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Référence : 2014 CCI 199

Date : 20140618

Dossiers : 2013-1753(IT)I

2013-1757(IT)I

ENTRE :

PAULINE MCCALLA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ENTRE :

HOWARD MCCALLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT
(rendus oralement par conférence téléphonique le 18 juin 2014,
à Ottawa (Ontario).)

Le juge Bocock

[1]             Les deux appelants, Pauline et Howard McCalla, sont mari et femme. Ils ont présenté ensemble leur preuve, leur témoignage ainsi que leurs observations. Quant à l’intimée, sa preuve a été présentée et ses observations ont été entendues à la fois pour le présent appel et pour l’appel de Nana Ampomah (dossier n° 2013‑1050(IT)I). La Cour rendra un jugement distinct et exposera des motifs distincts dans l’affaire Ampomah, comme elle l’a précisé à la conclusion de l’audience; les McCalla n’ont pas témoigné dans l’appel interjeté par Mme Ampomah, et Mme Ampomah n’a pas témoigné dans les appels interjetés par les McCalla, de sorte que les preuves de ces appelants ne devraient pas être confondues. Toutefois, la preuve et les observations juridiques de l’intimée sont communes à tous les appels.

I. Les faits propres au présent appel

[2]             Les McCalla font appel du rejet de crédits d’impôt pour dons de bienfaisance selon les chiffres suivants, lesquels sont fournis conjointement avec d’autres renseignements et calculs pertinents tirés du revenu déclaré :

Contribuable

Année d’imposition

Revenu net

Déduction pour de dons de bienfaisance au Jesus Healing Centre

Pourcentage des dons par rapport au revenu

Autres frais de subsistance

Pauline McCalla

2007

37 301 $

3 950 $

11 %

Hypothèque et deux enfants

Pauline McCalla

2008

40 667 $

4 100 $

8 %

Hypothèque et deux enfants

Howard McCalla

2007

47 724 $

2 150 $

5 %

Hypothèque et deux enfants

 

[3]             Tous deux fréquentaient le Jesus Healing Center, une église et, à l’époque, un organisme de bienfaisance enregistré, environ deux fois par mois en 2007. L’assiduité de M. McCalla a décliné en 2008, ce qui explique selon lui le niveau réduit du don de 2008 et l’absence de tout reçu.

[4]             M. McCalla, qui comparaissait comme représentant de son épouse et qui était l’unique témoin des deux appelants, a témoigné que tous les dons avaient été faits en espèces, selon des sommes variables, dans des enveloppes fournies par le Jesus Healing Center. Le Jesus Healing Center affectait alors les dons à divers emplois : Offertoire, Mission, Fonds d’immobilisation, Évangélisme et Action de grâce.

[5]             Le Jesus Healing Center a produit, après la nouvelle cotisation établie par l’ARC, un sommaire des dons faisant état de telles affectations et confirmant que les dons avaient bien été faits. La répartition de ces dons parmi les catégories aurait requis des montants combinés peu pratiques en billets et en pièces : des montants tels que 108 $, 68 $ et 61 $.

[6]             Le témoignage concernant l’endroit et les installations a été vague et quelque peu inexact en comparaison de celui du chef d’équipe de la vérification des organismes de bienfaisance à l’ARC. À tel point que les témoignages ont même été contradictoires sur la question de savoir si la salle consacrée aux offices se trouvait au premier étage ou au deuxième étage du centre commercial suburbain des grossistes.

[7]             En ce qui concerne la source des dons, M. McCalla a déclaré qu’il donnait [traduction] « l’argent que je pouvais avoir sur moi ». Il n’a été produit nul relevé bancaire, nulle enveloppe de retrait, nulle enveloppe de dons ni aucune autre preuve des dons en espèces, hormis les reçus pour dons de bienfaisance.

[8]             Les reçus eux‑mêmes délivrés en 2008 et 2007 contenaient des lacunes, à savoir les suivantes :

a)     sur chacun d’eux, le nom de l’organisme de bienfaisance était écrit incorrectement : « Center » plutôt que Centre (le nom officiel de l’organisme enregistré auprès du ministre);

b)    la date d’émission du reçu était absente;

c)     l’endroit ou lieu d’émission du reçu n’apparaissait pas;

d)    l’initiale du deuxième prénom était manquante, alors que M. McCalla a témoigné qu’il en avait un;

e)     pour 2007 seulement, il n’y avait pas de déclaration selon laquelle le reçu était « un reçu officiel aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu ».

[9]             Selon le témoignage d’un certain M. Huenemoeder, chef d’équipe de la vérification des organismes de bienfaisance à l’ARC, le Jesus Healing Center avait négligé de tenir de véritables registres, et avait délivré des reçus pour dons de bienfaisance se chiffrant à 3 millions de dollars en un peu plus de deux ans, alors qu’il n’avait déposé qu’environ 18 000 $ dans ses comptes bancaires durant la même période. Les pasteurs du Jesus Healing Center ont avoué qu’aucune somme avoisinant le moindrement les 3 millions de dollars n’avait été recueillie et que des reçus pour dons de bienfaisance avaient été fabriqués. Certains dons avaient été recueillis, mais les sommes reçues ne représentaient qu’un faible pourcentage (moins de 7 %) des montants attestés par des reçus. Aucune enveloppe destinée aux dons, aucun registre des reçus délivrés ni aucune autre preuve de dons n’ont jamais été produits ou révélés durant la vérification menée par l’ARC. Aucun des 400 prétendus donateurs n’a pu produire de preuve corroborante ni de pièce justificative à l’égard des dons.

II. Les conclusions de l’appelant

[10]        M. McCalla a présenté plusieurs arguments pour sont propre compte ainsi que pour celui de son épouse :

a)     il était évident que le Jesus Healing Center était un organisme ayant perdu tout crédit dont l’enregistrement avait été révoqué et qui était géré par quelqu’un de malhonnête, mais la responsabilité ne devrait pas retomber sur les McCalla, qui ont obtenu des reçus officiels de dons;

b)    le chef d’équipe de l’Agence du revenu du Canada a visité le Jesus Healing Center plusieurs mois après l’époque pertinente, et il est vraisemblable que la salle réservée aux offices avait changé de lieu;

c)     les lacunes techniques constatées dans les reçus ne relèvent pas des appelants, lesquels ne devraient pas en subir les conséquences.

III. L’état du droit

a) Les reçus d’impôt pour dons de bienfaisance

[11]        La Cour examinera d’abord les reçus en réponse à l’affirmation de M. McCalla selon laquelle la négligence, la malhonnêteté et la mauvaise tenue de registres du Jesus Healing Center en ce qui concerne l’émission de reçus ne devraient pas se répercuter sur les appelants.

[12]        La Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») prévoit ce qui suit :

118.1(2) Pour qu’un don soit inclus dans le total des dons de bienfaisance, le total des dons à l’État, le total des dons de biens culturels ou le total des dons de biens écosensibles, son versement doit être attesté par la présentation au ministre des documents suivants :

a) un reçu contenant les renseignements prescrits;

[…]

[13]        Pour sa part, le paragraphe 3501(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement ») énonce les conditions de l’émission d’un reçu pour don de bienfaisance. Les dispositions applicables qui intéressent les présents appels sont ainsi formulées :

3501(1) Tout reçu officiel délivré par une organisation enregistrée doit énoncer que ledit reçu est un reçu officiel aux fins de l’impôt sur le revenu et indiquer clairement, de façon qu’ils ne puissent être modifiés facilement, les détails suivants :

a) le nom et l’adresse au Canada de l’organisation ainsi qu’ils sont enregistrés auprès du ministre;

[…]

d) le lieu ou l’endroit où le reçu a été délivré;

e) […]

f) le jour où le reçu a été délivré, si ce jour diffère du jour visé à l’alinéa e) ou e.1);

g) le nom et l’adresse du donateur y compris, dans le cas d’un particulier, son prénom et son initiale;

[…]

[14]        Les appelants, M. et Mme McCalla, doivent comprendre que la Cour a jugé d’une manière non équivoque, et à de nombreuses reprises, que les lacunes se rapportant aux éléments ci‑dessus détaillés rendent invalide le reçu pour don de bienfaisance pour les besoins du paragraphe 118.1(2), compte tenu des renseignements devant être fournis en application du Règlement, renseignements qui doivent apparaître dans le reçu pour don de bienfaisance. Dans une décision récente rendue par la Cour, Sowah c Canada, 2013 CCI 297, le juge C. Miller s’exprime ainsi :

[16] […]

Il ressort clairement de la jurisprudence que ces exigences sont obligatoires et qu’elles doivent être rigoureusement respectées (voir par exemple les affaires Afovia c La Reine, Sklowdowski c La Reine et Plante c Canada).

[17] […] Tout d’abord, le reçu ne contient pas d’énoncé indiquant qu’il s’agit d’un reçu officiel aux fins de l’impôt sur le revenu. Dans la décision Ehiozomwangie c R, la juge Campbell a précisé que l’exigence selon laquelle le reçu devait indiquer qu’il s’agissait d’un reçu officiel aux fins de l’impôt sur le revenu était l’une des exigences obligatoires. Je suis du même avis. Il n’y a pas meilleure garantie pour un contribuable que de voir sur le reçu l’indication qu’il s’agit d’un reçu officiel aux fins de l’impôt sur le revenu. Le fait que le reçu ne satisfait pas à cette simple exigence jette des doutes sérieux sur son authenticité. Il s’agit d’une exigence obligatoire qui n’a pas été satisfaite en l’espèce.

[18] Ensuite, la date de délivrance du reçu est une autre simple exigence. Aucune date ne figure sur le reçu de Mme Sowah, on y voit seulement l’année (janvier à décembre 2006). Encore une fois, il s’agit d’une exigence obligatoire qui n’a tout simplement pas été satisfaite.

[19] Enfin, le reçu doit indiquer le lieu ou l’endroit où le reçu a été délivré. Il s’agit d’une exigence distincte de celle de l’adresse de l’organisation ainsi qu’elle est enregistrée auprès du ministre. Dans la présente affaire, bien que nous puissions supposer que l’adresse de l’organisation est la même que celle du lieu où le reçu a été délivré, on ne devrait pas avoir à faire de suppositions. Il y a peut‑être plusieurs organisations appelées Jesus Healing Center un peu partout à Toronto. Le reçu doit indiquer clairement le lieu où il a été délivré. Ici, cela n’est pas le cas. Encore une fois, une exigence n’a pas été satisfaite.

[15]        À l’évidence, il n’est pas question ici de faute, de responsabilité, de bonne foi ou de mauvaise foi. Il s’agit d’une exigence obligatoire de la Loi et du Règlement. Il y a d’autres exigences obligatoires, sans doute trop au goût de certains, mais c’en est certainement une qui ici n’a pas été observée. Pour ce manquement manifeste et évident à cette exigence obligatoire, les présents appels doivent être rejetés.

[16]        Bien que ce soit superflu, j’examinerai brièvement l’obligation pour les appelants de fournir la preuve, suivant la prépondérance des probabilités (une preuve vraisemblable), qu’ils ont donné de l’argent. Abstraction faite de l’aménagement des lieux, aspect qui franchement n’est pas un point particulièrement important, vu que les deux parties peuvent fort bien avoir raison compte tenu de la chronologie des événements, la preuve suivante soumise à la Cour reste non contredite :

a)     aucun des 400 membres du Jesus Healing Center qui auraient fait ces dons importants au Jesus Healing Center n’a jamais présenté à l’ARC aucun chèque, aucun bordereau de retrait par guichet automatique, aucun relevé de don ni aucune enveloppe de don se rapportant aux dons prétendus;

b)    les montants des dons sont très importants, encore que bizarrement symétriques par rapport aux sommes données chaque semaine, et pourtant bizarrement asymétriques par rapport à une somme logique et convenable qu’une personne donnerait vraisemblablement en espèces chaque semaine, à plus forte raison quand de telles sommes consistaient toujours dans l’argent [traduction] « que j’avais sur moi »;

c)     le pasteur, ou ancien pasteur, a reconnu devant les vérificateurs de l’ARC que les reçus de dons étaient, au mieux, des reçus grossièrement enflés et, au pire, de faux reçus;

d)    ces appelants n’ont pas expressément produit d’éléments de preuve attestant qu’ils avaient selon toute vraisemblance fait les dons : aucun bordereau de guichet automatique, aucun relevé bancaire et aucune enveloppe de dons (pas même un spécimen).

[17]        Il est utile de reproduire les observations formulées par la juge Sheridan dans la décision Patel c Canada, 2011 CCI 555, au paragraphe 16, dans laquelle elle cite à son tour les observations suivantes du juge Tardif :

L’appelante a fait remarquer à la Cour qu’il n’y avait rien d’illégal à faire des dons en espèces. Cela est tout à fait vrai : l’alinéa 3501(1)e) du Règlement prévoit explicitement cette possibilité. Toutefois, lorsqu’un contribuable choisit d’effectuer ses opérations uniquement en espèces, que ce soit pour des dons de bienfaisance ou pour toute autre fin qui est susceptible d’être examinée par le ministre, il s’impose le fardeau de pouvoir justifier des opérations qu’on ne peut pas vérifier autrement. L’espèce constitue une illustration parfaite de la raison pour laquelle les conditions d’admissibilité des dons de bienfaisance font l’objet d’une réglementation stricte. Comme l’a fait observer le juge Tardif dans la décision Plante c. La Reine, n97‑1150(IT)I, 22 janvier 1999, [1999] A.C.I. no 51 (QL) (C.C.I.) :

[46] Il ne s’agit pas là d’exigences futiles et sans importance; bien au contraire, ce sont là des renseignements tout à fait fondamentaux et absolument nécessaires pour permettre la vérification d’une part de la justesse de la valeur indiquée et d’autre part, de la réalité même du don.

[47] De telles exigences visent à éviter les abus de toute nature et constituent un minimum pour qualifier la qualité d’un don pouvant générer un crédit d’impôt à l’avantage du contribuable donateur.

[18]        Hormis la preuve contraire produite par le témoin de l’intimée, preuve qui demeure non contredite, les appelants, n’ayant apporté aucune preuve objective propre à réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle les dons en espèces n’ont pas été faits, ne se sont pas acquittés de leur obligation de produire devant la Cour une preuve suivant la prépondérance des probabilités. Il est possible que des sommes négligeables aient pu être versées en espèces, mais, au vu de la preuve produite, elles ne sauraient avoisiner le moindrement le montant déduit qui est par ailleurs indiqué dans les reçus de dons, eux‑mêmes incomplets.

[19]        Pour ces motifs, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 19e jour de juin 2014.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 199

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1753(IT)

INTITULÉ :

PAULINE MCCALLA c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juin 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Howard McCalla

Avocat de l’intimée :

Me Rickey Y.M. Tang

 

AVOCATS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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