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Dossier : 2022-1357(IT)I

ENTRE :

MICHÈLE-JANICK SAUVAGE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu le 10 décembre 2024, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Guy R. Smith.


Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Stéfany Paré

Avocate de l’intimé :

Me Valentina G. Danielova

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la détermination faite en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2007 à 2021 est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 10e jour de janvier 2025.

« Guy R. Smith »

Juge Smith

 


Référence : 2025 CCI 2

Date : 20250110

Dossier : 2022-1357(IT)I

ENTRE :

MICHÈLE-JANICK SAUVAGE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

I. Aperçu

[1] Michèle-Janick Sauvage, l’appelante dans la présente instance, est la mère de l’enfant « A », né en 2007. Elle interjette appel d’une détermination (la « détermination ») faite le 26 juillet 2021 par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en application de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale (la « Loi »), selon laquelle A n’est pas admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées pour l’une ou l’autre des années d’imposition où ce crédit a été réclamé, soit de 2007 à 2021.

[2] Le crédit d’impôt pour personnes handicapées (le « CIPH ») est un crédit non remboursable qui est offert aux personnes atteintes d’une ou de plusieurs déficiences physiques ou mentales. Pour que la personne y ait droit au cours d’une année d’imposition donnée, un médecin doit attester que la personne a une ou plusieurs déficiences graves et prolongées des fonctions physiques ou mentales, conformément aux paragraphes 118.3(1) et 118.4(1) de la Loi.

[3] Le ministre reconnaît que A est atteint du trouble du spectre de l’autisme. Cependant, le CIPH ne lui a pas été accordé puisque le certificat médical n’atteste pas que la déficience est suffisamment grave au sens de la Loi.

[4] La seule question en litige est de savoir si l’enfant a droit au CIPH pour l’une ou l’autre des années d’imposition de 2007 à 2021. Autrement dit, est-ce que le ministre a commis une erreur en ne lui accordant pas le crédit pour ces années?

II. Mise en contexte

[5] Seule l’appelante a témoigné pour décrire les déficiences de son fils et les effets sur sa vie courante. Je ne reprendrai pas l’ensemble de son témoignage, mais il est apparent que son fils souffre de problèmes cognitifs qui se sont manifestés dès un jeune âge. De nombreux rapports d’évaluation ont été présentés à cet égard.

[6] L’enfant est évalué alors qu’il a environ 6 ans. À ce moment-là, on note une « déficience intellectuelle moyenne à légère » ainsi que la présence d’un déficit d’attention avec hyperactivité (« DAH ») et possiblement d’un trouble du spectre de l’autisme (« TSA »). Lorsqu’il a environ 10 ans, un rapport note qu’il a « de la difficulté avec le changement », qu’il « nécessite un accompagnement constant » et qu’il peut devenir « rigide et opposant lorsqu’il est confronté à de la nouveauté ».

[7] En raison de ces difficultés et de certains conflits familiaux, A est placé dans un centre de jeunesse et une école spécialisée pendant deux ans. Dans un rapport d’évaluation préparé en février 2017, on note des disparités dans son développement avec, d’une part, « un développement intellectuel qui se situe entre la moyenne et un niveau supérieur » et, « d’autre part, une grande immaturité affective ». On recommande une scolarisation en milieu spécialisé.

[8] Dans un rapport d’évaluation daté du 13 mars 2020, les docteures Valérie Michaud et Marie Arsenault, psychologues, confirment « la présence d’un trouble du spectre de l’autisme (léger) » chez A. Elles concluent qu’il « semble nécessiter plus de soutien que ce qui serait attendu d’un jeune de son âge pour certaines habilités », notamment en milieu scolaire. Elles recommandent, entre autres, une demande de services de réadaptation spécialisée en trouble du spectre de l’autisme et des services de réadaptation spécialisée en milieu scolaire.

[9] Dans le formulaire T2201 – Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées, que l’appelante signe à titre de représentante légale, elle inclut les notes manuscrites suivantes :

« Il est impossible de laisser l’enfant seul; il n’est pas autonome dans ses tâches quotidiennes pour préparer les repas et pour sa propreté. Il ne peut utiliser seul les transports collectifs pour se déplacer et il est incapable d’effectuer des achats dans les commerces. »

[10] Eu égard au témoignage de l’appelante et aux rapports déposés en preuve, il est apparent, et la Cour le reconnaît, que la déficience dont souffre l’enfant depuis sa naissance a un impact sur différents aspects de sa vie courante.

III. Analyse

A. Qu’en est-il des dispositions de la Loi applicable?

[11] Selon le paragraphe 118.3(1), la personne qui réclame le CIPH doit avoir une ou plusieurs déficiences « graves et prolongées » dont les effets sont tels que sa capacité d’accomplir une ou plus d’une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon importante. Lorsqu’il s’agit d’une déficience des fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante, un psychologue doit attester dans le formulaire prescrit qu’il s’agit d’une déficience grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité de la personne d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée ou le serait en l’absence de soins.

[12] Les « activités courantes de la vie quotidienne » sont énumérées à l’alinéa 118.4(1)c) et comprennent notamment :

(i) les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante,

(ii) le fait de s’alimenter ou de s’habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre […],

(iv) le fait d’entendre de façon à comprendre […],

(v) les fonctions d’évacuation intestinale et vésicale,

(vi) le fait de marcher.

[13] L’alinéa 118.4(1)d) précise cependant que les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives ne sont pas considérés comme des activités courantes de la vie quotidienne.

[14] L’alinéa 118.4(1)c.1), dans sa version alors en vigueur, ajoute que, « parmi les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante » sont compris : i) la mémoire, ii) la résolution de problèmes, l’atteinte d’objectifs et le jugement (considérés dans leur ensemble), et iii) l’apprentissage fonctionnel à l’indépendance.

[15] Tel qu’il est mentionné plus haut, les effets de la déficience sur les activités de la vie courante doivent être graves et prolongés. Le paragraphe 118.4(1) précise que :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée […];

b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide d’appareil et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours […] incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

[Caractère gras ajouté.]

[16] L’alinéa 118.4(1)b.1) ajoute qu’une personne « n’est considéré[e] comme ayant une limitation équivalant au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne que si sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne […] est toujours ou presque toujours limitée de façon importante malgré le fait qu’[elle] reçoit des soins thérapeutiques […] et que si les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne » (caractère gras ajouté).

B. Qu’en est-il du formulaire T2201?

[17] La partie A du formulaire sert à recueillir les informations pertinentes pour identifier la personne ayant la déficience tandis que la partie B doit être remplie par le professionnel de la santé. Le formulaire demande des explications détaillées.

[18] Dans la partie B, qui a été remplie et signée par la Dre Michaud le 19 mars 2021, celle-ci indique que A n’est pas « limité de façon marquée » dans sa capacité d’effectuer chacune des activités de la vie courante visées à l’alinéa 118.4(1)c).

[19] Plus particulièrement, dans la section intitulée « Fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante », elle devait indiquer, selon les instructions, si A « est incapable ou il prend un temps excessif pour effectuer lui-même » les activités de la vie courante ou si « c’est le cas toujours ou presque toujours (au moins 90 % du temps) ». À la lumière de ces explications, elle devait indiquer si A est « limité de façon marquée dans sa capacité d’effectuer les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante ». Elle a répondu par la négative.

[20] Dans la section « Effets de la déficience », la Dre Michaud devait se demander si A « est toujours ou presque toujours (au moins 90 % du temps) limité » dans ses activités de la vie courante ou encore s’il est « limité de façon marquée » ou « limité considérablement ». Dans ses commentaires manuscrits, elle confirme le « diagnosti[c] psychologique de Trouble du spectre de l’autisme (léger) » et indique que, sur le plan adaptif, « ses habilités se situent entre la moyenne faible et la moyenne ». Plus tard, elle note « une faiblesse personnelle relative sur les habilités de la vie domestique ». Elle joint au certificat le rapport d’évaluation du 13 mars 2020.

[21] Le ministre a demandé des renseignements supplémentaires, lesquels sont réputés faire partie de l’attestation établie dans la forme prescrite en vertu du paragraphe 118.3(4). Dans sa réponse datée du 22 juin 2021, la Dre Michaud confirme que l’enfant ne présente « pas de limitations marquées par les fonctions mentales nécessaires à la vie courante ». Elle note cependant des lacunes et donne des exemples en indiquant qu’il « nécessite un soutien individuel pour arriver à être fonctionnel, tant à la maison qu’à l’école » et qu’il n’est pas « en mesure de s’adapter aux changements mineurs de son environnement ou de sa routine quotidienne ». Elle conclut que ces difficultés devraient s’atténuer en 2025 lorsque A aura atteint l’âge de 18 ans.

[22] L’appelante prétend que les réponses supplémentaires font en sorte que le certificat défavorable est maintenant favorable et que le CIPH devrait être accordé.

[23] Je ne suis pas du même avis. La conclusion de la Dre Michaud demeure sans équivoque et, à mon avis, le CIPH ne peut être accordé que s’il y a un certificat favorable. La Cour doit tenir compte du libellé de la Loi et ne peut tout simplement substituer son avis à celui du médecin : Canada (Procureur général) c. Buchanan, 2002 CAF 231 (par. 19 et 25).

[24] Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a notamment indiqué ce qui suit :

[22] […] En l’absence d’un témoignage contradictoire présenté par un autre médecin, il est difficile d’envisager un cas dans lequel le juge de la Cour de l’impôt, eu égard à ces circonstances, peut considérer qu’une attestation défavorable doit être considérée comme une attestation favorable. En pareil cas, il semble que si le juge de la Cour de l’impôt n’est pas certain que l’attestation défavorable soit correcte, la réparation à accorder consiste tout au plus à déférer l’affaire au ministre pour que celui-ci établisse une nouvelle cotisation en se fondant sur le fait que le particulier présentera une nouvelle attestation favorable, s’il lui est possible d’en obtenir une.

[Caractère gras ajouté.]

[25] Dans la présente instance, aucun médecin ou psychologue n’a témoigné oralement pour contredire les conclusions établies dans le formulaire T2201 déposé à l’appui de la demande de CIPH et le témoignage de l’appelante ne me permet pas d’envisager qu’un certificat favorable d’un autre psychologue est en perspective.

[26] Voir les décisions Guo c. La Reine, 2021 CCI 78 (par. 10 à 12), et Major c. La Reine, 2024 CCI 106 (par. 28 et 31), où la Cour est arrivée à une conclusion semblable.

IV. Conclusion

[27] Quoique ce ne soit pas pertinent pour le présent appel, je note que l’alinéa 118.4(1)c.1) a été modifié en juin 2022, mais pas de façon rétroactive, pour élargir considérablement la définition de « fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante », de manière à inclure notamment l’attention, la concentration, la perception de la réalité, la compréhension verbal et non-verbale et le contrôle du comportement et des émotions. À mon avis, cette définition élargie comprend certainement le TSA et le DAH. Sans exprimer un avis définitif, il est envisageable que l’appelante puisse déposer une nouvelle demande pour les années subséquentes à 2022, pourvu que le certificat soit favorable.

[28] Ceci dit, même si l’on tient pleinement compte des troubles importants dont il souffre, la preuve indique que A souffre d’un trouble du spectre de l’autisme, mais à un niveau léger et non de façon marquée, comme l’exige la Loi. Pour ces motifs, la Cour doit conclure que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de CIPH.

[29] Par conséquent, l’appel est rejeté, mais sans dépens.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 10e jour de janvier 2025.

« Guy R. Smith »

Juge Smith

 


RÉFÉRENCE :

2025 CCI 2

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2022-1357(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MICHÈLE-JANICK SAUVAGE c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 décembre 2024

MOTIFS DE JUGEMENT :

L’honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 janvier 2025

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelante :

Me Stéfany Paré

Avocate de l’intimé :

Me Valentina G. Danielova

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Stéfany Paré

Cabinet :

Proulx et Lafrenière S.E.N.C.

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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