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Dossier : 2012-2756(IT)I

ENTRE :

MARC BENOIT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 22 novembre 2013, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant

Comparutions :

Représentantes de l'appelant :

Audrey Boissonneault, stagiaire en droit

Daria Fleury, stagiaire en droit

 

Avocate de l'intimée :

Me Amelia Fink

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JUGEMENT

          L’appel à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelant a droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Kingston, Ontario, ce 31e jour de mars 2014.

 

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 95

Date : 20140331

Dossier : 2012-2756(IT)I

ENTRE :

MARC BENOIT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge suppléant Masse

 

[1]             En l’espèce, il s’agit d’un appel d’une cotisation en date du 29 juillet 2010 pour l’année d’imposition 2009, cotisation par laquelle le ministre du Revenu national (ci‑après « le ministre ») a refusé à l’appelant un montant de 7 196 $ au titre du crédit d’impôt pour personnes handicapées (ci‑après « le CIPH ») que l’appelant avait réclamé pour lui-même.

 

Contexte factuel

 

[2]             Monsieur Benoit est musicien de formation et était musicien de profession. Il travaillait concurremment comme musicien et comme agent artistique, imprésario, idéateur et recherchiste pour la télévision à Québec. Il a aussi organisé différents festivals internationaux au Québec à titre de directeur général. Il est maintenant à la retraite depuis plus de deux ans et ne pourra plus jamais travailler à cause de problèmes de santé.

 

[3]             En 1998, après des années de péripéties, de hauts et de bas sur le plan des émotions, monsieur Benoit fut diagnostiqué comme souffrant de bipolarité. Ceci a nécessité un suivi psychiatrique qu’a assuré le docteur Léon‑Maurice Larouche. En 2009, il souffrait aussi de tremblements essentiels. Ceci consiste en un problème des neurotransmetteurs par suite duquel chaque commande musculaire est suivie d’un écho une milliseconde plus tard. Par conséquent, tous ses mouvements se manifestent en tremblements. Il est suivi par une neurochirurgienne, la docteure Valérie Lyne Solan. Il souffre de ces tremblements tout le temps, mais ils sont exacerbés par des situations stressantes. Il a un kyste sous‑arachnoïdien qui fait sur le cortex frontal droit du cerveau une pression causant des pertes de mémoire et des tremblements. Il souffre d’anxiété et de crises de panique rattachées à sa bipolarité et aux tremblements essentiels. Ses médecins lui ont prescrit des médicaments pour traiter sa bipolarité. Malheureusement, ces médicaments ont engendré des effets secondaires — il est, en effet, au premier stade de la stéatose hépatique, qui mène à la cirrhose. Depuis 2009, il prend sept ou huit médicaments tous les jours pour traiter notamment la bipolarité et les problèmes du foie et de la glande thyroïde (voir la pièce A‑1, onglet 11). L’état général de sa santé est aujourd’hui stable, mais sa qualité de vie, en ses mots, « est pas le fun ». Il est suivi en psychiatrie, en neurologie et en endocrinologie et il est suivi aussi par un médecin de famille. Les documents que l’on retrouve à la pièce A‑1 font état de la précarité de sa santé.

 

[4]             Monsieur Benoit souffre de trous de mémoire. Ces trous de mémoire lui arrivent souvent dans la foulée des tremblements essentiels. Sa mémoire est peu fiable et, en fait, à l’audience, il a témoigné à l’aide des notes qu’il avait préparées quelques semaines avant le procès parce qu’il éprouve de la difficulté à se souvenir des détails de ses activités quotidiennes, quoique ses activités soient peu nombreuses. S’il a un rendez‑vous médical, il faut qu’il l’écrive partout et qu’il le dise à sa conjointe pour qu’elle le lui rappelle; sinon il va l’oublier. Il n’est plus capable de mémoriser un morceau de musique. Même si, avant, il était capable de mémoriser un concerto au complet et de le jouer, il ne peut plus le faire. Il nous a décrit un incident où il était en concert avec une chanteuse; il se mit à trembler et à paniquer et il a tout oublié. Le croyant fini, il est sorti en plein milieu du concert. Ceci était la fin de sa carrière de musicien, car il n’a plus été capable de jouer en public.

 

[5]             L’appelant nous a décrit comment ses crises d’anxiété et de panique et ses tremblements essentiels l’affectent. Même les tâches les plus faciles, soit physiques ou mentales, deviennent des difficultés insurmontables. L’appelant ressent le stress résultant de ces difficultés et ceci fait boule de neige. Le stress engendre des tremblements essentiels. Il est alors pris de panique et il perd le contrôle de la situation. N’importe quelle petite difficulté déclenche ces paniques. Les actes relevant de la motricité fine, comme attacher ses lacets, ramasser de la monnaie par terre, tenir une tasse de café, deviennent pour lui très difficiles. Aussitôt qu’il est assujetti à la moindre contrainte, ceci le stresse et il se met à trembler, ce qui lui rend presque impossible l’accomplissement de la tâche. Ce stress peut être créé simplement par quelqu’un qui lui demande d’aller plus vite et de se dépêcher à s’habiller ou à manger le matin; il devient alors incapable ou presque incapable de fonctionner. Il est stressé la moitié du temps et, lorsqu’il panique, cela lui prend une demi‑heure pour que la panique passe. Il ne peut réussir à la vaincre qu’avec beaucoup de difficulté. Il lui faut facilement une heure pour s’habiller le matin. Faire un choix de nourriture au petit déjeuner est très stressant et lui cause des épisodes de panique. Il met une heure au moins à manger, à cause des tremblements. Il a de la difficulté à planifier des activités et les évènements imprévus lui causent du stress. Il doit toujours rester dans le moment présent. Il ne peut pas faire deux choses à la fois et il est incapable de faire des choix simples. Aujourd’hui, il ne prend pas de décisions financières lui-même; il doit consulter quelqu’un pour s’assurer que ses choix financiers sont prudents. J’ai l’impression que les épisodes de panique le paralysent.

 

[6]             L’appelant peut à peine écrire à cause des tremblements. Son écriture est très spasmodique et il doit prendre beaucoup de temps pour écrire une phrase simple, beaucoup plus de temps qu’une personne n’ayant pas de tremblements. La qualité de son écriture laisse beaucoup à désirer (voir la pièce A‑2). Il s’agit vraiment d’un gribouillage ou barbouillis difficile à déchiffrer.

 

[7]             Il subit des pertes d’équilibre et doit alors chercher un appui, sinon il tombe. Il fait de la marche pour déstresser, mais non dans des endroits publics parce qu’il peut tomber sur le trottoir à cause de ses pertes d’équilibre, ce qui dérange les gens et le met dans l’embarras. Il fait un peu de jardinage, ce qui diminue le stress, mais il le fait agenouillé à cause de ses pertes d’équilibre.

 

[8]             Il est évident que l’appelant souffre de dépression majeure et ses limitations fonctionnelles sont permanentes ou prolongées (voir la pièce A‑1, onglet 4). Pour lui, les épisodes de dépression sont écrasants, et il en vit souvent à cause de la bipolarité.

 

[9]             En contre‑interrogatoire, il nous a dit qu’il habitait seul en 2009, soit l’année d’imposition en cause. Par contre, il recevait de l’aide, de façon ponctuelle, d’une amie qui venait à la maison à une fréquence d’une fois par semaine pour faire le ménage, la cuisine et d’autres choses. Il admet qu’il a un permis de conduire et qu’il conduisait une auto en 2009 de façon régulière — une ou deux fois par semaine — pour faire son épicerie ou chercher le courrier. Par contre, c’était très stressant et il ne pouvait pas fonctionner dans un embouteillage, dans une situation de grande circulation ou dans une situation de vitesse. Il devait alors prendre l’accotement et cela lui prenait jusqu’à une demi-heure pour se calmer afin de continuer sa route. Lorsqu’il allait au cinéma, il était capable de suivre l’histoire du film, mais l’intensité émotive le stressait et il se mettait à trembler, à avoir froid, et il subissait une chute de la pression artérielle. Il était capable d’utiliser un téléphone et un ordinateur et d’envoyer des courriels. Au moins les documents qu’il prépare à l’ordinateur sont lisibles, à la différence de ses notes manuscrites. Il faisait de la lecture, mais pas de romans, car lire un roman exigeait une concentration dont il n’était pas capable. Il lisait trois ou quatre pages à la fois et c’est tout. Il est capable de faire un peu de bricolage à la maison, mais seulement de petites choses, comme réparer la poignée d’une porte, rien de compliqué. Si jamais il laisse échapper des vis ou des petites choses qu’il doit ramasser, la réparation peut lui prendre beaucoup de temps.

 

[10]        Le docteur Rami Morcos, neurologue, a préparé un rapport médical daté du 20 janvier 2010 (voir la pièce A‑1, onglet 8, et la pièce I‑1, onglet 4). Le docteur Morcos indique que l’appelant souffre de tremblements, à tel point qu’il doit tenir sa tasse à deux mains le matin. Occasionnellement, l’appelant éprouve des difficultés de perception de la distance du plancher en mettant son pied par terre, ce qui le fait chanceler et perdre l’équilibre. L’appelant a rapporté qu’il soufrait de céphalées d’une durée de quelques heures deux ou trois jours par semaine. Le Tylenol l’aide parfois. Il peut occasionnellement avoir un blocage en avalant; il ne s’étouffe cependant pas en mangeant. Il est parfois plus lent en parlant et cherche ses mots. Il a rapporté une diminution de sa mémoire.

 

[11]        Au cours de l’année 2010, l’appelant se trouvait sans revenu adéquat. Donc, au mois de mars, il a fait une demande auprès de la Régie des rentes du Québec pour obtenir une rente d’invalidité, qu’il reçoit depuis le mois de septembre 2010. Il a aussi demandé à recevoir le CIPH. C’est le docteur Larouche qui s’est occupé de remplir les formulaires nécessaires pour obtenir la rente d’invalidité ainsi que le CIPH.

 

[12]        Le 23 mars 2010, l’appelant a fait parvenir au ministre le formulaire T2201 « Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées » dûment rempli et signé par le docteur Larouche. Sur ce certificat, le docteur Larouche indique que l’appelant souffre, depuis 2008, de trouble affectif bipolaire, d’hypothyroïdie, de stéatose hépatique modérément sévère, d’un kyste sous‑arachnoïdien au lobe frontal droit et de tendinite au poignet droit. Le docteur indique que l’appelant est faible, qu’il a des tremblements, des étourdissements, peu de concentration, peu d’intérêt et qu’il néglige son alimentation. Le formulaire T2201 consiste en une série de questions auxquelles le docteur répond en cochant la case appropriée : « Oui » ou « Non ». À la question : « Votre patient est‑il limité de façon marquée dans sa capacité d’effectuer les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante, tel qu’il est décrit ci‑dessus? », le docteur répond « Oui ». Le docteur atteste que la déficience a duré ou qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois consécutifs. L’appelant est devenu limité de façon marquée dans sa capacité d’effectuer les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante en 2008 et 2009. Le docteur atteste que la déficience ne s’est pas améliorée et que l’on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle s’améliore de sorte que le patient ne soit plus limité de façon marquée.

 

[13]        Le 4 juin 2010, le ministre a demandé au docteur Larouche de fournir plus de précisions sur la manière dont la déficience de l’appelant nuit à sa capacité d’exécuter une ou plusieurs activités courantes de la vie quotidienne. Le ministre a demandé au docteur de remplir un autre formulaire en cochant  pour chaque question l’énoncé qui correspond le mieux à la capacité de l’appelant d’effectuer les activités courantes de la vie quotidienne, à l’aide de soins thérapeutiques, de médicaments et d’appareils appropriés. Les questions et les énoncés correspondants sont reproduits ci-dessous (voir la pièce A‑1, onglet 2, et la pièce I‑1, onglet 8) :

 

FONCTIONS MENTALES NÉCESSAIRES AUX ACTIVITÉS DE LA VIE COURANTE

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à exécuter les habiletés de base de la vie quotidienne (p. ex. son hygiène personnelle, ses achats courants, ses sorties)? Votre patient :

 

a)         [coche] est capable d’exécuter ces activités sans aucune aide.

b)         a besoin d’aide, mais SEULEMENT pour les tâches complexes, en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         a toujours ou presque toujours besoin d’aide (c.-à-d., votre patient ne peut pas être laissé seul).

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à s’exprimer? Votre patient est :

a)         [coche] capable de s’exprimer sans difficulté.

b)         incapable de s’exprimer, mais SEULEMENT lorsque le sujet est complexe, en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         toujours ou presque toujours incapable de s’exprimer.

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à se souvenir? Votre patient :

a)         n’a aucune difficulté à se souvenir la plupart du temps.

b)         [coche] est incapable de se souvenir, mais SEULEMENT dans les situations qui comportent plusieurs étapes ou des directives complexes, en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         est incapable de se souvenir de simples ou de nouvelles consignes, et a toujours ou presque toujours besoin d’une supervision constante pour assurer sa sécurité et son bien-être.

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à trouver des solutions aux problèmes pratiques qui sont rencontrés quotidiennement? Votre patient :

a)         [coche] est capable de trouver des solutions tout seul sans difficulté.

b)         a besoin d’une aide importante pour trouver des solutions, mais SEULEMENT lorsque les tâches sont complexes (p. ex. les tâches qui demandent un raisonnement abstrait, de la planification ou de l’organisation), en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         a toujours ou presque toujours besoin d’une aide importante pour trouver des solutions à des problèmes mineurs (p. ex. votre patient est incapable de se trouver un autre trajet ou moyen pour se rendre chez lui dans l’éventualité de la fermeture d’une rue dans sa localité).

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à porter un jugement dans les situations de la vie courante? Votre patient est :

a)         [coche] capable de porter un jugement adéquatement la plupart du temps.

b)         incapable de porter un jugement adéquatement, mais seulement lorsque la tâche est complexe (p. ex. prendre une décision financière), en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         toujours ou presque toujours incapable de porter un jugement adéquatement.

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à être autonome dans la planification de ses activités journalières? Votre patient est :

a)         [coche] capable de planifier lui-même ses activités journalières la plupart du temps.

b)         incapable de planifier lui-même ses activités journalières, mais SEULEMENT lorsque la tâche est complexe (p. ex. planifier une sortie ou un voyage), en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         toujours ou presque toujours incapable de planifier lui-même ses activités journalières (p. ex. il a besoin de quelqu’un pour lui établir une routine et pour lui dire constamment quoi faire).

 

Quel énoncé décrit la capacité de votre patient à effectuer lui-même les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante décrites dans les questions ci‑dessus?

REMARQUE : Pour correspondre à la définition d’un « temps excessif », effectuer les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante doit prendre considérablement plus de temps que la moyenne des personnes du même âge n’ayant pas de déficience.

Votre patient :

a)         ne prend pas un temps excessif pour effectuer les fonctions.

b)         [coche] prend un temps excessif pour effectuer les fonctions, mais SEULEMENT lorsque la tâche est complexe (p. ex. une tâche qui demande un raisonnement abstrait), en période d’exacerbation ou dans des situations stressantes.

c)         prend toujours ou presque toujours un temps excessif pour effectuer les fonctions.

 

[14]        Le docteur Larouche indique que les incapacités mentionnées dans le questionnaire ont commencé dans les années 2007 et 2008. Le docteur Larouche indique qu’il est probable que la capacité de l’appelant à effectuer les fonctions mentales nécessaires à la vie courante s’améliorera à l’aide de médicaments ou de thérapie, et ce, dans un an ou deux.

 

[15]        Le ministre, se fiant au rapport du docteur Larouche, a refusé à l’appelant le montant de 7 196 $ au titre du CIPH que l’appelant avait réclamé pour lui-même pour l’année d’imposition 2009. Malgré le fait que sa capacité d’effectuer les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante est limitée, il a été jugé non admissible au CIPH parce que sa capacité d’effectuer ces fonctions n’est pas limitée de façon marquée toujours ou presque toujours.

 

[16]        Le 17 mars 2010, le docteur Larouche remplit pour Revenu Québec un formulaire « Attestation de déficience » à l’égard de l’appelant pour les années 2008 et 2009 (pièce A‑1, onglet 14). La question numéro 7 sur ce formulaire est rédigée comme suit :

 

Effectuer les fonctions mentales — La capacité de votre patient d’effectuer les fonctions mentales nécessaires au fonctionnement de tous les jours est-elle limitée de façon marquée?

 

Répondez oui uniquement si, même à l’aide de soins thérapeutiques ou de médicaments, votre patient est toujours ou presque toujours incapable d’effectuer les fonctions mentales nécessaires au fonctionnement de tous les jours, ou s’il lui faut un temps excessif pour le faire.

 

Les fonctions mentales nécessaires au fonctionnement de tous les jours englobent la mémoire, la résolution de problèmes, l’atteinte d’objectifs et le jugement, ainsi que l’apprentissage fonctionnel à l’indépendance.

 

Revenu Québec considère que la capacité de votre patient est limitée de façon marquée s’il n’a pas la capacité intellectuelle de voir à ses besoins personnels (se procurer de la nourriture, des vêtements, etc.) ou de s’occuper de ses soins personnels (s’alimenter, voir à son hygiène corporelle, s’habiller, etc.) sans supervision.

 

[17]        À cette question, le docteur Larouche répond « oui ». Par contre, le docteur Larouche répond « non » à la question numéro 8, qui est ainsi formulée :

 

Effets cumulatifs de limitations multiples (ceci s’applique uniquement depuis 2005) — Votre patient a‑t‑il des limitations dans plus d’une activité courante de la vie de tous les jours (activités mentionnées aux questions 2 à 7) dont les effets cumulatifs sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans l’exercice d’une seule activité courante de la vie de tous les jours?

 

Répondez oui uniquement si, même à l’aide de soins thérapeutiques ou de médicaments, les limitations et leurs effets cumulatifs sont toujours ou presque toujours présents.

 

Le docteur Larouche indique que la déficience de son patient date du mois de février 2008 et qu’il s’agit d’une déficience permanente.

 

[18]        Donc, il semble qu’il y a des contradictions ou au moins des différences entre le certificat T2201 (pièce A‑1, onglet 1) et l’« Attestation de déficience » (pièce A‑1, onglet 14) d’une part et le rapport supplémentaire demandé par le ministre au mois de juin 2010 (pièce A‑1, onglet 2) d’autre part. Il incombe au tribunal de résoudre, si possible, ces différences.

 

Thèse de l’appelant

 

[19]        L’appelant soutient qu’il souffre de déficiences graves et prolongées de ses fonctions physiques ou mentales, de sorte que sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon importante. Il est toujours ou presque toujours limité dans cette capacité, même avec l’aide de soins thérapeutiques et de médicaments. L’appelant affirme qu’il satisfait aux critères du paragraphe 118.3(1) et de l’article 118.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la « Loi ») et qu’il est donc admissible au CIPH.

 

Thèse de l’intimée

 

[20]        L’intimée soutient que, bien que l’appelant souffre de déficiences graves et prolongées, et bien que sa capacité d’effectuer les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante soit limitée, l’appelant n’est pas « toujours ou presque toujours », au sens de l’article 118.4 de la Loi, limité de façon marquée dans sa capacité d’effectuer ces fonctions. L’appelant n’est donc pas admissible au CIPH en vertu du paragraphe 118.3(1).

 

Les dispositions législatives

 

[21]        Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

 

118.3 (1) Un montant est déductible dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)         le particulier a une ou plusieurs déficiences graves et prolongées des fonctions physiques ou mentales;

 

a.1)      les effets de la ou des déficiences sont tels que la capacité du particulier d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon importante si les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne, ou sont tels que la capacité du particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ou le serait en l’absence de soins thérapeutiques qui, à la fois :

 

(i)         sont essentiels au maintien d’une fonction vitale du particulier,

 

(ii)        doivent être administrés au moins trois fois par semaine pendant une durée totale moyenne d’au moins 14 heures par semaine,

 

(iii)       selon ce à quoi il est raisonnable de s’attendre, n’ont pas d’effet bénéfique sur des personnes n’ayant pas une telle déficience;

 

a.2)      s’il s’agit d’une déficience des fonctions physiques ou mentales dont les effets sont tels que la capacité du particulier d’accomplir une seule activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ou le serait en l’absence des soins thérapeutiques mentionnés à l’alinéa a.1), un médecin en titre […] atteste, sur le formulaire prescrit, qu’il s’agit d’une déficience grave et prolongée des fonctions physiques ou mentales dont les effets sont tels que la capacité du particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ou le serait en l’absence de ces soins :

 

[…]

 

a.3)      s’il s’agit d’une ou de plusieurs déficiences des fonctions physiques ou mentales dont les effets sont tels que la capacité du particulier d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon importante, l’une des personnes ci-après atteste, sur le formulaire prescrit, que la ou les déficiences sont des déficiences graves et prolongées des fonctions physiques ou mentales dont les effets sont tels que la capacité du particulier d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon importante et que les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une seule activité courante de la vie quotidienne :

 

(i)         s’il s’agit d’une déficience quant à la capacité de marcher, de s’alimenter ou de s’habiller, un médecin en titre ou un ergothérapeute,

 

(ii)        s’il s’agit d’une autre déficience, un médecin en titre;

 

b)         le particulier présente au ministre l’attestation visée aux alinéas a.2) ou a.3) pour une année d’imposition;

 

c)         […]

 

[calcul du CIPH]

 

[…]

 

(4)        Lorsqu’une déduction est demandée en vertu du présent article ou de l’article 118.8 relativement à la déficience d’un particulier, les règles suivantes s’appliquent :

 

a)         toute personne visée aux paragraphes (1) ou (2) ou à l’article 118.8 relativement à la demande doit fournir par écrit les renseignements que le ministre lui a demandés par écrit concernant la déficience du particulier, ses effets sur lui et, le cas échéant, les soins thérapeutiques mentionnés à l’alinéa (1)a.1) qui doivent être administrés;

 

b)         les renseignements ainsi fournis par une personne visée aux alinéas (1)a.2) ou a.3) sont réputés figurer dans une attestation établie en la forme prescrite.

 

118.4 (1) Pour l’application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

 

a)         une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée;

 

b)         la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

 

b.1)      un particulier n’est considéré comme ayant une limitation équivalant au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne que si sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne (y compris, à cette fin, la capacité de voir) est toujours ou presque toujours limitée de façon importante malgré le fait qu’il reçoit des soins thérapeutiques et fait usage des instruments et médicaments indiqués, et que si les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne;

 

c)         sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

 

(i)         les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante,

 

(ii)        le fait de s’alimenter ou de s’habiller,

 

(iii)       le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

 

(iv)       le fait d’entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

 

(v)        les fonctions d’évacuation intestinale ou vésicale,

 

(vi)       le fait de marcher;

 

c.1)      sont compris parmi les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante :

 

(i)         la mémoire,

 

(ii)        la résolution de problèmes, l’atteinte d’objectifs et le jugement (considérés dans leur ensemble),

 

(iii)       l’apprentissage fonctionnel à l’indépendance;

 

d)         il est entendu qu’aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n’est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne;

 

e)         le fait de s’alimenter ne comprend pas :

 

(i)         les activités qui consistent à identifier, à rechercher, à acheter ou à se procurer autrement des aliments,

 

(ii)        l’activité qui consiste à préparer des aliments, dans la mesure où le temps associé à cette activité n’y aurait pas été consacré en l’absence d’une restriction ou d’un régime alimentaire;

 

f)          le fait de s’habiller ne comprend pas les activités qui consistent à identifier, à rechercher, à acheter ou à se procurer autrement des vêtements.

 

                                                                                                         [Je souligne.]

 

Analyse

 

[22]        Le CIPH est un crédit d’impôt non remboursable qui fournit un allégement fiscal à ceux qui ont une déficience grave et prolongée des fonctions physiques ou mentales. Un particulier est admissible au CIPH pour une année d’imposition s’il répond aux exigences suivantes, qui sont énoncées au paragraphe 118.3(1) de la Loi :

 

a)      Le particulier a une ou plusieurs déficiences graves et prolongées des fonctions physiques ou mentales.

 

b)      Les effets de la déficience ou des déficiences sont tels que le particulier remplit l’une des conditions suivantes :

 

i)        il est limité de façon marquée dans sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne ou serait limité de façon marquée en l’absence des soins thérapeutiques essentiels;

 

ii)      il est limité de façon importante dans sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne et les effets cumulatifs des limitations importantes sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne.

 

c)      Un médecin atteste que le particulier répond aux exigences ci‑dessus mentionnées.

 

[23]        Une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée. La capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif. Un particulier n’est considéré comme ayant une limitation équivalant au fait d’être limité de façon marquée que si sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne est toujours ou presque toujours limitée de façon importante malgré le fait qu’il reçoit des soins thérapeutiques et fait usage des instruments et médicaments indiqués, et si les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne. Le fait de s’alimenter ou de s’habiller, entre autres, est compris parmi les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante. Par contre, le fait de s’alimenter ne comprend pas l’activité qui consiste à préparer des aliments, dans la mesure où le temps associé à cette activité n’y aurait pas été consacré en l’absence d’une restriction ou d’un régime alimentaire. La mémoire, la résolution de problèmes, l’atteinte d’objectifs et le jugement (considérés dans leur ensemble) sont compris parmi les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante.

 

[24]        Pour satisfaire à l’exigence quant au fait de consacrer un temps excessif à une activité, l’activité doit prendre considérablement plus de temps qu’il n’en faut à la moyenne des personnes qui n’ont pas de déficience. La question de savoir si un particulier consacre un temps excessif à l’accomplissement d’une activité est une question de fait. Le juge Létourneau, dans l’arrêt Johnston c. Canada, [1998] A.C.F. no 169 (QL), de la Cour d’appel fédérale, définit ce que signifie l’expression « temps excessif » au paragraphe 18 :

 

On n’a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. À mon avis  l’expression « temps excessif » renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé. Il implique une différence marquée d’avec ce que l’on considère normal.

 

[25]        En général, c’est l’effet d’une ou de plusieurs déficiences des fonctions physiques ou mentales sur la capacité d’une personne d’accomplir les activités courantes de la vie quotidienne — effet qui diffère d’une personne à une autre —, plutôt qu’un état pathologique en soi, qui détermine si une personne est admissible au CIPH.

 

[26]        L’appelant et l’intimée m’ont cité plusieurs décisions à l’appui de leurs prétentions respectives. Il va sans dire que, même si certaines décisions peuvent éclairer la Cour, chaque cas demeure un cas d’espèce qui doit être décidé à la lumière de ses circonstances propres selon le fardeau de la preuve et le degré de preuve requis. L’exercice de comparaison des faits d’une autre affaire, qui peuvent présenter certaines similitudes avec ceux présentés dans un cas donné, ne saurait donc remplacer l’application des dispositions législatives et des exigences qui y sont énoncées aux circonstances prouvées de ce cas donné : voir Gilbert c. Canada, [2001] A.C.I. no 600 (QL) au par. 32.

 

[27]        Dans l’affaire Radage c. Canada, [1996] A.C.I. no 730 (QL), [1996] 3 C.T.C. 2510, le juge Bowman de la Cour canadienne de l’impôt a très bien expliqué, au paragraphe 46 (QL) de ses motifs du jugement, l’intention qu’a eue le législateur en adoptant les articles 118.3 et 118.4 :

 

[…]

 

5) […] J’essaierai d’énoncer brièvement les principes sur lesquels se fonde ma décision en l’espèce :

 

a)      L’intention du législateur semble être d’accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L’intention n’est pas d’accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d’un tel allégement fiscal, et l’intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

 

b)      La Cour doit, tout en reconnaissant l’étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d’une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d’une façon étroite et technique. Dans l’affaire Craven c. La Reine, 94‑2619(IT)I, je disais :

 

L’application des critères inflexibles de l’article 118.4 ne permet pas à la Cour d’user de son bon sens ou de faire montre de compassion dans l’interprétation des dispositions relatives au crédit d’impôt pour personnes handicapées prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu -- dispositions qui doivent être appliquées avec compassion et bon sens.

 

Dans cette affaire-là, j’estime avoir énoncé le critère d’une manière trop étroite. Depuis, j’ai entendu de nombreuses causes relatives au crédit d’impôt pour déficience, et ma pensée a évolué. Mon point de vue actuel sur l’approche à adopter est énoncé avec plus de justesse dans des jugements comme Noseworthy c. La Reine, 95‑1862(IT)I, Lawlor c. La Reine, 95‑1585(IT)I, Hillier c. La Reine, 95‑3097(IT)I, et Lamothe c. La Reine, 95‑2868(IT)I et 95‑3949(IT)I. Pour donner effet à l’intention du législateur, qui est d’accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu’à un certain point les difficultés accrues avec lesquels leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L’article 12 de la Loi d’interprétation se lit comme suit :

 

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

 

 

c)      S’il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

 

d)     Les significations que j’ai tenté d’attribuer aux termes « la perception, la réflexion [la pensée] et la mémoire » correspondent davantage à des lignes directrices qu’à des définitions, soit :

 

La perception : Réception et reconnaissance de données sensorielles sur le monde extérieur d’une manière raisonnablement conforme à l’expérience humaine commune.

 

La pensée : Compréhension, sélection, analyse et organisation rationnelles de ce que la personne a perçu et formulation de conclusions y afférentes ayant une utilité pratique ou une valeur théorique.

 

La mémoire : Activité mentale consistant à emmagasiner des données perçues et à les récupérer d’une manière qui permette à la personne d’accomplir raisonnablement l’activité qu’est la pensée.

 

[...]

 

e)      Enfin, il faut considérer — et c’est le principe le plus difficile à formuler — les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d’une telle gravité que la personne a droit au crédit, c’est-à-dire que la capacité de cette personne de percevoir, de penser et de se souvenir est limitée de façon marquée au sens de la Loi. Il n’est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d’une gravité telle qu’elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d’accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d’une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

                                                                                                               [Je souligne.]

 

[28]        Dans l’affaire Brown c. Canada, [2002] A.C.I. no 199 (QL), [2002] 2 C.T.C. 2846, le juge Miller de la Cour canadienne de l’impôt avait à considérer le cas d’un jeune homme qui avait subi un traumatisme crânien à la suite d’un accident à l’âge de 10 ans. Monsieur Brown vivait seul et il semble avoir été pas mal laissé à lui-même pendant toute sa jeunesse. Il avait une aptitude limitée à comprendre et à mémoriser. Il se laissait facilement distraire. Il avait du mal à s’organiser et il s’énervait très vite. Il aimait écouter de la musique et se promener dans les bois. Il jouait un peu de la guitare. Malgré ses handicaps importants, monsieur Brown avait réussi à atteindre un certain degré d’indépendance. Tout ce qu’il faisait, il faisait lui-même.

 

[29]        Le juge Miller, en traitant de l’applicabilité des dispositions du paragraphe 118.3(1) et de l’article 118.4 de la Loi, s’exprime comme suit au paragraphe 20 de ses motifs du jugement :

 

[…] Prises ensemble, les dispositions que je viens de citer veulent dire qu’une activité courante de la vie quotidienne (dans ce cas, la perception, la réflexion et la mémoire) est grandement limitée si, la plupart du temps, la personne est incapable de percevoir, de réfléchir ou de se souvenir, ou si elle doit y consacrer un temps excessif. En somme, les conditions que M. Brown doit remplir pour obtenir le crédit sont :

 

1.   une déficience mentale grave et prolongée;

2.   des effets de la déficience d’une telle ampleur que M. Brown est incapable, presque toujours, de percevoir, de réfléchir et de se souvenir;

3.   la présentation au ministre d’un certificat rempli par un médecin ou un psychologue, dans la forme prescrite, afin d’attester des deux points ci‑dessus.

 

[30]        Le juge Miller cite les principes énoncés par le juge Bowman dans l’affaire Radage, précitée, que j’ai cités ci‑dessus, et continue au paragraphe 24 :

 

Si j’applique ces principes à la situation devant moi, je suis convaincu que M. Brown mérite l’interprétation de ces dispositions empreinte d’humanisme et de bienveillance qui a été suggérée par le juge en chef adjoint Bowman et adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Johnston c. La Reine, C.A.F., no A‑347‑97, 6 février 1998 (98 DTC 6168). Voici un homme qui a subi un grave traumatisme crânien dans sa jeunesse et qui a atteint l’âge adulte en pressentant qu’il était différent, mais sans savoir pourquoi. Sa famille ne le fait pas soigner mais le laisse à lui-même, et il s’adapte. En s’adaptant, prouve-t-il que sa déficience mentale n’est pas assez grave pour le rendre incapable de percevoir, de réfléchir ou de se souvenir? L’adaptation est une notion relative. Il s’adapte en écoutant de la musique, en jouant des extraits de trois ou quatre chansons à la guitare et en se promenant à la campagne. Parmi ses mécanismes d’adaptation, il n’a mentionné aucune activité qui exige une réflexion rationnelle et organisée au-delà d’un niveau très primaire. Il a survécu malgré sa déficience, mais il n’a pas surmonté sa déficience.

 

Le juge Miller conclut au paragraphe 28 :

 

Ma conclusion concernant la gravité de la déficience et, plus précisément, son impact sur l’aptitude de M. Brown à vivre sa vie, n’est pas exempte de doute. Je m’en remets toutefois au principe énoncé par le juge en chef adjoint Bowman, selon lequel en cas de doute, celui-ci devrait s’exercer en faveur du demandeur. C’est ce que je fais ici, et j’admets l’appel de l’appelant pour l’année d’imposition 1998. Je défère la question au ministre pour nouvelle cotisation en tenant compte du présent jugement.

 

[31]        Comme je l’ai déjà indiqué, en l’espèce, le certificat T2201 (pièce A‑1, onglet 1), le rapport médical supplémentaire du docteur Larouche du mois de juin 2010 (pièce A‑1, onglet 2) et l’« Attestation de déficience » du mois de mars 2010 (pièce A‑1, onglet 14) sont problématiques. Ils ne sont pas des rapports médicaux détaillés dans lesquels le docteur pouvait s’exprimer librement et de façon complète en présentant les observations subjectives et objectives qui motivaient son opinion médicale. Ces rapports sont seulement des formulaires contenant des questions auxquelles le médecin doit répondre en cochant la case appropriée, pas dans le but de fournir dans chaque cas une opinion médicale complète, détaillée et bien réfléchie, mais seulement dans le but de donner la réponse qui convient le mieux parmi les deux ou trois réponses possibles. Ces formulaires ne laissent pas au médecin beaucoup de liberté pour s’expliquer. De par leur présentation et leur libellé, ces formulaires n’inspirent pas grande confiance dans les opinions médicales que l’on y retrouve. La méthode constituant à cocher une réponse parmi deux ou trois réponses prédéterminées n’est pas la meilleure façon d’obtenir un résultat juste. Comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale dans la décision MacIsaac c. Canada; Morrison c. Canada, [1999] A.C.F. no 1898 (QL) au paragraphe 6 :

 

Il n’est pas évident que de poser les questions telles qu’elles le sont dans le formulaire amène le médecin à faire un examen approfondi des questions auxquelles il fait face. Cocher des cases n’est peut-être pas la meilleure façon d’obtenir un résultat juste. Néanmoins, la Loi exige de telles attestations et en fait une condition préalable pour l’obtention de crédits d’impôt pour déficience.

 

[32]        En l’espèce, monsieur Benoit a présenté au ministre un certificat T2201 comme il était tenu de le faire. Le ministre est d’avis, à la suite de l’examen du certificat et des renseignements supplémentaires, que l’appelant n’est pas admissible au CIPH. Donc, il incombe à la Cour de déterminer si l’appelant remplit les critères que l’on retrouve aux articles 118.3 et 118.4.

 

[33]        En l’espèce, il est incontestable que l’appelant souffre d’une déficience mentale grave et prolongée, et ce, depuis au moins douze mois. À mon avis, on ne peut pas s’attendre que sa situation s’améliore dans un avenir rapproché; et je veux dire par là d’ici un ou deux ans. L’effet cumulatif de sa bipolarité, de sa dépression majeure, de son état d’anxiété, de sa panique et de ses tremblements essentiels fait en sorte que l’appelant est limité de façon importante dans sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne, en l’absence de soins thérapeutiques.

 

[34]        Est‑ce que les déficiences de l’appelant font en sorte qu’il est « toujours ou presque toujours », au sens de l’article 118.4, limité de façon marquée dans sa capacité accomplir ces activités? Je suis d’avis que oui. Comme l’appelant dans l’affaire Brown, précitée, l’appelant en l’espèce s’adapte et il vit indépendamment, mais cela ne veut pas dire que sa déficience mentale n’est pas assez grave pour le rendre incapable de percevoir, de réfléchir ou de se souvenir. Il s’adapte en évitant des situations stressantes, et si par hasard il se trouve dans une situation stressante, il s’adapte en s’extirpant de cette situation le plus vite possible.

 

[35]        En ce qui a trait à la mémoire, il est évident que la mémoire de l’appelant est peu fiable. Il a témoigné à l’aide de notes préparées d’avance. Il éprouve de la difficulté à se rappeler des détails de ses activités quotidiennes. Il ne peut pas se rappeler ses rendez-vous médicaux sans les écrire partout, c'est-à-dire sur un calendrier et à plusieurs autres endroits, et sans demander à quelqu’un de lui rappeler ces rendez-vous. Même si, avant, il avait la capacité de mémoriser un concerto au complet, il n’est plus capable de le faire. Cela constitue une perte importante de sa capacité de mémoriser et de se rappeler. Ses troubles de mémoire sont exacerbés par le stress. Bien que la perte de mémoire puisse être déclenchée par très peu de stress, les résultats de la perte sont très graves et peuvent être désastreux pour lui : par exemple, l’épisode lors du concert, décrit plus haut.

 

[36]        En ce qui a trait à sa capacité de se concentrer, il peut suivre le fil d’un film, mais pas si le film soulève des émotions — cela est trop stressant. Il ne peut lire que trois ou quatre pages d’un livre sans perdre le fil. Il ne peut pas se concentrer dans la circulation lorsqu’il conduit un véhicule. Il ne peut pas fonctionner dans un embouteillage, dans une circulation dense ou dans une situation de vitesse, et il doit dans ces cas se ranger sur l’accotement pour se calmer. Il vit dans le présent et il éprouve de la difficulté à planifier sa vie. Il n’est pas capable de tolérer un évènement imprévu. Il n’est pas capable de faire un choix simple comme décider quoi manger le matin. Il ne peut pas faire deux choses à la fois. Les décisions financières le dépassent et il doit consulter quelqu’un d’autre pour s’assurer de ne pas prendre de mauvaises décisions.

 

[37]        Monsieur Benoit souffre de tremblements essentiels presque tout le temps. Ces tremblements aggravent ses attaques d’anxiété et ses crises de panique. Le résultat est que, pour lui, même les tâches les plus faciles deviennent très difficiles. Attacher ses lacets, ramasser des objets par terre, tenir une tasse de café, s’habiller, manger et écrire sont des activités qui, pour la moyenne des gens, ne demandent que peu de temps et d’effort. Mais pour monsieur Benoit, elles sont de vrais défis et prennent excessivement de temps à accomplir. Ces activités, qui sont des exemples d’activités courantes de la vie quotidienne, nécessitent, pour monsieur Benoit, considérablement plus de temps que ce n’est le cas pour la moyenne des personnes du même âge que lui n’ayant pas de déficience. Au lieu de prendre quelques secondes ou minutes, monsieur Benoit prend une heure et parfois plus.

 

Conclusion

 

[38]        Ayant étudié l’ensemble de la preuve et ayant considéré les dispositions législatives ainsi que la jurisprudence applicables, je suis d’avis que monsieur Benoit mérite l’interprétation humaine et compatissante des dispositions législatives qui a été suggérée par le juge Bowman dans l’affaire Radage, précitée, et le juge Miller dans l’affaire Brown, précitée. J’arrive donc à la conclusion que l’effet cumulatif de sa bipolarité, de sa dépression majeure, de son état d’anxiété, de sa panique et de ses tremblements essentiels fait en sorte que monsieur Benoit est limité de façon importante dans sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne. Les déficiences de monsieur Benoit sont telles qu’il est « toujours ou presque toujours », au sens de l’article 118.4, limité de façon marquée dans sa capacité d’accomplir ces activités.

 

[39]        S’il y a un doute, j’accorde le bénéfice de ce doute à monsieur Benoit.

 

[40]        Pour ces motifs, j’accueille l’appel et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelant a droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées.

 

 

Signé à Kingston, Ontario, ce 31e jour de mars 2014.

 

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 95

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-2756(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MARC BENOIT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable Rommel G. Masse,

                                                          juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 31 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Représentantes de l'appelant :

Audrey Boissonneault, stagiaire en droit

Daria Fleury, stagiaire en droit

 

Avocate de l'intimée :

Me Amelia Fink

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           Audrey Boissonneault, stagiaire en droit

Daria Fleury, stagiaire en droit

 

                 Cabinet :                          Clinique fiscale, Faculté de droit

                                                          Université Laval

                                                          Québec (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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