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Dossier : 2011-1874(IT)G

ENTRE :

MICHAEL MAST,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 14 mars 2013 à Montréal (Québec)

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Philip Aspler

Avocat de l’intimée :

Me Simon Petit

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 sont rejetés, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d’octobre 2013.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 309

Date : 20131028

Dossier : 2011-1874(IT)G

ENTRE :

MICHAEL MAST,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             Dans des avis datés du 8 mars 2010, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l’encontre de l’appelant pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008, en incluant dans le revenu de celui-ci des montants s’élevant respectivement à 786 828 $, 97 551 $ et 53 260 $ pour les années d’imposition en question aux termes du paragraphe 15(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Après le dépôt d’avis d’opposition à l’égard des nouvelles cotisations, le ministre a ratifié celles-ci le 16 mars 2011, d’où les présents appels.

 

[2]             Au début de l’audience, l’appelant a obtenu l’autorisation de produire un avis d’appel modifié à nouveau et daté du 5 mars 2013.

 

[3]             À toutes les époques pertinentes, l’appelant était un employé de Michael Mast Investments Ltd. (« Mastco ») ainsi que le seul dirigeant, administrateur et actionnaire de cette société. Il convient de souligner que le nom de Mastco a été modifié au moyen de statuts de modification datés du 2 décembre 2011 pour devenir 2038617 Canada Inc. Aux fins des présents motifs, je continuerai néanmoins à utiliser « Mastco » pour désigner cette entité.

 

[4]             Mastco poursuit des activités dans le domaine de l’emballage depuis le domicile de l’appelant. Elle compte un autre employé, soit l’épouse de l’appelant, qui a une formation en design et vient en aide à l’entreprise dans ce domaine, en plus d’exercer des fonctions administratives. Son salaire annuel s’élevait à 39 000 $. À l’occasion, le fils du couple travaillait également pour Mastco.

 

[5]             En 2004 ou 2005, l’appelant a décidé de construire la maison de ses rêves. Il s’est entretenu avec son comptable au sujet de la façon dont il pourrait financer la construction et s’est fait dire qu’il pourrait le faire en contractant un emprunt auprès de Mastco. Le 1er avril 2004, une résolution du conseil d’administration de Mastco a été adoptée de façon à autoriser l’entreprise à conclure avec l’appelant et l’épouse de celui-ci un contrat de prêt qui leur permettrait d’emprunter un montant pouvant atteindre un million de dollars pour faire l’acquisition d’une habitation pour leur propre usage. Le contrat de prêt, qui a été signé le même jour, comportait les conditions suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

Montant du prêt : le prêteur mettra à la disposition des emprunteurs un montant maximal de 1 000 000 $. Les fonds seront avancés au fur et à mesure des besoins et serviront à financer l’acquisition d’un terrain et la construction d’une nouvelle maison située au 93, rue Oxford, à Hudson (Québec).

 

Objet du prêt : le prêt a pour objet de permettre au président du prêteur et à son épouse d’acquérir une habitation pour leur propre usage.

 

Remboursement du prêt : le prêt sera remboursable sur une période de dix ans à compter de l’exercice financier de l’entreprise se terminant le 31 mars 2008. Les montants à rembourser chaque année au titre de la somme en principal ne peuvent être inférieurs à 50 000 $. Si le bien est vendu avant le remboursement complet du prêt, le solde dû à la date de la vente deviendra immédiatement exigible et payable.

 

Intérêt sur le prêt : le présent prêt est consenti sans intérêt.

 

[6]             L’appelant n’a donné aucun autre document de garantie à Mastco. Lorsque le contrat de prêt a été signé, l’appelant n’a envisagé aucun problème lié au remboursement. Au cours des quatre années précédant la signature du contrat de prêt, l’appelant avait touché une rémunération annuelle moyenne de 238 892 $. Après la signature du contrat de prêt, son salaire annuel a baissé pour atteindre environ 72 000 $. Selon le comptable de Mastco, il était prévu que l’appelant rembourserait le prêt principalement à l’aide de dividendes ou de gratifications.

 

[7]             Les états financiers de Mastco ont été préparés par M. Larry South et approuvés par l’appelant pour le compte du conseil d’administration. L’appelant rencontrait normalement son comptable une fois tous les trimestres. M. South a expliqué au cours de son témoignage que l’appelant faisait des chèques tirés du compte de Mastco à l’égard de dépenses qui n’étaient pas liées à l’entreprise et que tous les deux répartissaient plus tard les montants des chèques entre les dépenses d’entreprise et les dépenses personnelles, notamment lorsque la construction de la maison a débuté. Mastco a établi des chèques directement à l’ordre des entrepreneurs et autres fournisseurs.

 

[8]             Dans les états financiers de Mastco pour les années 2000 à 2012, qui figurent à la pièce A-19, ces avances personnelles sont appelées [TRADUCTION] « prêt en cours – actionnaire » ou [TRADUCTION] « avance à l’actionnaire ». Selon le comptable, tous les prêts consentis à l’appelant au cours d’une année donnée ont été remboursés, sauf les montants prêtés pour la construction de la maison de l’appelant. Les remboursements ont été effectués avant la fin de chaque année.

 

[9]             De l’avis du comptable, la rubrique [traduction] « avance à l’actionnaire » est tirée d’un modèle, et il aurait plutôt fallu utiliser la rubrique [TRADUCTION] « avance aux employés » ou même [TRADUCTION] « avance à l’actionnaire et aux employés »; cependant, cela ne change rien à la nature du prêt, laquelle est expliquée dans une note à l’état financier. Selon cette note, qui est apparue pour la première fois dans l’état financier du 31 mars 2010, l’entreprise avait avancé des fonds à l’actionnaire pour lui permettre d’acquérir une résidence principale. Ce prêt, qui ne portait pas d’intérêt, était remboursable au moyen de versements annuels minimaux. L’appelant a ajouté à son revenu un avantage réputé au titre de l’intérêt au taux prescrit.

 

[10]        La construction de la maison de l’appelant a coûté 2,6 millions de dollars au total. Ce montant comprenait des avances totales de 999 572 $ versées par Mastco, dont des montants de 766 828 $, de 97 551 $ et de 53 260 $ avancés respectivement au cours des années d’imposition 2006, 2007 et 2008 au titre des coûts de construction. Ces paiements ont été versés directement au vendeur du terrain, à l’entrepreneur, à une entreprise de pavage et à d’autres fournisseurs. Les autres coûts ont été payés par l’appelant et par son épouse à même leurs fonds personnels et leur marge de crédit.

 

[11]        L’appelant a remboursé le prêt à Mastco en effectuant des versements annuels à compter de 2007. Le 28 février 2013, le solde à payer s’élevait à 566 000 $. Tous les versements annuels dépassaient légèrement 50 000 $, sauf dans le cas d’un versement de 100 760 $ effectué en 2008.

 

[12]        Au cours de la vérification, le comptable de Mastco a remis à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») une ventilation des opérations bancaires de Mastco pour les exercices financiers 2007 et 2008. Tous les paiements versés par Mastco à l’égard de la construction de la maison figurent sous la rubrique [TRADUCTION] « prêt à l’actionnaire ». Aucune rubrique « prêt à l’habitation » n’a été créée, et le vérificateur n’a reçu aucune ventilation entre les montants au titre du prêt à l’actionnaire et ceux du prêt à l’habitation. Au cours de son témoignage, le comptable a souligné que le montant figurant à titre de prêt à l’actionnaire à la fin d’un exercice financier correspondait uniquement au prêt à l’habitation, car tous les autres montants prêtés avaient été remboursés. Ce renseignement n’a pas été communiqué au vérificateur. En fait, le vérificateur n’a jamais été informé que la colonne [traduction] « prêt à l’actionnaire » aurait dû être scindée en deux colonnes ou qu’elle comprenait un prêt à l’habitation. Le vérificateur n’avait aucun moyen de distinguer ces prêts.

 

[13]        La question que la Cour doit trancher est de savoir si le prêt que Mastco a consenti à l’appelant est visé par les dispositions du paragraphe 15(2.4) de la Loi. En d’autres termes, le prêt que Mastco a consenti à l’appelant et à l’épouse de celui-ci leur a-t-il été accordé en qualité d’employés de Mastco ou s’agissait-il plutôt d’un prêt accordé à l’appelant en qualité d’actionnaire et à son épouse en qualité de personne rattachée à un actionnaire?

 

[14]        Les dispositions applicables de la Loi sont les paragraphes 15(2) et 15(2.4), dont voici le libellé :

 

15.(2)   Dette d’un actionnaire — La personne ou la société de personnes actionnaire d’une société donnée, personne ou société de personnes rattachée à un tel actionnaire ou associé d’une société de personnes, ou bénéficiaire d’une fiducie, qui est un tel actionnaire — qui, au cours d’une année d’imposition, obtient un prêt ou devient la débitrice (autrement qu’au moyen d’un prêt ou dette déterminé) de la société donnée, d’une autre société liée à celle-ci ou d’une société de personnes dont la société donnée ou une société liée à celle-ci est un associé est tenue d’inclure le montant du prêt ou de la dette dans le calcul de son revenu pour l’année. Le présent paragraphe ne s’applique pas aux sociétés résidant au Canada ni aux sociétés de personnes dont chacun des associés est une société résidant au Canada.

 

 

(2.4)         Inapplication du paragraphe 15(2) — employés. Le paragraphe (2) ne s’applique pas aux prêts consentis ni aux dettes contractées à l’égard des personnes suivantes :

 

a)        un employé du prêteur ou du créancier, autre qu’un employé déterminé;

b)            un particulier qui est un employé du prêteur ou du créancier ou l’époux ou conjoint de fait d’un tel employé, dans le cas où le prêt ou la dette a pour objet de permettre au particulier d’acquérir une habitation destinée à son propre usage ou une part du capital social d’une coopérative d’habitation acquise dans l’unique but d’acquérir le droit d’habiter une telle habitation dont la coopérative est propriétaire;

c)            lorsque le prêteur ou le créancier est une société, un employé de la société ou d’une société liée à celle-ci, dans le cas où le prêt ou la dette a pour objet de permettre à l’employé d’acquérir pour son propre bénéfice auprès de la société ou d’une société liée à celle-ci des actions non émises antérieurement, entièrement libérées de son capital-actions et à être détenues par lui;

d)            un employé du prêteur ou du créancier, dans le cas où le prêt ou la dette a pour objet de permettre à l’employé d’acquérir un véhicule à moteur pour son usage dans l’exercice des fonctions de sa charge ou de son emploi.

Le présent paragraphe ne rend le paragraphe (2) inapplicable que lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

e)            il est raisonnable de conclure que l’employé, ou son conjoint, a obtenu le prêt ou contracté la dette en raison de l’emploi de l’employé et non en raison du nombre de parts ou d’actions qu’une personne détient;

f)              au moment où le prêt est consenti ou la dette, contractée, des arrangements ont été conclus de bonne foi en vue du remboursement du prêt ou de la dette dans un délai raisonnable.

 

Les arguments de l’appelant

 

[15]        L’avocat de l’appelant soutient que le prêt n’a servi qu’à l’acquisition d’une habitation pour l’usage de l’appelant et de son épouse, qui ont obtenu le prêt en question en qualité d’employés de Mastco. Le contrat signé le 1er avril 2004 par Mastco ainsi que par l’appelant et son épouse constitue un arrangement conclu de bonne foi.

 

[16]        L’avocat ajoute que le prêt a été consenti à une époque où les bénéfices non répartis de Mastco étaient élevés, qu’il faisait partie d’une [TRADUCTION] « rémunération globale sans cesse croissante » et qu’il constituait une [TRADUCTION] « bonne pratique commerciale ». L’appelant s’était fondé sur un avis professionnel en ce qui a trait au contrat de prêt.

 

[17]        De plus, l’avocat fait valoir qu’aucun montant au titre du prêt à l’actionnaire n’a été reporté d’une année à l’autre, sauf en ce qui concerne le prêt à l’habitation, et que, au lieu d’être inclus à titre de prêt à l’actionnaire, le montant du prêt aurait dû être inscrit à titre de [TRADUCTION] « prêt en cours – employés et actionnaire ». L’appelant a payé de l’impôt sur l’avantage qui lui a été conféré, soit l’exemption d’intérêt, conformément à l’article 80.4 de la Loi. Selon l’avocat, le prêt en cause n’est pas différent des prêts consentis par des sociétés plus importantes qui ont des politiques établies au sujet des prêts aux employés. L’avocat soutient que, eu égard à la preuve, il est raisonnable de conclure que l’appelant et son épouse ont obtenu le prêt en raison de leur statut à titre de seuls employés à temps plein de Mastco, et non en raison du statut d’actionnaire de l’appelant.

 

Les arguments de l’intimée

 

[18]        L’avocat de l’intimée répond que les mesures prises par l’appelant vont de pair avec celles d’un actionnaire, et non d’un simple employé. L’avocat décrit le prêt comme [TRADUCTION] « une avance sans intérêt qui n’est pas garantie ». Étant donné que le prêt représente une partie importante des bénéfices non répartis de Mastco, les mesures de l’appelant allaient de pair avec celles d’un actionnaire.

 

[19]        L’avocat ajoute que les faits suivants appuient sa position :

 

-         l’appelant a simplement pris de l’argent du compte de Mastco et s’en est servi pour verser des acomptes aux fins de la construction d’une maison d’habitation;

-         l’appelant n’a jamais payé d’intérêt et a simplement déclaré un avantage réputé au titre des intérêts;

-         l’épouse de l’appelant n’a jamais remboursé l’un ou l’autre des montants avancés et n’a déclaré aucun avantage réputé au titre des intérêts;

-         dans le bilan de Mastco, chacune des avances en cause a été inscrite dans les éléments d’actif à court terme à titre de [traduction] « prêt en cours – actionnaire » ou [traduction] d’« avance à l’actionnaire »;

-         les registres des opérations bancaires fournis au vérificateur ne comportent qu’une seule colonne intitulée [traduction] « prêt à l’actionnaire » et le vérificateur n’a jamais été informé que cette colonne aurait dû être scindée en deux, soit une colonne intitulée « prêt à l’actionnaire » et l’autre, « prêt à l’habitation »;

-         les montants avancés par Mastco représentaient une partie importante de son actif et de ses bénéfices non répartis pour la période en question.

 

[20]        L’avocat de l’intimée fait valoir que, eu égard aux circonstances factuelles de la présente affaire, il n’est pas raisonnable de conclure que l’appelant a obtenu le prêt en raison de son emploi, et non en raison du nombre de parts ou d’actions qu’il détenait. Il ajoute que, d’un point de vue subjectif, aucun employé ne croirait qu’il serait possible de prélever de l’argent du compte d’une entreprise et de s’en servir pour verser des acomptes aux fins de la construction d’une maison.

 

Analyse

 

[21]        La question de savoir s’il est raisonnable ou non de conclure que l’employé ou son épouse a obtenu le prêt en raison de son statut d’employé, et non du nombre de parts ou d’actions que l’un ou l’autre détenait, est une question de fait.

 

[22]        Bien que le bulletin d’interprétation pertinent de l’ARC, soit le Bulletin IT‑119R4 du 7 août 1998, ne lie pas la Cour canadienne de l’impôt, il comporte des commentaires éclairants au sujet de la question à trancher en l’espèce, notamment les remarques figurant au paragraphe 11, que voici :

 

Lorsqu’une société a consenti un prêt à un particulier et que l’on veut établir si ce dernier a reçu le prêt à titre d’employé ou d’actionnaire, il faut examiner les faits dans chaque cas. Lorsqu’une société publique consent un prêt à un actionnaire selon les mêmes modalités qu’à d’autres employés qui ne sont pas actionnaires, le prêt est habituellement considéré comme ayant été reçu en raison de la charge ou de l’emploi du particulier plutôt qu’en raison du nombre d’actions que le particulier détient. Toutefois, lorsque seuls les actionnaires peuvent emprunter des fonds ou que les modalités liées aux prêts consentis aux employés-actionnaires sont plus favorables que celles liées aux prêts consentis à d’autres employés, le prêt est considéré comme ayant été consenti à l’employé-actionnaire en sa qualité d’actionnaire, sauf si les faits indiquent clairement le contraire.

 

[23]        Dans le document Views Doc. n° 2011-0406271E5, l’ARC s’exprime ainsi :

 

[TRADUCTION]

 

La question de savoir si les conditions énoncées aux alinéas 15(2.4)e) et f) de la Loi ont été remplies est toujours une question de fait à trancher sur une base individuelle. Lorsqu’un actionnaire est le seul employé d’une société, l’Agence du revenu du Canada estimera généralement que la personne a obtenu le prêt à titre d’employé si l’actionnaire-employé peut démontrer que des employés qui exercent des fonctions et responsabilités semblables auprès d’un autre employeur de taille comparable, mais qui ne sont pas des actionnaires de cette autre société, obtiennent des prêts dont les montants et les conditions sont semblables à ceux du prêt qui lui a été accordé.

 

[24]        L’appelant a établi au moyen du témoignage d’un expert le salaire que touche l’employé-vendeur travaillant pour une entreprise semblable à celle de Mastco. Le salaire de base annuel minimal du vendeur s’élève à 100 000 $ et l’employeur paie les dépenses de cette personne, comme le coût d’un ordinateur portatif et les frais d’utilisation d’un véhicule automobile. Les vendeurs touchent également des commissions, de sorte que leur revenu annuel moyen peut osciller entre 150 000 $ et 250 000 $. Selon l’expert, la rémunération de l’appelant se situerait à l’extrémité inférieure de la moyenne.

 

[25]        Lorsqu’il s’est fait demander si son entreprise versait des avances de fonds à ses employés, l’expert a répondu que, si la cote de solvabilité de l’employé est mauvaise, son entreprise pourrait lui consentir un prêt pour l’achat d’un véhicule automobile. Il a ajouté que des prêts avaient été accordés à des employés pour l’achat de bateaux et d’autocaravanes ou pour le versement d’un acompte relatif à l’achat d’une maison. Ces prêts sont consentis à des employés de façon générale et non seulement à des vendeurs. L’avance relative à l’acompte pour l’achat d’une maison a été versée au cours des années 1990 et s’élevait à 10 000 $.

 

[26]        L’entreprise décrite par le témoin expert est bien différente de celle de Mastco quant à la taille. Entre 2000 et 2008, l’entreprise en question comptait de 50 à 80 employés et son chiffre d’affaires brut était sept fois plus élevé que celui de Mastco. Il est donc impossible de conclure à l’aide de cet exemple qu’un employé qui travaillerait pour une entreprise de taille comparable à celle de Mastco, qui aurait des fonctions et responsabilités semblables à celles de l’actionnaire-employé aux présentes et qui ne serait pas actionnaire de cet employeur aurait obtenu un prêt semblable à celui qui a été accordé à l’actionnaire-employé en l’espèce et selon des conditions semblables. Il n’a nullement été établi par la preuve que ce type de prêt est consenti, ni même qu’il peut être consenti, pour des montants similaires à des employés qui travaillent pour des entreprises de taille comparable à celle de Mastco et qui ne sont pas actionnaires.

 

[27]        Le seuil du critère énoncé au paragraphe 15(2.4) réside dans le caractère raisonnable. Le critère exige que la personne en question, qu’il s’agisse d’un employé ou du conjoint de celui-ci, ait obtenu un prêt ou contracté une dette et que cette situation se soit produite en raison de l’emploi de l’employé, et non du nombre de parts ou d’actions qu’une personne détient. Tel qu’il est mentionné plus haut, pour l’application du critère du caractère raisonnable, la question de savoir si la personne a obtenu le prêt en qualité d’employé ou d’actionnaire peut être tranchée à l’aide d’une comparaison avec les prêts accordés aux employés d’autres entreprises du même genre que l’entreprise examinée (en l’occurrence, Mastco).

 

[28]        La question de savoir si le prêt est consenti à un employé et non à un actionnaire doit être tranchée en fonction de la période au cours de laquelle il est accordé. Il est indéniable que, lorsque le prêt a été consenti à l’appelant, les bénéfices non répartis de Mastco étaient élevés. Pourtant, le montant du prêt représentait une partie très importante de ces bénéfices, de sorte qu’il est difficile de conclure qu’un prêt de ce montant pourrait raisonnablement avoir été consenti à un employé. À mon avis, le montant du prêt dont il est question en l’espèce tend bien davantage à montrer qu’il s’agissait d’un prêt consenti à un actionnaire.

 

[29]        Il y a également lieu d’examiner les conditions du prêt pour savoir s’il s’agit d’un prêt que pourraient obtenir les employés d’une société qui ne sont pas actionnaires. Dans la présente affaire, nous sommes en présence d’un contrat de prêt d’une période de dix ans qui prévoit des paiements d’au moins 50 000 $ par année sans intérêt. Bien que l’appelant ait déclaré l’intérêt à titre d’avantage imposable, les conditions de remboursement sont néanmoins très souples. Il est également raisonnable de conclure qu’aucun employé n’obtiendrait de prêt de cette importance sans être tenu d’accorder au prêteur un privilège ou une sûreté semblable sur la maison à construire.

 

[30]        La preuve comporte aussi d’autres éléments qui permettent de dire que l’intention sous-jacente de Mastco et de l’appelant était que le prêt en question serait un prêt à l’actionnaire. L’appelant avait l’habitude d’utiliser les fonds de Mastco pour payer ses dépenses personnelles, dont de nombreux frais liés à la construction de sa maison; aucun employé n’aurait obtenu un avantage similaire. De plus, dans les états financiers de Mastco, les avances figuraient sous la rubrique [traduction] « prêt en cours – actionnaire » ou [traduction] « avance à l’actionnaire »; la note qui a figuré pour la première fois dans l’état financier du 31 mars 2010 renvoyait à une [traduction] « avance à l’actionnaire »; il appert des registres des opérations bancaires transmis au vérificateur de l’ARC que tous les paiements versés par Mastco pour la construction de la maison ont été inscrits sous la rubrique [traduction] « prêt à l’actionnaire »; aucune rubrique « prêt à l’habitation » distincte n’a été créée, le vérificateur n’a obtenu aucune ventilation entre les montants correspondant au prêt à l’actionnaire et les montants correspondant au prêt à l’habitation, et aucun renseignement de cette nature ne lui a été communiqué. Ces facteurs montrent qu’un prêt a été consenti à l’appelant, mais ils donnent aussi à penser que, lorsqu’il l’a été, il devait s’agir d’un prêt accordé à l’appelant à titre d’actionnaire.

 

[31]        Ayant conclu que le prêt s’apparente à un prêt à l’actionnaire, je ne suis pas tenu de me demander si, lorsque le prêt a été consenti ou la dette, contractée, des arrangements ont été conclus de bonne foi en vue du remboursement du prêt ou de la dette dans un délai raisonnable, conformément à l’alinéa 15(2.4)f). Il suffit de dire que le contrat conclu entre Mastco et l’appelant n’établit pas d’obligations de remboursement suffisantes pour donner lieu à un arrangement conclu de bonne foi en vue du remboursement. Un paiement annuel minimum de 50 000 $ sur une période de dix ans en remboursement d’un prêt d’un million de dollars sans taux d’intérêt précis ne constitue pas un arrangement conclu de bonne foi en vue du remboursement du prêt en question.


[32]        Les appels sont rejetés avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d’octobre 2013.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2014.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 309

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-1874(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Michael Mast c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’Honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Philip Aspler

Avocat de l’intimée :

Me Simon Petit

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     Philip Aspler

                       Cabinet :                     Aspler & Associates

                                                          Westmount (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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