Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc. à la demande No 1,212,361 produite par Le Massif Inc. pour l’enregistrement de la marque de commerce LE MASSIF                                                                                        

 

[1]               Le 31 mars 2004, Le Massif Inc. (la Requérante) a produit une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce LE MASSIF (la Marque) fondée sur l’emploi au Canada depuis au moins aussitôt que 1982 en liaison avec des marchandises et services reliés à l’exploitation d’une station touristique. Je reviendrai sur l’état déclaratif des marchandises et services de la demande d’enregistrement.

 

[2]               La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce du 1 septembre 2004.

 

[3]               Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition le 28 janvier 2005. Le registraire a transmis la déclaration d’opposition à la Requérante le 24 février 2005. Les allégués à l’appui des motifs d’opposition fondés sur les articles 38(2)a), 38(2)b) et 38(2)d) de la Loi sur les marques de commerce L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), sont à l’effet que :

 

         la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30a) de la Loi en ce que la demande ne renferme pas un état dressé, dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la Marque a été employée;

         la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30b) de la Loi en ce que la Marque n’a pas été employée au Canada par la Requérante depuis 1982;

         la Marque n’est pas enregistrable en vertu de l’article 12(1)b) de la Loi car elle donne, soit sous forme graphique, écrite ou sonore, une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, dans la langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité ou du lieu d’origine des marchandises ou services en liaison avec lesquelles elle est prétendument employée. La Marque décrit un caractère qui est souvent associé aux marchandises et services décrits dans la demande. Le mot « massif » est un terme qui désigne dans l’industrie touristique en général des produits ou des services reliés aux activités tenues en montagne, telles, par exemple, le ski alpin, le surf des neiges, la randonnée pédestre ou d’autres sports et loisirs d’extérieur;

         la Marque est une marque dont l’article 10 de la Loi interdit l’adoption car la Marque, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre ou la qualité des marchandises ou services décrits dans la demande et que, conséquemment, personne ne peut l’adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou ces services ou d’autres marchandises et services de la même catégorie générale ou l’employer d’une manière susceptible d’induire en erreur;

         la Marque n’est pas distinctive des marchandises et services mentionnés dans la demande et n’est pas apte à les distinguer de ceux des autres, notamment de ceux de l’Opposante; eu égard principalement à ce qui est mentionné dans la déclaration d’opposition, la Marque est constituée d’un terme ordinaire et commun à l’industrie touristique et elle est par conséquent incapable de distinguer les marchandises et services de la Requérante.

 

[4]               La Requérante a produit une contre-déclaration niant généralement et spécifiquement les allégations contenues dans la déclaration d’opposition.

 

[5]               La preuve de l’Opposante, en vertu de la règle 41 du Règlement sur les marques de commerce (le «Règlement), est constituée d’une déclaration solennelle de René Godbout, directeur général de l’Opposante depuis août 1996, et d’une déclaration solennelle de Valérie Belle-Isle, stagiaire en droit à l’emploi des agents de marques de commerce de l’Opposante. M. Godbout et Mme Belle-Isle n’ont pas été contre-interrogés par la Requérante.

 

[6]               La preuve de la Requérante, en vertu de la règle 42 du Règlement, est constituée d’un affidavit de Marc Deschamps, administrateur auprès de Groupe Le Massif Inc., et d’un affidavit de Jean-Luc Brassard, à l’emploi de la Requérante depuis 2005 à titre de porte-parole de la station de ski. Messieurs Deschamps et Brassard ont été contre-interrogés par l’Opposante. La transcription des contre-interrogatoires et les réponses aux engagements ont été produites auprès du registraire le 24 novembre 2006. Je référerai aux contre-interrogatoires dans la mesure seulement où ils sont pertinents à l’analyse de la preuve et à l’argumentation des parties.

 

[7]               La preuve de l’Opposante, en vertu de la règle 43 du Règlement, est constituée de déclarations solennelles des individus identifiés ci-dessous, aucun d’entre eux n’ayant été contre-interrogé par la Requérante:

 

a)      Henri Dorion, géographe;

b)      Alain Contant, président et chef de la direction de l’Opposante depuis juin 2005;

c)      Gaston Ouellet, un des instigateurs du projet de création d’une station de ski à Petite-Rivière St-François et directeur du développement pour la région de Québec-Trois-Rivières à l’Office de planification et de développement du Québec à cette époque;

d)     Roger Nadeau, maire de la municipalité de Buckland de 1965 à 1973; et

e)      Gabriel Loubier, député de la circonscription de Bellechasse de 1962 à 1973.

 

[8]               Seule l’Opposante a produit un plaidoyer écrit. Chaque partie était représentée à l’audience.

 

[9]               Avec le consentement de la Requérante, j’ai autorisé l’Opposante à produire les pièces I‑1 et I‑2 à la transcription du contre-interrogatoire de M. Deschamps après l’audience. Ces pièces produites le 28 août 2009 font partie du dossier.

 

[10]           Comme suite à l’audience, la Requérante a produit une demande d’enregistrement amendée. Le 20 octobre 2009, j’ai accepté la demande d’enregistrement amendée au nom du registraire. En conséquence, l’état déclaratif des marchandises et services de la demande d’enregistrement actuellement au dossier se lit comme suit:

 

Marchandises: (1) Matériel publicitaire et promotionnel, nommément brochures, panneaux de signalisation, épinglettes, cartes postales, affiches et photos, cassettes vidéos promotionnelles préenregistrées, pochettes de presse, cartons d'invitation, stylos, autocollants, porte-clés, verres, tasses, articles de golf nommément balles, marqueurs de balles, capuchons pour bâtons, imperméables, visières, parapluies, tés, outils servant à réparer les verts, bouteilles, stylos, crayons et emballages cadeaux contenant des articles de golf, médailles, jeux de cartes, montres, limonadiers, appareils photos jetables, parapluie; (2) Vêtements et uniformes de sport pour hommes, dames et enfants nommément des t-shirts, chandails, anoraks, casquettes, habits de pluie, chemises, polars, foulards, mitaines et gants, bandeaux, tuques, chapeaux avec ou sans rebords, gilets, vestes, sous-vêtements, ceintures, bas.

 

Services: Exploitation d'une station touristique quatre saisons offrant des services afférents à la pratique du ski alpin, du surf des neiges, du télémark, de randonnée pédestre et d'autres sports et loisirs d'extérieur nommément: l'exploitation de pentes de ski alpin, de surf des neiges et de télémark, l'exploitation de leçons de ski, de patrouilles de ski, de services de guides en montagne, l'exploitation de services de billetterie, d'enneigement artificiel, d'entretien des pentes et équipements, de remontées mécaniques, de services de transport par navettes, et d'organisation et de tenue de compétitions sportives; l'exploitation de restaurants, de bars, de salles de réception, de salles d'entreposage d'équipement, de garderies, de boutiques de vente et de location d'équipements sportifs, de réparation d'équipement, de vêtements et de matériel de ski, de surf des neiges et de télémark.

 

[11]           À toutes fins utiles, je note qu’en début d’audience j’ai souligné aux parties avoir constaté une différence entre le nom de l’entité identifiée dans la déclaration d’opposition, soit Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc., et le nom de l’entité qui avait obtenu la prolongation de délai pour s’opposer à la demande d’enregistrement, soit Station Touristique Massif du Sud. Pour une raison que j’ignore, cette différence n’a pas été constatée par le registraire préalablement à la transmission de la déclaration d’opposition à la Requérante. De plus, la Requérante n’a pas porté cette différence à l’attention du registraire à quelque moment que ce soit durant la procédure. À l’audience, l’agent de l’Opposante a indiqué que Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc. et Station Touristique Massif du Sud sont une seule et même entité. Selon ses représentations, ce n’est qu’à des fins d’ordre pratique que l’Opposante a été identifiée sous son nom commercial Station Touristique Massif du Sud dans la demande de prolongation de délai. Pour sa part, l’agent de la Requérante a confirmé que cette dernière a toujours considéré que l’Opposante était l’entité ayant obtenu la prolongation de délai et que la Requérante ne remettait pas en cause la qualité de Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc. comme partie à la présente procédure.

 

DATES PERTINENTES

 

[12]           Les dates pertinentes pour l’appréciation des circonstances relatives à chacun des motifs d’opposition en l’espèce sont les suivantes :

 

  • article 38(2)a) conformité à l’article 30 de la Loi : la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.)];
  • article 38(2)b) non-enregistrable parce que contraire à l’article 12(1)b) de la Loi : la date de la demande [voir Shell Canada Limited c. P.T. Sari Incofood Corporation (2005), 41 C.P.R. (4th) 250 (C.F. 1re inst); Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst)];
  • article 38(2)b) non-enregistrable parce que contraire à l’article 10 de la Loi : la date de ma décision [voir Olympus Optical Company Ltd. c. Canadian Olympic Association (1991), 38 C.P.R. (3d) 1 (C.F.A.)];
  • article 38(2)d) – distinctivité : date de production de la déclaration d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)].

 

ANALYSE DES MOTIFS D’OPPOSITION

 

[13]           Il incombe à l’Opposante de faire en sorte que chacun de ses motifs d’opposition soit dûment plaidé et de s’acquitter du fardeau de preuve initial en établissant les faits sur lesquels elle appuie ses motifs d’opposition. Une fois ce fardeau de preuve initial rencontré, il incombe à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des motifs d’opposition ne fait obstacle à l’enregistrement de la Marque [voir John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al, (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.F.A.); et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company (2005), 41 C.P.R. (4th) 223 (C.F.)].

 

[14]           Avant de procéder à l’analyse des motifs, je ferai ci-après des observations préliminaires quant à la preuve versée au dossier. Ce faisant, je traiterai de diverses représentations des parties.

 

Observations préliminaires

 

Preuve en vertu de la règle 43 du Règlement

 

[15]           La Requérante soumet que les déclarations solennelles produites à titre de preuve sous la règle 43 du Règlement ne sont pas recevables parce qu’elles ne se limitent pas strictement à des matières servant de réponse à sa preuve. De façon générale, la Requérante soumet que l’Opposante fractionne indûment sa preuve en se fondant sur la règle 43 du Règlement pour présenter une preuve qui aurait dû faire partie des éléments soumis en preuve principale. Pour les raisons mentionnées ci-dessous, l’Opposante soumet que les déclarations solennelles ont été adéquatement produites en vertu de la règle 43 du Règlement. À la page 14 de son plaidoyer écrit, l’Opposante écrit: « [L]a règle d’or en ce qui concerne l’admissibilité d’éléments de preuve dans le cadre d’une instance administrative est celle de la pertinence. Ainsi, tout ce qui est pertinent au recours est en principe admissible. » Or, le principe qui doit être pris en considération pour décider de la recevabilité de la preuve en vertu de la règle 43 du Règlement consiste à déterminer si cette preuve se limite strictement aux matières servant de réponse à la preuve de la Requérante. C’est sur la base de ce principe que j’ai examiné les déclarations solennelles.

 

[16]           L’Opposante prétend que la déclaration solennelle d’Henri Dorion répond aux paragraphes 37 à 39 de l’affidavit de M. Deschamps qui affirme que le mot « massif » n’est ni descriptif, ni générique, de même qu’au témoignage de M. Brassard à l’effet que la station de ski de la Requérante se trouve sur trois montagnes formant un massif [p. 41 de la transcription]. Je ne peux accepter les prétentions de l’Opposante. Je partage pleinement l’opinion de la Requérante à l’effet que l’Opposante tente de se servir de la déclaration solennelle de M. Dorion, présenté comme témoin expert, pour produire des éléments de preuve qu’elle aurait dû présenter dans le cadre de sa preuve principale. En conséquence, je conclus que la déclaration solennelle de M. Dorion est irrecevable comme preuve en vertu de la règle 43 du Règlement et qu’il doit en être fait abstraction dans l’analyse de la preuve au dossier [voir Prouvost S.A. c. Haberdashers Ltd. (1987), 18 C.I.P.R. 232 (C.O.M.C.)].

 

[17]           En ce qui concerne la déclaration solennelle d’Alain Contant, l’Opposante soumet que : (i) les paragraphes 1 à 6 répondent aux affirmations retrouvées aux paragraphes 37 à 39 de l’affidavit de M. Deschamps; (ii) le paragraphe 7 répond aux témoignages de MM. Deschamps et Brassard « concernant les divers noms sous lesquels a été connue la station de ski » de la Requérante; et (iii) les paragraphes 8 à 11 répondent au témoignage de M. Brassard selon lequel il ne connaît pas d’autres endroits portant le nom de « massif ». D’une part, la simple affirmation de M. Contant à l’effet qu’il a pris connaissance des paragraphes 37 à 39 de l’affidavit de M. Deschamps est nettement insuffisante pour conclure que sa déclaration répond à la preuve de la Requérante. D’autre part, la déclaration vise manifestement à produire des éléments visant à prouver l’emploi descriptif et générique de « massif » dans le secteur récréo‑touristique, ce qui en soi justifie les représentations de la Requérante quant à l’irrecevabilité de la déclaration solennelle de M. Contant. Après avoir considéré les représentations des parties, j’estime que seuls les paragraphes 7 à 11 de cette déclaration solennelle sont recevables comme preuve en vertu de la règle 43 du Règlement.

 

[18]           Selon l’Opposante, la déclaration solennelle de M. Ouellet répond aux témoignages de MM. Deschamps et Brassard qui ont déclaré, en contre-interrogatoire, que la station de ski de la Requérante n’a jamais été connue sous un autre nom que « Le Massif ». Pour ce qui est des déclarations solennelles de Roger Nadeau et Gabriel Loubier, l’Opposante soumet qu’elles répondent au paragraphe 40 de l’affidavit de M. Deschamps parce qu’elles démontrent l’emploi du nom « Massif du Sud » par l’Opposante avant 1989. Après avoir considéré les représentations des parties, je suis prête à accepter les déclarations de MM. Ouellet, Nadeau et Loubier comme preuve en vertu de la règle 43 du Règlement.

 

[19]           Je tiens à préciser que mon acceptation des paragraphes 7 à 11 de la déclaration solennelle M. Deschamps et des déclarations solennelles de MM. Ouellet, Nadeau et Loubier comme preuve en vertu de la règle 43 du Règlement ne signifie pas que j’accepte les représentations de l’Opposante quant à la force probante de la preuve en question. La force probante de ces éléments de preuve sera considérée sous l’analyse des motifs d’opposition pertinents, le cas échant.

 

Expertise de Jean-Luc Brassard

 

[20]           En plus d’être le porte-parole de la station de ski de la Requérante, M. Brassard est chroniqueur sportif. Membre de l’équipe nationale du Canada en ski acrobatique (bosses) de 1990 à 2002, il a été cinquante fois médaillé sur le circuit de la coupe du monde, dont trois fois champion du monde au niveau cumulatif, en plus d’être médaillé d’or aux jeux olympiques de Lillehammer en 1994. M. Brassard déclare que le cabinet d’avocats Desjardins Ducharme lui a demandé de soumettre son opinion « quant à la notoriété et au caractère distinctif de la marque et du nom LE MASSIF » [paragraphe 10].

 

[21]           Bien qu’elle reconnaît que M. Brassard est un expert en ski de haut niveau, l’Opposante soumet que son affidavit n’est pas recevable parce que M. Brassard n’est pas expert en marques de commerce, en marketing ou en toute autre matière lui permettant de donner l’opinion demandée.

 

[22]           Selon moi, M. Brassard n’est pas présenté par la Requérante comme un expert dans d’autres domaines que le ski. Cependant, la qualité d’expert suppose nécessairement une indépendance par rapport aux parties quant à l’issue de la procédure d’opposition. Même si je ne vois aucune raison de ne pas considérer l’affidavit de M. Brassard dans la présente affaire, dans les circonstances de l’espèce, j’estime qu’il n’est pas approprié que M. Brassard puisse prétendre comparaître comme témoin expert. M. Brassard est à l’emploi de la Requérante depuis 2005 à titre de porte-parole de la station de ski de la Requérante. Dans le cadre de cette fonction, il est rémunéré par la Requérante sur la base d’un salaire annuel [p. 8 de la transcription de son contre-interrogatoire].

 

[23]           J’ajouterais que même si j’avais accepté l’affidavit de M. Brassard comme preuve d’expert, je n’aurais pas été tenue de retenir l’opinion de M. Brassard du fait de son expertise. J’aurais quand même examiné les faits ou postulats sur lesquels repose son opinion afin d’évaluer à la fois le bien-fondé de celle-ci et le cheminement qui la sous-tend [voir William H. Rorer (Canada) Ltd. c. Johnson & Johnson (1980), 48 C.P.R. (2d) 58 (C.F. 1re inst.)].

 

Enregistrement no TMA360,352 pour la marque LE MASSIF & Dessin

 

[24]           Lors de l’audience, l’agent de la Requérante a référé à la décision Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc. c. Massif Inc. 2008 CarswellNat 4512 concernant une procédure sous l’article 45 de la Loi à l’encontre de l’enregistrement no  TMA360,352 pour la marque de commerce LE MASSIF & Dessin de la Requérante. Or, le fardeau de preuve dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45 de la Loi diffère de celui reposant sur la Requérante dans la présente procédure. Quoiqu’il en soit, la propriété de l’enregistrement no TMA360,352 [pièce MD‑7 de l’affidavit Dansereau] ne confère pas automatiquement à la Requérante le droit d’obtenir l’enregistrement de la Marque.

 

Emploi du nom commercial et de la marque de commerce Le Massif du Sud par l’Opposante

 

[25]           Une part relativement importante de la preuve, incluant les contre-interrogatoires de MM. Deschamps et Brassard, concerne l’emploi de la marque de commerce et du nom commercial « Le Massif du Sud » par l’Opposante, ou ses prédécesseurs en titre, en liaison avec l’exploitation d’une entreprise de services récréo‑touristiques dans le Parc régional du Massif du Sud. Sans commenter à ce moment-ci sur cette preuve ou sur les soumissions des parties quant à sa valeur, je note qu’aucun des motifs d’opposition n’est fondé sur la confusion entre la Marque et la marque ou le nom commercial « Le Massif du Sud » de l’Opposante.

 

Autre litige entre les parties

 

[26]           M. Deschamps fait état dans son affidavit du fait que la Requérante a intenté une action en contrefaçon de marque de commerce devant la Cour supérieure du Québec à l’encontre de l’Opposante [paragraphe 36, pièce MD‑8]. Il fait également état d’une lettre de mise en demeure préalablement adressée à l’Opposante [paragraphe 35, pièce MD-13]. La déclaration solennelle de M. Godbout fait référence à la mise en demeure reçue par l’Opposante [paragraphe 21, pièce RG-5]. À mon avis, il est inapproprié dans le contexte de la présente opposition d’accorder une signification quelconque aux allégations de l’un ou l’autre des déposants entourant la procédure judiciaire en instance devant la Cour supérieure du Québec. D’ailleurs, j’ajoute que mes observations et conclusions dans la présente décision sont formulées uniquement dans le contexte de l’opposition qui nous occupe.

 

[27]           Je reviens maintenant à l’analyse des motifs d’opposition.

 

Conformité à l’article 30a) de la Loi

 

[28]           Le motif d’opposition reproduit essentiellement les dispositions de l'article 30a) de la Loi. L’Opposante n’a pas produit d’éléments de preuve, ni soumis d’arguments au soutien de ce motif d’opposition.

 

[29]           Je conclus que l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et je rejette le motif d’opposition fondé sur la non-conformité à l’article 30a) de la Loi.

 

Conformité à l’article 30b) de la Loi

 

[30]           Dans la mesure où la Requérante a plus facilement accès aux faits, le fardeau initial de preuve qui incombe à l’Opposante, relativement au motif d’opposition fondé sur la non-conformité à l’article 30b) de la Loi, est moins lourd [voir Tune Masters c. Mr. P's Mastertune Ignition Services Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.)]. L’Opposante n’a présenté aucune preuve au soutien de son motif d’opposition. Elle s’appuie plutôt sur la preuve de la Requérante, et plus particulièrement sur l’affidavit de M. Deschamps et sur son contre-interrogatoire. L'Opposante peut s'appuyer sur la preuve de la Requérante pour s'acquitter de son fardeau de preuve. Cependant, l’Opposante doit démontrer que cette preuve est clairement incompatible avec l’allégation d’emploi de la Marque depuis au moins aussitôt que 1982 par la Requérante en liaison avec les marchandises et services identifiés dans la demande [voir York Barbell Holdings Ltd. c. ICON Health & Fitness, Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 156 (C.O.M.C.)].

 

[31]           M. Deschamps indique qu’à titre d’administrateur de Groupe Le Massif Inc. depuis 2003, il assiste aux réunions du conseil d’administration « au cours desquelles les questions touchant l’exploitation du centre de ski Le Massif sont traitées » [paragraphe 2]. Il précise que la compagnie Groupe Le Massif Inc. détient la totalité des actions de la Requérante. M. Deschamps indique qu’entre 1982 et 2000, il a occupé le poste de directeur général de la Société de développement du Massif de Petite-Rivière-Saint-François Inc. qu’il identifie comme étant le prédécesseur en titre de la Requérante [paragraphe 3].

 

[32]           Selon les représentations de l’Opposante, les lacunes de la preuve d’emploi présentée aux paragraphes 6 à 17 de l’affidavit de M. Deschamps de même que ses admissions lors de son contre-interrogatoire démontrent que la preuve est clairement incompatible avec l’allégation d’emploi de la Marque par la Requérante depuis 1982. Pour sa part, lors de l’audience, l’agent de la Requérante a fait valoir à juste titre que la Requérante n’avait pas le fardeau initial de prouver l’emploi de la Marque en liaison avec les marchandises et services libellés dans la demande depuis la date de premier emploi revendiquée. Quoiqu’il en soit, l’agent de la Requérante a fait des représentations à l’effet que la preuve démontre l’emploi de la Marque par la Requérante et par son prédécesseur en titre depuis la date de premier emploi revendiquée dans la demande.

 

[33]           Selon les paragraphes 4 et 6 de la déclaration de M. Deschamps, reproduits ci-dessous, le premier utilisateur de la Marque aurait été la Société de développement du Massif de Petite-Rivière-Saint-François Inc., prédécesseur en titre de la Requérante :

 

4.   La compagnie Le Massif Inc. exploite le centre de ski Le Massif situé dans la région de Charlevoix, dans le village de Petite-Rivière-Saint-François, depuis 2002. Auparavant, le centre de ski Le Massif était exploité par la Société de développement du Massif de Petite-Rivière-Saint-François Inc. (prédécesseur de la compagnie Le Massif Inc.).

[…]

6.   La marque de commerce le MASSIF est employée en association avec l’exploitation d’un centre de ski, par le prédécesseur de la Requérante depuis au moins aussi tôt qu’au début des années 1980.

 

[34]           Lorsque contre-interrogé sur la signification de sa référence à la Société de développement du Massif de Petite-Rivière-Saint-François Inc. comme « prédécesseur », M. Deschamps a indiqué ce qui suit [p. 7 de la transcription]:

 

R.  C’est elle qui opérait la Station de ski Le Massif avant que ça soit vendu au Groupe Le Massif, donc Le Massif Inc.

Q.  Et ç’a [sic] été vendu au Groupe Le Massif, en quelle année?

R.  En deux mille deux (2002).

 

[35]           Il est clairement établi par la jurisprudence qu’une demande d’enregistrement doit identifier, le cas échéant, le(s) prédécesseur(s) en titre ayant employé la marque de commerce pour laquelle l’enregistrement est demandé. Il me suffit de souligner les commentaires formulés par mon collègue D. Martin dans R.W.S. Hoists & Crane Inc. c. Richard Wilcox Canada Inc. (2004), 41 C.P.R. (4th) 258 :

 

Although it is not necessary to include amalgamating companies as predecessors (see the opposition decision in Molson Breweries, a Partnership v. John Labatt Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 107 (T.M. Opp. Bd.), at 113), where there has been an actual change in ownership, predecessors in title must be included covering the period of use claimed in the application: see the opposition decisions in Hardee's Food Systems Inc. v. Hardee Farms International Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 417 (T.M. Opp. Bd.), at 430 and Sanna Inc. v. Chocosuisse union des fabricants suisses de chocolat (1986), 14 C.P.R. (3d) 139 (T.M. Opp. Bd.), at 142.

 

[36]           La demande d’enregistrement ne fait pas état de l’emploi de la Marque par le prédécesseur en titre de la Requérante pendant la période d’emploi revendiquée dans la demande, ce que j’ai d’ailleurs souligné aux parties lors de l’audience. Le défaut de la Requérante d'indiquer le nom de son prédécesseur en titre dans la demande d’enregistrement fait en sorte que celle-ci n'est pas conforme à l'article 30b) de la Loi. En conséquence, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les représentations des parties quant à la preuve d’emploi pour conclure que la preuve de la Requérante est clairement incompatible avec l’allégation d’emploi de la Marque par la Requérante en liaison avec les marchandises et services identifiés dans la demande depuis au moins aussitôt que 1982.

 

[37]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de preuve et je fais droit au motif d’opposition fondé sur la non-conformité à l’article 30b) de la Loi.

 

Enregistrabilité et distinctivité

 

[38]           Dans son plaidoyer écrit [pp. 15-16], l’Opposante conclut ses représentations sur le motif d’opposition fondé sur la non-conformité à l’article 30b) de la Loi, en indiquant ce qui suit :

 

Bien que la Commission des oppositions pourrait cesser son analyse dès maintenant puisqu’il n’est pas nécessaire de passer aux autres motifs d’opposition, la demande n’étant pas conforme aux exigences de la loi et du règlement, l’Opposante désire insister sur les autres motifs d’opposition, ces derniers prenant une importance toute particulière, notamment en ce que la Requérante a déjà produit une nouvelle demande d’enregistrement pour une marque similaire à celle faisant l’objet des présentes procédures en opposition et qui est toujours en instance (numéro de demande 1327102) et, de plus, la Requérante revendique un monopole quant au mot « massif » utilisé sous quelque forme que ce soit, par exemple dans un nom commercial ou dans un nom de domaine Internet via les procédures intentées en Cour supérieure du Québec contre l’Opposante (dossier de cour 300-17-000018-067).

 

[39]           L’Opposante semble suggérer que ma décision quant aux motifs d’opposition fondés sur l’enregistrabilité et l’absence de caractère distinctif de la Marque serait pertinente dans le cadre de toute autre procédure en instance, ou même éventuelle, entre les parties. Or, je suis en désaccord avec la suggestion de l’Opposante. Mis à part la différence entre la nature de la présente procédure et celle devant la Cour supérieure du Québec, la décision des motifs d’opposition soulevés en vertu des articles 38(2)b) et 38(2)d) de la Loi est une question de probabilités eu égard aux circonstances de l’espèce. En d’autres mots, ma décision de ces motifs d’opposition serait en fonction de la preuve pertinente versée au dossier de la présente affaire. J’irai jusqu'à suggérer que si je refusais l’un ou l’autre des motifs d’opposition fondés sur les articles 38(2)b) et 38(2)d) de la Loi, l’Opposante tenterait sans doute de distinguer ma décision dans le cadre de toute autre procédure en instance entre les parties.

 

[40]           Puisque j’ai accepté le motif d’opposition fondé sur la non-conformité à l’article 30b) de la Loi à l’égard de toutes les marchandises et tous les services identifiés dans la demande d’enregistrement, je n’ai pas l’intention de statuer sur les motifs d’opposition à l’effet que la Marque n’est pas enregistrable et n’est pas distinctive.

 

CONCLUSION

 

[41]           Eu égard à ce qui précède, et en raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement, le tout conformément aux dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

DATÉ À MONTRÉAL, QUÉBEC, LE 9 DÉCEMBRE 2009.

 

 

 

Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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