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Dossier : 2011-3520(IT)G

ENTRE :

DANDAN QIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 27 juin 2013, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

avec M. Zhai Fu (interprète du mandarin)

Avocat de l’intimée :

Me Marcel Prevost

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation portant le numéro 1085086, établie le 15 juillet 2010 par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2013.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour d’avril 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

Référence : 2013 CCI 386

Date : 20131205

Dossier : 2011-3520(IT)G

ENTRE :

DANDAN QIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la cotisation portant le numéro 1085086 (la « cotisation »), établie le 15 juillet 2010 par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »).

 

[2]             Dans cette cotisation, le ministre a fixé à 110 578,66 $ le montant que l’appelante devait payer, en sa qualité d’administratrice de Goldstaff Personnel Inc. (« Goldstaff »), au titre de l’impôt fédéral sur le revenu, de l’impôt provincial sur le revenu et des cotisations au Régime de pensions du Canada et à l’assurance‑emploi que Goldstaff avait retenus sur le salaire de ses employés (collectivement, les « retenues à la source ») mais qu’il avait omis de verser au receveur général, ainsi que des intérêts et pénalités afférents, relativement aux années d’imposition 2008 et 2009.

 

[3]             Pour établir le montant de la dette fiscale de l’appelante à titre d’administratrice de Goldstaff, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 11 de la réponse à l’avis d’appel, à savoir :

 

[traduction]

 

a)         les faits admis antérieurement;

 

b)         Goldstaff a été constituée sous le régime de la Company Act de la Colombie‑Britannique, sous le numéro BC0807380, le 1er novembre 2007; (fait admis)

 

c)         d’abord enregistrée sous la dénomination sociale 0807380 B.C. Ltd.,  Goldstaff a ensuite changé de nom le 23 novembre 2007; (fait admis)

 

d)         Goldstaff exploitait une agence de placement; (fait admis)

 

e)         en novembre 2007, l’appelante travaillait comme comptable pour Goldstaff; (fait admis)

 

f)         l’appelante a été nommée administratrice de Goldstaff le 15 juin 2008; (fait admis)

 

g)         pendant toute la période pertinente, l’appelante était une administratrice et une actionnaire de la société, en plus de faire du travail de comptabilité pour cette dernière; (fait admis)

 

h)         pendant toute la période pertinente, l’appelante prenait régulièrement part à des conférences téléphoniques avec les autres administrateurs de Goldstaff; (hypothèse niée telle que rédigée)

 

i)          depuis le 15 juin 2008, l’appelante savait ou aurait dû savoir que Goldstaff éprouvait des problèmes financiers; (hypothèse niée)

 

j)          Goldstaff était tenue d’effectuer des retenues à la source sur la rémunération qu’elle versait à ses employés; (fait admis)

 

k)         Goldstaff n’a pas versé, de la manière et dans le délai prévus, les sommes retenues sur la rémunération versée à certains de ses employés; (fait admis)

 

l)          pendant toute la période pertinente, l’appelante savait ou aurait dû savoir que Goldstaff n’avait pas versé au receveur général, de la manière et dans le délai prévus, toutes les sommes retenues sur la rémunération versée à certains de ses employés; (fait admis)

 

m)        l’appelante a omis de prendre des mesures concrètes pour s’assurer du versement des retenues à la source au ministre; (hypothèse niée)

 

n)         Goldstaff n’a pas versé au receveur général les sommes retenues sur la rémunération versée à certains de ses employés relativement aux années d’imposition 2008 et 2009, comme le précise l’annexe « A », qui est jointe à la présente réponse et en fait partie intégrante; (fait admis)

 

o)         en date du 8 avril 2010, Goldstaff devait au receveur général au moins 123 106,16 $ en retenues à la source et intérêts afférents; (fait admis)

 

p)         le 22 avril 2010, un certificat précisant que Goldstaff devait 123 106,16 $, plus les intérêts, a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 de la Loi; (fait admis)

 

q)         le défaut d’exécution totale à l’égard de la dette de Goldstaff précisée dans le certificat susmentionné a été constaté le 21 juin 2010. (fait admis)

 

[4]             La question que la Cour est appelée à trancher est de savoir si l’appelante a agi avec autant de soin, de diligence et d’habileté que l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables pour prévenir l’omission de Goldstaff de verser les retenues à la source auxquelles cette dernière était tenue.

 

[5]             À l’audience, l’appelante a témoigné avec l’aide d’un interprète du mandarin. Elle a essentiellement confirmé les faits importants que son avocate a soumis à l’agent des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») dans une lettre datée du 4 mai 2011. Ces faits, tels qu’ils sont énoncés dans cette lettre qu’a fait parvenir Me Kathy Wang, du cabinet McMillan s.r.l., à M. J.P. Mise, de la Division des appels de l’ARC, sont les suivants :

 

[traduction]

 

1.         La contribuable a immigré au Canada en juillet 2004. Elle est titulaire d’un baccalauréat en génie et elle a exercé la profession d’ingénieure lorsqu’elle était en Chine. Après avoir immigré au Canada, la contribuable a eu beaucoup de difficulté à se trouver un emploi. Elle a fréquenté le British Columbia Institute of Technology (le « BCIT ») à temps plein pendant un an afin d’apprendre les principes de base de la comptabilité dans l’espoir de trouver un emploi dans ce domaine.

 

2.         La contribuable a été engagée comme comptable par Goldstaff en novembre 2007. Auparavant, elle avait travaillé comme comptable stagiaire pendant moins d’un an, mais elle avait perdu cet emploi. Il s’agissait à ce moment-là de sa seule expérience de travail au Canada. La contribuable n’a pas et n’a jamais eu de titre de comptable reconnu (p. ex. CA, CGA ou CMA).

 

3.         Au nombre des conditions d’embauche, la contribuable était tenue de se porter acquéresse d’actions de Goldstaff. En dépit de ses moyens limités, elle a acquis 5 % du capital-actions de Goldstaff contre un investissement de 1 250 $, car c’était la seule façon pour elle de s’assurer d’obtenir l’emploi.

 

4.         Comme cela est indiqué dans l’avis d’opposition, les personnes suivantes étaient les administrateurs, dirigeants et actionnaires de Goldstaff en novembre 2007 :

 

            a.   Rachel Stafford (« Mme Stafford »)

                  présidente, directrice générale et administratrice

                  participation de 40 %

 

            b.   John Goldsmith (« M. Goldsmith »)

                  administrateur

                  participation de 30 %

 

            c.   Tanya Shewchuk (« Mme Shewchuk »)

                  participation de 25 %

 

            d.   La contribuable

                  participation de 5 %

 

5.         En juin 2008, M. Goldsmith a démissionné de sa charge d’administrateur de Goldstaff. Propriétaire de 30 % du capital-actions de Goldstaff, il a déclaré vouloir vendre ses actions, à défaut de quoi il fermerait le bureau de Vancouver. Pressée par Mmes Stafford et Shewchuk, la contribuable a consenti à contrecœur à acquérir une participation additionnelle de 10 % dans Goldstaff pour la somme de 2 500 $, convaincue que son refus lui ferait perdre son emploi.

 

6.         À la même époque, Mme Stafford, supérieure de la contribuable, a demandé à cette dernière et à Mme Shewchuk de devenir administratrices de Goldstaff. Après le départ de M. Goldsmith, Mme Stafford ne voulait pas devenir l’unique administratrice. Cela faisait alors moins de quatre ans que la contribuable vivait au Canada. Elle n’avait jamais occupé de fonction d’administratrice ou de dirigeante et ne comprenait pas bien tout ce que cela impliquait. Elle n’avait aucune expérience des affaires ou de la gestion, son expérience de comptable mise à part. Cependant, le 15 juin 2008, par crainte de compromettre son emploi, elle a accepté de devenir administratrice. Mme Shewchuk a elle aussi consenti à devenir administratrice à peu près en même temps.

 

7.         Durant son mandat d’administratrice de Goldstaff, la contribuable a continué d’exercer les mêmes fonctions qu’elle exerçait déjà en tant que comptable de la société, sans plus. Par moments, elle travaillait également à la réception, car la réceptionniste avait été mise à pied. Elle n’a jamais été informée des réunions du conseil d’administration, n’a assisté à aucune de ces réunions et n’a signé ni approuvé aucun écrit de la société en sa qualité d’administratrice. En outre, elle n’avait aucun pouvoir de gestion ou de contrôle sur la conduite des activités commerciales de Goldstaff, car Mme Stafford avait conservé ces pouvoirs. Elle a fini par comprendre qu’elle n’avait pas, dans les faits, la latitude nécessaire pour véritablement exercer les fonctions normales d’un administrateur. Les faits suivants démontrent que la contribuable n’exerçait aucun contrôle et n’avait aucune influence sur Mme Stafford :

 

a.   Mme Stafford prenait seule les décisions liées à l’embauche, à l’horaire de travail, au salaire et à la formation relativement à l’ensemble des employés;

b.   À maintes reprises, la contribuable a suggéré des changements visant à assurer la pérennité de l’entreprise, notamment la fixation d’objectifs individuels pour le personnel de vente, la réduction des commissions supplémentaires et la diminution du salaire des employés, dont son propre salaire. Or, elle n’a pas réussi à influencer les décisions de Mme Stafford et n’avait pas le pouvoir d’effectuer quelque changement que ce soit;

c.   Mme Stafford a décidé seule d’embaucher Doreen Thibault, une ancienne employée qui avait été licenciée par le passé. Elle a pu le faire malgré les protestations de la contribuable et de Mme Shewchuk, lesquelles estimaient que Mme Thibault n’apportait rien à Goldstaff et que son rendement passé était médiocre.

 

8.         Goldstaff comptait à la fois des employés temporaires et des employés permanents et avait mis en place un système de retenues à la source et de versement des sommes prélevées.

 

a.   La gestion de la paie des employés permanents se faisait au moyen d’ADP, qui effectuait automatiquement les retenues à la source et les versait à l’ARC sur une base bimensuelle. Étant donné que les retenues à la source effectuées sur le salaire du personnel permanent de Goldstaff ont été versées en totalité, les arriérés faisant l’objet du présent litige devraient se rapporter uniquement aux retenues à la source relatives au salaire des employés temporaires.

b.   Les retenues à la source et les versements se rapportant au salaire des employés temporaires étaient effectuées manuellement. La contribuable dressait chaque jour un état des flux de trésorerie recensant toutes les sommes à payer. Puis, elle le remettait à Mme Stafford, qui lui indiquait qui payer. Une fois confirmée l’identité des créanciers qui seraient payés, la contribuable libellait les chèques, qui étaient ensuite signés par Mme Stafford. La politique de Goldstaff prévoyait que tous les paiements devaient être autorisés par Mme Stafford. Cette règle a été communiquée à la contribuable dès son premier jour de travail et elle était toujours en vigueur lorsqu’elle a quitté l’entreprise. La contribuable n’a jamais eu le pouvoir de payer directement l’un ou l’autre des créanciers attendus, dont l’ARC.

 

9.         En août 2008, à la suite de divers changements au sein du personnel et du ralentissement de l’économie, Goldstaff a commencé à éprouver des problèmes financiers. À la même époque, il est devenu plus difficile pour elle d’effectuer les versements de retenues à la source.

 

10.       Afin de surveiller la situation financière de Goldstaff et d’alerter Mme Stafford sur les obligations financières de Goldstaff, notamment quant aux versements dus à l’ARC, la contribuable établissait quotidiennement, à l’attention de Mmes Stafford et Shewchuk, un état des flux de trésorerie présentant toutes les retenues à la source dues et leur date d’échéance. À titre d’illustration, l’un de ces états des flux de trésorerie a été joint à la présente lettre. Lorsque le versement de retenues à la source arrivait à échéance, la contribuable demandait toujours à Mme Stafford d’en autoriser le paiement et cette dernière lui opposait systématiquement son refus. Chaque jour, la contribuable informait Mmes Stafford et Shewchuk, de vive voix et par courrier électronique, des retenues à la source qui devaient être versées à l’ARC. La contribuable n’était pas autorisée à faire elle-même les paiements.

 

11.       Constatant son incapacité à convaincre Mme Stafford de l’autoriser à faire les versements et à apporter d’autres changements dans l’entreprise, la contribuable a sollicité l’aide de Mme Shewchuk (qui dirigeait la succursale de Goldstaff à Edmonton), lui téléphonant à de nombreuses reprises pour lui expliquer la situation de Goldstaff sur le plan financier ainsi que la teneur des états de flux de trésorerie quotidiens. Ensemble, elles ont exhorté Mme Stafford à réduire l’ensemble des salaires, y compris les paiements faits par Goldstaff à Mme Staffortd au titre des commissions, de l’allocation pour usage d’une automobile et des cotisations à son REER, dans le but de permettre à Goldstaff d’effectuer les versements. Pendant toute la période pertinente, Mme Stafford a refusé d’autoriser les changements suggérés.

 

12.       Ayant finalement compris qu’elle n’avait pas le pouvoir d’influencer la façon dont Mme Stafford continuait à gérer les affaires de Goldstaff ni celui de l’inciter à respecter ses obligations fiscales malgré le concours de Mme Shewchuk, la contribuable a démissionné de sa charge d’administratrice le 26 février 2009. Mme Shewchuk a remis sa démission le 28 février 2009. 

           

 

[6]             Personne n’a témoigné pour le compte de l’appelante afin de corroborer sa version des faits. Mme Stafford avait accepté de venir témoigner, mais il lui a été impossible de se présenter le jour de l’audience, car elle était atteinte d’un cancer en phase terminale. M. Mark Sheaffer, ancien employé de Goldstaff, avait également accepté de témoigner, mais il se trouvait en Australie lors de l’audience. Il a envoyé un courriel que la Cour n’a pu admettre en preuve, car il ne figurait pas dans la liste de documents communiquée par l’appelante.

 

[7]             Comme preuve documentaire, l’appelante a déposé à la Cour une convention des actionnaires de Goldstaff portant la date du 30 novembre 2007 (pièce A‑1), à laquelle était annexée une copie du bilan d’ouverture de la société au 21 novembre 2007. Ce bilan avait été établi parce qu’en date du 21 novembre 2007, Goldstaff avait acquis les actifs que Coape Management Network LLC, faisant affaire sous la raison sociale Coape Staffing Network, détenait à Vancouver et à Edmonton ainsi que certaines de ses dettes. Le bilan montre que les actifs de Goldstaff totalisaient 224 366,96 $ et ses dettes, 196 866,96 $, ce qui comprenait des engagements salariaux de 105 282,18 $.

 

[8]             L’appelante a également produit le dossier de Goldstaff au registre central des valeurs mobilières (pièce A‑2). Celui‑ci révèle que l’appelante est devenue actionnaire de Goldstaff le 24 janvier 2008, en acquérant 1 250 actions ordinaires de la société au prix de 1 $ l’action. L’appelante a acquis 2 500 actions ordinaires additionnelles de Goldstaff le 31 juillet 2008 au prix de 1 $ l’action. Au 15 juin 2008, date à laquelle l’appelante est devenue administratrice, les actions de Goldstaff étaient réparties de la manière suivante :

 

 

 

Actions ordinaires

de catégorie A (1 vote)

Actions ordinaires

de catégorie B (10 votes)

 

Apple Core Enterprises Inc.

 

17 500

 

2 500

Dandan Qian

1 250

 

Tanya Roy Shewchuk

6 250

 

Rachel C. Stafford

_____0

 

Total

25 000

2 500

 

Le 31 juillet 2008, la répartition était la suivante :


 

 

Actions ordinaires

de catégorie A (1 vote)

Actions ordinaires

de catégorie B (10 votes)

 

Apple Core Enterprises Inc.

 

0

 

2 500

Dandan Qian

3 750

 

Tanya Roy Shewchuk

8 750

 

Rachel C. Stafford

12 500

 

Total

25 000

2 500

 

[9]             L’appelante a aussi déposé à la Cour un exemple, daté du 14 avril 2009 (pièce A-3), de l’état des flux de trésorerie qu’elle remettait à Mmes Rachel Stafford et Tanya Shewchuk. Le document comporte les renseignements suivants :

 

- le solde de chaque compte en banque;

- les dettes d’exploitation (salaires, taxes, etc.);

- le solde de trésorerie prévu à certaines dates ultérieures;

- un classement par échéance des dettes d’exploitation;

- le détail des factures impayées;

- le détail des prochains impôts et taxes à verser à l’ARC.

 

L’appelante n’a pas pu obtenir les états de flux de trésorerie qu’elle produisait quotidiennement, Goldstaff ayant fermé ses portes.

 

[10]        Enfin, l’appelante a produit la lettre par laquelle elle a donné sa démission d’administratrice de Goldstaff, le 26 février 2009 (pièce A‑4), son avis d’opposition daté du 10 septembre 2010 (pièce A‑5) et la lettre du 4 mai 2011 constatant le mandat de représentation donné à son avocate, Me Kathy Wang (pièce A‑6).

 

Le droit applicable

 

[11]        Les dispositions de la Loi qui s’appliquent au présent appel sont l’alinéa 153(1)a) et les paragraphes 227.1(1), (2) et (3). Dans ses grandes lignes, l’alinéa 153(1)a) prévoit la retenue d’impôts à la source sur le salaire des employés et le versement des sommes retenues au receveur général. Le paragraphe 227.1(1) prévoit que les administrateurs d’une société ayant omis d’effectuer ces retenues et ces versements sont solidairement responsables avec la société du paiement de ces sommes, ainsi que des intérêts et pénalités afférents. Les paragraphes 227.1(2) et (3) de la Loi prévoient certaines restrictions à cette responsabilité des administrateurs, notamment en permettant une défense fondée sur le soin, la diligence et l’habileté. Ces dispositions sont ainsi libellées :

 

153. (1) Retenue [à la source] —Toute personne qui verse au cours d’une année d’imposition l’un des montants suivants :

 

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l’exception des sommes visées aux paragraphes 115(2.3) ou 212(5.1);

 

[…]

 

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l’impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l’année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée.

 

[…]

 

227.1 (1) Responsabilité des administrateurs pour défaut d’effectuer les retenues — Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

 

(2) Restrictions relatives à la responsabilité — Un administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b) la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

 

c) la société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite.

 

(3) Idem — Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

[12]        Les dispositions applicables de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, dans sa version modifiée, sont les paragraphes 82(1) et 83(1) et (2) :

 

82. (1) L’employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution, au titre de la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l’article 67 pour toute période à l’égard de laquelle cette rétribution est payée, un montant déterminé conformément à une mesure d’ordre réglementaire et de le verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l’article 68, au moment et de la manière prévus par règlement.

 

[…]

 

83. (1) Dans les cas où un employeur qui est une personne morale omet de verser ou de déduire un montant de la manière et au moment prévus au paragraphe 82(1), les administrateurs de la personne morale au moment de l’omission et la personne morale sont solidairement responsables envers Sa Majesté de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités qui s’y rapportent.

 

(2) Les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l’administrateur de la personne morale.

 

[13]        Les paragraphes 21(1) et 21.1(1) et (2) du Régime de pensions du Canada prévoient des obligations similaires d’effectuer des retenues et des versements relativement aux cotisations au régime des pensions du Canada :

 

21.(1) Tout employeur payant une rémunération à un employé à son service, à une date quelconque, dans un emploi ouvrant droit à pension est tenu d’en déduire, à titre de cotisation de l’employé ou au titre de la cotisation pour l’année au cours de laquelle la rémunération à l’égard de l’emploi ouvrant droit à pension est payée à cet employé, le montant déterminé conformément à des règles prescrites; l’employeur remet au receveur général, à la date prescrite, ce montant ainsi que le montant qui est prescrit à l’égard de la cotisation qu’il est tenu de verser selon la présente loi. De plus, lorsque l’employeur est une personne prescrite à la date prescrite, le montant est versé au compte du receveur général dans une institution financière (au sens du paragraphe 190(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, compte non tenu des alinéas d) et e) de la définition de cette expression).

 

21.1 (1) En cas d’omission par un employeur personne morale de verser ou de déduire un montant de la manière et au moment prévus au paragraphe 21(1), les personnes qui en étaient les administrateurs à la date de l’omission sont solidairement responsables envers Sa Majesté du paiement de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités qui s’y rapportent.

 

(2) Les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, à l’administrateur d’une personne morale visée au paragraphe (1).

 

[14]        L’article 57 de la Income Tax Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 215, prévoit des obligations semblables en matière de retenues et de versements et assujettit à une responsabilité du même ordre les administrateurs qui omettent d’agir avec le degré de soin, de diligence et d’habileté voulu pour prévenir le manquement.

 

Analyse et conclusion

 

[15]        Dans l’arrêt Buckingham c. R., 2011 CAF 142, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué, à l’instar de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples (1992) inc., 2004 CSC 68, [2004] 3 R.C.S. 461 (C.S.C.), que la norme de soin, de diligence et d’habileté exigée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est une norme objective et qu’elle ne tient pas compte des « compétences, [d]es connaissances et [d]es aptitudes personnelles » des administrateurs. Au paragraphe 38, le juge Mainville fait l’observation suivante :

 

Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci.

 

[16]        En revanche, au paragraphe 39, le juge Mainville reconnaît que les circonstances propres à un administrateur doivent être prises en compte et considérées au regard de la norme de la personne raisonnablement prudente :

 

Une norme objective ne signifie toutefois pas qu’il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérés au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ».

 

[17]        Dans l’arrêt Buckingham, précité, la Cour d’appel a également précisé que le « moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable » visait « à prévenir les défauts de versement et non à y remédier » (paragraphes 51 et 52) :

 

51        Il est par conséquent important de souligner que Worrell n’a pas modifié l’objet du moyen de défense fondé sur le soin, la diligence et l’habileté qui vise à prévenir les défauts de versement et non à y remédier.

 

[…]

 

52        Le Parlement n’a pas requis des administrateurs qu’ils soient assujettis à une responsabilité absolue relativement aux versements de leurs sociétés. En conséquence, le Parlement accepte qu’une société puisse, dans certaines circonstances, ne pas effectuer des versements sans que la responsabilité de ses administrateurs ne soit engagée. Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leur obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.

 

[18]        En l’espèce, j’estime que l’appelante a pris toutes les mesures nécessaires qui étaient en son pouvoir et qui étaient possibles dans les circonstances pour prévenir le défaut. Elle a fait tout ce qu’une personne pouvait raisonnablement faire dans les circonstances pour convaincre Mme Stafford de verser les sommes retenues, puis elle a donné sa démission lorsqu’elle a compris que Mme Stafford ne donnerait tout simplement jamais son accord, au vu des politiques et pratiques en vigueur dans l’entreprise.

 

[19]        Étant donné que l’appelante n’avait pas le pouvoir d’effectuer elle‑même les paiements à l’ARC, elle a alerté chaque jour les autres administrateurs quant aux dettes de Goldstaff et leur a rappelé les exigences en matière de versements au fur et à mesure que ceux‑ci arrivaient à échéance. L’appelante a sollicité l’aide de Mme Shewchuk, responsable du bureau d’Edmonton, dans le but de redresser la situation financière de la société. Elle a suggéré de nombreuses solutions pour réduire les dettes de Goldstaff, dont une diminution de son propre salaire, le licenciement de la réceptionniste et une réduction des cotisations versées au REER de Mme Stafford et de son allocation pour usage d’une automobile.

 

[20]        En tant qu’administratrice de Goldstaff, l’appelante n’avait aucun pouvoir, aucun mot à dire quant à la direction de Goldstaff et à la façon dont ses finances devaient être gérées. L’appelante n’a pas non plus pris part à la décision de ne pas verser au receveur général du Canada les sommes retenues à la source, ni à celle de verser une prime à certains employés de Goldstaff à la fin de 2008 malgré le fait que l’entreprise n’était pas rentable. Ce n’est qu’après-coup qu’elle a su que des primes avaient été versées.

 

[21]        Pendant son mandat d’administratrice de Goldstaff, l’appelante n’avait aucun pouvoir quant à la gestion des activités commerciales et des affaires internes de Goldstaff et elle n’a exercé aucun contrôle sur ses dirigeants. Ce pouvoir appartenait à Mme Stafford. L’appelante n’a jamais signé de documents à titre d’administratrice et elle n’a siégé à aucune des réunions du conseil d’administration. Elle n’était pas non plus autorisée à tirer des chèques sur les comptes en banque de Goldstaff.

 

[22]        En ce qui concerne les circonstances particulières de l’appelante, il y a lieu de tenir compte du fait que l’appelante était confrontée à des obstacles d’ordre linguistique et culturel. À l’audience, elle a expliqué qu’elle n’était pas invitée à prendre part aux divers entretiens téléphoniques entre Mmes Stafford et Shewchuk. Comme ces entretiens se déroulaient à huis clos, l’appelante en respectait le caractère privé. L’appelante a admis qu’il lui aurait été difficile de suivre les discussions, car elle ne parlait pas bien l’anglais à l’époque.

 

[23]        En 2008, l’appelante venait d’immigrer au Canada et, à son arrivée, elle avait dû se recycler afin d’entreprendre une carrière radicalement différente. M. Goldsmith et Mme Stafford ont profité du fait que l’appelante ne connaissait pas les lois canadiennes concernant la responsabilité à laquelle pouvaient être exposés les administrateurs d’une société. Mme Stafford a abusé de la situation de vulnérabilité et de la naïveté de l’appelante.

 

[24]        À l’audience, l’appelante a souligné le fait que l’ARC n’avait pas établi de cotisation à l’égard de Mme Stafford du fait que celle‑ci avait déclaré faillite.

 

[25]        Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli avec dépens et la cotisation est annulée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 2013.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour d’avril 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 386

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-3520(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Dandan Qian et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 5 décembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

avec M. Zhai Fu (interprète du mandarin)

Avocat de l’intimée :

Me Marcel Prevost

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                    

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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