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Dossier : 2019-1067(IT)G

ENTRE:

DIANE PANNETON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu le 6 décembre 2023, à Montréal (Québec)

Devant: L'honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions:

Avocat de l'appelante :

Me Simon St-Gelais

Avocat de l'intimé :

Me Renaud Fioramore-Beaulieu

 

JUGEMENT

L’appel de la cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu et datée du 14 mars 2018 est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimé calculés selon le tarif B de l’annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal, Québec, ce 26e jour de février 2024

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


Référence :2024 CCI 24

Date : 20240226

Dossier : 2019-1067(IT)G

ENTRE :

DIANE PANNETON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

I. CONTEXTE

[1] L’appelante, Mme Diane Panneton, en appelle à cette Cour d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C (1985), ch.1 (5e suppl.) (la « Loi ») par laquelle le ministre réclame à Mme Panneton la somme de 131 309,38 $.

[2] Selon le ministre, le conjoint de Mme Panneton, M. Yvon Charbonneau, aurait transféré à Mme Panneton des sommes totalisant 141 109,38 $ au cours des années d’imposition 2002 à 2004, par l’intermédiaire de deux sociétés par actions qu’il contrôlait (GAM et PAM, définies ci-après), alors que M. Charbonneau avait une dette fiscale d’un montant beaucoup plus important.

[3] Lors de l’audition, seul M. Charbonneau a témoigné pour l’appelante. Pour l’intimé, M. Martin Nadeau, chef d’équipe à la division des oppositions au bureau de Laval de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a témoigné.

[4] Dans ces motifs, toutes références à une disposition législative réfèrent à la Loi, sauf mention contraire.

II. DISPOSITIONS DE LA LOI

[5] Les parties pertinentes du paragraphe 160(1) se lisent ainsi:

160(1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes:

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

les règles suivantes s’appliquent :

d) …;

e) le bénéficiaire du transfert et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants:

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

160(1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

(a) the person’s spouse or common-law partner or a person who has since become the person’s spouse or common-law partner,

the following rules apply:

(d) …,

(e) the transferee and transferor are jointly and severally, or solidarily, liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property,

III. QUESTION EN LITIGE ET CONCESSIONS DES PARTIES

[6] Par lettre datée du 30 novembre 2023 adressée à la Cour, et confirmée par les parties au début de l’audience, les parties ont indiqué à la Cour que la seule question que la Cour doit trancher est la suivante :

Est-ce que M. Charbonneau, le débiteur fiscal, a transféré, « directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon », la somme de 141 109,38 $ à Mme Panneton, sa conjointe, au sens du paragraphe 160(1) ?

[7] Les parties ont convenu que les autres conditions d’application du paragraphe 160(1) sont remplies (voir La Reine c. Livingston 2008 CAF 89 [Livingston] (au par. 17):

  • i)M. Charbonneau a une dette fiscale d’un montant au moins égal à la somme de 141 109,38 $ au moment des transferts s’échelonnant de 2002 à 2004;

  • ii)La bénéficiaire des transferts, soit Mme Panneton, est la conjointe de M. Charbonneau tout au long de la période s’échelonnant de 2002 à 2004, et l’est encore en date de l’audience;

  • iii)La juste valeur marchande des biens transférés totalisant 141 109,38 $ excède la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par Mme Panneton, soit la somme de 9 800 $.

IV. CONCLUSION ET DISPOSITIF

[8] Pour les motifs suivants, la Cour conclut que M. Charbonneau a transféré « indirectement… de toute autre façon » la somme de 141 109,38 $ à Mme Panneton, sa conjointe, au sens du paragraphe 160(1). Ainsi, l’appel est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimé calculés selon le tarif B de l’annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

V. FAITS

5.1 Témoignage de M. Charbonneau

GAM

[9] En 1995, M. Charbonneau a constitué la société 9029-4802 Québec inc., faisant affaire, entre autres, sous le nom Groupe Action Motivation (« GAM »).

[10] Au cours des années 2001 à 2008, les administrateurs de GAM étaient M. Charbonneau et Mme Panneton, Mme Panneton était la secrétaire-trésorière et M. Charbonneau était le président.

[11] Jusqu’en 2009, M. Charbonneau était le seul actionnaire de GAM. En 2009, Mme Panneton a acquis les actions détenues alors par M. Charbonneau dans le capital de GAM.

[12] Au cours des années 2001 à 2008, GAM offrait environ 150 à 200 formations en entreprise par année (incluant du mentorat et des conférences), n’avait pas d’employé et engageait environ 23 pigistes par année. M. Charbonneau veillait au bon déroulement de l’organisation ; plus particulièrement, il s’occupait de la livraison des mandats, du développement des affaires et du contrôle de la qualité des services. Quant à Mme Panneton, elle s’occupait des tâches de secrétariat, faisait des constats quant à la livraison de la formation et conseillait l’organisation, sans toutefois recevoir de rémunération de GAM.

[13] La clientèle de GAM était panquébécoise ; les sources de revenus de GAM provenaient des services de mentorat et de formation en entreprise. Les sommes facturées aux clients en paiement des services rendus étaient déposées au compte bancaire de GAM, et non pas au compte bancaire personnel de M. Charbonneau.

[14] Selon M. Charbonneau, GAM aurait encouru les dépenses pour les fins suivantes dans le cadre de l’exploitation de son entreprise: le développement des affaires, les voyages et déplacements, les loyers, la bureautique et papeterie, et les améliorations locatives du local situé au sous-sol de la résidence dont Mme Panneton était la seule propriétaire (la « résidence »). M. Charbonneau habitait également la résidence.

PAM

[15] En 1998, M. Charbonneau a constitué la société Productions Action Motivation inc. (« PAM »). PAM a été mise sur pied en vue de faire la production de vidéos sur la motivation.

[16] Quelques années plus tard, vers 2004, PAM aurait été utilisée pour recruter des investisseurs, créer un club d’investissement et procéder à des placements boursiers. Ainsi, un certain M. André Cloutier se serait joint à PAM pour recruter des investisseurs.

[17] Selon M. Charbonneau, M. Cloutier aurait occupé un bureau situé dans le sous-sol de la résidence. À cette époque, ni M. Charbonneau ni Mme Panneton n’exerçaient de fonctions auprès de PAM, sauf pour M. Charbonneau qui viellait à déposer les contributions reçues des investisseurs au compte bancaire de PAM.

[18] Selon les déclarations annuelles de PAM pour les années 2001 et 2002, M. Charbonneau était l’unique actionnaire et administrateur. Selon la déclaration annuelle pour l’année 2003, M. Cloutier était actionnaire, administrateur et vice-président, et M. Charbonneau était actionnaire, administrateur et président.

[19] Toutefois, selon M. Charbonneau, M. Cloutier ne serait devenu actionnaire de PAM que vers l’année 2004, puisqu’en 2003, M. Charbonneau était l’unique actionnaire et administrateur.

[20] Au cours des années 2002 et 2004, PAM n’aurait généré aucun revenu mais aurait encouru les dépenses pour les fins suivantes dans le cadre de l’exploitation de son entreprise: les loyers, les voyages d’affaires, la bureautique et les améliorations locatives du local situé au sous-sol de la résidence de Mme Panneton.

La résidence et les travaux

[21] La résidence a été acquise par Mme Panneton en mai 2002 au prix de 215 000 $. Les travaux y auraient débuté au début de l’année 2003.

[22] M. Charbonneau a témoigné de l’étendue des améliorations locatives qui auraient été apportées à la résidence : l’installation d’une salle d’eau, de planchers et de cloisons au sous-sol, ainsi que la construction d’une salle de formation au garage et l’élargissement du stationnement pour quatre à six voitures.

[23] Également, selon M. Charbonneau, des dépenses auraient été encourues pour l’aménagement d’un pavillon de jardin situé sur le terrain de la résidence pour y tenir des réunions professionnelles.

5.2 Témoignage de M. Nadeau

[24] Au cours des années 2002, 2003 et 2004, M. Charbonneau ne détenait aucun compte bancaire en son nom personnel.

[25] Selon l’imprimé « option C » de l’ARC concernant M. Charbonneau, ce dernier aurait déclaré un revenu d’entreprise de 23 930 $ en 2002, et aucun revenu pour les années 2003 à 2007 (pièce A-1, onglet 6, Copie de l’imprimé « Option C » de l’ARC pour M. Charbonneau, relatif aux années d’imposition 2002 à 2007 [en liasse]).

[26] Vers l’année 2009, l’ARC a procédé à la vérification de M. Charbonneau au niveau personnel pour les années d’imposition 2002 à 2007. Suite à la vérification, l’ARC a établi une cotisation par la méthode de l’avoir net (pièce A-1, onglet 7 : rapport de vérification de M. Létourneau (ARC) pour la cotisation sous-jacente).

[27] Suite à la vérification, un montant total de 1 280 532 $ a été ajouté au revenu de M. Charbonneau pour les années 2002 à 2004, alors qu’un montant total de 70 503 $ a été ajouté au revenu de M. Charbonneau pour les années 2005 à 2007.

[28] Les montants des retraits bancaires au compte de PAM totalisant 1 176 342 $ ont été ajoutés au revenu de M. Charbonneau selon le paragraphe 15(1).

[29] Selon M. Nadeau, des sommes totalisant 1,5 M$ ont été déposées au compte bancaire de PAM, et en sont ressorties. Puisqu’aucune preuve n’a démontré que ces sommes provenaient d’une personne autre que M. Charbonneau, ce dernier a été imposé sur ces sommes.

[30] Toutefois, à l’audience, M. Nadeau a témoigné que certaines sommes provenaient probablement des investisseurs. M. Charbonneau s’est opposé aux cotisations, et a fait faillite en décembre 2012.

[31] En ce qui concerne la cotisation établie par le ministre à l’égard de Mme Panneton, M. Nadeau indique que les motifs d’opposition étaient que les sommes transférées à Mme Panneton ne provenaient pas de M. Charbonneau et que certains montants avaient déjà été cotisés sous le paragraphe 15(1).

[32] Toutefois, selon M. Nadeau, les montants cotisés selon le paragraphe 15(1) ne provenaient ni de GAM ni de PAM, mais d’une autre société.

VI. THÈSES DES PARTIES

6.1 La thèse de l’appelante

[33] Selon l’appelante, un appauvrissement du patrimoine du débiteur fiscal est essentiel pour conclure à l’existence d’un transfert aux fins de l’article 160.

[34] En l’espèce, il n’y aurait eu aucun transfert direct ou indirect de biens provenant du patrimoine de M. Charbonneau à celui de Mme Panneton, puisque ce sont les sociétés PAM et GAM, et non pas M. Charbonneau, qui ont transféré des sommes provenant de leurs fonds propres au bénéfice de Mme Panneton, aux fins de la construction d’améliorations locatives au sous-sol de la résidence.

[35] Compte tenu que PAM et GAM ne sont pas des débitrices fiscales, Mme Panneton ne peut donc être tenue responsable des dettes fiscales de son conjoint, M. Charbonneau. En outre, on ne pourrait conclure qu’il y a eu transfert de quelques biens que ce soit du patrimoine de M. Charbonneau au patrimoine de Mme Panneton, puisque le patrimoine de M. Charbonneau ne se serait pas appauvri par l’émission des chèques par PAM et GAM au bénéfice de Mme Panneton.

[36] Également, au soutien de sa thèse, l’appelante indique que les sociétés PAM et GAM sont des personnes morales ayant un patrimoine distinct de celui de M. Charbonneau, qui ont la pleine jouissance de leurs droits civils (articles 301 et suivants du Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991 (« C.c.Q. »)).

[37] De plus, il n’y aurait pas eu un transfert indirect de la somme de 141 109,38 $ de M. Charbonneau à Mme Panneton, puisque M. Charbonneau n’a pas transféré ces sommes à PAM et GAM, pour qu’ensuite PAM et GAM les transfèrent à Mme Panneton. En effet, selon l’appelante, la preuve aurait démontré que PAM et GAM avaient des sources de revenus qui leur étaient propres.

[38] Finalement, il serait contradictoire pour le ministre d’avoir cotisé M. Charbonneau pour appropriation de fonds provenant de PAM et GAM en vertu du paragraphe 15(1), pour maintenant prétendre que les fonds aux comptes bancaires de PAM et GAM constituent des fonds propres à M. Charbonneau.

6.2 La thèse de l’intimé

[39] Selon l’intimé, il y aurait eu transfert direct ou indirect de biens de M. Charbonneau à Mme Panneton au sens du paragraphe 160(1), de sorte que Mme Panneton est responsable des dettes fiscales de M. Charbonneau conformément à la cotisation établie par le ministre. Pour appuyer sa thèse, l’intimé a soumis deux théories à la Cour.

[40] Selon la première théorie de l’intimé, en utilisant les sociétés PAM et GAM, M. Charbonneau aurait transféré des sommes totalisant 141 109,38 $ à Mme Panneton (ou pour son bénéfice) provenant de ses propres fonds, ce qui fait en sorte qu’il y a eu transfert de biens aux fins du paragraphe 160(1).

[41] Les faits suivants supporteraient cette conclusion.

[42] Tout d’abord, PAM et GAM n’ont exercé aucune activité au cours de la période de 2001 jusqu’au début de 2004.

[43] La preuve a démontré que PAM n’a déclaré aucun revenu et n’a réclamé aucune dépense au cours des années 2001 à 2003. Quant à GAM, elle a généré peu de revenus. M. Charbonneau n’a déclaré aucun revenu au cours des années 2002 à 2007.

[44] De plus, l’intimé soutient que les supposées améliorations locatives apportées au sous-sol de la résidence ne peuvent être considérées comme ayant été faites au bénéfice d’une entreprise exploitée par GAM et PAM, puisque les paiements faits par GAM et PAM auraient servi à rénover la résidence.

[45] Selon l’intimé, le témoignage de M. Charbonneau est parfois vague, contradictoire et intéressé, et n’est donc pas crédible. L’intimé demande à la Cour de tirer une inférence négative de l’absence de Mme Panneton et de M. Cloutier à l’audience.

[46] L’intimé ajoute que l’identité des bénéficiaires des divers chèques ne supporte pas la thèse de l’appelante.

[47] Finalement, la preuve aurait démontré que M. Charbonneau ne détenait aucun compte bancaire à l’époque des transferts, soit entre 2002 et 2004. Il était l’unique actionnaire de GAM et l’actionnaire unique ou majoritaire de PAM. Il avait le contrôle des deux sociétés PAM et GAM, ainsi que des comptes bancaires de celles-ci. Il est donc fort probable qu’il utilisait les comptes bancaires des sociétés comme si c’était ses comptes bancaires personnels.

[48] Toutefois, si la Cour n’est pas convaincue par la première théorie de l’intimé, l’intimé prétend que M. Charbonneau a effectué un transfert de la somme de 141 109,38 $ « indirectement …de toute autre façon » à Mme Panneton au sens du paragraphe 160(1).

[49] Selon l’intimé, M. Charbonneau aurait pris des dispositions pour que PAM et GAM fassent des paiements aux tiers pour la rénovation de la résidence, au bénéfice de Mme Panneton. Il faut donc conclure que le patrimoine de M. Charbonneau s’est appauvri de cette façon.

[50] À cet égard, la Cour doit appliquer les principes dégagés des affaires Canada c. Kieboom [1992] 3 C.F. 488 (CAF) [Kieboom] et Strachan c. La Reine, 2013 CCI 362 [Strachan].

VII. DISCUSSION

7.1 Transfert au sens du paragraphe 160(1) : la jurisprudence pertinente

[51] Selon la méthode d’interprétation énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 [2005] 2 R.C.S. 601 [Hypothèques Trustco] (au par. 10) :

L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble.

[52] Dans ce même arrêt, la Cour suprême du Canada a rappelé que la complexité de certaines dispositions de la Loi devait inciter les tribunaux à accorder une importance particulière à l’interprétation textuelle, de manière à assurer l’uniformité, la prévisibilité et l’équité requises pour les contribuables (Hypothèques Trustco, aux par. 11 et 12).

[53] L’application du paragraphe 160(1) « … dépend dans une mesure particulièrement importante de l’objet… » de ce paragraphe, qui est « … d’empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint … afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû » (voir Livingston, au par. 18, citant l’arrêt Medland c. Canada, 98 DTC 6358 (CAF) [Medland]).

[54] Récemment, dans Eyeball Networks Inc. c. La Reine, 2021 CAF 17 (au par. 60), la Cour d’appel fédérale a rappelé l’objet du paragraphe 160(1) :

[44] Comme le confirme notre Cour, le paragraphe 160(1) a pour objet de supprimer pour le fisc toute vulnérabilité découlant d’un transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance fondé sur une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande des biens transférés

[55] Comme le démontre la jurisprudence mentionnée ci-dessous, une interprétation large et libérale de cette disposition est de mise, permettant de respecter l’objet de celle-ci, de même que le texte de la disposition et le contexte de la Loi.

[56] Tout d’abord, le paragraphe 160(1) est rédigé dans des termes très larges. Ce paragraphe vise toutes situations où, d’une manière ou d’une autre, un débiteur fiscal transfère des biens à son conjoint (ou autres personnes visées au paragraphe 160(1)), si ce transfert venait « faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l'argent qui lui est dû » (voir Livingston, au par. 18, citant Medland).

[57] L’utilisation de l’expression « directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon » indique également cette volonté du législateur d’inclure un vaste éventail de transactions à la portée d’un débiteur fiscal pour transférer des biens à une autre personne visée au paragraphe 160(1).

[58] En outre, la version française du paragraphe 160(1) emploie l’expression « [l]orsqu’une personne a… transféré des biens… », et non pas « des biens lui appartenant ». La terminologie utilisée indique qu’il n’y a pas d’exigence que le conjoint (ou l’une ou l’autre des personnes visées au paragraphe 160(1)) reçoive les mêmes biens que ceux qui auraient été transférés par le débiteur fiscal. La version anglaise du paragraphe 160(1) utilise l’expression « [w]here a person has … transferred property… » qui est au même effet.

[59] La Cour en arrive à cette conclusion également en considérant d’autres dispositions de la Loi qui emploie un langage différent de celui utilisé aux fins du paragraphe 160(1). Par exemple, pour le calcul du gain en capital provenant de la disposition d’un bien, le paragraphe 39(1) prévoit que pour les fins de la Loi, le gain en capital à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable doit provenir de la disposition « d’un bien lui appartenant ». La version anglaise du paragraphe 39(1) utilise l’expression « any property of the taxpayer ». Pour ce qui est de la valeur des biens à inclure à l’inventaire aux fins de la Loi, il est prévu à l’article 10 que ce sera leur coût d’acquisition pour le contribuable (en anglais, on utilise l’expression « cost at which the taxpayer acquired the property ».)

[60] Également, la jurisprudence a interprété le mot « transfert » de façon large (voir Damis Properties Inc. c. La Reine, 2021 CCI 24 [Damis Properties], aux par. 119 à 131, décision renversée en appel, mais pas sur ce point, voir Canada c. Microbjo Properties Inc., 2023 CAF 157). Ainsi, dans Damis Properties, pour conclure de cette façon, la Cour a référé à la définition du mot « transfert » retrouvée dans l’arrêt David Fasken Estate c. Minister of National Revenue, [1948] Ex CR 580 (aux pages 591-592) [Fasken Estate].

[61] Les principes dégagés de Fasken Estate ont été repris par la Cour d’appel fédérale dans Kieboom qui devait déterminer le sens à donner à l’expression « …a transféré des biens, directement ou indirectement, par un acte de fiducie ou par tout autre moyen… », dans le cadre de l’application des règles d’attribution prévues à la Loi, soit une expression très similaire à celle retrouvée au paragraphe 160(1).

[62] Dans cette affaire, M. Kieboom avait fait en sorte que sa société émette des actions à sa conjointe pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande, faisant diminuer sa propre participation au capital de la société. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu un transfert indirect par M. Kieboom à son épouse :

18 …A mon avis, l'expression « transfert de biens » est employée dans cette disposition dans un sens plutôt large. Les deux substantifs de cette expression sont généraux et n'ont pas de sens technique. Quant au mot « transfert », le lord juge James a déclaré à la page 7 de l'arrêt Gathercole v. Smith (1880-81), 17 Ch. D. 1 (C.A.) que le substantif « transfert » est [TRADUCTION] « l’un des termes les plus généraux que l'on puisse employer ». Le lord juge Lush a déclaré [à la page 9] que le mot « transférable » comprend [TRADUCTION] « tout moyen par lequel un bien peut être transmis d'une personne à une autre ».

19 Le président Thorson, se fondant sur les définitions précitées dans le jugement Fasken, David v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.É. 580, a déclaré, à la page 592:

[TRADUCTION] Le mot « transfert » n'est pas un terme technique. Pour qu'il y ait transfert d'un bien d'un mari à sa femme, il n'est pas nécessaire qu'il soit fait selon une forme particulière, ni qu'il soit fait directement. Il suffit que le contribuable se départisse du bien et le remette à son épouse, c'est-à-dire qu'il lui transmette le bien. Le moyen employé pour atteindre ce résultat, qu'il soit direct ou indirect, peut à juste titre être appelé un transfert.

...

21 Ainsi donc, en l'espèce, le contribuable a transféré un bien à sa femme en lui donnant une partie de sa participation dans sa compagnie. La participation de 40 % du capital-actions de sa compagnie qu'il a donné à sa femme constituait de toute évidence un bien. Sa participation dans sa compagnie a été réduite de 40 % et celle de sa femme a été augmentée de 40 %. Le fait qu'il a réalisé ce transfert de bien en faisant émettre des actions par sa compagnie ne fait pas de différence. Le paragraphe 74(1) s'applique aux transferts qui sont faits « directement ou indirectement » ou « par tout autre moyen que ce soit ». Le transfert, qui en l'espèce était indirect, étant donné que le contribuable a pris des dispositions pour que sa compagnie émette des actions à sa femme, constitue néanmoins un transfert du mari à la femme. …

[mes soulignements]

[63] Dans Medland, la Cour d’appel fédérale a examiné la question à savoir si un particulier avait effectué un transfert à sa conjointe au sens du paragraphe 160(1) en effectuant des remboursements de capital à la banque à l’égard d’une dette garantie par une hypothèque grevant la résidence appartenant à sa conjointe. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu transfert indirect au sens du paragraphe 160(1) :

[15] Je suis d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de conclure que l'époux de la demanderesse lui a transféré des biens indirectement en ce qui concerne la partie des paiements hypothécaires imputables au principal de l'emprunt.

[16] Le terme " biens " figurant dans le paragraphe 160(1) de la Loi, défini comme des " biens de toute nature ", y compris " de l'argent ", a été décrit par lord Langdale9 comme [Traduction] " celui des termes pouvant être utilisés qui est le plus général, en ce qu'il indique et décrit toute la gamme possible d'intérêts qu'une partie peut avoir."

[17] Le terme " transfert " n'est pas défini dans la loi. Il a fait l'objet des remarques suivantes de la part du président Thorson de la Cour de l'Échiquier du Canada dans Estate of Fasken v. M.N.R.10

[19] En appliquant l'expression [Traduction] " transfert ... de biens " du paragraphe 4(4) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu de 1917 à ces faits, le juge Thorson a indiqué en fait que, contrairement à la prétention de la demanderesse en l'espèce, il n'est pas nécessaire, lorsque le mari se départit d'un bien particulier, que ce même bien soit dévolu à son épouse.

[20] Les termes " indirectement ... de toute autre façon " figurant dans le paragraphe 160(1) de la Loi renvoient à toute façon détournée dont un bien de quelque nature peut être transmis d'une personne à une autre. En l'espèce, lorsque M. Medland a effectué les paiements au créancier hypothécaire, il a indiqué que cet argent devait être imputé à la réduction de l'emprunt hypothécaire grevant le bien sur lequel il n'avait plus d'intérêt. Bien qu'il soit exact que le paragraphe 160(1) n'emploie pas les mots " au profit de " ni " au nom de " comme les paragraphes 15(1) ou 74.1(1) ou l'alinéa 224(1.1) de la Loi, la demanderesse ne nie pas que sa dette a diminué grâce aux paiements et que la valeur nette de son bien a augmenté. La façon d'obtenir ce résultat consistait à verser des montants à la Banque que celle-ci imputait à un emprunt hypothécaire grevant une maison dont la demanderesse était l'unique propriétaire. Le paiement à la Banque n'était qu'un moyen pour transmettre les fonds indirectement du mari à la demanderesse.

[21] L’argument de la demanderesse portant qu’il n’y a pas eu transfert de biens parce que M. Medland s’est départi d’argent et que ces sommes n’ont jamais été transférées [physiquement] à la demanderesse est sans fondement. [...]

[mes soulignements]

[64] Dans Strachan, la Cour devait déterminer si l’article 160 s’appliquait aux transactions par lesquelles M. Strachan avait permis à sa conjointe de souscrire à des actions d’une société dont il avait la pleine propriété pour une valeur moindre que la valeur marchande. Après avoir référé avec approbation aux conclusions de Kieboom, la Cour a conclu ainsi:

[38] Dans la présente affaire, M. Strachan a transféré des biens à l’appelante d’une façon semblable : il lui a d’abord donné 95 p. 100, puis 98 p. 100, de sa participation au capital de Northside en lui permettant de souscrire 38 actions pour la somme de 38 000 $, puis 75 actions pour la somme de 75 000 $, en 2001 et en 2002 respectivement. J’ai conclu que M. Strachan était l’unique actionnaire de Northside avant le 9 décembre 2004. Il a donc renoncé aux droits se rattachant à ses actions dans une même proportion (c.-à-d. son droit de vote en tant qu’actionnaire unique, son droit de recevoir 100 p. 100 des dividendes en cas de distribution et son droit de recevoir la totalité des biens restants de la société en cas de dissolution). Le fait que M. Strachan a fait transférer les actions à l’appelante en faisant en sorte que Northside les émette ne devrait faire aucune différence.

[65] Finalement, après avoir examiné la jurisprudence traitant du terme « transfert » et les décisions traitant du paragraphe 160(1), dont Kieboom et Medland, la Cour, dans l’affaire Damis Properties, a résumé de façon fort juste et appropriée le droit applicable eu égard au paragraphe 160(1):

[130] Tout d’abord, la Cour constate que M. Kieboom a « pris des dispositions » pour que les opérations constituent le transfert du bien de lui-même à son épouse. À mon avis, il s’agit d’un résumé de ce qui s’est passé et non d’une condition dans le préambule. Les mots « une personne a : [...] transféré des biens [. . .] » appelant (sic) une détermination objective de ce qui s’est passé. Ces mots n’exigent pas de déterminer qui a provoqué ce qui s’est produit.

[131] Ensuite, la Cour rejette la classification étroite des biens en cause par M. Kieboom comme étant des actions particulières de la société. Cela m’indique que plutôt que de tenter de retracer un bien particulier, il faut considérer toutes les circonstances et déterminer s’il est raisonnable de conclure qu’il existe un lien entre la diminution du bien d’une personne et l’augmentation du bien d’une autre personne. Telle est l’approche consacrée par la décision Kieboom et par l’arrêt Medland.

[mes soulignements]

[66] En l’espèce, au regard de la jurisprudence, pour conclure à l’existence d’un transfert selon le paragraphe 160(1), la Cour doit déterminer s’il est raisonnable de conclure qu’il existe un lien entre la diminution du patrimoine de M. Charbonneau, le cas échéant, et l’augmentation du patrimoine de Mme Panneton.

7.2 Transfert fait « indirectement …de toute autre façon » par M. Charbonneau à Mme Panneton, au sens du paragraphe 160(1)

[67] En l’espèce, il n’est pas contesté par les parties qu’entre le 4 novembre 2002 et le 12 décembre 2003, GAM a émis des chèques de son compte bancaire de la caisse populaire Desjardins de La Prairie (pièce A-1, onglet 22, Copie de chèques de GAM [en liasse]) totalisant 83 392,27 $, en paiement à des tiers pour divers biens et services.

[68] Il n’est également pas contesté par les parties qu’entre le 1er mars 2003 et le 16 janvier 2004, PAM a émis des chèques de son compte bancaire de la caisse populaire de St-Lambert (pièce A-1, onglet 16, Copie de chèques de PAM [en liasse]) totalisant 57 717,11 $, en paiement à des tiers pour divers biens et services.

[69] De plus, l’appelante convient que les paiements faits aux tiers par GAM, totalisant 83 392,27 $, et par PAM, totalisant 57 717,11 $, ont été faits au bénéfice de Mme Panneton, puisque les paiements ont été faits en contrepartie de travaux effectués à la résidence appartenant à Mme Panneton en part entière.

[70] Ainsi, les parties conviennent qu’il y a eu transfert de biens totalisant 141 109,38 $ à Mme Panneton. Ce principe découle de l’arrêt Medland (aux par. 20-21), principe qui a été appliqué par notre Cour dans Goldberg c. La Reine, 2003 DTC 190 (CCI) (au par. 14).

[71] La Cour doit donc déterminer s’il y a eu transfert de biens totalisant 141 109,38 $ de M. Charbonneau, le débiteur fiscal, à Mme Panneton au sens du paragraphe 160(1).

[72] En appliquant les principes développés par la jurisprudence, pour les motifs suivants, la Cour conclut que M. Charbonneau a transféré « indirectement… de toute autre façon » la somme de 141 109,38 $ à Mme Panneton, sa conjointe, au sens du paragraphe 160(1).

[73] En effet, en examinant toutes les circonstances entourant les transactions, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un lien entre la diminution du patrimoine de M. Charbonneau et l’augmentation du patrimoine de Mme Panneton. Conséquemment, et vu les concessions faites par les parties, toutes les conditions d’application du paragraphe 160(1) sont remplies en l’espèce.

[74] La preuve a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que GAM et PAM n’ont reçu aucune contrepartie en échange des paiements faits aux tiers totalisant 141 109,38 $.

[75] La Cour ne retient pas la version des faits de M. Charbonneau à l’effet que les sommes versées par GAM et PAM ont servi à payer pour des améliorations locatives apportées au sous-sol de la résidence, pour le bénéfice de GAM et PAM qui y exerçaient leurs activités.

[76] La Cour conclut plutôt que des rénovations importantes ont été apportées à la résidence, au bénéfice de Mme Panneton. De plus, puisque les deux sociétés ont effectué des paiements à des tiers totalisant 141 109,38 $ sans recevoir la moindre contrepartie, il est donc approprié pour la Cour de conclure que le patrimoine de GAM et PAM a diminué d’un montant équivalent et d’inférer que la valeur des actions de GAM et PAM détenues par l’actionnaire unique, M. Charbonneau, a diminué d’un montant équivalant.

[77] Tel qu’indiqué par notre Cour dans Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334, la crédibilité d’un témoignage s’évalue de la manière suivante :

[23] En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences ou des faiblesses que comporte le témoignage des témoins, y compris les incohérences internes (si le témoignage change pendant que le témoin est à la barre ou s'il diverge du témoignage rendu à l’interrogatoire préalable), les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences externes (soit lorsque le témoignage est incompatible avec des éléments de preuve indépendants que j’ai acceptés). Il m’est ensuite loisible d’apprécier l’attitude et le comportement du témoin. Troisièmement, je peux rechercher si le témoin a des raisons de rendre un faux témoignage ou d’induire la Cour en erreur. Enfin, je peux prendre en compte la teneur générale de la preuve. C’est‑à‑dire que j’ai toute latitude pour rechercher si l’examen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

[78] Ainsi, pour évaluer la crédibilité du témoignage d’un témoin, la Cour peut tenir compte des incohérences, des faiblesses du témoignage, de même que l’attitude du témoin, et peut rechercher si le témoin aurait des raisons d’induire la Cour en erreur, et considérer la teneur de la preuve. La Cour peut accepter la totalité, une partie ou seulement certaines parties du témoignage d’un témoin, ou totalement rejeter le témoignage d’un témoin (voir Ha c. La Reine, 2011 CCI 271, au par. 21).

[79] Le témoignage de M. Charbonneau au sujet des améliorations locatives est peu crédible, puisqu’entre autres, cet argument n’a jamais été soulevé avant l’audition de cet appel. Cet argument n’a jamais été soulevé au cours des discussions avec l’ARC, ainsi qu’au cours du processus d’opposition à la cotisation en appel devant cette Cour. L’avis d’opposition déposé en preuve (pièce A-1, onglet 2, Copie de l’avis d’opposition de l’appelante pour la cotisation portant le numéro 4870340) ne mentionne aucunement l’existence de telles améliorations locatives.

[80] Également, l’avis d’appel logé par Mme Panneton n’en fait aucunement mention. L’avis d’appel ne réfère qu’aux paiements effectués à des tiers par GAM, en précisant que les chèques « … correspondent à des sommes que l’appelante s’est elle-même versée via sa propre société en raison des sommes qui lui étaient alors dues par cette société » (voir le par. 10 de l’avis d’appel déposé à la Cour le 28 mars 2019). L’avis d’appel ne fait aucune mention de PAM.

[81] À la demande de l’intimé, la Cour tire une inférence négative de l’absence de Mme Panneton à l’audition de son appel devant la Cour et conclut que son témoignage n’aurait pas aidé sa cause ou aurait même été défavorable à la thèse de M. Charbonneau (voir Imperial Pacific Greenhouses Ltd. c. La Reine, 2011 CAF 79, au par. 14).

[82] L’appelante a tenté de justifier l’absence de Mme Panneton à l’audition de son appel pour le bon déroulement de l’audition considérant que la seule question en litige était de savoir si M. Charbonneau avait transféré des biens à celle-ci. La Cour considère cette justification tout à fait inappropriée et ne la retient pas, et en tire donc une inférence négative. Le témoignage de Mme Panneton aurait été fort utile pour permettre à la Cour de déterminer l’étendue des travaux effectués à la résidence, à savoir si des améliorations locatives avaient été apportées au sous-sol de la résidence ou encore, si des rénovations importantes avaient été effectuées à la résidence.

[83] De plus, M. Charbonneau n’a fourni aucun état financier démontrant l’existence de telles améliorations locatives au bénéfice de GAM et PAM.

[84] L’intimé a déposé en preuve une copie du registre Cortax maintenu par l’ARC reprenant la déclaration de revenus et les annexes de GAM pour les années d’imposition se terminant les 31 janvier 2003 et 31 janvier 2004 (voir les pièces I- 1, Cortax pour l’année 2003 et I-2, Cortax pour l’année 2004). Le bilan n’indique aucune immobilisation au titre des améliorations locatives, les seules immobilisations y apparaissant étant le matériel informatique et les logiciels (coût : 14 388 $), de même que les machines, meubles et accessoires (coût : 1 449 $).

[85] En ce qui concerne PAM, elle n’a pas produit de déclarations de revenus pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004, comme elle devait le faire. Ce n’est que dans le cadre de la vérification de M. Charbonneau ayant débuté vers 2009 que les déclarations de revenus de PAM pour les années 2002 à 2004 ont été produites par M. Charbonneau. PAM n’a produit aucun bilan, n’a déclaré aucun revenu et n’a réclamé aucune dépense.

[86] Il aurait été facile pour M. Charbonneau, contrôlant les deux sociétés, de produire de tels documents. La Cour en vient donc à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, de telles améliorations locatives n’existent pas et les paiements aux tiers ont été effectués par PAM et GAM pour la rénovation de la résidence.

[87] En effet, la preuve a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que des rénovations importantes ont été apportées à la résidence. La résidence a été acquise en mai 2002 à un prix de 215 000 $ et des sommes totalisant 141 109,38 $ ont été payées à des tiers par GAM et PAM pour les travaux apportés à la résidence. Compte tenu des montants en jeu, il est plus probable que des rénovations importantes ont été apportées à la résidence, plutôt que des améliorations locatives au sous-sol pour les activités de GAM et PAM.

[88] Également, l’identité de certains tiers bénéficiaires des paiements soulève des doutes quant à la nature des dépenses engagées. Cela semble plutôt indiquer que des rénovations ont été apportées à la résidence, et non pas des améliorations locatives au sous-sol de celle-ci pour les fins de l’entreprise de PAM et GAM. Pour arriver à cette conclusion, la Cour a considéré par exemple les paiements faits aux personnes tierces suivantes : Club piscine, Cèdres experts, Sensation musicale Hi-Fi, Ébénisterie S.R. inc., et Créations de Légance inc. (voir pièce A-1, onglet 22, Copie de chèques de GAM [en liasse] et onglet 16, Copie de chèques de PAM [en liasse]).

[89] En outre, pour les motifs suivants, la preuve a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que M. Charbonneau était l’unique actionnaire des sociétés GAM et PAM tout au long de la période au cours de laquelle les sociétés ont émis les chèques et effectué les paiements aux tiers, sans recevoir aucune contrepartie.

[90] Ainsi, tel qu’indiqué ci-dessus, suite à ces opérations, il est donc approprié pour la Cour d’inférer que la valeur des actions de GAM et PAM détenues par l’actionnaire unique, M. Charbonneau, a diminué d’un montant équivalant, et que M. Charbonneau s’est donc départi de biens d’une valeur totalisant 141 109,38 $.

[91] En effet, en ce qui concerne GAM, l’émission des chèques et les paiements aux tiers s’étendent sur la période du 4 novembre 2002 au 12 décembre 2003. La preuve a démontré que M. Charbonneau était l’unique actionnaire de GAM de 1995 (moment de la constitution de la société) jusqu’en 2009.

[92] En ce qui concerne PAM, l’émission des chèques et les paiements aux tiers s’étendent sur la période du 1er mars 2003 au 16 janvier 2004. La preuve a démontré que M. Charbonneau était l’unique actionnaire de PAM au cours des années 2001 à 2003, incluant le mois de janvier 2004. Il est plus probable que M. Cloutier ne soit devenu actionnaire de PAM qu’après le mois de janvier 2004, soit après la période au cours de laquelle les chèques ont été émis par PAM et les paiements aux tiers ont été effectués. Tout d’abord, M. Charbonneau a lui-même témoigné que M. Cloutier n’était devenu actionnaire de PAM que vers 2004. En outre, il est plus probable que M. Cloutier n’aurait pas permis que PAM émette des chèques en paiement de biens ou services au bénéfice de Mme Panneton, sans contrepartie.

[93] De plus, la valeur du patrimoine de Mme Panneton s’est accrue d’autant, puisque Mme Panneton n’a versé aucune contrepartie pour les sommes totalisant 141 109,38 $ payées par GAM et PAM aux tiers, à son bénéfice (sauf en ce qui concerne les loyers totalisant 9 800 $, tel qu’admis par l’intimé), et celle-ci a donc reçu un bénéfice équivalant.

[94] Si de tels paiements n’avaient pas été effectués par les sociétés GAM et PAM, le fisc aurait pu saisir les actions des sociétés détenues par M. Charbonneau et liquider, entre autres, les comptes bancaires pour éponger, du moins en partie, la dette fiscale de M. Charbonneau.

[95] L’appelante prétend que vu que les sociétés par actions ont une personnalité juridique distincte de celle de leurs actionnaires et administrateurs, la Cour ne pourrait conclure que M. Charbonneau a fait un transfert à Mme Panneton au sens du paragraphe 160(1), vu que la preuve a démontré que les chèques avaient été émis aux tiers par les sociétés PAM et GAM, et non pas par M. Charbonneau.

[96] L’appelante cite les articles 301 et suivants du C.c.Q. pour soutenir sa position. Les articles pertinents se lisent ainsi:

301. Les personnes morales ont la pleine jouissance des droits civils.

302. Les personnes morales sont titulaires d’un patrimoine qui peut, dans la seule mesure prévue par la loi, faire l’objet d’une division ou d’une affectation. Elles ont aussi des droits et obligations extrapatrimoniaux liés à leur nature.

303. Les personnes morales ont la capacité requise pour exercer tous leurs droits, et les dispositions du présent code relatives à l’exercice des droits civils par les personnes physiques leur sont applicables, compte tenu des adaptations nécessaires.

Elles n’ont d’autres incapacités que celles qui résultent de leur nature ou d’une disposition expresse de la loi.

[97] La Cour ne retient pas cet argument de l’appelante, compte tenu de l’interprétation qu’il faut donner au mot « transfert » retrouvé au paragraphe 160(1) et de l’interprétation qu’en a fait la jurisprudence comme expliquée ci-dessus. Il est clair que le paragraphe 160(1) ne requiert pas que le même bien soit transféré par le débiteur fiscal à son conjoint (ou à l’une ou l’autre personne visée au paragraphe 160(1)) pour recevoir application.

[98] La Cour conclut également, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un lien entre la diminution du patrimoine de M. Charbonneau et l’augmentation du patrimoine de Mme Panneton, vu que les paiements faits aux tiers par GAM et PAM ont résulté en une diminution du patrimoine de M. Charbonneau et une augmentation équivalente du patrimoine de Mme Panneton.

[99] La Cour conclut donc que M. Charbonneau a transféré des biens totalisant 141 109,38 $ « indirectement… de toute autre façon » à Mme Panneton au sens du paragraphe 160(1).

[100] Ayant conclu que M. Charbonneau a transféré des biens totalisant 141 109,38 $ « indirectement… de toute autre façon » à Mme Panneton, il n’est pas nécessaire pour la Cour de conclure quant à l’application de la première théorie de l’intimé.

Signé à Montréal, Québec, ce 26e jour de février 2024

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 24

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-1067(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DIANE PANNETON ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 6 décembre 2023

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

le 26 février 2024

COMPARUTIONS:

Avocat de l'appelante :

Me Simon St-Gelais

Avocat de l'intimé :

Me Renaud Fioramore-Beaulieu

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Pour l'appelante:

Nom :

Me Simon St-Gelais

Cabinet :

Quessy Henry St-Hilaire

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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