Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2013 COMC 39

Date de la décision : 2013-03-06

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Cameleon Software SA à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1422576 pour la marque de commerce CAMILION au nom de Camilion Solutions Inc.

[1]               Le 19 décembre 2008, Camilion Solutions Inc. (la requérante) a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce CAMILION (la Marque) fondée sur un emploi projeté au Canada en liaison avec des services décrits comme des « logiciels spécialisés pour le commerce interentreprises en ligne pour le secteur des services financiers qui permettent aux sociétés de services financiers d’avoir une base de données centrale pour l’ensemble de l’information sur leurs produits et de structurer cette information selon leurs besoins ».

[2]               Le 14 octobre 2009, la demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce.

[3]               Le 12 mars 2010, Cameleon Software SA (l’opposante), ensuite connue sous le nom d’Access Commerce, Société Anonyme, a produit une déclaration d’opposition. En résumé, les motifs d’opposition allèguent ce qui suit :

a)   la demande ne satisfait pas aux exigences des alinéas 30a), e) et i) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi);

b)   la Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, car elle crée de la confusion avec la marque de commerce CAMÉLÉON & Design (TMA583695), illustrée ci‑dessous :

CAMÉLÉON & Dessin

c)   la requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi, car à la date du dépôt de la demande, la Marque créait de la confusion avec les marques de commerce CAMÉLÉON et CAMÉLÉON & Design déjà employées par l’opposante;

d)   la requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu de l’alinéa 16(3)c) de la Loi, car à la date du dépôt de la demande, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce CAMÉLÉON déjà employée par l’opposante;

e)   la Marque n’est pas distinctive conformément à l’article 2 de la Loi.

[4]               La requérante a déposé une contre-déclaration dans laquelle elle rejetait essentiellement les motifs d’opposition.

[5]               Pour appuyer son opposition, l’opposante a produit l’affidavit non daté de Jacques Soumeillan et un certificat d’authenticité de l’enregistrement no TMA583695, conformément à l’article 41 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96‑195 (le Règlement). L’opposante a été autorisée, en vertu de l’article 44 du Règlement, à produire un deuxième affidavit de Jacques Soumeillan, souscrit le 9 novembre 2010, ainsi que les pièces 1 à 24, en remplacement de l’affidavit non daté. M. Soumeillan, directeur général de l’opposante, n’a pas été contre‑interrogé.

[6]               Pour appuyer sa demande, la requérante a produit l’affidavit de Dave Conte, souscrit le 10 décembre 2010, ainsi que les pièces 1 à 29. M. Conte, directeur général de la requérante, a été contre‑interrogé. La transcription de son contre‑interrogatoire et de la réponse de la requérante aux engagements font partie du dossier.

[7]               Les deux parties ont déposé des observations écrites et étaient représentées à l’audience, lors de laquelle j’ai accepté de modifier le dossier de la présente procédure pour tenir compte de changement de nom de l’opposante d’Access Commerce, Société Anonyme, à Cameleon Software SA. Je remarque que ce changement de nom est mentionné au paragraphe 1 de l’affidavit de M. Soumeillan, lequel mentionne également que l’opposante a été constituée en 1986 sous le nom de « la société Access Productique ». Par conséquent, je confirme que le dossier a été modifié afin de tenir compte du changement de nom de l’opposante pour Cameleon Software SA. J’aimerais ajouter que la requérante ne s’est pas opposée à la modification du dossier.

Fardeau de la preuve et dates pertinentes

[8]               Il incombe à la requérante de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, sa demande satisfait aux exigences de la Loi. Toutefois, l’opposante a le fardeau initial de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (CF), p. 298; et Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (CAF)].

[9]               Les dates pertinentes qui s’appliquent aux motifs d’opposition sont les suivantes :

         alinéas 38(2)a)/30a), e) et i) ‑ la date du dépôt de la demande [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3C.P.R. (3d) 469 (COMC), p. 475];

         articles 38(2)b)/12(1)d) ‑ la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. and The Registrar of Trade Marks (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (CAF)];

         alinéas 38(2)c)/16(3)a) et c) ‑ la date du dépôt de la demande [paragraphe 16(3) de la Loi];

         alinéa 38(2)d) et paragraphe 2 ‑ la date du dépôt de l’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (CF)].

Question préliminaire : Refus de la requérante de répondre à certains engagements

[10]           Avant d’analyser les motifs d’opposition, je vais répondre aux observations des parties concernant le refus de la requérante de fournir les renseignements demandés suivants durant le contre‑interrogatoire de M. Conte :

a)   la liste des actionnaires et des directeurs de la requérante [transcription, p. 10];

b)   si une recherche de la disponibilité de la marque de commerce a été effectuée avant de déposer la demande et si oui, la production de cette recherche [transcription, p. 14];

c)   le nombre d’unités vendues du logiciel de la requérante par année [transcription, p. 33].

[11]           Comme la requérante a répondu aux autres engagements pris pendant le contre‑interrogatoire, je ne suis pas d’accord avec l’opposante pour dire que l’affidavit de M. Conte ne devrait pas être pris en compte ou qu'il n'est d'aucune utilité parce que la requérante a refusé de fournir ces renseignements. Donc, si je dois être d’accord avec l’opposante pour dire que ses demandes sont raisonnables et pertinentes, je ne tirerai qu’une conclusion défavorable du refus de fournir ces renseignements, je ne rejetterai pas l’ensemble de l’affidavit.

[12]           La requérante fait valoir que dans le cadre d’une opposition, le contre‑interrogatoire n’a pas une portée aussi large que l’interrogatoire préalable. Elle soutient que puisque les demandes de l’opposante ne concernent aucun élément contenu dans l’affidavit, elles sont non fondées et à juste titre rejetées par la requérante. Il est évident que la portée d’un contre‑interrogatoire n’est certainement pas aussi large que celle qui est permise lors d’un interrogatoire préalable [voir Simpson Strong-Tie Co. c. Peak Innovations Inc. 2009 CF 392].

[13]           J’examinerai maintenant les engagements en cause en commençant par la liste des actionnaires et directeurs de la requérante. L’opposante fait valoir que ces renseignements sont pertinents pour établir si la Marque [TRADUCTION] « a effectivement été créée en utilisant les initiales des fondateurs de la requérante ». À ce titre, je ferai remarquer la déclaration suivante contenue dans l’affidavit de M. Conte :

[TRADUCTION]

25. Le nom de l’entreprise et la marque de commerce « Camilion » ont été inventés par ses fondateurs en utilisant la première lettre des prénoms et des noms de famille des cofondateurs épelés à l’envers et en intégrant le pays d’origine de l’entreprise.

Les noms et le pays d’origine des cofondateurs sont les suivants :

 

Canada

Mohamed, Iqbal

Levy, Ilan

Ohm, Neil

(mis en évidence dans le texte)

[14]           D’après une interprétation juste de la transcription du contre‑interrogatoire, il semble que l’opposante a demandé la liste des actionnaires et directeurs actuels de la requérante, tandis que M. Conte fait référence aux fondateurs de la requérante. À mon avis, un certain mérite doit être accordé à la plaidoirie de la requérante selon laquelle les renseignements demandés ne donneraient aucune information sur ses fondateurs et l’opposante aurait dû demander la liste des fondateurs de la requérante. Dans tous les cas, selon moi, la liste des actionnaires et directeurs n’est pas pertinente dans les circonstances de la présente espèce. Par conséquent, s'il est approprié de tirer une conclusion défavorable de l’omission de la requérante de fournir ces renseignements, cette conclusion n’aura aucune importance.

[15]           En plus de faire valoir que l’affidavit ne fait pas état d’une recherche de la disponibilité, la requérante fait valoir qu’une telle recherche constituerait des renseignements confidentiels entre le procureur et le client qui ne peuvent être produits, même dans le cadre d’un interrogatoire préalable. L’opposante soutient que [TRADUCTION] « peut‑être que la requérante était pleinement consciente de l’existence de l’opposante et de la nature de ses activités en liaison avec les marques CAMELEON/CAMÉLÉON ». Manifestement, les observations de l’opposante sont liées au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i). À mon avis, même si la requérante avait été consciente de l’existence des marques de commerce de l’opposante, cela ne l’aurait pas nécessairement empêchée de faire, en toute honnêteté, la déclaration exigée à l’alinéa 30i) de la Loi. Par conséquent, je juge inutile d’examiner les observations de la requérante et de trancher si une conclusion défavorable devrait être tirée du refus de fournir des renseignements concernant une recherche de la disponibilité.

[16]           Finalement, les renseignements concernant le nombre d’unités vendues du logiciel de la requérante par année ont été demandés dans le contexte du paragraphe 24 de l’affidavit de M. Conte, lequel présente un tableau montrant la répartition des revenus annuels de la requérante aux États‑Unis provenant de la vente du logiciel en liaison avec la Marque et des contrats d’entretien. L’opposante soutient que les renseignements demandés [TRADUCTION] « sont pertinents pour établir le nombre de ventes/clients aux États‑Unis, au lieu de se fonder sur la valeur des ventes en dollars ». Je constate que les observations de l’opposante relatives à la pertinence des renseignements ne sont pas cohérentes avec ses observations dans leur ensemble, selon lesquelles aucun poids ne devrait être accordé aux déclarations de M. Conte relatives au marché américain. Dans tous les cas, je suis d’avis que les revenus annuels de la requérante aux États‑Unis ne sont d’aucune utilité à sa cause. Par conséquent, s'il est approprié de tirer une conclusion défavorable du défaut de la requérante de fournir ces renseignements, cette conclusion n’aura aucune importance.

Analyse des motifs d’opposition

[17]           Avant d’analyser les motifs d’opposition relatifs à la preuve au dossier, j’aimerais faire quelques observations préliminaires.

Observations préliminaires

[18]           Il n’y a aucune preuve sur l’état du registre dans la présente procédure, c’est pourquoi je ne tiens pas compte des observations écrites de l’opposante concernant l’état du registre.

[19]           L’opposante fait valoir à juste titre que les définitions des termes « caméléon » et « cameleon » contenues dans les observations écrites de la requérante n’ont pas été soumises sous la forme d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle; toutefois, cela n’a aucune importance, car je peux moi‑même consulter des dictionnaires [voir Insurance Co. of Prince Edward Island c. Prince Edward Island Insurance Co. (1999), 2 C.P.R. (4th) 103 (COMC)].

[20]      Au paragraphe 8 de son affidavit, M. Soumeillan déclare que l’opposante est titulaire de la marque déposée CAMÉLÉON & Design et des marques non déposées CAMÉLÉON et CAMELEON, lesquelles il désigne ensuite collectivement comme les marques de son entreprise. Même si la marque non déposée CAMELEON n’a pas été alléguée dans la déclaration d’opposition, j’accepterai la preuve d’emploi de la marque CAMELEON comme une preuve d’emploi de la prétendue marque non déposée CAMÉLÉON. De plus, mon emploi subséquent des termes « marques CAMÉLÉON » fait référence à la preuve soumise par M. Soumeillan désignant collectivement les marques de son entreprise.

[21]           Finalement, une partie du débat entre les parties a trait à leurs positions respectives quant à la protection demandée par la requérante. En bref, l’opposante fait valoir que le logiciel spécialisé pour le commence interentreprises en ligne associé à la Marque est une marchandise, et non un service, et que, par conséquent, l’enregistrement de la Marque aurait dû être demandé pour des marchandises. La requérante soutient qu'elle a bien demandé l’enregistrement de sa Marque en liaison avec des services, car son logiciel est accessible en ligne seulement une fois que l’utilisateur a ouvert une session; le logiciel ne peut pas être téléchargé [par. 8 de l'affidavit de M. Conte]. Je ne trancherai pas cette question maintenant, mais je ferai remarquer qu’à moins d’indication contraire, lorsque je fais référence au logiciel de la requérante ou au logiciel associé à la Marque, je fais référence aux services décrits dans la demande d’enregistrement de la Marque.

[22]           Je vais maintenant examiner les motifs d’opposition, mais sans suivre l’ordre dans lequel ils ont été invoqués. Dans mon examen de la preuve, je n’accorderai aucun poids à l’opinion d’un déposant concernant les questions de fait et de droit qu’il appartient au registraire de trancher dans la présente procédure. En outre, j'invoquerai le contre‑interrogatoire de M. Conte seulement s’il est pertinent dans l’examen de la preuve et des observations des parties.

Non-conformité aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi

[23]           Conformément à l’article 30i) de la Loi, le requérant doit inclure à sa demande une déclaration selon laquelle il est convaincu qu’il a le droit d’employer la marque de commerce au Canada. Lorsque le requérant a produit cette déclaration, la jurisprudence indique que l’on ne peut conclure à la non-conformité avec l’alinéa 30i) de la Loi qu’en présence de circonstances exceptionnelles, comme la mauvaise foi ou le non-respect d’une loi fédérale, rendant la déclaration du requérant invraisemblable [voir Sapodilla Co Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (COMC), p. 155; et Canada Post Corporation c. Registrar of Trade-marks (1991), 40 C.P.R. (3d) 221 (CF)]. Comme il n’y a pas de circonstances exceptionnelles dans la présente espèce, je rejette ce motif d’opposition.

Enregistrabilité en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi

[24]           Après avoir exercé le pouvoir discrétionnaire du registraire, je confirme l’existence de l’enregistrement no TMA583695 au nom de « Cameleon Software, Société Anonyme à Conseil d’Administration ». L’adresse indiquée dans l’enregistrement est essentiellement l’adresse de l’opposante mentionnée au paragraphe 2 de l’affidavit de M. Soumeillan. En outre, je suis consciente que « SA » est une abréviation reconnue de « société anonyme ». Par conséquent, je juge raisonnable de conclure que « Cameleon Software, Société Anonyme à Conseil d’Administration » et « Cameleon Software SA » sont une seule et même entité.

[25]           Comme l’opposante s’est acquittée de son fardeau initial de la preuve en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, la requérante a le fardeau de montrer qu’en date d’aujourd’hui, la Marque ne risque pas de créer de la confusion avec la marque CAMÉLÉON & Design de l’opposante enregistrée en liaison avec les marchandises et services suivants :

Marchandises : (1) Progiciels de configuration de données techniques et commerciales; progiciels pour la gestion de données techniques, et /ou la vente assistée par ordinateur; logiciels, nommément logiciels de gestion de la relation client; documentation pour progiciels de configuration de données techniques, nommément des manuels d’utilisateurs; documentation pour progiciels pour la gestion de données techniques et/ou la vente assistée par ordinateur; nommément des manuels d’utilisateurs; documentation pour logiciels et progiciels, nommément les manuels d’utilisateurs pour logiciels de configuration de données techniques et commerciales, manuels d’utilisateurs pour logiciels de gestion de la relation client. (2) Logiciels de commerce électronique permettant l’achat ou la vente de produits personnalisables, nommément les produits assemblés à la commande, fabriqués à la commande ou conçus à la commande, sur intranet, extranet ou Internet.

Services : (1) Conception, développement, mise à jour, maintenance de logiciels et de progiciels; location de logiciels et de progiciels; recherches, études techniques, consultations et conseils en matière d’installation d’ordinateurs et de systèmes informatiques, de logiciels et progiciels, recherches, études techniques, consultations et conseils en matière d’implantation d’ordinateurs et de systèmes informatiques, de logiciels et progiciels.

[26]           Conformément à l’affidavit de M. Soumeillan, je désignerai collectivement les marchandises et services enregistrés par les « marchandises » et les « services ».

[27]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Conformément au paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

[28]           Au moment d’appliquer le test en matière de confusion, je dois tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Le poids qu’il convient d’accorder à ces éléments n’est pas nécessairement le même. [Voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (CSC); Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée et al (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 (CSC); et Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (CSC) pour une analyse rigoureuse des principes généraux régissant le test en matière de confusion].

[29]           Dans Masterpiece, supra, au paragraphe 49, la Cour suprême du Canada aborde l’importance de l’alinéa 6(5)e) de la Loi dans l’évaluation du risque de confusion :

« [...] il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce, même s’il est mentionné en dernier lieu au paragraphe 6(5) de la Loi […] si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires [...] En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion [...] »

[30]           Ainsi, j’évaluerai maintenant les circonstances de l’espèce en commençant par le degré de ressemblance entre la Marque et la marque CAMÉLÉON & Design.

Le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[31]           Il est clairement établi en droit que pour évaluer adéquatement le degré de ressemblance entre deux marques, il faut considérer les marques dans leur ensemble et éviter de placer ces dernières côte à côte pour scruter et comparer les similitudes et les différences de leurs éléments constitutifs.

[32]           D’entrée de jeu, je remarque qu’il n’est pas contesté que le terme « caméléon » est l’équivalent français du terme anglais « chameleon » et que l’élément graphique de la Marque de l’opposante représente un caméléon, c’est-à-dire, « any of a family of small lizards having protruding eyes and the power of changing colour » (membre de la famille des petits lézards ayant des yeux protubérants et la capacité de changer de couleur) [voir Canadian Oxford Dictionnary].

[33]           Je n’ai pas l’intention d’analyser en profondeur les observations écrites de la requérante concernant les différences entre les marques dans la présentation ou le son. D’une part, une grande partie de ces observations est fondée sur une comparaison côte à côte des termes « camilion » et « caméléon », et non sur la première impression. D’autre part, même si je suis d’accord avec la requérante pour dire que l’élément graphique représente la partie dominante de la marque CAMÉLÉON & Design, il n’a aucune incidence sur le degré de ressemblance entre les marques dans le son. Finalement, si j’analyse les termes « caméléon » et « camilion » sous l’angle de la première impression, je suis d’accord avec l’opposante pour dire qu’ils seraient prononcés de façon similaire par un consommateur francophone, anglophone ou bilingue moyen. J’ajouterai qu’à l’audience, la requérante a finalement reconnu que les marques se ressemblaient dans le son.

[34]           Évidemment, l’idée suggérée par la Marque de l’opposante est celle d’un lézard, conformément à la définition donnée plus haut. Dans ses observations écrites, la requérante fait valoir que les marques suggèrent des idées différentes, car le mot inventé « camilion » ne suggère rien. Toutefois, à l’audience, la requérante a accordé un certain mérite aux observations de l’opposante selon lesquelles un consommateur francophone moyen percevrait le terme « camilion » comme le terme « caméléon ». Il s’ensuit que l’idée suggérée par la Marque à un consommateur francophone serait donc celle d’un lézard également. Comme il est mentionné dans Pierre Fabre Medicament c. SmithKline Beecham Corporation v (2001), 11 C.P.R. (4th) 1 (CAF), dès qu’il y a risque de confusion dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du pays, une marque de commerce ne peut être enregistrée.

[35]           Finalement, je juge que le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e) favorise l’opposante de façon importante.

Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[36]           Étant donné que le caméléon peut changer de couleur, la requérante soutient que le terme « caméléon » décrit ou suggère un des objets ou une des fonctions du logiciel de l’opposante, à savoir, modifier, manipuler, configurer ou reconfigurer des renseignements et des données. Je ne suis pas de cet avis. Cela dit, « caméléon » est un terme ordinaire de la langue française, tandis que « camilion » est un mot inventé. Par conséquent, même si la marque CAMÉLÉON & Design possède un certain caractère distinctif inhérent dans le contexte des marchandises et services enregistrés, la Marque possède un caractère distinctif inhérent plus important.

[37]           La force d’une marque de commerce peut être accrue si elle devient connue au Canada par la promotion ou l’utilisation. Par conséquent, je dois maintenant étudier la preuve en tenant compte de la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues au Canada.

[38]           En ce qui a trait à la mesure dans laquelle la Marque est devenue connue au Canada, je remarque que M. Conte fournit des copies de pages d'entrée du logiciel associé à la Marque, notamment des pages d'entrée de la page « Ouverture de session » [par. 5 et 6 de l’affidavit, pièces 3 et 4]. Je me souviens que la preuve de la requérante est que le logiciel associé à la Marque est seulement accessible en ligne une fois que l’utilisateur a ouvert une session. De plus, M. Conte déclare que le logiciel [TRADUCTION] « appartient entièrement à [la requérante] et qu’il peut être utilisé sous licence seulement. Une licence différente est préparée et délivrée à chaque titulaire » [par. 7 de l'affidavit].

[39]           M. Conte déclare que la requérante [TRADUCTION] « a fait peu de ventes au Canada » et explique que c’est parce que la requérante a centré ses efforts de vente aux États‑Unis. Il dépose une copie d’une facture [TRADUCTION] « émise à un titulaire de licence au Canada ». Le contrat de licence précise que tous les frais doivent être indiqués et payés en dollars américains [par. 12 de l’affidavit, pièce 6, Q128‑Q132, U5]. Je remarque que la facture datée du 18 mars 2005 est au montant total de 2 400 $ US.

[40]           Même si la preuve montre des ventes limitées du logiciel au Canada, la requérante fait valoir qu'elle montre que la requérante a acquis une certaine réputation au Canada par l'emploi de sa Marque et de son nom commercial. À cet égard, en plus du fait qu’elle a été constituée le 27 juillet 2000 [par. 2 de l’affidavit de M. Conte], la requérante invoque la preuve suivante produite par M. Conte :

a.      la requérante a été active dans le milieu universitaire et des affaires au Canada en participant à des collectes de fonds d’organismes de bienfaisance, à des associations technologiques et à des activités de recrutement universitaire [par. 26 de l’affidavit, pièce 19]. Je remarque que le contre‑interrogatoire de M. Conte indique que la requérante a fait des dons en argent à des organismes de bienfaisance [Q174 à Q180];

b.      la requérante a reçu plusieurs prix canadiens du public [par. 27 de l’affidavit, pièce 20];

c.      la requérante a participé activement à diverses conférences sur les services financiers au Canada [par. 28 de l’affidavit, pièce 21];

d.      pendant de nombreuses années, la requérante a participé activement au Programme d’encouragements fiscaux Recherche scientifique et développement expérimental (RS&DE), qui encourage les entreprises canadiennes à mener des activités de recherche et développement au Canada. La requérante a été reconnue dans le cadre de ce programme pour les améliorations technologiques apportées au Canada et pour le recrutement et la rétention continus de spécialistes informatiques au Canada [par. 29 de l’affidavit, pièce 22];

e.      des rapports d’analystes de l’industrie publiés par des sociétés indépendantes, comme Gartner, Celent et Forrester, font état de la requérante et de son logiciel. Le coût de ces rapports est très élevé, soit entre 400 $ US et 5 000 $ US chacun, et ils ne peuvent être achetés que dans le cadre d’un abonnement annuel auprès des sociétés indépendantes, dont le coût varie entre 15 000 $ US et 40 000 $ US. Les rapports d’analystes de l’industrie sont utilisés par des tierces parties comme des outils d’enquête pour déterminer les logiciels qui se classent dans les industries [par. 38 de l’affidavit, pièce 25, Q191];

f.       divers articles ont été écrits au sujet de la requérante au fil des ans [par. 42 de l’affidavit, pièce 28].

[41]           Je suis prête à accepter que la preuve relative à la participation à des collectes de fonds d’organismes de bienfaisance, à des associations technologiques et à des activités de recrutement universitaire, à des conférences, à des programmes d’encouragements fiscaux, ainsi qu’aux prix, a donné une certaine visibilité à l’entreprise de la requérante au Canada. Par contre, je suis d’accord avec l’opposante pour dire que cette preuve ne montre pas un emploi de la Marque au sens de l’article 4 de la Loi. En outre, à part le fait que la preuve donne à penser que les rapports des analystes de l’industrie ne sont pas distribués à grande échelle, je ne dispose d’aucun renseignement me permettant de tirer une conclusion quant à l’étendue de leur distribution au Canada. De plus, la requérante n’a fourni aucune preuve pour montrer la distribution des magazines mentionnés par M. Conte au Canada.

[42]           M. Conte déclare que la requérante [TRADUCTION] « fait très peu de publicité et d’activités promotionnelles connexes c'est [sa] réputation et le « bouche-à-oreille » par les analystes de l’industrie [...] et[ses] mises en œuvre réussies chez d’autres clients qui attirent des clients potentiels » [par. 39 de l'affidavit].

[43]           Finalement, M. Conte déclare que la Marque apparaît sur chaque page du site Web de la requérante et produit des pages tirées de ce site Web [par. 40 de l’affidavit, pièce 26]. Toutefois, aucun renseignement ne permet de dire dans quelle mesure le site Web a été visité par des Canadiens. De plus, il semble que quatre des huit communiqués de presse déposés par M. Conte à titre d’échantillons relatifs au logiciel de la requérante proviennent des États‑Unis [par. 41 de l’affidavit, pièce 27].

[44]           Pour ce qui est de la mesure dans laquelle la marque CAMÉLÉON & Design de l’opposante est devenue connue au Canada, je remarque d’abord que M. Soumeillan affirme que l’opposante, dont le siège social est situé en France, possède deux filiales en Amérique du Nord, nommément Access Commerce, Inc. et Access Commerce USA, Inc.; l’opposante a accordé une licence d’emploi des marques CAMÉLÉON en liaison avec les marchandises et services à chacune de ses filiales depuis 1997. M. Soumeillan affirme qu’en vertu de cette licence, l’opposante a exercé un contrôle sur la qualité des marchandises et services offerts par chacune des filiales en liaison avec les marques CAMÉLÉON [par. 6 et 7 de l’affidavit].

[45]           Conformément au paragraphe 50(1) de la Loi, pour que l’emploi d’une marque de commerce par un licencié soit considéré comme un emploi par le propriétaire, le propriétaire doit exercer un contrôle direct ou indirect sur les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services. Il est bien établi en droit que la structure d’une l’entreprise à elle seule ne suffit pas pour établir l’existence d’un contrat de licence. Le paragraphe 50(1) de la Loi n’exige pas la présentation d’observations écrites. Une preuve du contrôle exercé par le propriétaire d’une marque de commerce peut appuyer l’existence d’un contrat de licence implicite [voir Well’s Dairy Inc. c. UL Canada Inc. (2000), 7 C.P.R. (4th) 77 (CF)]. La requérante a décidé de ne pas contre‑interroger M. Soumeillan et elle n’était pas d’avis que l’emploi des marques CAMÉLÉON par les filiales de l’opposante ne répond pas au critère énoncé à l’article 50 de la Loi. Dans ces circonstances, je juge raisonnable de tenir pleinement compte des déclarations de M. Soumeillan et d’accepter que son affidavit suffise pour établir que l’emploi des marques CAMÉLÉON par ses filiales en Amérique du Nord a profité à l’opposante.

[46]           M. Soumeillan déclare que les marques CAMÉLÉON ont été employées au Canada depuis au moins août 1997 en liaison avec les marchandises (1) et avec les services, et depuis le 27 mai 2003 en liaison avec les marchandises (2) [par. 9 de l’affidavit]. M. Soumeillan dépose des extraits tirés du site Web www.cameleon-software.com de l’opposante ainsi que diverses brochures informatives de l’entreprise utilisées au Canada relatives aux marchandises et services [par. 10 de l’affidavit, pièces TDB‑4 à TDB‑13]. Aucun renseignement ne m’a été fourni concernant le nombre de Canadiens ayant visité le site Web, et aucun renseignement me permettant de juger de la mesure dans laquelle les brochures informatives de l’entreprise ont été distribuées ou diffusées.

[47]           M. Soumeillan fournit des copies d’un l’emballage de logiciel utilisé depuis 1997 et d’un colis utilisé par l’opposante pour expédier le logiciel à ses clients [par. 18 et 19 de l’affidavit, pièces TDB‑20 et TDB‑21].

[48]           M. Soumeillan fournit les chiffres de ventes annuelles des marchandises et services au Canada en liaison avec les marques CAMÉLÉON pour les années 1998 à 2009; ces chiffres d’affaires totalisent environ 1 322 121 $ [par. 14 et 17 de l’affidavit]. M. Soumeillan fournit des copies de factures et de bons de commande représentatifs liés à la vente des marchandises et services en liaison avec les marques CAMÉLÉON [par. 15 et 16 de l’affidavit, pièces TDB‑18 et TDB‑19]. Je remarque que les factures ont été émises entre 1998 et 2009; les bons de commande sont datés entre 1997 et 2001. Je remarque que l’adresse d’Access Productique Inc., dont le nom apparaît sur les factures et les bons de commande des années 1997 à 2000, est identique à celle d’Access Commerce Inc., dont le nom apparaît sur les factures et les bons de commande subséquents. Je juge raisonnable de présumer qu’Access Productique Inc. est l’ancien nom d’Access Commerce Inc., une des filiales de l’opposante en Amérique du Nord.

[49]           Les chiffres de ventes de l’opposante ont été abordés en détail dans les observations écrites et la plaidoirie de la requérante. En bref, la requérante soutient qu’à l’exception des années 2001 à 2003, les chiffres de ventes annuelles étaient [TRADUCTION] « pratiquement négligeables », qu’ils « ont stagné » et que durant les quatre ans qui ont précédé l’opposition, ils « avaient diminué à un point tel qu’ils étaient presque sans importance ». Ainsi, la requérante prétend qu’il n’est pas possible d’attribuer une réputation importante à l’opposante au Canada à partir de ses chiffres de ventes.

[50]           Lorsque j’examine les observations de la requérante, je remarque que la question n’est pas de savoir si l’opposante est devenue connue au Canada, mais de savoir si sa marque CAMÉLÉON & Design est devenue connue. Je reconnais que les chiffres de ventes de l’opposante totalisant 605 255 $, 419 435 $ et 120 943 $ en 2001, 2002 et 2003 respectivement ont diminué à 29 182 $ en 2004; les chiffres de ventes étaient inférieurs à 20 000 $ en 2005, en 2006, en 2007 et en 2009. Néanmoins, d’après la preuve au dossier, on peut conclure à juste titre que peu importe la mesure dans laquelle la marque CAMÉLÉON & Design est devenue connue au Canada, elle est devenue connue dans une plus grande mesure que la Marque.

[51]           Finalement, je conclus que la Marque possède un caractère distinctif inhérent supérieur, mais que la marque CAMÉLÉON & Design est devenue connue dans une plus grande mesure au Canada. Ainsi, je juge que l’examen du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) ne favorise aucune des deux parties.

La période pendant laquelle les marques ont été en usage

[52]           La requérante ne conteste pas que l’opposante a montré l’emploi de la Marque CAMÉLÉON & Design au Canada de 1998 à 2009. Cependant, elle soutient que la question sous‑jacente dans l’examen du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b) n’est pas de savoir si la Marque [TRADUCTION] « a été employée pendant une longue période, per se, mais si elle a été acceptée par le public à grande échelle durant cet emploi et si elle a acquis une certaine réputation ». La requérante a tort. Conformément à l’article 4 de la Loi, il faut examiner la période pendant laquelle l’opposante a montré l’emploi de sa marque CAMÉLÉON & Design au Canada.

[53]           Même si la Marque a fait l’objet d’une demande d’enregistrement le 19 décembre 2008 fondé sur un emploi projeté, la preuve de la requérante montre que la Marque aurait été employée au Canada en 2005 [pièce 6 de l’affidavit de M. Conte]. Cela dit, la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la Marque ou la date de premier emploi établie par la preuve importent peu dans l’évaluation du risque de confusion en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, car le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b) favorise l’opposante de toute façon.

Le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce

[54]           L’évaluation du risque de confusion en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi est régi par l’état déclaratif des services dans la demande d’enregistrement de la Marque et par l’état déclaratif des marchandises et services dans l’enregistrement de l’opposante [voir Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc. (1986), 12 C.P.R. (3d) 110 (CAF); et Mr Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd.(1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (CAF)]. Toutefois, il faut lire ces états déclaratifs dans l’idée de déterminer le type probable d’activité ou de commerce que visent les parties plutôt que tous les commerces possibles qui pourraient être compris dans la formulation. À cet égard, la preuve du commerce des parties est utile [voir McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 168 (CAF), p. 169].

[55]           La requérante soutient que les différences dans le genre et l’objet du logiciel des parties et la nature du commerce des parties appuient une conclusion d’absence de risque de confusion, au même titre que le coût élevé du logiciel des parties et le fait que le logiciel de la requérante ne soit pas acheté au hasard. En revanche, l’opposante fait valoir qu’il n’y a aucune différence entre l’objet ou les fonctions du logiciel des parties, qu’il peut être offert à la même clientèle et que le coût du logiciel des parties ne constitue pas un élément important. Même si les deux parties ont longuement plaidé en faveur de leurs positions respectives, de façon plus importante dans le cas de la requérante, je n’ai pas l’intention d’examiner ces plaidoiries en détail. Je vais plutôt résumer les plaidoiries ou les observations écrites des parties dans mon évaluation des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d).

[56]           D’entrée de jeu, je suis d’accord avec la requérante qu’il a été jugé dans Unisys Corp c. Northwood Technologies Inc. (2002), 29 C.P.R. (4th) 115 (COMC) que l’objet d’un programme d’ordinateur peut suffire à distinguer un produit d’ordinateur d'un autre produit d'ordinateur. Par contre, la question de la confusion entre la Marque et la marque CAMÉLÉON & Design est une question de probabilités et de circonstances fondée sur les faits de la présente espèce. Autrement dit, chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres.

[57]           La requérante soutient que le seul et unique objet de son logiciel [TRADUCTION] « bibliothèque » est de permettre aux grandes sociétés de services financiers de disposer d’une base de données électronique centrale unique contenant l'ensemble de l'information sur leurs produits, tandis que le logiciel de l’opposante est un outil de configuration des ventes clients. Pour appuyer son allégation concernant le genre de logiciel de l’opposante, la requérante invoque les pièces TDB‑10 et TDB‑12 jointes à l’affidavit de M. Soumeillan et la déclaration suivante contenue au paragraphe 11 de son affidavit : « Les logiciels et progiciels de Ma Compagnie permettent à nos clients de faire la mise en marche [sic] de leurs propres produits et services et en conséquence d’augmenter leurs ventes [...] ». Quand à l’opposante, elle fait valoir que le logiciel des deux parties permet d’organiser ou de configurer des données selon les besoins des utilisateurs finaux.

[58]           Après avoir examiné les observations des parties, je juge raisonnable de conclure que le logiciel associé à la Marque a le même objet que les marchandises (1) décrites comme des « progiciels de configuration de données techniques et commerciales » en liaison avec la marque CAMÉLÉON & Design, c’est-à-dire organiser des données.

[59]           Pour ce qui est de la nature du commerce, je remarque que M. Conte déclare, au paragraphe 17 de son affidavit, que le marché exclusif de la requérante se compose de [TRADUCTION] « sociétés de services financiers, nommément banques, institutions financières et sociétés d’assurances ». Au paragraphe 18 de son affidavit, M. Conte déclare que les clients actuels de la requérante sont [TRADUCTION] « parmi les plus grandes sociétés de services financiers au monde ». Lors de son contre‑interrogatoire, M. Conte a déclaré que d’après son interprétation, les sociétés énumérées dans son affidavit sont [TRADUCTION] « des sociétés de services financiers » et que les « sociétés d’assurances et les banques font partie du groupe des services financiers » [Q160-Q162].

[60]           L’opposante soutient que les voies commerciales associées aux marques en cause se chevauchent, car la preuve montre que ses marchandises et services s’adressent aussi aux secteurs des finances et de l’assurance [par. 20 et 21 de l’affidavit de M. Soumeillan, pièces TDB‑22 à TDB‑24]. La requérante a fait plusieurs observations concernant la preuve de l’opposante relative aux secteurs des finances et de l’assurance, lesquels je résume comme suit : i) les sociétés d’assurances ne semblent pas être un marché cible de l’opposante au Canada, ou en Amérique du Nord dans la présence espèce; ii) la preuve de l’opposante, laquelle couvre une période de treize ans, montre que les sociétés industrielles et de fabrication sont son principal secteur d'activités au Canada; iii) même si l’état déclaratif des marchandises et services de l’enregistrement no TMA583695 ne se limite pas à un secteur en particulier, il faut conclure de la preuve que les secteurs des finances ou de l’assurance sont des commerces « possibles » pour l’opposante, et non des commerces « probables »; et iv) même si le logiciel associé à la marque CAMÉLÉON & Design peut être vendu au secteur de l’assurance, le genre du logiciel de l’opposante demeure un outil de ventes clients.

[61]           La requérante ne m’a pas convaincue que les secteurs des finances ou de l’assurance ne sont pas des commerces « probables » pour l’opposante. D’une part, la requérante aurait pu contre‑interroger M. Soumeillan pour savoir pourquoi le document intitulé Projet d’implémentation « Amérique du Nord » daté du 25 novembre 1997, constituant la pièce TDB‑2, n’identifie pas les secteurs des finances et de l’assurance comme des marchés cibles, mais elle a choisi de ne pas le contre‑interroger. Dans tous les cas, même si j’accepte que le document constituant la pièce TDB‑2 n’identifie pas les secteurs des finances et de l’assurance comme des marchés cibles de l’opposante en 1997, il demeure que la pièce TDB‑4 jointe à l’affidavit de M. Soumeillan fait état de solutions de développement de produits pour des sociétés d’assurances et d’autres sociétés de services financiers.

[62]           Après avoir examiné les observations des parties, je suis d’accord avec l’opposante pour dire qu’il y a un chevauchement dans la nature du commerce associé aux marques en cause.

[63]           Finalement, je suis d’accord avec la requérante pour dire que le logiciel associé à la Marque coûte très cher, car la preuve montre que les frais de licence totaux liés au logiciel de la requérante vont de 250 000 $ US à 6,1 millions $ US [par. 20 à 22 de l’affidavit de M. Conte]. Je suis également d’accord avec la requérante pour dire que sa preuve montre que la décision d’acheter son logiciel est longue et astreignante [par. 31 à 33 de l’affidavit de M. Conte]. Toutefois, dans Masterpiece, supra, au paragraphe 67, le juge Rothstein confirme que même si les consommateurs qui s’apprêtent à acheter des biens onéreux peuvent être moins susceptibles d’être confus, le test demeure celui de « la première impression ». Le juge Rothstein poursuit aux paragraphes 70 et 71 :

70. Cette question porte principalement sur l’attitude du consommateur qui s’apprête à faire un achat. Or, l’examen convenable de la nature des marchandises, des services ou de l’entreprise en cause doit tenir compte du fait que la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion peut être moins grande lorsque le consommateur est à la recherche de marchandises ou de services importants ou onéreux. Il n’en demeure pas moins que cette probabilité moins grande est toujours fondée sur la première impression du consommateur lorsqu’il voit les marques en question. Le consommateur à la recherche de marchandises ou de services onéreux pourra n’avoir qu’un vague souvenir d’une marque de commerce qu’il a déjà vue, et il portera probablement un peu plus attention à la marque de commerce qui identifie les marchandises ou services qu’il est en train d’examiner, notamment quant aux similitudes ou différences entre cette marque et celle déjà vue. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Mattel, les marques de commerce sont des raccourcis offerts aux consommateurs. Cette affirmation s’applique, peu importe que les consommateurs soient à la recherche de marchandises ou de services plus ou moins onéreux.

 

71. Il est sans importance que, comme l’a conclu le juge de première instance, « il soit peu probable que les consommateurs basent leur choix sur une première impression » ou que, « en règle générale, ils consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher » (par. 43).  En effet, tant les recherches ultérieures que l’achat qui s’ensuit ont lieu après que le consommateur a vu une marque.

[64]           Compte tenu de ce qui précède, je juge que l’examen des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d) favorise l’opposante.

Circonstance additionnelle de l’espèce : aucune preuve de confusion

[65]           Dans ses observations, la requérante indique que l’absence de preuve de confusion constitue une circonstance additionnelle de l’espèce justifiant de conclure qu’il n’existe pas de risque de confusion. Plus particulièrement, la requérante fait valoir qu’elle exerce ses activités depuis 2000 au Canada et qu’elle n’a été témoin d’aucune confusion entre les marques en cause [par. 43 de l’affidavit de M. Conte].

[66]       Il a été dit maintes fois qu’un opposant n’est pas tenu de faire la preuve de confusion. C’est plutôt au requérant qu’il incombe de démontrer l’absence de risque de confusion. L’absence de preuve de confusion ne relève pas le requérant de son fardeau de preuve. Néanmoins, une conclusion défavorable peut être tirée de l’absence de confusion lorsque les marques ont coexisté pendant une longue période [voir Mattel, supra, à la page 347]. Je juge que l’absence de preuve de confusion n’est pas pertinente pour les raisons qui suivent.

[67]           La preuve présentée par M. Conte ne me permet pas de conclure que la requérante a exercé ses activités à grande échelle au Canada depuis sa constitution le 27 juillet 2000. En outre, même si j’ai déjà mentionné que la preuve de la requérante établit que la Marque aurait été employée depuis 2005 au Canada, cette preuve n’établit manifestement pas un emploi de la Marque à grande échelle. Il me paraît utile de rappeler les déclarations suivantes de M. Conte au paragraphe 12 de son affidavit, souscrit le 10 décembre 2010 : [TRADUCTION] « À ce jour, [la requérante] a centré ses efforts de vente et de commercialisation de son logiciel sous la [Marque] aux États‑Unis. C’est pourquoi [la requérante] a fait peu de ventes au Canada […] ».

Circonstance additionnelle de l’espèce : défaut de l’opposante de s’opposer à l’enregistrement de marques de tierces parties

[68]           Les observations de la requérante donnent à penser que dans mon examen des circonstances additionnelles de l’espèce, je devrais tenir compte du fait que l’opposante ne s’est pas opposée aux demandes d’enregistrement de tierces parties pour les marques de commerce CAMELEAN et KAMELEON en liaison avec des logiciels [par. 44 de l’affidavit de M. Conte, pièce 29]. Je ne suis pas de cet avis. À part le fait qu’il faudrait supposer de la raison pour laquelle l’opposante ne s’est pas opposée à l’enregistrement de ces marques, cela n’est pas pertinent dans la détermination du risque de confusion entre les marques en cause dans la présente procédure.

Conclusion concernant le risque de confusion

[69]           Il incombe à la requérante de montrer qu’en date d’aujourd’hui, la Marque n’est pas raisonnablement susceptible de créer de la confusion avec la marque CAMÉLÉON & Design de l’opposante. La requérante doit donc prouver que l’absence de confusion est plus probable que son existence.

[70]           Au moment d’appliquer le test en matière de confusion, je l’ai considéré sous l’angle de la première impression et du vague souvenir. Après avoir soupesé tous les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi et examiné leur importance respective, j’arrive à la conclusion que la requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que la Marque n’est pas raisonnablement susceptible de créer de la confusion avec la marque CAMÉLÉON & Design de l’enregistrement no TMA583695.

[71]           Compte tenu de ce qui précède, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi est accueilli.

[72]           J’aimerais ajouter que même si j’avais été d’accord avec la position de la requérante concernant les différences entre la nature exacte et l’objet du logiciel des parties, cela n’aurait constitué qu’une circonstance additionnelle de l’espèce à examiner. Étant donné le degré de ressemblance entre les marques, j’aurais conclu que les probabilités de confusion entre la Marque et la marque CAMÉLÉON & Design sont réparties également. Comme la requérante doit montrer que l’absence de confusion est plus probable que son existence, j’aurais quand même tranché en défaveur de la requérante.

Inadmissibilité en vertu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi

[73]           Je suis convaincue que l’opposante s’est acquittée de son fardeau initial de montrer que les marques de commerce CAMÉLÉON et CAMÉLÉON & Design ont été employées au Canada avant la date de dépôt de la demande et qu’elles n’avaient pas été abandonnées à la date de l’annonce de la demande d’enregistrement de la Marque [paragraphe 16(5) de la Loi].

[74]           L’examen de chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) en fonction de la date du 19 décembre 2008 plutôt qu’en fonction de la date d’aujourd’hui n’a pas d’incidence importante sur mon analyse des circonstances de l’espèce. En fait, si l’on compare la marque et le mot CAMÉLÉON servant de marque, la thèse de l’opposante relativement à ce motif d’opposante est encore plus solide.

[75]           Compte tenu de ce qui précède, j’accueille le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a) pour des raisons similaires à celles invoquées relativement au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d).

Autres motifs d’opposition

[76]           Étant donné que j’ai déjà accueilli deux motifs d’opposition, je n’examinerai pas les motifs d’opposition fondés sur la non-conformité aux exigences des alinéas 30a) et 30e) de la Loi, c'est‑à‑dire, l’inadmissibilité en vertu de l’alinéa 16(3)c) de la Loi et l’absence de caractère distinctif.

 

Décision

[77]           Conformément au pouvoir qui m’est conféré par le paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande d’enregistrement en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lou-Ann Dubé, trad.

 

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