Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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PROCÉDURE PRÉVUE À L’ARTICLE 45 demandée par Borden Ladner Gervais à l’égard de l’enregistrement no LMCDF19191 visant la marque de commerce MUELLER au nom de Mueller International, Inc. (une société du Delaware)

 

[1           Le 10 mars 2006, à la demande de Borden Ladner Gervais (la Partie requérante), le registraire a envoyé l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), à Mueller International, Inc. (une société du Delaware), propriétaire inscrite de la marque de commerce visée par l’enregistrement susmentionné (l’Inscrivante). La marque de commerce MUELLER (la Marque) est enregistrée en liaison avec les marchandises suivantes : accessoires de plomberie et de tuyauterie à vapeur, robinets et valves, outils et machines de travail des métaux, raccords de tuyauterie, bouches à clé, compteurs de gaz et d’eau et accessoires afférents, et bornes-fontaines (les Marchandises).

 

[2           En réponse à l’avis, l’Inscrivante a fourni l’affidavit de Leo W. Fleury, souscrit le 8 juin 2006. L’Inscrivante et la Partie requérante ont toutes deux produit un plaidoyer écrit et les deux parties ont assisté à l’audience qui a été tenue. La présente affaire a été entendue en même temps que l’affaire concernant l’enregistrement no LMC163,123 visant la marque de commerce MUELLER 110.

 

[3           L’article 45 de la Loi exige que le propriétaire inscrit de la marque de commerce indique si la marque a été employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises et/ou chacun des services énumérés dans l’enregistrement à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. En l’espèce, la période pertinente pour établir l’emploi s’étend du 10 mars 2003 au 10 mars 2006.

 

[4           À l’époque où l’article 45 portait le numéro 44, la portée de la procédure prévue à l’article 45 a été décrite en ces termes dans l’arrêt Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 13 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), aux pages 293‑294 :

Il est bien établi que le but et l’objet de l’article 44 sont d’assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort ». L'article 44 ne prévoit pas de décision sur la question de l’abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l’emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d’emploi. La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l’enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation conformément à l’article 44. Si l'usager est fiable, la preuve déposée en réponse à l’avis doit « indiquer » que la marque est employée ou, du moins, se rapporter à des faits dont on peut déduire un tel emploi. Une simple démarche statutaire, sous forme de stricte déclaration stipulant que l’inscrivant employait couramment la marque de commerce, dans la pratique normale du commerce, en liaison avec les marchandises, ne suffit pas pour en établir l’usage, à moins qu'elle soit accompagnée de faits qui la corroborent d'une manière descriptive. La preuve d'une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, dans la mesure où il s’agit d'une véritable transaction commerciale et qu'elle n'est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce. La preuve qui donne suite à l'avis de l'article 44 doit se fonder sur la qualité, non la quantité, et une preuve surabondante serait inutile et injustifiable. Voir Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc., (1981) 53 C.P.R. (2d) 62, [1981] 1 C.F. 679, 34 N.R. 39 (C.A.F.); Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. et autres, (1983) 69 C.P.R. (2d) 136, [1983] 2 C.F. 71 (C.A.F.); American Distilling c. Canadian Schenley Distilleries, (1977) 38 C.P.R. (2d) 60; John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co., (1984) 80 C.P.R. (2d) 228 (C.A.F.); Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., (1986) 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F., div. lère inst.); Keepsake, Inc. c. Prestone Ltd., (1983) 69 C.P.R. (2d) 50, [1983] 2 C.F. 489 (C.F., div. lère inst.); et Union Electric Supply Co. Ltd. c. Registraire des marques de commerce, (1982) 63 C.P.R. (2d) 56, [1982] 2 C.F. 263 (C.F., div. lère inst.).

 

 

[5           M. Fleury atteste qu’il est le directeur de l’exploitation de Mueller International, Inc., le vice‑président à la recherche et au développement de Mueller Co., la société affiliée américaine en exploitation de l’Inscrivante et le vice‑président de Mueller Canada Ltd. (Mueller Canada), la société affiliée canadienne en exploitation de l’Inscrivante. Au paragraphe 7 de son affidavit, il déclare ceci :

 

[traduction] En vertu de contrats de licence écrits prenant effet le 20 septembre 2001, l’Inscrivante a octroyé à Mueller Canada et Mueller Co. (collectivement les « Titulaires de licence ») une licence les autorisant à employer, notamment, certains brevets et marques de commerce appartenant à l’Inscrivante dans différents pays partout dans le monde (les « Contrats de licence »). Plus particulièrement, à ces fins, en vertu des Contrats de licence, l’Inscrivante autorise les Titulaires de licence à employer la Marque de commerce au Canada en liaison avec les Marchandises. Aux termes des Contrats de licence, l’Inscrivante continue à exercer un contrôle de la qualité sur la Marque de commerce, et tout emploi de la Marque de commerce par les Titulaires de licence bénéficie à l’Inscrivante.

 

 

[6           M. Fleury explique ensuite que les titulaires de licence fabriquent tous leurs produits, y compris les Marchandises arborant la Marque, à leurs propres usines et fonderies, ce qu’ils ont fait tout au long de la période pertinente. La pratique normale du commerce des titulaires de licence au Canada consiste notamment à vendre les produits en gros à des détaillants non liés qui, à leur tour, vendent les produits aux consommateurs et aux fournisseurs de plomberie industrielle aux fins d’installation ou de vente dans le secteur d’activité en question.

 

[7           Au paragraphe 12 de son affidavit, M. Fleury déclare que lorsque la Marque figure sur les Marchandises, elle est souvent imprimée ou embossée sur celles‑ci. Il ajoute que [traduction] « dans d’autres cas, elle figure sur les emballages, les guides d’emploi ou les autres documents qui accompagnent les marchandises ». Sont jointes à son affidavit comme pièce A [traduction] « des photocopies de photos d’échantillons de Marchandises montrant la marque de commerce telle qu’elle figure sur celles‑ci ».

 

[8           Au paragraphe 16 de son affidavit, M. Fleury énumère ainsi les ventes à la pièce de chacune des Marchandises au cours de l’année 2005 : 350 000 robinets-vanne, 900 000 valves de compteur de gaz, 100 000 bornes-fontaines, 500 000 sellettes, 1 000 000 robinets de service en laiton et 2 000 perceuses. Il ajoute que [traduction] « dans la grande majorité des cas » la Marque est apposée sur les Marchandises, et que 10 à 15 % de ces ventes ont été réalisées au Canada.

 

[9           M. Fleury a également fourni des chiffres sous‑évalués quant aux ventes des Marchandises de l’Inscrivante réalisées au Canada par les titulaires de licence au cours de la période pertinente. Les ventes se sont élevées à plus de 250 000 000 $ au cours de cette période. La ventilation suivante de ce montant, qui indique le chiffre des ventes attribuable à chacune des Marchandises, a été fournie au paragraphe 19 de l’affidavit de M. Fleury :

 

Accessoires de plomberie et de tuyauterie à vapeur               0,1 million $

Robinets et valves                                                                   52 millions $

Outils et machines de travail des métaux                               2,5 millions $

Raccords de tuyauterie                                                           1,5 millions $

Bouches à clé                                                                          5 millions $

Compteurs de gaz et d’eau et accessoires afférents               0,3 million $

Bornes-fontaines                                                                     43 millions $

 

[10       Sont jointes à son affidavit comme pièce B ce que M. Fleury décrit comme étant des factures représentatives faisant état de ventes de Marchandises arborant la marque à des adresses situées au Canada au cours de la période pertinente.

 

[11       La Partie requérante soutient que l’enregistrement devrait être radié au motif que la preuve consiste en de simples affirmations d’emploi de la Marque, ce qui ne satisfait pas aux exigences de l’article 45 de la Loi. Elle prétend que les déclarations faites par M. Fleury sont ambiguës et susceptibles de recevoir plus d’une interprétation. En conséquence, les ambiguïtés devraient jouer contre l’Inscrivante.

 

[12       La Partie requérante affirme de plus que les déclarations de M. Fleury ne sont pas étayées par les pièces qui y sont jointes. Par exemple, elle prétend que les photos jointes comme pièce A à l’affidavit de M. Fleury sont inadmissibles pour les trois motifs suivants :

 

1) l’auteur de l’affidavit n’établit pas quand les photos ont été prises, à savoir au cours de la période de trois ans ou plus récemment;

2) l’auteur de l’affidavit n’indique pas où elles ont été prises, à savoir au Canada ou ailleurs;

3) l’auteur de l’affidavit n’indique pas qui a pris les photos.

 

[13       La Partie requérante souligne également que l’Inscrivante n’a pas fourni d’exemples des emballages, guides d’emploi ou autres documents arborant la Marque qui sont censés accompagner les Marchandises dans certains cas. Enfin, la Partie requérante signale que les factures jointes comme pièce B à l’affidavit de M. Fleury n’indiquent pas le type de Marchandises vendues, pas plus qu’elles ne montrent la Marque employée en liaison avec l’une quelconque de ces Marchandises. Par conséquent, si les factures peuvent corroborer l’existence de ventes, elles ne montrent pas que les Marchandises vendues arboraient la Marque.

 

[14       D’autre part, l’agent de l’Inscrivante soutient que la preuve montre bien que la Marque a été employée en liaison avec chacune des Marchandises au cours de la période pertinente. Il prétend que les photos corroborent le témoignage de M. Fleury au paragraphe 12, où ce dernier décrit la façon dont la Marque figure sur les Marchandises. Il affirme en outre que l’Inscrivante a fourni les ventes de Marchandises réalisées au Canada au cours de la période pertinente, ainsi qu’une ventilation de ces ventes aux paragraphes 16 et 19, où il dresse la liste des pièces vendues et des chiffres des ventes attribuables à certaines Marchandises vendues au Canada au cours de la période pertinente.

 

[15       Il est vrai que de simples affirmations d’emploi ne sont pas suffisantes pour satisfaire aux exigences de l’article 45 [Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.)]. Cependant, il faut faire une distinction entre les affirmations d’emploi (une question de droit) et les affirmations de fait établissant l’emploi [Mantha & Associes/Associates c. Central Transport, Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.)]. À cet égard, une preuve documentaire n’est pas nécessairement requise pour établir l’emploi, pourvu que l’affidavit fourni par l’Inscrivante contienne suffisamment de faits pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce déposée était employée au Canada au cours de la période pertinente en liaison avec chacune des Marchandises que spécifie l’enregistrement. Enfin, bien que le fardeau qui incombe à l’inscrivant dans une procédure prévue à l’article 45 ne soit pas très lourd, vu l’impossibilité de procéder à un contre‑interrogatoire dans le cadre d’une telle procédure, les déclarations ambiguës doivent être interprétées à l’encontre de l’auteur de l’affidavit [Plough, précité].

 

[16       L’emploi en liaison avec des marchandises est ainsi défini au paragraphe 4(1) de la Loi :

 

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

[17       À mon avis, bien que la preuve fournie ne soit pas tout à fait claire, elle est suffisante, dans son ensemble, pour me permettre de conclure que la Marque a été employée au Canada en liaison avec les Marchandises que spécifie l’enregistrement au cours de la période pertinente. L’Inscrivante a clairement déclaré qu’au cours de la période pertinente, les titulaires de licence ont, en son nom, employé la Marque de façon constante au Canada en liaison avec les Marchandises. De plus, je suis disposée à inférer que les photos jointes comme pièce A à l’affidavit de M. Fleury sont représentatives de la façon dont la Marque figurait sur les Marchandises au cours de la période pertinente. Même si je devais conclure que les photos jointes comme pièce A ne sont pas admissibles pour les motifs que la Partie requérante a invoqués, il reste que M. Fleury a décrit la façon dont la Marque est employée en liaison avec les Marchandises lors du transfert (soit elle est imprimée ou embossée sur les Marchandises, soit elle figure sur les emballages, les guides d’emploi ou les autres documents qui accompagnent les Marchandises). L’Inscrivante a également fourni les chiffres des ventes relatifs à la période pertinente, et a procédé à une ventilation par marchandise de ses ventes au Canada au cours de cette période. En outre, au moins une facture porte une date tombant dans la période pertinente, ce qui, à mon avis, relie la Marque aux bornes‑fontaines de l’Inscrivante. À cet égard, la facture mentionne la vente d’une « EXTENSION MUELLER HYD » au cours de la période pertinente, et je suis disposée à conclure que le mot « hyd » est l’abréviation de « hydrant », qui signifie « borne-fontaine » en anglais. Si les autres factures produites ne relient pas nécessairement la Marque aux Marchandises, elles n’en confirment pas moins que des ventes des Marchandises ont eu lieu au cours de la période pertinente dans la pratique normale du commerce de l’Inscrivante. Dans les circonstances de l’espèce, en demander davantage reviendrait à exiger une preuve surabondante. On m’a fourni suffisamment de faits pour me permettre d’arriver à la conclusion que la Marque a été employée en liaison avec l’ensemble des Marchandises au cours de la période pertinente.

 

[18       Bien que je sois disposée à conclure que l’emploi de la Marque en liaison avec les Marchandises au cours de la période pertinente a été établi, il reste encore à déterminer si l’emploi établi profite à l’Inscrivante. À cet égard, l’ensemble de l’emploi qui a été établi est un emploi par Mueller Canada et Mueller Co., des sociétés que M. Fleury a décrites comme étant des titulaires de licence de l’Inscrivante.

 

[19       La seule façon de faire en sorte que l’emploi d’une marque de commerce par un tiers soit réputé être celui du propriétaire inscrit de la marque de commerce est de satisfaire à l’article 50 de la Loi. Les paragraphes 50(1) et 50(2) de la Loi sont reproduits ci‑après :

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui‑ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

           (2) Pour l’application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l’identité du propriétaire et au fait que l’emploi d’une marque de commerce fait l’objet d’une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l’objet d’une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

 

[20       En l’espèce, les copies des contrats de licence, qui auraient pu me permettre de déterminer si l’Inscrivante contrôlait les caractéristiques ou la qualité des Marchandises aux termes de la licence, n’ont pas été produites en preuve. En outre, aucune affirmation n’a été faite quant au contrôle requis par le propriétaire inscrit. À cet égard, je note que M. Fleury déclare que l’Inscrivante continue à exercer un contrôle de la qualité sur la marque de commerce. Il ressort clairement du libellé de l’article 50 que le propriétaire inscrit doit, aux termes de la licence, contrôler, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services. Enfin, la preuve ne révèle pas qu’un avis public a été donné quant à l’identité de l’Inscrivante et au fait que l’emploi de la Marque faisait l’objet d’une licence; par conséquent, la présomption énoncée au paragraphe 50(2) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce. Je dois donc conclure qu’aucun emploi de la Marque par les titulaires de licence ne profite à l’Inscrivante.

 

[21       Après avoir conclu qu’aucun emploi révélé par la preuve ne profite à l’Inscrivante, je n’ai d’autre choix que de conclure que la Marque MUELLER doit être radiée. Dans l’exercice du pouvoir qui m’a été délégué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera radié conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi.

 

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 22 DÉCEMBRE 2009.

 

 

C.R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, L.L.B.

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