Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 205

Date de la décision: 2015-11-12

DANS L'AFFAIRE DES OPPOSITIONS

 

 

Focus Eye Centre Inc.

Opposante

et

 

Gestion FocusVision inc.

Requérant(e)

 

 

 

 



1,551,638 pour FocusVision

1,551,642 pour FocusVision et dessin

Demandes

 

 

Introduction

[1]               Gestion FocusVision inc. (la Requérante) a produit le 10 novembre 2011 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce FocusVision (la Marque Mot) portant le numéro no 1,551,638.

[2]               La demande est fondée sur un emploi de la Marque Mot au Canada depuis le 1er octobre 2008 en liaison avec des services de clinique médicale et chirurgicale en ophtalmologie (les Services).

[3]               Le même jour la Requérante produisait également une demande, no 1,551,642, pour l’enregistrement de la marque de commerce FocusVision et dessin (la Marque Dessin,) ci-après illustrée :

FocusVision

[4]               Cette seconde demande d’enregistrement est aussi fondée sur un emploi de la Marque Dessin au Canada depuis le 1er octobre 2008 en liaison les Services.

[5]               Ces deux demandes d’enregistrement furent annoncées le 29 août 2012 dans le Journal des marques de commerce pour fins d’opposition.

[6]               Focus Eye Centre Inc. (l’Opposante) a produit le 29 octobre 2012 une déclaration d’opposition dans chacun des dossiers soulevant les mêmes motifs d’opposition fondés sur les articles 30 (i), 12(1)(d), 16(1)(a) et (c) et 2 (caractère distinctif) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13 (la Loi).

[7]               La Requérante a produit une contre-déclaration à l’encontre de chacune des oppositions niant tous et chacun des motifs d’opposition et contenant également un argumentaire dont les principaux éléments se retrouvent dans son plaidoyer écrit .

[8]               L’Opposante a produit, à titre de preuve, les affidavits de Kevin Chadwick et Irena Kramer Retskaya. La Requérante a produit les affidavits de Michel Podtetenev et Philippe Roberge. La preuve est identique dans les deux dossiers.

[9]               Les parties ont produit un plaidoyer écrit et étaient représentées lors de l’audience. Le plaidoyer écrit de l’Opposante diffère quelque peu dans chacun des dossiers en ce que l’Opposante traite, dans le dossier de la Marque Dessin, de l’élément dessin de cette marque. Le plaidoyer écrit de la Requérante est identique dans chacun des dossiers. La Requérante y aborde également l’aspect distinctif du dessin de la Marque Dessin. Or, il est évident que cet argument ne peut s’appliquer qu’au dossier de la Marque Dessin.

[10]           Pour les raisons plus amplement décrites ci-après, j’estime que les demandes d’enregistrement doivent être refusées.


 

Fardeau de preuve

[11]           Dans le cadre de la procédure en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, c’est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi. Cela signifie que, si une conclusion déterminante ne peut être tirée une fois que toute la preuve ait été présentée, la question doit être tranchée en sa défaveur. Toutefois, l’opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'opposante signifie qu'un motif d'opposition sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ce motif d'opposition [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CFPI); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF); et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company (2005), 41 CPR (4th) 223 (CFPI)].

Remarques préliminaires

[12]           Sauf si mentionné autrement, le mot ‘dossier’ signifie les dossiers 1,551,638 et 1,551,642. Également, le terme ‘Marque’ fait référence à la fois à la Marque Mot et à la Marque Dessin.

[13]           J’ai pris connaissance de toute la preuve versée au dossier. Toutefois, je me référerai uniquement à ce que je considère pertinent pour les fins de ma décision.

[14]           En début d’audience l’Opposante a soulevé le fait que les pièces annexées aux affidavits de M. Roberge et M. Podtetenev n’ont pas été authentifiées par le commissaire à l’assermentation devant qui ces affidavits ont été signés. Je ne considère pas cette omission comme étant fatale pour la preuve de la Requérante. En effet, chaque pièce est amplement décrite dans les paragraphes où le témoin y fait référence. J’ai déjà traité d’une situation similaire dans Tension 10 Inc c Tension Clothing Inc, 2004 CanLII 71738 (COMC) et j’avais conclu qu’un tel vice de forme n’était pas préjudiciable à l’admissibilité des pièces mises en preuve.


 

[15]           Dans son argumentation écrite, outre le degré de ressemblance entre les marques des parties, la Requérante n’a pas commenté les facteurs énumérés à l’article 6(5) de la Loi. Toutefois lors de l’audience, quelques brefs commentaires ont été présentés par l’agent de la Requérante sur certains d’entre-eux. J’y ferai référence lors de l’analyse de ces facteurs.

Motifs d’opposition fondés sur l’article 30(i) de la Loi

[16]           L’article 30(i) de la Loi exige seulement que la Requérante se déclare convaincue d’avoir droit d’employer la Marque au Canada. Cette déclaration est comprise dans chacune des demandes d’enregistrement.

[17]           Cet article de la Loi peut être soulevé au soutien d’un motif d’opposition que dans des cas bien particuliers, tel que lorsque cette déclaration de la Requérante aurait été faite de mauvaise foi [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC)].

[18]           L’Opposante allègue dans sa déclaration d’opposition que la Requérante était au courant de l’existence des marques de commerce de  l’Opposante FOCUS EYE CENTRE INC, 1-800-IN FOCUS et FOCUS LASER CENTRE en liaison avec des services médicaux, nommément chirurgie au laser en raison de leur emploi au Canada depuis près de 18 ans. Or, l’on ne saurait inférer de la simple connaissance de l’existence des marques de commerce de l’Opposante par la Requérante que celle-ci était de mauvaise foi au moment de la production de chacune de ses demandes d’enregistrement.

[19]           L’Opposante argumente également dans son plaidoyer écrit, et a fait des représentations en ce sens lors de l’audience, que la Requérante avait connaissance de l’emploi des marques de l’Opposante puisque la Requérante avait abandonné une première demande pour l’enregistrement de la marque de commerce FocusVision & Eye Design, demande d’enregistrement no 1,445,924 suite à une opposition soulevée par l’Opposante.

[20]           Il n’y a aucune preuve au dossier à ce sujet. Lorsque j’ai souligné cette lacune à l’audience, l’Opposante m’a invité à user de mon pouvoir discrétionnaire de consulter le registre. J’ai indiqué à l’Opposante lors de l’audience que je n’étais pas prêt à exercer ce pouvoir discrétionnaire devant une telle situation. J’abonde dans le sens de la Requérante. L’Opposante n’a pas allégué ce fait dans sa déclaration d’opposition. Ainsi, la Requérante n’avait pas à produire, et effectivement n’a pas produit de preuve concernant les raisons qui auraient pu justifier un tel abandon.

[21]           Le registraire consultera le registre que pour vérifier le statut d’enregistrements ou de demandes d’enregistrement plaidés dans la déclaration d’opposition [voir Quaker Oats of Canada Ltd/La Compagnie Quaker Oats du Canada Ltée c Menu Foods Ltd (1986), 11 CPR (3d) 410 (COMC) et Royal Appliance Mfg Co c Iona Appliances Inc (1990), 32 CPR (3d) 525 (COMC)]. Si l’Opposante désirait appuyer son motif d’opposition fondé sur l’article 30(i) de la Loi sur ces faits, elle devait les alléguer dans sa déclaration d’opposition et les prouver dans le cadre de sa preuve.

[22]           Pour toutes ces raisons, je rejette ce motif d’opposition.

Motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) de la Loi

[23]           L’Opposante allègue, dans sa déclaration d’opposition, que la Marque porte à confusion avec ses marques de commerce déposées FOCUS EYE CENTRE et Dessin et 1-800-IN FOCUS.

[24]           La date pertinente pour analyser ce motif d’opposition est la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 CPR (3d) 413, à la page 424 (CAF)].

[25]           M. Chadwick est le président de l’Opposante. Il a produit une copie certifiée des enregistrements suivants détenus par l’Opposante :

         no LMC471,642 pour la marque de commerce FOCUS EYE CENTRE et Dessin ci-après reproduite :

FOCUS EYE CENTRE DESIGN

enregistrée en liaison avec des services médicaux, nommément chirurgie au laser.

         no LMC471,275 pour la marque de commerce 1-800-IN-FOCUS en liaison avec les mêmes services.

[26]           J’ai vérifié le registre et je peux confirmer que ces enregistrements sont toujours valides. Ainsi, l’Opposante s’est déchargée de son fardeau initial de preuve.

[27]           J’estime que les chances de succès de l’Opposante sous ce motif d’opposition sont meilleures avec la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin. En effet, si l’Opposante n’a pas gain de cause avec cette marque de commerce, elle n’aurait guère plus de succès avec sa marque de commerce 1-800-IN-FOCUS.

[28]           Il incombe donc à la Requérante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’emploi de la Marque en liaison avec les Services ne risque pas de créer de la confusion avec la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin de l’Opposante. Le test à appliquer pour trancher cette question est énoncé à l’article 6(2) de la Loi. Ce test ne concerne pas la confusion entre les marques elles-mêmes, mais plutôt la confusion quant à l’origine des produits et services. Ainsi, je dois déterminer si un consommateur, qui voit la Marque employée en liaison avec les Services, croirait que ceux-ci sont offerts par l’Opposante ou sont autorisés par cette dernière.

[29]           Je dois tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris celles énumérées à l’article 6(5) de la Loi, à savoir : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive et il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun de ces facteurs [voir Mattel Inc c 3894207 Canada Inc 2006 CSC 22 (CanLII), 49 CPR (4th) 321 (CSC); Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée 2006 CSC 623(CanLII), 49 CPR (4th) 401 (CSC); et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc et al 2011 CSC 27 (CanLII), 92 CPR (4th) 361 (CSC) pour une analyse plus approfondie des principes généraux qui régissent le test en matière de confusion].


 

Le caractère distinctif inhérent des marques et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[30]           Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante prétend que la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin possède un caractère distinctif inhérent alors que la Marque peut être perçue comme étant suggestive des Services. Lors de l’audience, la Requérante a soutenu que la Marque Mot possédait un caractère distinctif inhérent car il s’agit d’un mot inventé.

[31]           La Marque Mot et la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin sont des marques possédant un faible degré de caractère distinctif inhérent. Je ne crois pas que la Marque Mot possède un degré de caractère distinctif inhérent plus élevé que la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin. Bien que la Marque Mot soit un mot inventé, il s’agit simplement de la juxtaposition de deux mots communs de la langue anglaise soit ‘focus’ et ‘vision’. D’ailleurs l’emploi de la majuscule dans le mot ‘Vision’ sert à séparer ces mots. La Marque Mot, lorsqu’elle est employée en liaison avec les Services, est suggestive de la nature des Services. Quant à la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin de l’Opposante, je ne vois pas en quoi l’emploi d’un dessin très peu original lui donnerait un caractère distinctif supérieur à celui de la Marque Mot. La marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin est également suggestive des services lui étant associés.

[32]           Pour ce qui est de la Marque Dessin, j’estime qu’elle possède un caractère distinctif inhérent légèrement supérieur à celui de la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin. En effet, le dessin de la Marque Dessin, bien que celle-ci soit hautement suggestive, est plus original que celui de la marque de l’Opposante.

[33]           Le caractère distinctif d’une marque peut être rehaussé par son emploi et la mesure dans laquelle elle est devenue connue au Canada en raison de son emploi ou promotion. Je procéderai donc à l’analyse de la preuve de l’emploi des marques des parties qui a été versée au dossier.

[34]           M. Chadwick allègue que l’Opposante a débuté l’emploi des marques de commerce FOCUS EYE CENTRE et FOCUS EYE CENTRE et Dessin en liaison avec des chirurgies de correction de la vue en février 1993. L’Opposante offre ses services dans deux cliniques, soit à Kingston et Ottawa, Ontario. Ainsi, l’Opposante aurait fourni de tels services à plus de 25,000 patients situés à travers le Canada, incluant un nombre substantiel domiciliés au Québec. Toutefois, M. Chadwick ne nous indique pas ce que serait ce nombre ‘substantiel’.

[35]           M. Chadwick ajoute que l’Opposante fait la promotion de ses services de correction de la vue par chirurgie au laser par la publication d’annonces dans des journaux ou magazines ainsi qu’à la radio au Canada. Il affirme que l’Opposante dépense des sommes importantes pour faire la promotion de ses marques en liaison avec ses services. Pour appuyer ses dires, M. Chadwick a produit des exemplaires de brochures faisant la promotion des services de l’Opposante en liaison avec ses marques FOCUS EYE CENTRE et FOCUS EYE CENTRE et Dessin.

[36]           Outre le nombre de chirurgies pratiquées depuis 1993, je trouve cette preuve bien mince. En effet nous n’avons aucune information sur le chiffre d’affaires de l’Opposante durant cette période. Nous n’avons aucune information sur les sommes dépensées par l’Opposante pour la promotion de ses services en liaison avec sa marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin et nous n’avons aucune information sur la distribution de la documentation publicitaire (périodes, régions, quantités, etc…) produite au soutien de l’affidavit de M. Chadwick.

[37]           Tout au plus, je considère que la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin était connue de façon limitée dans les régions de Kingston et Ottawa.

[38]           M. Podtetenev est l’actionnaire majoritaire et seul administrateur de la Requérante. Il allègue que la Requérante a été incorporée le 28 avril 2008. Selon l’extrait de l’état des renseignements d’une personne morale au registre des entreprises du Québec, produit comme annexe A à son affidavit, la Requérante exerce des activités de service d’ophtalmologie et exploite une clinique de chirurgie visuelle. La clinique exploitée par la Requérante est située à l’Île-des-Sœurs (région de Montréal) au Québec et ce, depuis septembre 2008.

[39]           M. Podtetenev allègue que, depuis le mois de septembre 2008, la Requérante utilise la Marque en lien avec l’exploitation de sa clinique médicale en ophtalmologie. Il affirme que, depuis 2008, la Requérante utilise l’expression FocusVision dans son nom commercial, dans ses documents publicitaires ainsi que dans son logo et il a produit comme annexe B des extraits du site web de la Requérante pour appuyer ses prétentions. Il s’agit de la seule preuve d’emploi de la Marque au dossier au sens de l’article 4(2) de la Loi.

[40]           À partir de cette preuve il est impossible de déterminer dans quelle mesure la Marque est devenue connue au Canada en liaison avec les Services. Nous n’avons pas les chiffres d’affaires de la Requérante pour les Services fournis en liaison avec la Marque. Nous n’avons pas le nombre de chirurgies pratiquées par la Requérante en liaison avec la Marque et finalement nous n’avons aucune information sur le nombre de personnes qui auraient consulté le site web de la Requérante. Tout au plus, je considère que la Marque était connue de façon très limitée à l’Ile des Sœurs, dans la région de Montréal.

La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[41]           Il apparaît de la preuve ci-haut décrite que l’Opposante emploie sa marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin depuis 1993 alors que la Requérante emploie la Marque depuis septembre 2008.

[42]           Ce facteur favorise donc l’Opposante.

Le genre de services et la nature du commerce

[43]           Il m’apparaît évident que les services offerts par les parties et la nature de leurs commerces respectifs se chevauchent.

[44]           Ces deux facteurs favorisent donc également l’Opposante.

Le degré de ressemblance entre les marques en présence

[45]           Je rappelle que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece, cité plus haut, a clairement indiqué que le degré de ressemblance entre les marques est le facteur susceptible d’avoir la plus grande incidence sur l’examen de la confusion. Cet arrêt nous enseigne également qu’il faut identifier l’élément dominant de chacune des marques.

Marque Mot

[46]           La Marque Mot est formée de la juxtaposition des mots ‘focus’ et ‘vision’. Je ne considère pas un de ces mots plus dominant que l’autre. Toutefois, l’élément ‘focus’ est la première composante de la Marque Mot. Il a été déterminé dans le passé que le premier élément d’une marque de commerce est généralement le plus important [voir Conde Nast Publication Inc c Union des Éditions Modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CFPI)]. Un raisonnement similaire s’applique à la marque de l’Opposante. Je ne crois pas que les éléments ‘centre’, ‘eye’ et le dessin sont des éléments dominants. Donc, pour chacune des marques en présence, l’élément ‘focus’ domine ces marques.

[47]           Quant à l’idée suggérée par ces marques, elle m’apparaît la même lorsque les marques sont employées en liaison avec les services des parties. En effet, la Marque Mot suggère à un anglophone ou une personne bilingue l’idée que des chirurgies reliées à la vue sont pratiquées dans les cliniques de la Requérante. Il en est de même pour les cliniques opérées par l’Opposante en liaison avec sa marque FOCUS EYE CENTRE & Design.

[48]           La Requérante a fait état du fait que la marque de l’Opposante est unilingue anglaise alors que la Marque Mot ne fait pas référence à une langue en particulier. Je rappelle que la Cour fédérale a conclu que le test concernant la confusion entre des marques de commerce doit être abordé sous l’angle d’un consommateur unilingue francophone, anglophone ou bilingue [voir Pierre Fabre Médicament c SmithKline Beecham Corp  (2000), 8 CPR (4th) 389 (CFPI), 2000 CarswellNat 1837]. Bien que la Marque Mot soit un mot inventé, elle est composée de deux mots de la langue anglaise qu’un consommateur anglophone ou bilingue saura reconnaître. Je ne peux donc retenir cet argument pour distinguer les marques en présence.

[49]           Dans son plaidoyer écrit la Requérante indique qu’une simple consultation sur le moteur de recherche Google permet de constater qu’il n’y a aucune confusion. Elle prétend qu’une recherche de la marque de l’Opposante réfère à son site et non à la Requérante, alors qu’une recherche de la Marque Mot réfère au site de la Requérante et non à celui de l’Opposante.

[50]           Je n’ai aucune preuve au dossier que de telles recherches ont été effectuées. Dans son affidavit M. Roberge mentionne avoir consulté le site de la Requérante. Il n’y a aucune mention d’une recherche préalable effectuée avec l’engin de recherche Google. À tout événement, je ne crois pas, même si une telle recherche avait été effectuée, qu’elle aurait été concluante. En effet, le test n’est pas la confusion réelle entre les marques mais plutôt de déterminer si l’emploi de la Marque Mot en liaison avec les Services est susceptible de créer de la confusion avec la marque de l’Opposante, employée en liaison avec les services de l’Opposante.

Marque Dessin

[51]           Quant à la Marque Dessin, la Requérante mentionne que le dessin illustre un œil et réfère donc clairement à l’ophtalmologie. Ainsi, si je me permets de poursuivre sur cette lancée, je suis d’opinion que le dessin ajoute un autre élément suggestif de la nature des Services.

[52]           D’ailleurs, l’Opposante argumente que la présence d’un œil dans la Marque Dessin ne fait qu’accentuer la ressemblance dans les idées suggérées par les marques des parties. Ainsi, la Marque Dessin comporte le dessin d’un œil alors que la marque FOCUS EYE CENTRE et Dessin comprend le mot ‘eye’, mot anglais pour ‘œil’.

[53]           J’abonde dans le même sens que l’Opposante. L’idée suggérée par les Marque Dessin et FOCUS EYE CENTRE et dessin est essentiellement la même: les services offerts par les parties sont des services d’ophtalmologie.

[54]           Je conclus que ce facteur favorise l’Opposante tant dans le dossier de la Marque Mot que dans celui de la Marque Dessin.

Autres facteurs soulevés par les parties

[55]           La Requérante plaide que d’accueillir l’opposition serait ni plus ni moins d’accorder un monopole à l’Opposante sur le mot ‘focus’ qui est un mot courant de la langue anglaise. Je ne suis pas d’accord avec l’approche de la Requérante. La question n’est pas de déterminer si l’Opposante jouit d’un monopole sur le mot ‘focus’ mais plutôt de déterminer la probabilité de confusion quant à la source  des services des parties, prenant en considération l’ensemble des facteurs énumérés à l’article 6(5) de la Loi.

[56]           J’estime que les éléments additionnels de la Marque ne sont pas suffisants pour distinguer la Marque de celle de l’Opposante. Il demeure qu’il y a une probabilité raisonnable de confusion entre ces marques lorsqu’elles sont employées en liaison avec le même genre de services.

[57]           La Requérante soulève également l’absence de confusion malgré la coexistence des marques pendant une période de plus de 8 ans. L’Opposante argumente quant à elle qu’il y eu confusion tel qu’en fait foi les allégations à cet effet contenues dans l’affidavit de M. Chadwick. Je vais traiter de ces deux arguments séparément.

Absence de confusion

[58]           Tout d’abord, l’absence de confusion n’est pas nécessairement concluante en soi. Souvent, dans le passé le registraire a appuyé sa conclusion d’absence de probabilité de confusion sur le fait qu’il y a absence de confusion malgré un emploi exhaustif des marques des parties dans le même territoire pendant une longue période de temps. Or, dans le présent dossier, l’Opposante n’exploite que deux cliniques situées à Kingston et Ottawa, alors que la Requérante n’a qu’une seule place d’affaires soit à l’Île des Sœurs dans la région de Montréal. De plus, je n’ai pas assez d’informations sur l’ampleur du chiffre d’affaires des parties pendant cette période de coexistence. Je considère donc, dans les circonstances, que l’absence de preuve de cas de confusion n’est pas un facteur déterminant dans le présent dossier.

Cas de confusion

[59]           Quant au cas de confusion allégué par l’Opposante, il peut se résumer de la façon suivante. M. Chadwick allègue que l’existence de la clinique exploitée par la Requérante a été portée à son attention par des collègues dans le domaine de la correction de la vue par chirurgie au laser. Ces personnes croyaient que les marques de commerce employées par la Requérante portaient à confusion avec les marques de l’Opposante.

[60]           En premier lieu, je tiens à souligner qu’il n’y a aucune information quant aux noms des personnes qui auraient communiqué avec M. Chadwick ni les dates de ces communications, ni de la façon dont ces communications se sont déroulées. De plus, M. Chadwick ne nous indique pas pourquoi ces personnes n’ont pas pu signer un affidavit à cet effet. Le contenu de ces communications m’apparaît être du ouï-dire et l’Opposante n’a pas prouvé les critères d’admissibilité d’une telle preuve soit la nécessité et la fiabilité de telles informations (R v Kahn [1990] 2 SCR 531).


 

État du registre

[61]           Annexée à l’affidavit de M. Podtetenev comme pièce C, se retrouve  une recherche effectuée sur la base de données de l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada (OPIC) sur les marques de commerce. M. Podtetenev allègue que cette recherche démontre que le mot ‘focus’ est employé dans une multitude de domaines et pour une variété de marques de commerce.

[62]           Je note que M. Podtetenev n’indique pas dans son affidavit si c’est lui-même ou une autre personne qui a fait cette recherche. De plus, il ne décrit pas la méthodologie employée pour faire cette recherche. Finalement, même si j’acceptais cette preuve, la majorité des citations sont des demandes d’enregistrement qui ont été abandonnées ou sont en opposition. La seule marque de commerce déposée qui m’apparaît pertinente est YOUR VISION, OUR FOCUS, enregistrement LMC724,612. Or, je ne peux pas inférer d’une seule citation que l’emploi du mot ‘focus’ comme composante d’une marque de commerce, est répandu dans le domaine de l’ophtalmologie [voir Maximum Nutrition Ltd c Kellogg Salada Canada Inc (1992), 43 CPR (3d) 349 (CAF)].

Le lieu des places d’affaires des parties

[63]           Tant dans son argumentation écrite que lors de l’audience, la Requérante a plaidé qu’il ne saurait y avoir de confusion car l’Opposante n’a que deux places d’affaires, toutes deux situées en Ontario alors que la Requérante opère à Montréal. De plus, la Requérante plaide que la preuve démontre qu’elle possède une clientèle locale, soit de la région de Montréal.

[64]           Je tiens à rappeler que l’enregistrement d’une marque de commerce donne au propriétaire de cette marque le droit exclusif de l’employer dans tout le Canada [voir l’article 19 de la Loi]. Ainsi, l’Opposante n’est pas limitée à employer ses marques de commerce déposées en Ontario. Elle a le droit de les employer ailleurs au Canada, incluant à Montréal. Il en va de même pour la Requérante qui, si elle obtient l’enregistrement de la Marque, pourra l’employer ailleurs au Canada, incluant en Ontario. C’est la raison pour laquelle à l’article 6(2) de la Loi il est stipulé que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque lorsque l’emploi des deux marques, dans une même région, serait susceptible de faire conclure que les services liés à ces marques, sont exécutés par la même personne.

Conclusion

[65]           Bien que les marques des parties soient des marques faibles, je ne suis pas satisfait que la Requérante a rencontré son fardeau de preuve ultime de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne porte pas à confusion avec celle de l’Opposante. J’estime que la période de temps que les marques sont employées (article 6(5)(b)), la nature des services et la nature des commerces des parties (articles 6(5)(c) et (d)), et le degré de ressemblance entre les marques en présence (article 6(5)(e)) militent en faveur de l’Opposante.

[66]           J’accueille donc ce motif d’opposition.

Motif d’opposition fondé sur l’article 16(1)(a) de la Loi

[67]           L’Opposante plaide dans sa déclaration d’opposition que  la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu des dispositions de l’article 16(1)a) et c) de la de la Loi puisqu’à la date de premier emploi de la Marque alléguée dans les demandes d’enregistrement, celle-ci  créait de la confusion avec les marques de commerce de l’Opposante ci-haut décrites.

[68]                La date pertinente sous ce motif d’opposition est la date de premier emploi de la Marque alléguée dans les demandes d’enregistrement (1er octobre 2008) [voir l’article 16(1) de la Loi].

[69]           Pour satisfaire son fardeau de preuve initial sous l’article 16(1) de la Loi, l’Opposante doit démontrer l’emploi de ses marques de commerce avant la date de premier emploi alléguée par la Requérante dans ses demandes d’enregistrement (1er octobre 2008) et qu’elle ne les avait pas abandonnées à la date de publication des demandes d’enregistrement de la Requérante (29 août 2012) [voir Optic Nerve Art & Design Ltd c Optic Nerve Design, 2005 CanLII 78205].

[70]           La preuve de l’Opposante détaillée sous le précédent motif d’opposition rencontre ces exigences. J’estime donc que l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de preuve initial.

[71]           Quant à l’analyse des facteurs pertinents énumérés à l’article 6(5) en date du 1er octobre 2008, j’estime qu’il s’en suit le même résultat que celui obtenu sous le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(d) de la Loi, et ce pour les mêmes raisons: la Requérante n’a pas su démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas de confusion, à la date pertinente, entre la Marque et la marque de commerce FOCUS EYE CENTRE & Dessin de l’Opposante lorsque la Marque est employée en liaison avec les Services.

[72]           J’accueille donc également ce motif d’opposition.

Autres motifs d’opposition

[73]           Considérant que l’Opposante a eu gain de cause sous deux motifs d’opposition distincts, il n’est pas nécessaire de statuer sur les autres motifs d’opposition (articles 2 et 16(1)(c) de la Loi).

Décision

[74]            Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse les demandes d’enregistrement nos 1,551,638 et 1,551,642 selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

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Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 


 

 

Date de l'audience: 2015-08-27

 

Comparutions

 

Jennifer E. McKay                                                                               Pour l’Opposante

 

Benoît Trottier                                                                                     Pour la Requérante

 

Agent(s) au dossier

 

Perly-Robertson, Hill & McDougall LLP                                            Pour l’Opposante

 

Jolicoeur Lacasse                                                                                 Pour la Requérante



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