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Dossier : 2012-3495(IT)G

ENTRE :

LOUIS-FRED MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 24 avril 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Mounes Ayadi

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2010 de l’appelant est rejeté avec dépens pour l’ensemble de l’affaire, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Toronto, Ontario, ce 19e jour de juin 2014.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 


Référence : 2014 CCI 200

Date : 20140619

Dossier : 2012-3495(IT)G

ENTRE :

LOUIS-FRED MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1]             L’appelant, Louis-Fred Martin, a eu une longue carrière en couronnée de succès tant que conseiller financier de 1986 à juin 2010. En raison des fusions qui ont eu lieu dans le secteur des institutions financières, il a travaillé chez plusieurs cabinets de courtage au cours de sa carrière. Pendant tout ce temps, il s’est constitué une clientèle loyale importante. Chaque fois qu’il changeait de cabinet, ses clients le suivaient. M. Martin considérait sa clientèle comme un bien de valeur, qui pouvait générer des revenus pour lui pour le reste de sa carrière et peut‑être même à sa retraite.

[2]             L’appel de M. Martin porte sur son année d’imposition 2010. En juin 2010, il a cessé de travailler pour le cabinet de courtage qui était son employeur à l’époque, Peak, lequel avait récemment fait l’acquisition de l’entreprise de conseils financiers de Promutuel, où M. Martin travaillait depuis un certain nombre d’années. Après juin 2010, alors que les retombées de la crise économique de 2008 ayant durement touché le secteur des institutions financières continuaient de se faire sentir, M. Martin n’a pas réussi à se trouver du travail auprès d’un autre cabinet de courtage. Il n’a pas non plus réussi à obtenir l’approbation requise de l’organisme de réglementation provincial pour être conseiller financier indépendant ou pour établir son propre cabinet. Comme il n’a pas pu continuer à travailler comme conseiller financier, ses clients n’ont pas pu le suivre et, selon M. Martin, ils ont continué à faire affaire avec Peak. M. Martin prétend qu’il s’agit là d’un vol de sa clientèle par Peak.

[3]             M. Martin soutient que la perte qu’il a subie par rapport aux revenus qu’il prévoyait tirer de ses clients pour la période allant de juin à décembre 2010, ainsi que pour les années subséquentes, constitue une perte de revenu qui devrait être déductible dans le calcul de son impôt sur le revenu.

[4]             Il fait également valoir que la perte de sa clientèle, attribuable au fait que ses clients ont continué de faire affaire avec Peak et qu’il a été incapable de travailler en tant que conseiller financier, constituait la perte d’un bien de valeur, laquelle a donné lieu à une perte en capital au titre de l’impôt. Cette perte reflétait la différence entre la valeur de sa clientèle, calculée en fonction des revenus qu’elle pouvait générer, et le fait qu’il n’a rien reçu de Peak pour sa clientèle lorsqu’il a cessé de travailler pour le cabinet de courtage. M. Martin soutient que sa perte en capital est plus élevée en raison de l’ajout des frais afférents à la disposition qu’il a supportés, lesquels devraient refléter la valeur de tous ses biens propres, y compris sa maison et d’autres biens, qui ont subséquemment été saisis ou perdus lorsqu’il est devenu insolvable.

[5]             M. Martin a été le seul à témoigner dans le présent appel. Il ne semble pas que la liste de clients de M. Martin ou leurs dossiers appartenaient à ce dernier et non au cabinet de courtage qui était son employeur. Cependant, il semble raisonnable qu’on s’attende à ce que les clients de M. Martin aient suivi ce dernier s’il avait changé de cabinet de courtage, que ce soit en recommençant à travailler dans un autre cabinet ou en établissant son propre cabinet, comme ils l’avaient fait auparavant.

[6]             M. Martin a déduit 14 000 $ à titre de perte de revenu en 2010. Il a obtenu ce chiffre en estimant que sa clientèle lui aurait permis de générer un revenu net de 2 000 $ par mois. Il a multiplié ce montant mensuel par sept pour refléter les revenus perdus de juin à décembre 2010. Il s’agit de son estimation des revenus qu’il aurait raisonnablement pu s’attendre à tirer de ses clients, mais qu’il n’a pas gagnés, s’il avait continué à travailler comme conseiller financier après avoir cessé de travailler pour Peak. Suivant ses calculs, M. Martin croit qu’il devrait aussi avoir le droit de déclarer une perte de revenu annuel de 24 000 $ pour les années postérieures à 2010, quoique ces années ne soient pas visées par le présent appel devant la Cour.

[7]             Dans le calcul de sa perte en capital, pour refléter la perte de sa clientèle ayant une valeur importante, M. Martin a estimé que le prix de base rajusté était de 800 000 $. En utilisant un taux de rendement du capital investi qu’il a présumé être de 3 p. 100, il a déterminé qu’il aurait eu besoin de 800 000 $ pour générer les revenus prévus de 24 000 $ qui ont été perdus. Comme il n’avait rien reçu de Peak ou de qui que ce soit d’autre pour sa clientèle, M. Martin a déduit une perte en capital de 800 000 $ dans sa déclaration de revenus pour 2010. Il prétend qu’on devrait lui rembourser sa perte en capital et non simplement lui permettre de la porter en réduction de gains en capital ultérieurs.

[8]             Après avoir produit sa déclaration de revenus pour 2010, M. Martin a cherché à déduire la somme de 14 000 000 $ au titre des frais afférents à la disposition de son ancienne clientèle, ainsi qu’à augmenter sa perte en capital du même montant, le faisant passer de 800 000 $ à 14 800 000 $. M. Martin a procédé de la manière suivante pour arriver à une somme de 14 000 000 $ au titre des frais afférents à la disposition. Il a estimé que la valeur de ses biens qui avaient été saisis ou perdus en raison de la perte de sa clientèle et des revenus qu’elle générait pour lui s’élevait à 2 000 000 $. Cela comprenait la valeur de sa maison, de sa maison de campagne, de sa collection de voitures, de ses livres, ainsi que de l’ensemble de ses autres collections et effets personnels. Comme je l’ai déjà mentionné, les biens ont été saisis en raison des difficultés financières qu’il a éprouvées. M. Martin a par la suite multiplié par sept la valeur des biens qu’il avait perdus, soit 2 000 000 $ en se fondant sur l’exhortation proverbiale selon laquelle les voleurs doivent faire une restitution au septuple de ce qu’ils ont volé[1].

[9]             La Cour doit rejeter l’appel de M. Martin en ce qui concerne la perte de revenu de 14 000 $ qu’il prétend avoir subie en 2010. La perte subie par M. Martin n’est pas une perte fiscale pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, une perte de revenu est généralement subie lorsque les dépenses effectivement engagées par un contribuable tirant un revenu d’une source au cours d’une année excèdent les revenus réellement tirés de cette source pour l’année. Comme la Loi n’impose pas les revenus avant qu’ils aient été gagnés, même s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils soient gagnés, selon la Loi, les revenus attendus mais non gagnés ne donnent pas lieu à une perte compensatoire. Cela ressort clairement de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, qui prévoit qu’une dépense d’entreprise doit avoir été engagée ou effectuée pour être déductible dans le calcul du revenu d’une entreprise.

[10]        La Cour doit aussi rejeter l’appel de M. Martin en ce qui concerne la perte en capital de 14 800 000 $ qu’il a déduite pour 2010. Il y a plusieurs raisons à cela. Une perte en capital d’un contribuable reflète généralement une perte au titre d’un investissement économique véritablement subie par le contribuable lors de la disposition d’un bien lui appartenant. En l’espèce, il ne me paraît pas du tout évident que la liste de clients était un bien qui appartenait à M. Martin et que celui‑ci pouvait vendre. Il semble que M. Martin pouvait seulement demander à ses clients de continuer de faire affaire avec lui s’il changeait de cabinet, comme il semble avoir réussi à le faire tout au long de sa carrière avant 2010.

[11]        Le prix de base rajusté d’une immobilisation dont il a été disposé reflète généralement les frais ou les montants après impôt effectivement payés par un contribuable pour le bien ainsi que pour améliorer ce dernier. Cela ressort clairement du libellé des articles 53 et 54 de la Loi. Rien ne permet d’utiliser la juste valeur marchande d’une immobilisation comme coût de celle-ci : une telle approche écarterait la possibilité de réaliser des gains en capital au titre de l’impôt. Il ressort de la preuve que M. Martin a constitué sa clientèle au fil des ans. Il n’a jamais acheté de liste de clients. Il semble que toutes les dépenses qu’il a effectuées pour constituer sa clientèle ont été déduites et admises en tant que dépenses d’entreprise au cours des années dans lesquelles elles ont été engagées. Même si la clientèle de M. Martin représentait effectivement un bien dont il a disposé pour un produit nul à la suite de ce qu’il prétend être un vol, rien ne permet de penser qu’un tel bien avait un prix de base rajusté supérieur à zéro.

[12]        Il ressort également clairement du libellé du paragraphe 40(1), qui porte sur les frais afférents à la disposition, que pour donner droit à une déduction, les dépenses doivent bel et bien avoir été engagées ou effectuées en vue de réaliser la disposition. Pour ce motif, l’ARC a eu raison de refuser que les 14 000 000 $ déduits à titre de frais afférents à la disposition viennent s’ajouter à la perte en capital déduite par M. Martin pour 2010. Cette somme n’est pas une dépense véritablement engagée ou effectuée en vue de réaliser la disposition. Il s’agissait d’une estimation, par M. Martin, de ses autres pertes découlant de la perte de sa clientèle et des revenus qu’elle aurait pu générer.

[13]        Les concepts de perte de revenus et de perte en capital dans la Loi n’ont pas pour objet de rembourser ou de dédommager une personne ou de lui verser des dommages-intérêts pour une perte résultant d’une rupture de contrat ou d’un vol. Cependant, cela semble être le fond de l’appel de M. Martin. Le régime fiscal n’est pas un assureur de biens, pas plus que la Cour canadienne de l’impôt n’a compétence à l’égard de demandes de dommages‑intérêts ou de restitution.

[14]        Pour ces motifs, le contribuable ne peut pas avoir gain de cause. L’appel du contribuable est rejeté avec dépens pour l’ensemble de l’affaire.

Signé à Toronto, Ontario, ce 19e jour de juin 2014.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 200

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-3495(IT)G

INTITULÉ :

LOUIS-FRED MARTIN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 avril 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Mounes Ayadi

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Proverbes 6, 30 - 31.

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