Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2013 CCI 319

Date : 20131018

Dossier : 2013-2562(GST)APP

ENTRE :

 

IOANNIS CHOMATAS,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS

(Motifs modifiés pour corriger la date de la cotisation, au paragraphe 1)

La juge Woods

[1]             Le requérant, Ioannis Chomatas, sollicite une ordonnance prorogeant le délai imparti pour signifier un avis d’opposition, relativement à une cotisation au titre de la responsabilité d’administrateur qui a été établie le 26 septembre 2008 sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise. La cotisation s’élève à 27 903,11 $.

[2]             La Couronne soutient qu’il n’y a pas lieu de rendre l’ordonnance demandée parce que deux délais prescrits n’ont pas été respectés : 1) M. Chomatas n’a pas présenté une demande de prorogation au ministre du Revenu national dans l’année suivant l’expiration du délai imparti pour faire opposition, et 2) il n’a pas présenté la demande à la Cour canadienne de l’impôt dans les 30 jours suivant la date à laquelle le ministre a refusé la prorogation.

[3]             Les dispositions applicables sont ainsi libellées :

304. (1) Prorogation du délai [d’opposition] par la Cour canadienne de l’impôtLa personne qui a présenté une demande en application de l’article 303 peut demander à la Cour canadienne de l’impôt d’y faire droit après :

a) le rejet de la demande par le ministre;

b) l’expiration d’un délai de 90 jours suivant la signification de la demande, si le ministre n’a pas avisé la personne de sa décision.

Toutefois, une telle demande ne peut être présentée après l’expiration d’un délai de 30 jours suivant l’envoi de la décision à la personne selon le paragraphe 303(5).

[…]

(5) Acceptation de la demandeIl n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande a été présentée en application du paragraphe 303(1) dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour faire opposition ou présenter la requête en application du paragraphe 274(6);

b) la personne démontre ce qui suit :

(i) dans le délai d’opposition par ailleurs imparti, elle n’a pu ni agir ni mandater quelqu’un pour agir en son nom, ou avait véritablement l’intention de faire opposition à la cotisation ou de présenter la requête,

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

(iv) l’opposition est raisonnablement fondée.

301. (1.1) Opposition à la cotisation – La personne qui fait opposition à la cotisation établie à son égard peut, dans les 90 jours suivant le jour où l’avis de cotisation lui est envoyé, présenter au ministre un avis d’opposition, en la forme et selon les modalités déterminées par celui-ci, exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents.

La chronologie des faits

[4]             Voici une chronologie de certains des faits pertinents :

a)     11 juillet et 12 août 2008 – L’Agence du revenu du Canada (ARC) informe M. Chomatas par deux lettres qu’il pourrait être redevable d’un montant de TPS/TVH que 1243174 Ontario Inc. n’a pas acquitté, conformément aux dispositions en matière de responsabilité des administrateurs que comporte l’article 323 de la Loi. Chaque lettre indique que M. Chomatas a un délai de 30 jours pour y répondre par écrit. Ce dernier reconnaît avoir reçu la seconde lettre, mais non la première.

b)    Date inconnue – M. Chomatas téléphone à l’ARC en réponse à la seconde lettre et fait savoir qu’il n’est pas redevable du montant parce qu’il n’est pas un administrateur de la société.

c)     26 septembre 2008 – Un avis de cotisation est envoyé par courrier recommandé à M. Chomatas. Ce dernier déclare qu’il ne se souvient pas d’avoir reçu ce document.

d)    21 avril 2010 – L’ARC informe M. Chomatas qu’un certificat relatif à la dette fiscale a été enregistré auprès de la Cour fédérale et qu’un privilège a été enregistré à l’égard de biens dans lesquels il détient un intérêt.

e)     28 janvier 2013 – M. Chomatas demande que l’on proroge le délai imparti pour signifier un avis d’opposition.

f)      28 mai 2013 – L’ARC informe M. Chomatas que la prorogation demandée ne sera pas accordée, car la demande n’a pas été présentée avant l’échéance du 25 décembre 2009.

g)     24 juin 2013 – M. Chomatas dépose une demande de prorogation de délai auprès de la Cour.

Analyse

[5]             Le principal argument du ministère public est que M. Chomatas n’a pas demandé au ministre une prorogation de délai avant l’expiration du délai imparti par la loi, soit, en l’occurrence, le 25 décembre 2009. Je souscris à cet argument, et il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’argument subsidiaire du ministère public.

[6]             Les dispositions pertinentes de la Loi soumettent à un délai strict les demandes de prorogation du délai imparti pour signifier un avis d’opposition, soit un an et quatre-vingt-dix jours à compter de la date de l’avis de cotisation.

[7]             Le délai commence à courir à partir du moment où l’avis de cotisation est envoyé. Aussi curieux que cela puisse sembler, il n’est pas nécessaire d’avoir reçu l’avis et il est possible que le droit de faire opposition expire sans que le contribuable soit même au courant de l’existence de la cotisation. L’arrêt faisant jurisprudence à cet égard est The Queen v Schafer, 2000 DTC 6542 (CAF), où la juge Sharlow écrit ce qui suit :

[24] Les dispositions législatives en matière d’établissement de cotisations, d’oppositions et d’appels visent à fournir des règles claires permettant de déterminer si le ministre a rempli son obligation d’établir une cotisation, et à fournir des procédures par lesquelles les contribuables peuvent contester des cotisations susceptibles d’être erronées. Le législateur fédéral a choisi d’adopter une règle qui ne tient pas compte de la possibilité, même lointaine, que le contribuable puisse omettre de respecter le délai dans lequel il pouvait s’opposer ou former un appel en raison d’un manquement de la part du système postal. Je ne comprends pas pourquoi le législateur fédéral a choisi de priver les contribuables de l’occasion de contester une cotisation dont ils ignorent l’existence, mais il s’agit d’un choix que le législateur pouvait valablement faire.

[8]             Dans la présente affaire, M. Chomatas a envoyé sa demande au ministre le 28 janvier 2013, soit plusieurs années après le 25 décembre 2009, date de l’expiration du délai.

[9]             M. Chomatas soutient qu’il avait de bonnes raisons pour ne pas présenter la demande avant le 28 janvier 2013. Il dit qu’il ne se souvient pas d’avoir reçu l’avis de cotisation, que l’ARC ne l’a pas informé de son droit de faire opposition et qu’il n’a pris connaissance de la dette qu’après l’expiration du délai. De plus, le représentant de M. Chomatas fait valoir que les mesures que l’ARC a prises ont amené ce dernier à croire que l’ARC avait décidé de ne pas établir la cotisation.

[10]        Même si cela est vrai, cela n’aide pas la cause de M. Chomatas. Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Schafer, le législateur a fixé un délai strict dont les tribunaux ne peuvent pas faire abstraction, même si le résultat est injuste. Par ailleurs, il est bien établi que le fait que l’ARC ait fourni des renseignements inexacts n’est pas une raison pour passer outre à des dispositions législatives explicites. Une erreur de l’ARC peut donner lieu à d’autres types de réparation, mais cela ne permet pas à la Cour de fermer les yeux sur l’exigence que prévoit l’alinéa 304(5)a) de la Loi.

[11]        On ne peut donc pas rendre une ordonnance prorogeant le délai imparti, même si M. Chomatas n’a reçu ni l’avis de cotisation, ni d’autres renseignements sur la dette dans le délai prévu.

[12]        À l’audience, le représentant de M. Chomatas a soulevé un second argument : l’avis de cotisation est lacunaire parce qu’il fait référence au numéro de compte de la société plutôt qu’à un compte de M. Chomatas.

[13]        Il aurait fallu faire état de cette question dans la demande, pour que la Couronne puisse examiner en détail de quelle façon y répondre.

[14]        Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord pour dire que la référence faite au numéro de compte de la société est une lacune dans une cotisation au titre de la responsabilité d’administrateur. Même en considérant qu’il s’agit d’une erreur, celle-ci, en l’espèce, n’est ni trompeuse ni importante, et elle n’invalide pas l’avis de cotisation.

[15]        Le représentant de M. Chomatas a aussi laissé entendre à l’audience que la Cour devrait songer à d’autres types de réparation, en plus d’une prorogation de délai (argumentation écrite, [traduction] « Observations »). À ma connaissance, il n’existe aucun autre type de réparation que la Cour peut accorder, et aucun n’a été proposé.

[16]        Les circonstances de l’espèce suscitent la compassion. Il ne fait aucun doute que M. Chomatas était peu au courant des dispositions législatives applicables en matière de TPS et qu’il s’est trouvé coincé par un délai implacable. Toutefois, pour les motifs susmentionnés, il y a lieu de rejeter la demande.

[17]        Avant de terminer, je souhaite traiter d’un point dont il a été question à l’audience. Bien que la Couronne ait déposé une preuve établissant que l’avis de cotisation a été envoyé par courrier recommandé, l’avocat a fait valoir que cette preuve n’était pas nécessaire, car M. Chomatas n’avait pas soulevé ce point en tant que question en litige. Je signale que, dans les documents qu’il a déposés, M. Chomatas semble admettre que l’avis de cotisation a été envoyé, et cette question ne se pose donc pas en l’espèce.

[18]        En conséquence, il est inutile que je traite ici de cette question. Je signale toutefois que la seule source sur laquelle la Couronne s’est fondée est l’une de mes propres décisions : Austin c La Reine, 2010 CCI 452. Il peut être utile de se reporter aussi à la décision du juge Hugessen dans l’arrêt Aztec Industries Inc v The Queen, 95 DTC 5235 (CAF), à la page 5237 :

Lorsque, comme en l’espèce, le contribuable affirme non seulement qu’il n’a pas reçu l’avis de cotisation, mais encore que cet avis n’a jamais été émis, c’est au ministre qu’il incombe de prouver l’existence de l’avis et la date de sa mise à la poste; lui seul est en possession de ces faits et lui seul peut en administrer la preuve. Diverses dispositions de la Loi confirment que la charge de la preuve incombe au Ministre à cet égard et visent manifestement à l’alléger.

[Non souligné dans l’original.]

[19]        Comme il a été dit plus tôt, la demande est rejetée. Chaque partie supportera les dépens qui lui sont propres.

 

 

Les présents motifs de l’ordonnance modifiés remplacent les motifs de l’ordonnance datés du 7 octobre 2013.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 18e jour d’octobre 2013.

 

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de novembre 2013.

 

S. Tasset

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 319

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2013-2562(GST)APP

 

INTITULÉ :                                      IOANNIS CHOMATAS et
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 octobre 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

MODIFIÉS :                                    L’honorable juge J.M. Woods

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 7 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant du requérant :

M. Maudood Sheikh

 

Avocat de l’intimée :

Me Darren Prevost

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

         Pour le requérant :

 

                             Nom :                   S.O.

 

                        Cabinet :                  

 

              Pour l’intimée :                   William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

 

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