Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                               THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2010 COMC 98

Date de la décision : 2010-06-21

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Chanel S. de R.L. à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,202,435 pour la marque de commerce CHANEL au nom de Robert Victor Marcon

 

 

[1]               Le 30 décembre 2003, Robert Marcon (dont la désignation a ensuite été modifiée pour Robert Victor Marcon) (le Requérant) a produit une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce CHANEL (la Marque) fondée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada. Les marchandises, telles qu’elles ont été modifiées, sont les suivantes :

 

(1) Bougies

(2) Vitamines, minéraux et combinaisons connexes

(3) Préparations et suppléments médicinaux aux herbes, avec ou sans vitamines et/ou sels minéraux, pour le mieux-être général et dans la prévention ou la diminution des symptômes liés aux états sous‑jacents suivants : (1) maladie d’Alzheimer; (2) arthrite; (3) infections bactériennes, virales et fongiques; (4) brûlures de la peau; (5) cellulite; (6) rhume; (7) conjonctivite; (8) constipation; (9) carie; (10) dépression; (11) dermatite; (12) diabète; (13) kératoconjonctivite sèche; (14) cholestérolémie élevée; (15) fatigue; (16) mauvaise haleine; (17) rhume des foins; (18) mal de tête; (19) brûlures gastriques; (20) hypertension; (21) indigestion; (22) grippe; (23) troubles de sommeil; (24) déchirures de la peau; (25) ménopause; (26) dégénérescence mentale; (27) migraine; (28) nausée; (29) circulation pauvre; (30) syndrome prémenstruel (S PM); (31) troubles affectifs saisonniers; (32) mal de gorge; (33) inflammation vasculaire, musculaire et cutanée (les Marchandises).

 

[2]               La demande a été annoncée aux fins de la procédure d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 20 septembre 2006.

 

[3]               Le 20 novembre 2006, Chanel S. de R.L. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande. Les motifs d’opposition peuvent être résumés comme suit :

 

1.      La demande n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, c. T‑13 (la Loi), parce que le Requérant ne pouvait affirmer dans sa déclaration qu’il était convaincu d’avoir le droit d’employer la Marque en liaison avec les Marchandises, compte tenu des faits exposés ci‑dessous;

2.      La Marque n’est pas enregistrable eu égard aux dispositions de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, parce qu’elle crée de la confusion avec la marque déposée CHANEL, qui fait l’objet des enregistrements nos UCA18468, LMC143,648, LMC194,870 et LMC569,181, dont l’Opposante est propriétaire. Les détails afférents aux enregistrements de l’Opposante sont énoncés à l’annexe A de la présente décision. Ces enregistrements seront parfois désignés collectivement ci-après sous le nom de Marques déposées CHANEL;  

3.      Le Requérant n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la Marque, compte tenu des dispositions des alinéas 16(3)a) et c) de la Loi, parce qu’à la date de production de la demande, la Marque créait de la confusion avec les marques déposées susmentionnées et avec le nom commercial Chanel S. de R.L. de l’Opposante, qui avaient été antérieurement, et qui continuent d’être, employés au Canada par l’Opposante;

4.      La Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, parce qu’elle ne distingue pas, ni n’est adaptée à distinguer, les Marchandises du Requérant de celles en liaison avec lesquelles les marques déposées de l’Opposante ont été et continuent d’être employées au Canada.

 

[4]               Dans sa déclaration d’opposition, l’Opposante présente également des observations sur le risque de confusion entre les marques des parties. L’Opposante attire de plus l’attention du registraire sur le fait que le Requérant a tenté d’enregistrer, outre la marque de commerce CHANEL de l’Opposante, plusieurs marques de commerce de tiers, notamment L’ORÉAL PARIS, BAYER, BUDWEISER, CORONA, EVIAN, etc. Dans la mesure où ces observations tiennent de l’argumentation plutôt que de l’énoncé de faits, j’en ai fait abstraction.

 

[5]               Le Requérant a produit et signifié une contre‑déclaration dans laquelle il nie les allégations de l’Opposante.

 

[6]               Au soutien de son opposition, l’Opposante a produit, à titre de preuve principale, l’affidavit souscrit le 23 juillet 2007 par Sylvain Gagnon, Directeur, Finances et administration, chez Chanel Inc. (Chanel), la licenciée de l’Opposante, et l’affidavit souscrit le 18 juillet 2007 par Denise Pope, employée au cabinet d’avocats qui représente l’Opposante en l’espèce. La preuve du Requérant est constituée de l’affidavit qu’il a lui-même souscrit le 21 février 2008. En réponse, l’Opposante a produit l’affidavit souscrit le 13 juin 2008 par Audrey Murray, étudiante en droit qui travaille au cabinet d’avocats représentant l’Opposante. Il convient de faire abstraction de cet affidavit, parce que son contenu ne se limite pas strictement aux matières servant de réponse ainsi que l’exige l’article 43 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195. L’affidavit de Mme Murray fait état de l’achat par celle‑ci, dans un magasin Wal‑Mart de Québec, de trois produits cosmétiques de tierces parties. Cette preuve aurait dû être produite dans le cadre de la preuve principale de l’Opposante, avec les affidavits de M. Gagnon et de Mme Pope, lesquels traitent notamment, en pratique, de la même question.

 

[7]               Chacune des deux parties a produit un plaidoyer écrit. Seule l’Opposante était représentée à l’audience tenue en l’espèce.

 

Fardeau de preuve

 

[8]               C’est au Requérant qu’incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s’acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués au soutien de chaque motif d’opposition [voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

 

Motifs d’opposition

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

 

[9]               Au moyen de l’affidavit de M. Gagnon, l’Opposante a versé en preuve des copies certifiées conformes des quatre enregistrements de la marque de commerce dont elle se réclame au soutien du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d). L’Opposante a ainsi satisfait à son fardeau de preuve, parce que les enregistrements de sa marque de commerce CHANEL décrits à l’annexe A sont en règle.

 

[10]           Il incombe donc au Requérant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et les Marques déposées CHANEL de l’Opposante. La date pertinente pour l’examen de ce motif d’opposition est la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et Le registraire des marques de commerce (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)].

 

[11]           Le test applicable en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[12]           Dans l'application du test en matière de confusion, le Registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, de services ou d'entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive, et un poids différent sera attribué aux différents facteurs selon le contexte [voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.) (Mattel), et Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 C.P.R. (4th) 401, [2006] 1 R.C.S. 824 (C.S.C.) (Veuve Clicquot) pour une étude approfondie des principes généraux qui régissent le test applicable à la question de la confusion].

 

a)   Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation et le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

 

[13]           Les marques de commerce des parties sont identiques : elles sont toutes deux constituées du mot CHANEL, qui, d’après la preuve du Requérant analysée ci‑après, correspond soit à un prénom, soit à un patronyme. De ce fait, le Requérant soutient que les Marques déposées CHANEL de l’Opposante sont des marques faibles qui ne peuvent se voir accorder une protection étendue. Je ne suis pas d’accord avec la prétention du Requérant, parce que cet argument ne tient pas compte comme il se doit de la mesure dans laquelle les Marques déposées CHANEL de l’Opposante sont devenues connues au Canada.

 

[14]           En fait, la preuve concernant l’emploi des Marques déposées CHANEL de l’Opposante montre que celle‑ci emploie abondamment la marque CHANEL depuis longtemps. 

 

[15]           Bien que la preuve d’emploi des Marques déposées CHANEL produite par l’Opposante en l’espèce ne démontre pas l’emploi continu de la marque CHANEL au Canada en liaison avec chacune des marchandises ou chacun des services décrits dans les enregistrements des marques de l’Opposante depuis les toutes premières dates d’emploi invoquées dans les enregistrements (deux de ces dates remontent aux années 1920) – compte tenu des dates revendiquées de premier emploi consignées dans les enregistrements, l’Opposante ne peut établir davantage qu’un emploi de minimis des Marques déposées CHANEL qui ne permet pas de conclure à un emploi important ni continu de ces marques – les chiffres d’affaires présentés pour les années 1998 à 2006 (dont je traiterai plus loin) ainsi que la publicité et la promotion de la marque CHANEL au Canada par l’Opposante durant la même période (dont je traiterai aussi plus loin) appuient la prétention de l’Opposante selon laquelle sa marque CHANEL a des racines plus profondes et est devenue connue au Canada en liaison avec des cosmétiques et des produits de parfumerie ainsi que des vêtements, bijoux, articles de cuir, accessoires, montres et lunettes.

 

[16]           L’affidavit de M. Gagnon établit que les produits de marque CHANEL sont distribués au Canada au moins depuis les années 1990 par la licenciée de l’Opposante, Chanel, et que l’Opposante contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des produits CHANEL ainsi distribués [affidavit de M. Gagnon, paragraphes 5 et 6, pièces SG-1 et SG‑2].

 

[17]           De 1998 à 2006 :

 

  1. des ventes totalisant plus de 227 600 000 $ de cosmétiques et de produits de parfumerie portant la marque de commerce CHANEL ont été réalisées au Canada;

2.      plus de 86 700 000 $ ont été dépensés pour la publicité et la promotion des cosmétiques et produits de parfumerie portant la marque de commerce CHANEL et pour des démonstrations portant sur ces produits, au Canada;

3.      les ventes de vêtements, bijoux, articles de cuir, accessoires, montres et lunettes portant la marque de commerce CHANEL au Canada ont dépassé les 154 001 000 $

[affidavit de M. Gagnon, paragraphes 7 à 16, pièces SG-7 à SG-10].

 

[18]           Dans son affidavit, M. Gagnon explique plus particulièrement que la publicité et la promotion des cosmétiques et produits de parfumerie portant la marque CHANEL passent par les médias traditionnels, notamment :

         les journaux et magazines canadiens (parmi lesquels Canadian Living, Chatelaine, Châtelaine, Clin d’oeil, Coup de pouce, Éclat, Elle Canada, Elle Girl, Elle Québec, Elm Street, Elm Street The Look, FQ Magazine, Fashion Magazine, Fashion 18, Flare, Glow, Inside Entertainment, Loulou, Nuvo Magazine, Mariage Québec, Point of View (Holt Renfrew), Saturday Night, Toro Magazine, Toronto Life, Saturday Night, Wedding Bells) [affidavit de M. Gagnon, paragraphes 13 à 15, et pièce SG-9, qui consiste en des échantillons d’extraits de publicités tirés de quelques‑uns de ces magazines];

         la radio et la télévision (y compris une campagne télévisée diffusée en 2004, 2005 et 2006 dans laquelle la star Nicole Kidman représentait le parfum CHANEL No5 de l’Opposante) [affidavit de M. Gagnon, paragraphe 16];

         les étalages et les promotions offertes aux points de vente [affidavit de M. Gagnon, paragraphes 13 à 15, pièce SG-10].

 

[19]           La notoriété qu’a acquise la marque de commerce CHANEL en liaison avec les cosmétiques et les produits de parfumerie et avec les vêtements, bijoux, articles de cuir, accessoires, montres et lunettes de l’Opposante est aussi étayée par divers articles publiés dans les magazines susmentionnés au cours des dix dernières années, dont M. Gagnon a joint des échantillons comme pièces SG‑11 à SG‑14.

 

[20]           En revanche, la preuve du Requérant n’aborde pas le sujet de l’emploi ou de l’emploi projeté de la Marque au Canada. Aussi dois‑je conclure que celle‑ci n’est aucunement devenue connue au Canada.

 

[21]           Au moyen de son affidavit, M. Marcon verse en preuve des copies d’écran de pages tirées des sites Web « www.411ca.whitepages.com » et « www.PeopleFinders.com » qui montrent des exemples récents de l’existence du patronyme CHANEL au Canada et aux États‑Unis. L’échantillon canadien ne fait état que de 19 inscriptions de personnes, au Canada, dont le patronyme est CHANEL. Ainsi, CHANEL semble être un patronyme rare au Canada, ce qui, en soi, ne diminue pas le caractère distinctif qu’ont acquis les Marques déposées CHANEL de l’Opposante.  

 

[22]           Par son affidavit, M. Marcon verse également en preuve des copies d’écran tirées de divers sites Web et qui visent à tracer un portrait de la « Maison Chanel » (l’Opposante), de « Saint Pierre Chanel » (un prêtre catholique, missionnaire et martyre) et de diverses femmes apparemment célèbres, dont Chanel Gaines, Chanel Cresswell et Chanel Ryan. Là encore, ces extraits, dont la pertinence est douteuse, ne diminuent pas le caractère distinctif qu’ont acquis les Marques déposées CHANEL de l’Opposante. Au contraire, l’extrait tiré du site Web « http://en.wikipedia.org » au sujet de « House of Chanel » [la Maison Chanel] appuie la position de l’Opposante quant au caractère distinctif et à la notoriété dont jouit la marque CHANEL de l’Opposante dans le monde entier.

 

[23]           En conclusion, l’examen global de ces deux facteurs favorise l’Opposante.

 

b) La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

 

[24]           Pour les motifs exposés ci-dessus, ce facteur favorise également l’Opposante.

 

c) Le genre de marchandises, de services ou d’entreprises; d) la nature du commerce

 

[25]           Dans l’examen du genre de marchandises ou de services et de la nature du commerce, je dois comparer l’état déclaratif des Marchandises du Requérant avec les états déclaratifs des marchandises ou des services qui figurent dans les enregistrements de l’Opposante [voir Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc. (1986), 12 C.P.R. (3d) 110 (C.A.F.); Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.)]. Il importe cependant de lire ces états déclaratifs avec l’objectif de déterminer le genre d’entreprise ou de commerce que les parties entendaient probablement établir plutôt que de répertorier tous les commerces que pourrait englober le libellé. La preuve relative aux commerces qu’exploitent réellement les parties est utile à cet égard [voir McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 168 (C.A.F.); Procter & Gamble Inc. c. Hunter Packaging Ltd. (1999), 2 C.P.R. (4th) 266 (C.O.M.C.); American Optional Corp. c. Alcon Pharmaceuticals Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 110 (C.O.M.C.)].

 

[26]           L’Opposante, s’appuyant sur la notoriété de sa marque de commerce CHANEL et sur la preuve introduite par les affidavits de M. Gagnon et de Mme Pope, prétend que l’emploi de la marque de commerce CHANEL en liaison avec un produit qui relève d’une des trois catégories de Marchandises comprises dans la demande en cause, conduira le consommateur à penser que le produit vient de l’Opposante, pour les motifs suivants.  

 

[27]           En ce qui concerne plus particulièrement les Marchandises relevant de la catégorie des « bougies », l’affidavit de M. Gagnon établit que l’Opposante vend des bougies en liaison avec la marque de commerce CHANEL au Canada [affidavit de M. Gagnon, paragraphe 18, pièces SG-15 et SG-16]. Il ressort également de l’affidavit de Mme Pope que la vente de bougies s’inscrit dans le prolongement naturel des marchandises offertes par différents propriétaires de marques de haute couture ou de parfums réputés, tels que Giorgio Armani, Gucci et Ralph Lauren [affidavit de Mme Pope, paragraphes 15 à 22, pièces DP-46 à DP-53].

 

[28]           Pour ce qui est des Marchandises relevant de la catégorie des « vitamines, minéraux et combinaisons connexes » et des « préparations et suppléments médicinaux aux herbes, avec ou sans vitamines et/ou sels minéraux, pour le mieux-être général et dans la prévention ou la diminution des symptômes liés aux états sous‑jacents suivants : […] », les affidavits de M. Gagnon et de Mme Pope démontrent que l’industrie des cosmétiques (l’Opposante y incluse) emploie et annonce depuis nombre d’années l’utilisation de vitamines, minéraux, plantes et herbes comme composantes des produits qu’elle offre à la vente en divers pays, dont le Canada [affidavit de M. Gagnon, paragraphes 21 à 25, pièces SG-28 à SG-49; affidavit de Mme Pope, paragraphes 2 à 14, pièces DP-1 à DP-45].

 

[29]           Le Requérant soutient pour sa part que [traduction] « la protection accordée à la marque CHANEL de l’Opposante, telle qu’elle existe actuellement, devrait être limitée aux marchandises et services offerts à l’heure actuelle et aux marchandises qui sont considérées, sur le plan juridique, constituer des extensions complémentaires de son entreprise actuelle ou existante ». Le Requérant estime que sa Marque CHANEL peut coexister sur le marché canadien avec la marque de commerce CHANEL de l’Opposante parce que ses marchandises sont suffisamment différentes de celles de l’Opposante.

 

[30]           Pour étayer son argument sur ce point, le Requérant a joint à son affidavit des copies d’écran d’extraits de la Base de données sur les marques de commerce canadiennes, destinées apparemment à démontrer qu’il existe des situations analogues d’emploi concurrent de marques de commerce semblables sur le marché canadien, comme c’est le cas pour les marques de commerce DUTCH BOY, TRIUMPH, GREYHOUND et CORONA. Le Requérant a aussi joint des copies de décisions judiciaires publiées sur Internet concernant l’enregistrabilité des marques de commerce. Reprenant les remarques formulées par la présidente de la Commission, Mme Carreau, au paragraphe 19 de la décision L’Oréal Paris c. Robert V. Marcon, 2010 COMC 67, je ne considère pas que la preuve attestant l’existence, au registre, de plusieurs marques identiques ou semblables est pertinente en l’espèce; la question de la confusion entre la Marque et la marque CHANEL de l’Opposante doit être tranchée selon les circonstances et les faits particuliers de la présente procédure. Chaque cas doit être décidé selon ses circonstances propres. De plus, les décisions de la Section de l’examen du Bureau des marques de commerce concernant des demandes d’enregistrement de marques où les parties n’ont pas produit de preuve dans le cadre de la procédure d’opposition, ne lient pas le registraire et n’ont pas pour lui valeur de précédent lorsqu’il s’agit de décider de l’enregistrabilité d’une marque dans le cadre d’une procédure d’opposition [voir Thomas J. Lipton Inc. c. Boyd Coffee Co. (1991), 40 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.); Procter & Gamble Inc. c. Morlee Corp. (1993), 48 C.P.R. (3d) 377 (C.O.M.C.)].

 

[31]           S’il est vrai que les marchandises et les services enregistrés de l’Opposante diffèrent des Marchandises du Requérant, je suis d’avis par contre que ces différences ne sont pas aussi marquées que ne le prétend le Requérant.

 

[32]           Il appert de la preuve de l’Opposante que les cosmétiques et produits de parfumerie portant sa marque CHANEL sont vendus en pharmacie et dans les grands magasins de même que dans les boutiques de l’Opposante [affidavit de M. Gagnon, paragraphes 10 et 11]. Le Requérant n’a produit aucune preuve indiquant les endroits où ses produits seraient vendus. Cependant, les bougies, vitamines, minéraux et suppléments médicinaux aux herbes sont souvent vendus dans les pharmacies et les grands magasins. Par conséquent, il pourrait bien y avoir chevauchement entre les voies de commercialisation des Marchandises visées par la demande et celles des cosmétiques et produits de parfumerie CHANEL de l’Opposante.

 

[33]           Comme l’a démontré l’Opposante, l’industrie des cosmétiques fait aussi régulièrement de la publicité pour souligner l’utilisation de vitamines, minéraux, plantes et herbes dans ses produits. Bien que cette situation n’ait pas nécessairement pour effet de rendre semblables les marchandises des parties, je conviens avec l’Opposante qu’elle pourrait, dans les circonstances particulières de l’espèce et compte tenu de la notoriété de la marque CHANEL de l’Opposante, conduire un consommateur à faire un rapprochement mental entre les vitamines, minéraux, préparations et suppléments médicinaux aux herbes du Requérant et les cosmétiques de l’Opposante. Je remarque à cet égard que certains des suppléments et préparations médicinaux aux herbes du Requérant (comme ceux visant la prévention ou la diminution des symptômes liés aux brûlures de la peau, à la cellulite ou aux déchirures de la peau), peuvent dans une certaine mesure se rapprocher de certains des cosmétiques de l’Opposante qui tiennent à la fois de la dermatologie et de l’esthétique.  

 

[34]           Quant aux Marchandises du Requérant relevant de la catégorie des « bougies », même si effectivement les enregistrements de la marque de commerce CHANEL de l’Opposante qui figurent à l’annexe A ne comprennent pas de bougies, je suis d’accord avec l’Opposante pour dire que d’après la preuve, la vente de bougies peut être considérée comme un prolongement naturel des produits de parfumerie de l’Opposante.

 

[35]           Comme il a été mentionné, le test en matière de confusion consiste à se demander si une personne qui conserve un souvenir imparfait de la marque de l’Opposante pourrait conclure, d’après sa première impression en voyant la Marque du Requérant, que les marchandises de l’Opposante et celles du Requérant proviennent d’une même source ou d’une source connexe.

 

[36]           Il n’est pas nécessaire que les parties exploitent leur entreprise dans le même domaine général ou dans la même industrie, ni que les marchandises respectives des parties soient du même genre ou de la même qualité. Comme le précise le paragraphe 6(2) de la Loi, il peut y avoir confusion « que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ». En outre, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans les arrêts Mattel et Veuve Clicquot, précités, il n’est pas toujours nécessaire d’établir un « lien » entre les domaines d’activités commerciales pour établir qu’il existe une probabilité de confusion.

 

[37]           Selon ma compréhension des arrêts Mattel et Veuve Clicquot, la question qu’il faut se poser est de savoir si la preuve soumise établit l’existence d’un rapprochement mental, de la part du consommateur, entre la marque bien connue de l’Opposante et les Marchandises du Requérant, rapprochement qui est susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la source des marchandises. Le facteur essentiel, dans l’examen de la mesure dans laquelle une marque célèbre transcende les marchandises ou services auxquels elle est normalement associée, est de savoir si un consommateur moyen risque de conclure erronément que les marchandises ou services proviennent d’une source commune ou sont liés entre eux d’une façon quelconque. Je suis d’avis que la réputation de la marque CHANEL de l’Opposante transcende le marché de manière à rejoindre des marchandises qui ne relèvent pas nécessairement de la même catégorie générale.

 

Conclusion sur la probabilité de confusion

 

[38]           Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, je conclus que le Requérant n’a pas satisfait au fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas probabilité raisonnable de confusion quant à la source des marchandises des parties. Je conclus ainsi eu égard en particulier à la grande réputation et à l’emploi étendu de la marque déposée CHANEL de l’Opposante, au fait que les marques des parties sont identiques et à la possibilité de chevauchement entre les voies de commercialisation respectives.

 

[39]           En conséquence, il est fait droit au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi.

 

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif

 

[40]           L’Opposante fait valoir que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, parce qu’elle ne distingue pas ni n’est adaptée à distinguer les Marchandises du Requérant des marchandises en liaison avec lesquelles la marque déposée CHANEL de l’Opposante a été et continue d’être employée au Canada.

 

[41]           Toute partie opposante satisfait à son fardeau de preuve relativement à un motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif si elle établit qu’à la date de production de son opposition, sa marque de commerce était devenue connue dans une mesure au moins suffisante pour détruire le caractère distinctif de la marque faisant l’objet de la demande [voir Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.)]. L’Opposante s’est acquittée de ce fardeau.

 

[42]           Ayant  conclu, au vu de la preuve au dossier, que la Marque crée de la confusion avec la marque déposée CHANEL de l’Opposante et puisque la différence dans les dates pertinentes n’a pas d’incidence sur mon analyse, je fais droit au motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif.

 

Autres motifs d’opposition

 

[43]           Ayant déjà repoussé la demande pour deux motifs, je ne traiterai pas des autres motifs d’opposition soulevés.

 

Décision

 

[44]           Compte tenu de ce qui précède et conformément aux pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

 

Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

ANNEXE A

 

MARQUE DE COMMERCE

NUMÉRO D’ENREGISTREMENT

MARCHANDISES/SERVICES/REVENDICATIONS

CHANEL

UCA18468

MARCHANDISES :

[traduction]

(1) Produits de toilette, nommément parfum, eau de Cologne, eau de toilette, poudre pour le bain, huile de bain, huile après‑bain, crème pour le corps, crème bain de lait, gel pour le bain, savon, eau de parfum, lotion après‑rasage, hydratant après‑rasage, crème à raser, baume après‑rasage, eau de Cologne, désodorisant en bâton, baume hydratant, protecteur revitalisant pour la peau.
(2) Cosmétiques, nommément crèmes pour la peau, masques de beauté, lotions pour le corps, hydratants, fards, maquillage liquide et en crème, tonifiant, lotion rafraîchissante, maquillage pour les lèvres, vernis à ongles, dissolvant de vernis à ongles, traitement pour ongles et cuticules, poudre, maquillage pour les yeux, nettoyants pour la peau, démaquillant; brosses à maquillage.

REVENDICATIONS :
Date de premier emploi au CANADA : 1920 sur les marchandises (1).
Déclaration d’emploi produite le 28 décembre 1984 pour les marchandises (2).

CHANEL

LMC143,648

MARCHANDISES :

[traduction]

(1) Articles vestimentaires pour femmes, nommément ensembles, tailleurs, robes, vestes et blouses faits sur mesure, et articles pour le cou, nommément fichus de soie, carrés de soie et foulards.
(2) Boutons, épinglettes et bijoux artificiels.
(3) Bijoux.
(4) Chaussures et articles de cuir, nommément portefeuilles, sacs à main et ceintures.
(5) Cravates, ceintures de métal, de tissu, de matériaux synthétiques ou d’une combinaison de ces matériaux avec du cuir.
(6) Accessoires pour les cheveux, nommément épingles à cheveux, boucles, bandeaux, pinces à cheveux; fleurs artificielles.
(7) Briquets.
SERVICES :

[traduction]
(1) Exploitation de boutiques pour la vente de vêtements, de parfums et d’accessoires.

REVENDICATIONS :
Employée au CANADA depuis au moins 1925 sur les marchandises (1), (2) et (3).
Employée en FRANCE sur les marchandises (1), (2) et (3).
Enregistrée en FRANCE ou pour la France le 5 septembre 1946 sous le numéro 370,370 relativement aux marchandises (1), (2) et (3).
Enregistrabilité reconnue au titre de l’article 14 de la Loi sur les marques de commerce quant aux marchandises (1), (2) et (3).
Déclaration d’emploi produite le 6 avril 1972 pour les marchandises (4).
Déclaration d’emploi produite le 22 mars 1985 pour les marchandises (5).
Déclaration d’emploi produite le 4 septembre 1986 pour les marchandises (6).
Déclaration d’emploi produite le 18 février 1987 pour les marchandises (7) et pour les services.

CHANEL

LMC194,870

MARCHANDISES :
(1) Montres.
REVENDICATIONS :
Date de dépôt prioritaire : 4 février 1972 en liaison avec le même genre de marchandises.
Employée aux ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE.
Enregistrée aux ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE ou pour ce pays le 13 mars 1973 sous le numéro 955074.

CHANEL

LMC569,181

MARCHANDISES :
(1) Lunettes, lunettes de soleil, montures et étuis pour ces dernières.
REVENDICATIONS :
Employée au CANADA depuis au moins juin 1992.

 

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