repose pas sur l’emploi ou l’enregistrement de la marque à l’étranger.  Je rejette donc le deuxième motif d’opposition.

 

L’opposante ne s’étant pas acquittée du fardeau initial de preuve qui lui incombait relativement au motif d’opposition résumé au paragraphe 3(e), ce motif est également écarté.

 

Il est généralement établi que la date pertinente pour l’examen de la question du caractère distinctif est la date du dépôt de l’opposition, en l’espèce le 28 avril 1997 [voir American Assn. of Retired Persons c. Association canadienne des individus retraités (1998), 84 C.P.R. (3d) 198, E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130; [1976] 2 C.F. 3 (C.A.F.) et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, p. 424 (C.A.F.)].

 

Pour réfuter une objection fondée sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi, la requérante peut alléguer que sa marque de commerce est enregistrable car elle possédait un caractère distinctif à la date de dépôt de la demande d’enregistrement (paragraphe 12(2) de la Loi).  Suivant le libellé de cette disposition, la date pertinente pour l’examen de cette question est donc cette dernière date.  La requérante peut également invoquer l’article 14 de la Loi.  Il sera question plus loin des critères à respecter lorsqu’on veut se prévaloir de cette disposition.

 

Des décisions récentes ont traité de la question de la date pertinente pour l’examen des motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 12(1)b) et l’article 14.  Depuis la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60, la Commission a adopté la date de la production de la demande d’enregistrement comme date pertinente pour déterminer si une marque est descriptive au sens de l’alinéa 12(1)b) [voir Zorti Investments Inc. c. Party City Corporation (demande no 766,534, 12 janvier 2004); Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Company Limited (demande no 795,803, 12 janvier  2004) et Eloyalty Corporation c. Loyalty Management Group Canada Inc (demande no 860,274, 28 mai  2004)].

 

La Commission a également adopté la date de production de la demande d’enregistrement comme date pertinente pour l’examen de l’enregistrabilité de la marque suivant l’article 14.  Dans la décision Zorti, précitée, le commissaire D. J. Martin a tenu les propos suivants à ce sujet :

L'article 14 établit un mécanisme analogue à celui du paragraphe 12(2), lequel permet l'enregistrement de marques non enregistrables aux termes de l'alinéa 12(1)b).  Lorsque la requérante possède une marque de commerce correspondante déjà enregistrée dans un autre pays, le paragraphe 14(1) prévoit une exception à l'alinéa 12(1)b) comparable à l'exception établie par le paragraphe 12(2) (Les Brasseries Molson, précitée).  La date pertinente pour l'examen des circonstances se rapportant au paragraphe 14(1) devrait donc logiquement être la même que pour l'analyse exigée pour l'application des articles 12(1)b) et 12(2), c'est-à-dire, la date à laquelle la demande d'enregistrement a été produite, comme on l'a dit plus haut.  De fait, avant la décision Lubrication Engineers, c'est la position que la Commission des oppositions avait prise (voir, par exemple, Holiday Juice Ltd. v. Sundor Brand Inc. (1990), 33 C.P.R. (3d) 509, p. 512-513 (C.O.M.C.).  Non seulement le recours à une date pertinente ultérieure serait-il irrationnel mais il favoriserait injustement les requérants étrangers par rapport aux requérants canadiens, lesquels doivent démontrer que leurs marques clairement descriptives étaient devenues distinctives à la date où ils ont produit leur demande

 

La requérante doit donc prouver l'enregistrement étranger et démontrer que la marque dont elle demande l'enregistrement n'était pas dépourvue de caractère distinctif au Canada, ainsi que l'exige l'alinéa 14(1)b) de la Loi, et ce, à la date de la production de sa demande.

 

Le commissaire M. Herzig a adopté la même position dans la décision Caplan Industries Inc. c. Unicorn Abrasives Limited (demande no 726,630, 1er avril 1994).

 

Pendant l’audience, les agents de la requérante ont fait valoir qu’il est pratiquement impossible de concevoir que le caractère distinctif s’évalue à deux dates différentes, car la question se pose également sous le régime de l’article 14.  Aux termes de cette disposition, toutefois, un requérant doit démontrer que sa marque n’est pas dépourvue de caractère distinctif, ce qui est un fardeau de preuve moins exigeant que de prouver, lorsque le paragraphe 12(2) est invoqué pour réfuter un motif d’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)b), qu’une marque est devenue distinctive.  Chaque motif d’opposition s’évalue à la date pertinente qui lui est applicable, et le fardeau de preuve peut varier d’un motif à l’autre.  La Cour d’appel fédérale a examiné un argument similaire dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, (2000), 5 C.P.R. 180; [2000] 3 C.F. 145.  L’opposante avait invoqué deux motifs d’opposition distincts, savoir que la marque n’était pas enregistrable en raison de l’alinéa 12(1)b) et qu’elle était dépourvue de caractère distinctif.  La requérante avait répondu en produisant une demande d’enregistrement modifiée et en invoquant le paragraphe 12(2).  Se prononçant sur la possibilité que le caractère distinctif de la marque puisse s’évaluer à deux dates pertinentes différentes, le juge Rothstein s’est exprimé ainsi :

 

Je suis d'opinion qu'une fois la demande annoncée, une telle approche en deux étapes n'est pas possible dans le cadre du paragraphe 12(2). L'opposition déposée en vertu de l'alinéa 38(2)d) et la question de savoir si une marque a acquis un caractère distinctif suivant le paragraphe 12(2) impliquent la même décision. En réalité, la question de l'enregistrabilité fait également partie de la même décision parce que si la marque est jugée enregistrable en application du paragraphe 12(2), cette conclusion aura pour effet de supplanter l'interdiction d'enregistrement prévue aux alinéas 12(1)a) ou b ). Dans tous les cas, il incombe au requérant d'établir le caractère distinctif. Lorsqu'une requête est fondée sur le paragraphe 12(2), la date qu'il faut prendre en considération pour décider de la question de savoir si la marque est devenue distinctive des marchandises du requérant est la date du dépôt de la demande d'enregistrement de la marque.

 

 

Par analogie, je fais mien ce raisonnement, et j’appliquerai la même date pertinente pour l’examen des motifs d’opposition exposés aux paragraphes 3, 5 et 6, précités.

 

Je suis également d’avis que la date de la demande d’enregistrement est la date pertinente pour l’examen du motif d’opposition fondé sur l’article 14.  La même date pertinente devrait s’appliquer à l’examen des deux options dont un requérant dispose pour réfuter une opposition fondée sur l’alinéa 12(1)b).  Comme nous le verrons plus loin, l’une des différences entre les deux options réside dans les exigences de preuve en matière de caractère distinctif.  Or, je ne pense pas que cette différence justifie l’adoption de dates pertinentes différentes.  En outre, comme la Commission l’a relevé dans la décision Zorti, précitée, le recours à la date de production de l’opposition ou à la date de la décision favoriserait injustement les requérants étrangers.  Enfin, l’application de la date plus tardive de la production de l’opposition équivaudrait à approuver les retards volontairement provoqués par les requérants dans le suivi de leur demande (comme en l’espèce, plus de cinq ans) et utilisés ensuite à leur profit sans que les opposants puissent faire quoi que ce soit, car la déclaration d’opposition, dont la date deviendrait ensuite la date clé invoquée par les requérants, ne peut être produite que lorsque la demande d’enregistrement a été annoncée dans le Journal des marques de commerce

 

Comme il appert de l’extrait précité de la décision Zorti, le requérant doit prouver qu’à la date où il a produit sa demande d’enregistrement au Canada, sa marque était enregistrée dans un autre pays et qu’elle n’était pas dépourvue de caractère distinctif.  En l’espèce, il est claire que la première condition n’a pas été remplie.  Par conséquent, ce motif d’opposition peut être reçu.  Toutefois, je referai, à la date de ma décision – date la plus favorable à la requérante-, l’appréciation de la preuve fournie par cette dernière, pour le cas où je serais dans l’erreur en concluant que la date pertinente applicable à l’évaluation de l’enregistrabilité de la marque suivant l’article 14 est la date du dépôt de la demande d’enregistrement.

 

La marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue anglaise de la nature des marchandises et de leur lieu d’origine.  La combinaison des mots « Florida » et « natural » indique clairement que les jus de fruits vendus sous la marque proviennent de l’État de la Floride et sont naturels.  On pourrait faire valoir, il importe de le signaler, qu’en produisant une demande d’enregistrement modifiée où elle s’appuie sur l’article 14 pour réfuter une objection fondée sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi, la requérante a reconnu que la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue anglaise de la nature des marchandises et de leur lieu d’origine [voir par exemple York Barbell Holdings Ltd. c. Icon Health & Fitness Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 156].

 

Dans la décision Supershuttle International, Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (2002), 19 C.P.R. (4th) 34, le juge McKeown a traité de la question de la preuve que la marque n’est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada que doit faire un requérant :

La norme de preuve fixée pour établir le caractère distinctif d'une marque pour les besoins de l'article 14 est passablement moins exigeante que celle requise pour l'application de l'article 12. À mon avis, lorsqu'il a ajouté les termes « n'est pas dépourvue de caractère distinctif » à l'alinéa 14(1)b), le législateur a établi une norme de preuve moins rigoureuse pour l'application de cette disposition que pour celle de l'article 12 en ce qui concerne le caractère distinctif. Dans l'arrêt W.R. Grace & Co. c. Union Carbide Corp. (1987), 14 C.P.R. (3d) 337 (C.A.F.), à la page 346, Monsieur le juge Urie a examiné le sens de l'expression « caractère distinctif » ::

     Le terme « distinctif » est défini comme suit à l'article 2 de la Loi :

     « distinctive » , par rapport à une marque de commerce, désigne une marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

On trouve la définition du terme « caractère » , dans son sens le plus pertinent, dans le Shorter Oxford Dictionary, 3e éd., sous la rubrique sens figuré : [traduction] 1. une particularité, caractéristique, trait; 2. caractéristique essentielle, nature, sorte.

     Je pense donc qu'en rapport avec les marques de commerce, on peut dire que l'expression « caractère distinctif » désigne les marques de commerce qui ont les traits ou les caractéristiques des marques de commerce distinctives. Pour en revenir à la définition énoncée ci‑dessus, les marques de commerce distinctives au Canada ont la caractéristique de distinguer véritablement les marchandises ou services de leur propriétaire des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou sont adaptées à les distinguer. En d'autres termes, si la marque, dans une certaine mesure, distingue dans les faits les marchandises ou services de son propriétaire des marchandises ou services d'autres propriétaires, la marque n'est pas dépourvue de caractère distinctif. Dans le cadre de la présente affaire, comme la marque de commerce est descriptive, elle n'est sans doute pas suffisamment distinctive pour avoir acquis un sens secondaire au Canada qui lui permette de respecter la définition du mot distinctive. Néanmoins, elle pourrait avoir un certain caractère distinctif. Si tel est le cas, elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada. [Souligné dans l’original]

[21]       Cependant, le fardeau imposé au demandeur demeure lourd. En effet, le juge Urie ajoute ce qui suit à la page 347 :

     Dans l'affaire Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp. et Registraire des marques de commerce (1971), 1 C.P.R. (2d) 155, [1971] C.F. 106, le juge Cattanach a décrit brièvement, à la page 172, la charge de la preuve qui incombe au requérant

Il me reste à apprécier la force probante de ces affidavits. Ce faisant, je suis conscient que la charge de la preuve incombant à une personne qui prétend qu'une marque de commerce décrivant ou faisant l'éloge de ses marchandises est parvenue à distinguer véritablement ces marchandises est difficile et qu'elle l'est davantage du fait de l'adoption d'un mot qui, en soi, ne comporte aucun caractère distinctif.

     Je reconnais que cette cause, de même que l'affaire Carling Breweries Ltd. c. Molson Cos. Ltd. et al. (1984), 1 C.P.R. (3d) 191, aux pages 196 à 198 inclusivement, portait sur la question de la distinction en soi et non sur celle du « caractère distinctif » , mais je suis d'avis que la charge de la preuve est tout aussi rigoureuse dans ce dernier cas.

[22]       Je suis convaincu en l'espèce que la demanderesse a montré que la marque de commerce n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada, eu égard à toutes les circonstances de l'affaire, y compris les vingt années pendant lesquelles la marque a été employée aux États-Unis.

[23]       La demanderesse fait valoir en l'espèce que l'article 14 n'exige pas que la marque soit employée ou connue au Canada. Je ne suis pas d'accord : outre qu'elle comporte la mention expresse « au Canada » , cette disposition énonce qu'une marque de commerce est enregistrable si, « au Canada, [...] elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif [...] » . À mon sens, le libellé de cette disposition laisse entendre que la marque doit, à tout le moins dans une certaine mesure, être connue au Canada. Le fait que la marque soit connue ou employée exclusivement dans un autre pays ne saurait suffire.

[24]       Dans la présente affaire toutefois, la demanderesse a présenté des éléments de preuve afférents aux retombées publicitaires au Canada. Elle a donné de nombreux exemples d'annonces qui auraient été vues au Canada, notamment la publicité faite sur les vols à destination et en provenance de Vancouver, la publicité radiophonique entendue au Canada de même que les encarts insérés dans les journaux de Vancouver et de Toronto. De plus, il semble que cette publicité ait rejoint les Canadiens puisqu'ils sont nombreux à avoir adressé des demandes de renseignements à l'entreprise. À la lumière de l'ensemble de la preuve produite par la demanderesse, j'arrive à la conclusion que cette dernière s'est acquittée de son obligation d'établir que la marque n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada.

 

Il n’existe pas de paramètres établis pour déterminer si la preuve produite est suffisante pour étayer la prétention qu’une marque n’est pas dépourvue de caractère distinctif.  La démarche appropriée consiste à analyser chaque cas.  La jurisprudence peut nous servir de guide lorsque les décisions concluant que la preuve ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 14(1)b) donnent des précisions sur les éléments de preuve présentés.  Appliquant cette méthode d’analyse comparative, je me reporte à la décision du commissaire D. J. Martin dans Holiday Juice Ltd. c. Sundor Brand Inc. (1990), 33 C.P.R. (3d) 509 :

[traduction] La décision W.R. Grace est importante également en ce qu’elle clarifie le fardeau de preuve des requérants relativement aux questions relevant de l’article 14.  À la p. 347 du recueil publiant la décision, le juge Urie expose ce qui suit :

          Les affidavits de divers utilisateurs de sacs thermorétrécissables et thermoplastiques dans l’industrie alimentaire canadienne étayent dans une certaine mesure cet emploi, mais n’établissent pas, à mon avis, qu’elle a été employée pendant une période suffisante pour permettre à l’utilisateur d’une marque descriptive d’établir non seulement que sa marque a acquis un caractère distinctif en liaison avec ces marchandises, mais qu’elle a acquis un caractère distinctif suffisant pour justifier une demande en vertu de l’alinéa 14(1)b).

Le juge s’est ensuite reporté à une autre décision judiciaire, et a ajouté :

          Je reconnais que cette cause, de même que l'affaire Carling Breweries Ltd. c. Molson Cos. Ltd. et al. (1984), 1 C.P.R. (3d) 191, aux pages 196 à 198 inclusivement, portait sur la question de la distinction en soi et non sur celle du « caractère distinctif » , mais je suis d'avis que la charge de la preuve est tout aussi rigoureuse dans ce dernier cas.

Par conséquent, je conclus que l’affidavit Leete est loin de satisfaire aux exigences de l’alinéa 14(1)b) de la Loi.  M. Leete atteste que les ventes des produits de la requérante pour les trois ou quatre années ayant précédé la date de production de sa demande d’enregistrement se chiffraient à environ 500 ou 600 000 $.  Des ventes de cet ordre sont loin d’être suffisantes pour que la requérante s’acquitte du « fardeau exigeant » qui lui incombe.

 

La preuve de la requérante résumée précédemment est moins étoffée que les éléments de preuve que le registraire a jugés insuffisants pour établir qu’une marque n’était pas dépourvue de caractère distinctif au Canada.  Par conséquent, je ne puis que conclure que la requérante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que la marque n’était pas dépourvue de caractère distinctif à la date de production de sa demande d’enregistrement ou à la date de ma décision.

 

Comme j’ai déjà conclu que la marque était descriptive, il s’ensuit qu’elle n’est pas adaptée à distinguer les marchandises de la requérante [voir General Foods Inc. c. Hills Bros. Coffee, Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 352 et Novopharm Ltd. c. Wellcome Foundation Ltd.(1997), 81 C.P.R. (3d) 567].

 

Je n’ignore pas que, la requérante ayant déposé une demande modifiée dans laquelle elle invoquait l’article 14 de la Loi pour la première fois, on pourrait prétendre que cette date ultérieure (soit le 20 juin 1996) devrait être utilisée comme date pertinente dans l’examen du caractère distinctif.  Il n’est pas nécessaire que je tranche cette question puisque j’ai déjà conclu qu’à la date de ma décision, qui est encore plus tardive, la requérante n’avait pas fait la preuve exigée à l’article 14.

 

Par conséquent, je maintiens les motifs d’opposition 3(b), 5 et 6 et, même si par cette conclusion la Commission tranche la question dont elle était saisie, je vais néanmoins examiner sommairement les motifs d’opposition restants.

 

L’opposante n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui du motif d’opposition 3(d).  Ce motif est donc écarté en raison du défaut de l’opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve initial.

 

L’opposante a soutenu dans son plaidoyer écrit que la preuve présentée au moyen du deuxième affidavit de Mme Tellier démontre que la marque est de nature à tromper le public car elle est connue au Canada, dans le cours normal du commerce, comme indiquant la qualité et le lieu d’origine des marchandises et qu’elle ne peut, pour cette raison, être adoptée comme marque de commerce en liaison avec des jus de fruits.  J’ai rejeté cet élément de preuve du dossier, par conséquent, le motif d’opposition 3(c) est écarté lui aussi.

 

Conclusion

 

Par conséquent, en vertu de la délégation des pouvoirs du registraire faite sous le régime de paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse, en application du paragraphe 38(8) de la Loi, la demande d’enregistrement de la marque.

 

 

FAIT À MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 21 SEPTEMBRE 2004

 

 

 

Jean Carrière

Membre

 

Commission des oppositions des marques de commerce

 

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