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Dossier : 2022-1991(IT)I

ENTRE :

WAYNE A. BACCHUS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[traduction française officielle]

 

Appel entendu le 16 avril 2024, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

Devant : l’honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimé :

Me Stan W. McDonald

Me Katherine McCarthy

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs de jugement rendus oralement par téléconférence le 8 mai 2024, l’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005, 2006, 2007, 2009, 2012, 2013 et 2014 est rejeté. Aucuns dépens ne seront adjugés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 8ᵉ jour de mai 2024.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mai 2024.

Liette Girard, traductrice


Référence : 2024 CCI 62

Date : 20240508

Dossier : 2022-1991(IT)I

ENTRE :

WAYNE A. BACCHUS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[traduction française officielle]


TRANSCRIPTION DES MOTIFS DE JUGEMENT

Le juge Smith

[1] Je vais maintenant exposer mes motifs de jugement dans le présent appel.

[2] La présente affaire concerne un appel interjeté par l’appelant, Wayne Bacchus, à l’encontre d’avis de nouvelle cotisation établis par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2005, 2006, 2007, 2009, 2012, 2013 et 2014.

[3] M. Bacchus a d’abord fait l’objet d’une cotisation pour ces années, mais le ministre a par la suite établi une nouvelle cotisation à son égard afin de refuser les crédits d’impôt pour don de bienfaisance demandés en vertu du paragraphe 118.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) pour ce qui est de sa participation à la Global Learning Gifting Initiative, également connue sous le nom de GLGI (le « programme GLGI »).

[4] Il n’est pas contesté qu’il a demandé les montants suivants, en plus des reports des années précédentes pour 2006, 2007, 2013 et 2014 :

 

2005

2006

2009

2012

Don en espèces

3 000 $

3 000 $

5 000 $

5 000 $

Don en nature

15 000 $

15 000 $

25 000 $

30 000 $

Total

18 000 $

18 000 $

30 000 $

35 000 $

 

[5] L’appelant a contesté le rejet par le ministre de ses dons en espèces. Plus particulièrement, il a fait valoir que le processus par lequel les nouvelles cotisations ont été établies était injuste, car l’ARC ne l’a pas interrogé pour déterminer son intention libérale subjective et a injustement extrapolé à partir de l’intention libérale subjective d’autres participants au programme GLGI. Il a soutenu qu’il y avait eu violation des règles de justice naturelle et de la Charte canadienne des droits et libertés.

[6] Au début de l’audience, l’intimé a présenté une requête en radiation de l’avis d’appel, soutenant que la conduite du ministre n’était pas importante et que la question dont la Cour était saisie était celle de l’exactitude des nouvelles cotisations.

[7] Après avoir entendu les observations des parties, la Cour a radié les paragraphes en cause sans radier l’avis d’appel, indiquant qu’elle était prête à entendre la preuve et les arguments de l’appelant sur la question de son intention libérale relative au don en espèces.

[8] Comme l’appelant l’a lui-même affirmé, la question à trancher dans le présent appel est celle de savoir s’il a droit aux crédits d’impôt pour don de bienfaisance pour les dons en espèces, comme ils sont décrits ci-dessus.

[9] Dans sa réponse à l’avis d’appel, le ministre a formulé un certain nombre d’hypothèses factuelles que je résumerais comme suit :

  • a)Le programme GLGI a été mis sur pied à titre d’abri fiscal qui a été promu en fonction du fait que les participants auraient droit à des crédits d’impôt d’environ 56 % à 112 % de leur don en espèces.

  • b)Les participants avaient le droit de devenir des bénéficiaires de capital d’une fiducie et, à leur acceptation, ils auraient le droit de recevoir des didacticiels éducatifs qui seraient ensuite donnés aux organismes de bienfaisance.

  • c)Les participants ont été automatiquement approuvés à titre de bénéficiaires de capital, mais n’ont pas pris possession du didacticiel. Quoi qu’il en soit, les didacticiels n’avaient aucune valeur.

  • d)Les participants ont obtenu des reçus aux fins de l’impôt sur lesquels était indiquée la valeur du don en espèces et la valeur alléguée du didacticiel. Comme le didacticiel n’avait aucune valeur pour le don en nature, il s’agissait en fait d’un reçu gonflé aux fins de l’impôt.

[10] Le ministre a adopté la position selon laquelle les participants au programme GLGI n’avaient pas d’intention libérale parce qu’ils ont fait des dons en espèces pour obtenir des crédits d’impôt qui dépassaient la valeur de leurs dons en espèces. Par conséquent, ils avaient réellement l’intention de tirer un bénéfice de leur don en espèces. En fin de compte, tous les participants se sont fiés à des reçus officiels de dons gonflés puisque le didacticiel n’avait aucune valeur.

I. La preuve

[11] L’appelant a témoigné pour son propre compte. Aucun autre témoin n’a été appelé.

[12] À l’époque en cause, il travaillait de façon autonome comme avocat. Même s’il avait déjà déclaré des dons de bienfaisance de 25 $ à 100 $, il avait également participé à diverses activités de bienfaisance et donné beaucoup de temps et d’énergie, ou ce qu’il a appelé [traduction] une « contribution en nature ».

[13] Il a été initié au programme GLGI par son agent d’assurance qu’il connaissait et qu’il considérait comme un ami. Il s’est rendu à son bureau où il a rencontré un promoteur qui lui a expliqué le programme GLGI et lui a fourni certains documents qu’il a apportés à la maison pour les examiner avec son épouse.

[14] Au départ, il était sceptique, mais il a fait preuve de diligence raisonnable et effectué une recherche en ligne pour déterminer si les organismes de bienfaisance et les dépositaires légaux étaient légitimes. Il a conclu qu’ils l’étaient. Il comprenait que s’il faisait un don en espèces, il aurait droit à un didacticiel de grande valeur. En tant qu’homme d’affaires cherchant à améliorer son sort et celui de sa famille, il a envisagé la façon dont il pourrait profiter de cette occasion. Il a par la suite conclu qu’il n’avait aucun droit contractuel à l’égard du didacticiel et qu’il était préférable de simplement le donner aux organismes de bienfaisance.

[15] L’appelant a produit une série de reçus à l’appui de ses dons en espèces et a soutenu qu’il devrait avoir droit à des crédits d’impôt pour don de bienfaisance pour ces montants parce que, subjectivement, il avait une intention libérale lorsqu’il a fait les dons. Il a soutenu qu’il n’avait pas sciemment participé au programme GLGI et qu’il avait été [traduction] « escroqué » par son agent d’assurance.

[16] En contre-interrogatoire, M. Bacchus a reconnu qu’il avait étudié dans un programme de comptabilité de deux ans et qu’il avait par la suite obtenu un diplôme en droit. Il a admis que GLGI lui avait été décrit comme une façon de faire des dons à des organismes de bienfaisance et d’obtenir éventuellement un avantage. Il comprenait que GLGI constituait un abri fiscal, qu’il obtiendrait un allègement fiscal et économiserait de l’argent, et il a admis qu’il cherchait un avantage. Il ne se souvenait pas d’une brochure d’information ou d’une suggestion d’avantage en matière de liquidités.

II. Analyse

[17] Après avoir examiné la preuve, la Cour conclut que l’appelant n’a pas établi une preuve prima facie que les hypothèses du ministre étaient incorrectes.

[18] En particulier, la Cour estime que l’appelant a reçu les brochures d’information décrivant le programme GLGI qu’il a ensuite examinées avec son épouse. Compte tenu de ses antécédents en droit et en comptabilité, la Cour conclut qu’il comprenait qu’il y aurait un avantage en matière de liquidités en ce sens que la valeur du didacticiel dépasserait le montant de son don en argent selon un ratio de 5 pour 1.

[19] La Cour estime que l’appelant comprenait que sa participation lui permettrait de recevoir des remboursements d’impôt supérieurs à la valeur de son don en espèces. Même si la Cour accepte qu’il fût initialement sceptique, ces préoccupations se sont rapidement dissipées, car il a accepté de participer au programme GLGI pendant plusieurs années.

[20] La Cour note que chaque année où il a participé, il a signé plusieurs documents, dont la demande d’approbation à titre de bénéficiaire de capital de la fiducie, l’acte de donation du montant en espèces ainsi que l’acte de donation du bien donné. Dans ce dernier document, il déclarait [traduction] « être le seul et unique propriétaire en common law et propriétaire bénéficiaire en possession et en contrôle du logiciel éducatif » et souhaitait [traduction] « en faire don de manière irrévocable, absolue et inconditionnelle à l’organisme de bienfaisance ».

[21] L’appelant a choisi de croire que le didacticiel avait une valeur fondée sur les évaluations alléguées. Malheureusement, cela s’est avéré faux et la juste valeur marchande réelle était au mieux nominale. Aucune preuve du contraire n’a été apportée.

[22] Comme je l’ai indiqué, l’appelant affirme que, subjectivement, il avait l’intention libérale nécessaire lorsqu’il a fait les dons en espèces.

[23] Comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans l’arrêt Symes c. La Reine [1993] 4 R.C.S. 695 (par. 74) – et je cite – lorsqu’il faut établir « l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances ».

[24] En examinant la manifestation objective de l’objectif en l’espèce, la Cour conclut que l’appelant voulait faire les dons en espèces parce qu’il s’attendait à avoir droit à des didacticiels d’une valeur équivalant à cinq fois son don en espèces. En fin de compte, il a choisi de mettre ses doutes de côté parce que le don allégué du didacticiel aux organismes de bienfaisance lui permettrait d’obtenir un remboursement d’impôt supérieur à la valeur du don en argent.

[25] Comme l’a souligné l’intimé, la Loi de l’impôt sur le revenu ne définit pas le terme « don », mais le terme a été décrit dans la jurisprudence comme étant un transfert de biens à titre gratuit qui n’est pas effectué en contrepartie d’un avantage ou d’un profit financier. L’appauvrissement de la part d’un donataire reconnu constitue un élément essentiel d’un don. Si l’un de ces éléments est absent, l’intention libérale sera viciée.

[26] En l’espèce, malgré le fait que l’appelant a manifestement payé de ses poches les dons en espèces, la Cour conclut qu’il n’avait pas l’intention de s’appauvrir parce que le programme GLGI était conçu pour lui permettre d’obtenir des crédits d’impôt supérieurs au montant de son don en espèces.

[27] La description du programme GLGI laisse peu de doutes quant au fait que l’appelant, ainsi que des milliers d’autres Canadiens, ont participé à un arrangement comportant une série d’étapes prédéterminées et interreliées. En acceptant de participer et en faisant le don initial en espèces, ils avaient automatiquement le droit de recevoir un didacticiel qui aurait été évalué à cinq fois la valeur de la dépense. Cela pose problème, car la définition établie de « don » suppose que le donateur n’a pas reçu d’avantage financier ou autre.

[28] Dans la décision Mariano c. La Reine, 2015 CCI 244 (« Mariano »), la Cour a entendu des témoignages et a procédé à un examen approfondi du programme GLGI. Elle a conclu que les dons allégués avaient été rejetés en raison de l’avantage financier reçu par les participants. Elle a également conclu que le didacticiel n’avait aucune valeur marchande. Notre Cour est liée par la décision Mariano en fonction des principes de courtoisie judiciaire, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans R. c. Sullivan, 2022 CSC 19 (par. 24).

[29] L’appelant n’a pas établi de distinction entre sa situation personnelle et celle des contribuables dans l’affaire Mariano, mais il prétend qu’il devrait avoir le droit de réclamer son don en espèces.

[30] Toutefois, dans les décisions Maréchaux c. La Reine, 2009 CCI 587, Kossow c. La Reine, 2012 CCI 325 et Markou c. La Reine, 2018 CCI 66, la Cour a conclu qu’il n’était pas possible de fractionner les dons faits dans le cadre d’un arrangement comportant une série d’étapes prédéterminées et interdépendantes. Ces décisions appuient la proposition selon laquelle il n’est pas possible de considérer les dons en espèces isolément.

[31] Cette situation a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287 (par. 12), elle a souscrit à la conclusion du juge de première instance selon laquelle, s’il n’y a qu’un seul arrangement interdépendant, aucune partie de celui-ci ne peut être considérée comme un don.

[32] De même, dans l’arrêt Makou c. Canada, 2019 CAF 299 (par. 60), elle a conclu que « la personne qui prévoit recevoir des avantages fiscaux supérieurs au montant ou à la valeur d’un prétendu don n’a forcément pas d’intention libérale. L’appauvrissement étant un élément essentiel du don en droit civil et en common law, le prétendu don constitué par la contribution en espèces ne saurait être reconnu en tant que don à cet égard également. Les arguments de l’appelant sont ainsi écartés.

III. Conclusion

[33] La Cour ajoute qu’elle n’est pas un tribunal d’equity et qu’à ce titre, elle ne peut rendre de décisions fondées sur des considérations d’équité ou de justice.

[34] Elle n’a pas non plus compétence pour renoncer aux intérêts ou aux pénalités lorsqu’ils sont imposés correctement. Dans la mesure où les intérêts se sont accumulés sur plusieurs années, l’appelant a le droit de demander un allègement en vertu du Programme des allègements pour les contribuables géré par l’Agence du revenu du Canada et, au besoin, de demander un contrôle judiciaire des décisions du ministre devant la Cour fédérale.

[35] L’appel est donc rejeté. Aucuns dépens ne seront adjugés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 8ᵉ jour de mai 2024.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mai 2024.

Liette Girard, traductrice


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 62

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2022-1991(IT)I

INTITULÉ :

WAYNE A. BACCHUS c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 avril 2024

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 8 mai 2024

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

Wayne A. Bacchus

Avocats de l’intimé :

Me Stan W. McDonald

Me Katherine McCarthy

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

Cabinet :

Pour l’intimé :

Me Shalene Curtis-Micallef
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa, Canada

 

 

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