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Dossier : 2012-4890(IT)I

ENTRE :

BRIGATTA M. LANGELIER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 16 juillet 2013, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

MAdam Gotfried

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation datée du 28 novembre 2011, établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 de l’appelante, est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22jour d’octobre 2013.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6jour de décembre 2013.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence: 2013 CCI 322

Date : 20131022

Dossier : 2012-4890(IT)I

ENTRE :

BRIGATTA M. LANGELIER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté sous le régime de la procédure informelle à l’encontre d’une nouvelle cotisation datée du 28 novembre 2011 établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »), pour l’année d’imposition 2010 de l’appelante.

 

[2]             Au moyen de la nouvelle cotisation établie le 28 novembre 2011, le ministre a refusé la déduction de 8 502 $ demandée par l’appelante au titre de frais de déménagement dans sa déclaration de revenus pour 2010, parce que l’appelante n’avait pas déménagé pour pouvoir gagner un revenu d’emploi à un nouveau lieu de travail.

 

[3]             Dans son avis d’appel, l’appelante a expliqué qu’elle avait vendu sa maison pour aller s’installer dans la ville d’Edmonton, à 70 kilomètres de là, afin de conserver le travail qu’elle avait auprès de son employeur et, par conséquent, de continuer à gagner un revenu d’emploi.

 

[4]             L’appelante a souscrit aux hypothèses de fait suivantes :

 

[traduction]

 

          a)       avant l’année d’imposition 2010, l’appelante résidait à RR 1, Site 10, C.P. 20, Calahoo (Alberta)  T0G 0J0;

          b)      le 14 août 2010, l’appelante a déménagé au 11230, 104e avenue N.‑O., app. 216, Edmonton (Alberta)  T5K 2X8;

          c)       l’appelante était demeurée au service d’Incoming Attitude Ltd. à partir de 1996 et pendant toute l’année d’imposition 2010;

          d)      durant sa période d’emploi auprès d’Incoming Attitude Ltd., l’appelante exerçait ses fonctions à l’adresse suivante : 12011, 32rue N.‑E., Edmonton (Alberta)  T6S 1G8.

 

[5]             L’appelante a témoigné à l’audience. Elle a expliqué qu’elle avait commencé à travailler pour le groupe de sociétés Encore (le « groupe Encore ») en 1996 en tant comptable. En 2006, l’entreprise Incoming Attitude Ltd., qui était auparavant exploitée à titre de division du groupe Encore, a été constituée en société. Incoming Attitude Ltd. offrait des services de comptabilité, de répartition et de facturation à d’autres sociétés du groupe Encore.

 

[6]             L’appelante a également déclaré que, de 1996 à 2004, elle vivait à Edmonton, et que, de 2004 à 2006, elle vivait à Spruce Grove, une région située à proximité d’Edmonton. En 2006, elle a déménagé à Calahoo, en Alberta, à environ 61 kilomètres de son lieu de travail. En 2010, elle est retournée à Edmonton, parce que de nouvelles responsabilités lui avaient été confiées en raison de l’essor considérable du groupe Encore. Les nouvelles responsabilités de l’appelante comprenaient le transfert de données financières et comptables d’un ancien logiciel à un nouveau logiciel ainsi que la formation et la supervision d’un nouveau commis à la paye qui venait d’être embauché. L’appelante a également soutenu que le titre de son nouveau poste avait été modifié et était [traduction] « administration comptable ».

 

[7]             Il ressort de la preuve que ni le traitement ni les avantages sociaux de l’appelante n’avaient été revus à la hausse pour l’année d’imposition 2010 en raison du changement de ses fonctions, et que ses heures de travail avaient été progressivement réduites à la durée normale de travail de 40 heures par semaine en 2012, lorsqu’un commis à la paye à temps plein avait été embauché.

 

Question en litige

 

[8]             La seule question dont la Cour est saisie est de savoir si le déménagement de l’appelante de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence visait à lui permettre d’occuper un emploi à un endroit au Canada et si, par conséquent, l’appelante a droit à des frais de déménagement de 8 502 $ pour l’année d’imposition 2010.

 

Position de l’intimée

 

[9]             L’intimée soutient que l’appelante n’avait pas de « nouveau lieu de travail » au sens de la définition de cette expression au paragraphe 248(1) de la Loi pendant l’année d’imposition 2010, et qu’elle n’a donc pas déménagé de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence pour pouvoir occuper un emploi à un « nouveau lieu de travail ». Par conséquent, le déménagement de l’appelante à la nouvelle résidence ne constitue pas une « réinstallation admissible » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi, et aucune partie de la déduction de 8 502 $ demandée relativement aux frais de déménagement ne peut être accordée en application du paragraphe 62(1) de la Loi dans le calcul du revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 2010.

 

Position de l’appelante

 

[10]        L’appelante soutient que le déménagement de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence visait à lui permettre d’occuper un emploi à un « nouveau lieu de travail », étant donné que de nouvelles tâches lui avaient été confiées auprès du même employeur et au même lieu de travail, où elle avait travaillé avant et après le déménagement.

 

Analyse et conclusion

 

[11]        La déductibilité des « frais de déménagement » est déterminée par le paragraphe 62(1) de la Loi dont voici la teneur :

 

 Un contribuable peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition les sommes qu’il a payées au titre des frais de déménagement engagés relativement à une réinstallation admissible dans la mesure où, à la fois :

 

a) elles n’ont pas été payées en son nom relativement à sa charge ou à son emploi ou dans le cadre ou en raison de sa charge ou de son emploi;

 

b) elles n’étaient pas déductibles par l’effet du présent article dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition précédente;

 

c) leur total ne dépasse pas le montant applicable suivant :

 

(i) dans le cas visé au sous‑alinéa a)(i) de la définition de « réinstallation admissible » au paragraphe 248(1), le total des sommes représentant chacune une somme incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année tiré de son emploi au nouveau lieu de travail ou de l’exploitation de l’entreprise au nouveau lieu de travail ou une somme incluse dans le calcul de son revenu pour l’année par l’effet du sous‑alinéa 56(1)r)(v) relativement à son emploi au nouveau lieu de travail,

 

(ii) dans le cas visé au sous‑alinéa a)(ii) de cette définition, le total des montants inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année par l’effet des alinéas 56(1)n) et o);

 

d) les remboursements et allocations qu’il a reçus relativement à ces frais sont inclus dans le calcul de son revenu.

 

[12]        La définition de l’expression « frais de déménagement » n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que la nature et le montant des dépenses supportées par l’appelante ne sont pas contestés. Il n’est pas non plus contesté que la distance entre l’ancienne résidence et le lieu de travail de l’appelante est supérieure de plus de 40 kilomètres à la distance entre la nouvelle résidence et le lieu de travail de l’appelante.

 

[13]        La notion de « réinstallation admissible », pour l’application du paragraphe 62(1) de la Loi, est définie au paragraphe 248(1) de la Loi de la manière suivante :

 

« réinstallation admissible » Réinstallation d’un contribuable relativement à laquelle les conditions suivantes sont réunies :

 

a) elle est effectuée afin de permettre au contribuable :

 

(i) soit d’exploiter une entreprise ou d’occuper un emploi à un endroit au Canada (appelé « nouveau lieu de travail » à l’article 62 et au présent paragraphe),

 

[…]

 

b) la résidence que le contribuable habitait ordinairement avant la réinstallation (appelée « ancienne résidence » à l’article 62 et au présent paragraphe) et celle qu’il habitait ordinairement après la réinstallation (appelée « nouvelle résidence » à l’article 62 et au présent paragraphe) sont toutes deux situées au Canada,

 

c) la distance entre l’ancienne résidence et le nouveau lieu de travail est supérieure d’au moins 40 kilomètres à la distance entre la nouvelle résidence et le nouveau lieu de travail.

 

Toutefois pour l’application des paragraphes 6(19) à (23) et de l’article 62 à la réinstallation d’un contribuable qui est absent du Canada mais y réside, il n’est pas tenu compte des mots « au Canada » au sous-alinéa a)(i) de la présente définition ni de son alinéa b).

 

[14]        La notion de « nouveau lieu de travail », au sens de l’expression « réinstallation admissible » au paragraphe 248(1) de la Loi a reçu une interprétation différente de la part de la Cour.

 

[15]        Dans certaines décisions, la notion de « nouveau lieu de travail » a été interprétée comme signifiant simplement un endroit au Canada où le contribuable occupe un emploi, parce qu’il n’y a pas d’exigence que l’endroit soit « nouveau » selon la définition de l’expression à l’article 248(1) de la Loi. Dans la décision Gelinas c. La Reine, 2009 CCI 111, le juge C. Miller a conclu que le fait pour une contribuable de passer d’un poste à temps partiel à un poste à temps plein était suffisant pour lui permettre de déduire les frais de déménagement, même si l’appelante restait au service du même employeur. Dans la décision Wunderlich c. La Reine, 2011 CCI 539, où le contribuable a accepté une promotion et a estimé qu’il se devait de se rapprocher de son lieu de travail en raison des nouvelles responsabilités de gestion qu’il devait assumer, le juge Webb a conclu que la réinstallation avait eu lieu afin de permettre au contribuable d’occuper un emploi à un endroit au Canada, même si l’emploi avait commencé en 2004 et que le déménagement avait eu lieu en 2008.

 

[16]        Dans d’autres décisions, telles que Grill c. La Reine, 2009 CCI 5 et Moreland c. La Reine, 2010 CCI 483, la Cour a conclu que le libellé de la Loi envisageait ou exigeait manifestement qu’il y ait un « nouveau lieu de travail » pour qu’un contribuable puisse déduire les frais de déménagement. Dans chacune des deux décisions, le juge Bédard dans la décision Moreland et le juge Little dans la décision Grill, les juges ont tous les deux souscrit à l’interprétation faite par le juge en chef Christie (tel était alors son titre) du paragraphe 62(1) de la Loi dans la décision Bracken v. Minister of National Revenue, 84 DTC 1813 (C.C.I.), malgré le fait que le paragraphe 62(1) de la Loi avait été ultérieurement modifié par L.C. 1984, ch. 45, art. 21 (applicable à des réinstallations survenues après 1983) et par L.C. 1999, ch. 22, paragraphe 17(1) (applicable après 1997).

 

[17]        Dans la décision Bracken, précitée, le juge en chef Christie a établi quatre conditions auxquelles le contribuable doit satisfaire pour avoir droit à une déduction des frais de déménagement au titre du paragraphe 62(1) de la Loi. À la page 1819 de la décision Bracken, le juge en chef Christie s’est exprimé ainsi :

 

[…]

 

À mon sens, le législateur envisage au paragraphe 62(1) l’existence de quatre éléments distincts : l’ancien lieu de travail, le nouveau lieu de travail, l’ancienne résidence, la nouvelle résidence, ainsi que la comparaison entre deux distances, soit d’une part la distance entre l’ancienne résidence et le nouveau lieu de travail, et d’autre part la distance entre la nouvelle résidence et le nouveau lieu de travail, celle-là devant être supérieure à celle-ci de 40 kilomètres ou plus pour que les frais de déménagement puissent être déduits. […]

 

[18]        Dans la décision Grill, précitée, le juge Little a conclu que le lieu de travail de l’appelant n’avait pas changé et, dans la décision Moreland, précitée, le juge Bédard a conclu que le fait pour l’appelante de changer de bureau pour passer d’un étage à un autre dans le même immeuble à bureaux afin d’exercer de nouvelles fonctions, que lui avait confiées le même employeur, ne constituait pas un déménagement à un « nouveau lieu de travail ».

 

[19]        En l’espèce, il n’existe aucun élément de preuve que le lieu de travail matériel de l’appelante avait changé, et que celle‑ci occupait un nouveau poste en raison de ses nouvelles responsabilités de gestion.

 

[20]        La carte de visite produite par l’appelante pour prouver que le titre de son poste avait changé à celui d’« administration comptable » ne comportait pas de date, et il n’est donc pas possible de déterminer le moment où le changement du titre du poste de travail avait eu lieu.

 

[21]        Il ressort manifestement aussi de la preuve que ni le traitement ni les avantages sociaux de l’appelante n’avaient été revus à la hausse pour la période allant d’août 2010 au 31 décembre 2010. Il semble également que l’appelante avait réduit ses heures de travail pour la même rémunération.

 

[22]        Si on se fonde sur la méthode moderne d’interprétation des lois fiscales, comme cela a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, je ne crois pas que l’intention du législateur ait été de permettre au contribuable de déduire des frais de déménagement dans les cas où celui‑ci avait exercé ses nouvelles fonctions auprès du même employeur au même lieu de travail.

 

[23]        Compte tenu des faits qui précèdent, je ne puis conclure que la demande de déduction de l’appelante concernant les frais de déménagement pour 2010 est visée par le paragraphe 62(1) de la Loi.

 

[24]        Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22jour d’avril 2013.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6jour de décembre 2013.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 322

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-4890(IT)I

                                                         

INTITULÉ :                                      Brigatta M. Langelier c.

                                                          Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 22 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Adam Gotfried

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                                      

 

            Cabinet :                              

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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