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Dossier : 2014-887(IT)G

ENTRE :

GLENCORE CANADA CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 23, 24, 25, 26 et 27 novembre 2019, à Toronto (Ontario), puis dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 9 septembre 2020; les observations finales ont été reçues le 18 septembre 2020.

Devant : L’honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Guy Du Pont

Me Nathalie Goyette

Me Matthias Heilke

Me James Trougakos

Avocats de l’intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me Darren Prevost

Me Peter Swanstrom

 

JUGEMENT MODIFIÉ

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national le 16 décembre 2013 au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’égard de l’année d’imposition 1996 de l’appelante, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs modifiés du jugement ci-joints.

Les parties ont jusqu’au 13 décembre 2021 pour parvenir à un accord sur les dépens, à défaut de quoi elles auront jusqu’au 21 janvier 2022 pour signifier et déposer leurs observations écrites sur les dépens, puis elles auront jusqu’au 4 février 2022 pour signifier et déposer une réponse écrite. Ces observations ne doivent pas dépasser dix pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et qu’il n’y a pas de dépôt d’observations dans les délais fixés, chaque partie assumera alors ses propres dépens.

Le présent jugement modifié remplace le jugement daté du 12 octobre 2021.

Signé à Montréal (Québec), ce 8e jour de décembre 2021.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2022.

François Brunet, réviseur


Référence : 2021CCI63

Date : 20211208

Dossier : 2014-887(IT)G

ENTRE :

GLENCORE CANADA CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1] Notre Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie le 16 décembre 2013 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), ainsi modifiée (la « Loi »), par le ministre du Revenu national (le « ministre »), par laquelle le ministre a considéré comme un revenu la commission d’engagement de 28 206 106 $ (la « commission d’engagement ») et l’indemnité de rupture de 73 335 881 $ (l’« indemnité de rupture ») reçues par le prédécesseur de l’appelante, Falconbridge Limitée (ci-après appelée « Falconbridge »), durant son année d’imposition 1996, dans le cadre de l’échec d’une fusion avec Diamond Fields Resources Inc. (« DFR »).

[2] Aux fins de l’impôt sur le revenu, Falconbridge a inclus la commission d’engagement et l’indemnité de rupture dans le calcul de son revenu, avec l’intention de contester toute cotisation y afférente. Falconbridge estimait que telle était la meilleure marche à suivre pour conserver le droit d’effectuer le choix prévu au paragraphe 12(2.2) de la Loi.

[3] La Société Glencore Canada était auparavant connue sous le nom de Xstrata Canada Corporation, la société absorbante née de la fusion entre Falconbridge Limitée et Mines Falconbridge Nickel Limitée.

[4] Durant toute la période pertinente, Falconbridge était une société minière intégrée de nickel, dont les recettes provenaient de l’exploration, de la mise en valeur, de l’exploitation, du traitement, de la commercialisation et de la vente de métaux et de minerais.

[5] Durant toute la période pertinente, DFR était une société minière canadienne ouverte qui possédait des concessions minières sur un important gisement de nickel-cuivre-cobalt à Voisey’s Bay, Terre-Neuve-et-Labrador (« Voisey’s Bay »); ce gisement avait été découvert par Archean Resources Limited en septembre 1993 et DFR en avait fait l’acquisition en février 1995. Le gisement de minerai était considéré comme la source la plus importante et la plus concentrée de nickel au monde. Selon DFR, Voisey’s Bay pourrait être le gisement offrant le minerai le plus riche en nickel et le moins coûteux à produire au monde.

[6] Le 14 novembre 1994, DFR a d’abord annoncé la découverte d’un site potentiel de minéralisation de métaux communs. DFR a par la suite publié une série continue d’annonces positives concernant son programme de forage à Voisey’s Bay. DFR étudiait la minéralisation du nickel, du cuivre et du cobalt dans trois zones : les zones Ovoid, Eastern Deeps et Western Extension.

[7] Les les faits essentiels de la présente affaire ne sont pas controversés entre les parties et un exposé conjoint (partiel) des faits a été déposé à titre de pièce R-6, sur consentement. Cet exposé est reproduit à la fin du présent jugement.

Renseignements de base

[8] Falconbridge était auparavant connue sous le nom de Mines Falconbridge Nickel Limitée, une société créée en 1928 pour mettre en valeur les gisements de minerais de nickel-cuivre de Falconbridge situés près de Sudbury, en Ontario. L’année suivante, Falconbridge a fait l’acquisition d’une raffinerie de nickel à Kristiansand, en Norvège, pour y traiter les produits extraits de sa mine.

[9] Falconbridge a bel et bien mené ses opérations directement pour son propre compte, ainsi que par l’intermédiaire de filiales. Pour compenser l’appauvrissement de son minerai, Falconbridge a cherché essentiellement à assurer sa croissance en s’appuyant sur des activités classiques de prospection ainsi qu’en menant diverses activités de développement d’entreprises telles que l’acquisition de biens fondés et de sociétés et l’établissement de coentreprises ou de sociétés de personnes.

[10] Durant son année d’imposition 1996 seulement, Falconbridge a engagé 465,7 millions de dollars en frais de prospection et de mise en valeur dans le cadre de ses projets à Raglan (Québec) et à Collahuasi (Chili), projets que la société a qualifiés dans son rapport annuel de 1995 daté du 1er février 1996 de « pierres angulaires de sa stratégie de croissance ».

[11] Au début de 1995, Falconbridge a eu des discussions avec DFR en vue d’acquérir une participation dans Voisey’s Bay, mais ces discussions ont échoué.

[12] Le 8 juin 1995, DFR et Inco Limitée (« Inco »), un concurrent de Falconbridge dans le secteur du nickel, ont conclu un accord d’acquisition relativement au projet de Voisey’s Bay (l’« accord Inco »). Aux termes de cet accord :

  • a) Inco acquérait 25 % des actions en circulation de la filiale de DFR, la Voisey’sBayNickelCompany (« VBNC »), qui détenait les concessions minières dans Voisey’sBay, en échange d’actions privilégiées d’Inco d’une valeur de 525 millions de dollars.

  • b) Inco acceptait de commercialiser la totalité de la production de nickel et de cobalt provenant du projet de Voisey’sBay durant les cinq premières années de production, ainsi qu’une quantité minimale de la production de nickel durant les 15 années suivantes.

  • c) Dans l’éventualité où DFR recevrait une offre publique d’achat d’un tiers, elle devait en informer Inco et lui offrir une possibilité raisonnable de discuter de l’offre.

[13] Le même jour, Inco a annoncé qu’elle avait fait l’acquisition de deux millions d’actions ordinaires en circulation de DFR.

[14] En avril 1995, Teck Corporation (« Teck »), une importante société minière, a souscrit trois millions d’actions ordinaires de DFR au prix de 108 millions de dollars. Teck a également accepté de mettre son personnel d’ingénierie au service de DFR, sans frais, pour aider DFR dans la réalisation de la phase de préfaisabilité du projet de Voisey’s Bay.

[15] En août 1995, Teck a été engagée à titre d’entrepreneur principal chargé de mener l’étude de faisabilité de la mine de Voisey’s Bay.

Les opérations envisagées

A. Le projet « de paix »

[16] Au début de 1996, DFR a contacté Falconbridge au sujet de la vente possible de 75 % de sa participation dans Voisey’s Bay.

[17] Le 9 février 1996, Falconbridge a présenté une offre de fusion avec DFR, conformément aux conditions définies dans les deux documents suivants :

  • a) le « MergerOfferDeliveryAgreement » (accord de mise en œuvre de l’offre de fusion);

  • b) l’« ArrangementAgreement » (l’accord d’arrangement) – collectivement désignés comme l’« offre de fusion ».

[18] Selon les conditions de l’offre de fusion, les actions ordinaires en circulation de DFR étaient échangées contre un ensemble d’actions, d’espèces et de billets échangeables de Falconbridge d’une valeur totale d’environ 4,1 milliards de dollars.

[19] L’offre de fusion prévoyait également le versement, par DFR, d’une commission d’engagement à Falconbridge à l’exécution de l’accord de mise en œuvre de l’offre de fusion (cumulativement avec l’indemnité de rupture; les « indemnités »). Le montant de la commission d’engagement devait correspondre à 0,25 $ par action ordinaire en circulation de DFR.

[20] DFR a payé la commission d’engagement à Falconbridge, soit 28 000 000 $ le 9 février 1996, le solde, 206 106 $, devant être versé à une date ultérieure, pour un total de 28 206 106 $.

B. Le « mini-projet de paix »

[21] À la suite de l’acceptation de l’offre de fusion, Inco a refusé de présenter une contre-proposition avant le 14 février 1996.

[22] Lorsque l’accord d’arrangement est devenu exécutoire, Falconbridge et Inco ont entamé des négociations dans le cadre d’un « mini-projet de paix ». Ce projet visait à éviter une guerre de surenchères entre Falconbridge et Inco en trouvant un moyen acceptable de partager Voisey’s Bay entre les deux sociétés. Falconbridge ne toucherait pas l’indemnité de rupture si ce « mini-projet » allait de l’avant.

[23] Au terme d’intenses négociations, le « mini-projet » a échoué, car DFR en a rejeté l’idée.

C. L’offre d’Inco et l’offre modifiée de Falconbridge

[24] Le 26 mars 1996, Inco a offert d’acheter les actions ordinaires en circulation de DFR. Cette offre devait permettre à Inco d’acquérir les actions ordinaires en circulation de DFR dont elle n’était pas déjà détentrice. La contrepartie consisterait en des actions, des espèces et des billets échangeables d’Inco d’une valeur totale d’environ 4,3 milliards de dollars.

[25] Le 2 avril 1996, Falconbridge a présenté une offre modifiée visant à acquérir les actions ordinaires de DFR. Cette offre était conditionnelle à l’approbation, par DFR et Inco, de la restructuration de la propriété de Voisey’s Bay. Plus précisément, Inco obtenait 25 % de plus d’actions de VBNC, de sorte que Falconbridge et Inco détenaient chacune (directement ou indirectement) 50 % des actions de VBNC.

[26] L’offre de Falconbridge stipulait qu’Inco et Falconbridge commercialiseraient chacune 50 % de la production de métaux provenant du projet de Voisey’s Bay.

[27] Le 3 avril 1996, le conseil d’administration de DFR a recommandé aux actionnaires de DFR de rejeter la contre-proposition de Falconbridge et d’accepter l’offre d’Inco. Les actionnaires de DFR ont voté en faveur de la recommandation de leur conseil d’administration. Inco a officiellement fait l’acquisition de DFR en août 1996.

[28] Conformément aux conditions de l’offre de fusion, DFR a payé à Falconbridge l’indemnité de rupture (totalisant 73 335 881 $).

Les déclarations de revenus

[29] Comme je l’ai signalé précédemment, Falconbridge a inclus, dans le calcul de son impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1996, le montant total de la commission d’engagement et de l’indemnité de rupture.

[30] Le ministre avait initialement établi une cotisation à l’égard de la déclaration de revenus de Falconbridge et avait accepté le mode de présentation des indemnités, dans un avis daté du 29 août 1997 (la « cotisation »).

[31] Falconbridge s’est opposée à la cotisation par avis daté du 14 novembre 1997, dans lequel elle demandait que la cotisation soit renvoyée au ministre afin notamment que les montants de la commission d’engagement et de l’indemnité de rupture soient retirés de son revenu visé par la cotisation établie pour l’année d’imposition 1996 ayant pris fin le 31 décembre 1996, au motif que ces montants étaient des rentrées de capital non imposables.

[32] Le 22 juin 2001 et le 28 août 2001, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de Falconbridge, sans retirer la commission d’engagement ni l’indemnité de rupture du calcul du revenu. Falconbridge a signifié son opposition à ces nouvelles cotisations par voie d’avis datés du 19 septembre 2001 et du 15 novembre 2001.

[33] Le ministre a de nouveau établi une nouvelle cotisation à l’égard de Falconbridge le 16 décembre 2013, sans retirer la commission d’engagement ni l’indemnité de rupture du calcul du revenu (la « nouvelle cotisation »).

Les questions en litige

[34] Le présent appel soulève deux questions :

  • a) Le ministre a-t-il correctement inclus les indemnités dans le revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 1996, cette question soulevant devant notre Cour les sous-questions suivantes :

  1. les indemnités constituaient-elles un revenu provenant d’une source au sens de l’article 3 de la Loi?

  2. les indemnités étaient-elles imposables aux termes de l’alinéa 12(1)x) de la Loi?

  • b) Subsidiairement, ces indemnités ont-elles donné lieu à un gain en capital devant être inclus dans le revenu de l’appelante, conformément aux articles 38 et 39 de la Loi?

Les dépositions des témoins

A. Les témoins pour l’appelante

[35] L’appelante a appelé Jack Cockwell, Paul Severin, Steven Young, Robert McDermott et Don Lindsay à témoigner.

I. M. Jack Cockwell

[36] M. Cockwell est l’actuel président de Brookfield Management Partnership et il est également président de la Brookfield Partners Foundation. En 1981, Brookfield (auparavant connue sous le nom de « Brascan ») a fait l’acquisition de Noranda, une grande société de ressources naturelles qui contrôlait plusieurs sociétés minières canadiennes, dont Falconbridge. En 1996, Brascan avait une participation majoritaire de 50 % dans Noranda, laquelle détenait un intérêt de 46 % dans Falconbridge. M. Cockwell a été directeur de Falconbridge du début de 1996 jusqu’en 2006, durant la période pertinente de l’opération tentée entre DFR et Falconbridge. Ayant assisté en personne et par téléphone aux réunions du conseil d’administration, M. Cockwell a rappelé les discussions tenues par le conseil, en puisant dans ses souvenirs ainsi qu’en se fondant sur les procès-verbaux des réunions qui lui ont été présentés. Il a expliqué que la stratégie d’entreprise de Falconbridge en matière d’acquisition de ressources consistait, soit à mener des projets de prospection, soit à investir dans de petites sociétés minières. M. Cockwell a aussi discuté de la « tournée de présentation », qui avait été organisée par Falconbridge et dans le cadre de laquelle des membres de Falconbridge se sont rendus dans diverses villes pour exposer aux actionnaires de Falconbridge et de DFR les avantages de la fusion proposée. M. Cockwell a déclaré que le conseil d’administration n’avait pas directement participé à la négociation des indemnités et que celles-ci avaient été négociées au nom de Falconbridge par les preneurs fermes de la société. M. Cockwell a ajouté que le conseil d’administration avait été déçu d’apprendre l’échec des négociations, car il estimait que Falconbridge avait ainsi perdu une importante occasion d’obtenir un avantage concurrentiel dans l’industrie minière.

II. M. Paul Severin

[37] M. Severin a été vice-président de l’exploration chez Falconbridge de 1995 jusqu’à son départ à la retraite, en 2006. À ce titre, M. Severin s’est rendu à Voisey’s Bay pour évaluer le potentiel du gisement et faire preuve de la diligence raisonnable requise en ce qui a trait aux accords de fusion; il a également pris part à la « tournée de présentation » de Falconbridge. M. Severin a expliqué les activités commerciales de Falconbridge dans le domaine classique de la prospection; dans le cadre de ces activités, Falconbridge jalonnait un bien et mettait elle-même en valeur une mine ou, subsidiairement, elle établissait des conventions d’option en coentreprise avec de petites sociétés minières. Durant son témoignage, M. Severin a expliqué les différences entre le projet de Voisey’s Bay et d’autres opérations minières de Falconbridge, notamment la mine de cuivre Collahuasi au Chili et le projet Raglan au Québec, et il a discuté des particularités uniques du gisement de Voisey’s Bay sur un plan géologique.

III. M. Steven Young

[38] M. Young est avocat à la retraite, qui a occupé les fonctions de vice-président du contentieux chez Noranda et Falconbridge à partir de 2003. Dans le cadre de ses fonctions, M. Young est également intervenu à titre de secrétaire général, chargé de la conservation de l’ensemble des documents de la société, notamment ses rapports annuels. M. Young a discuté de ce qu’il croyait être les pratiques générales de Falconbridge en matière de conservation des copies de documents préparés pour les réunions du conseil d’administration, mais il a déclaré n’avoir été informé d’aucune politique officielle en vigueur relativement à la conservation de ces types de documents. Durant son témoignage, M. Young a également déclaré qu’il n’avait été informé d’aucune politique officielle mise en vigueur par Falconbridge ou ses sociétés absorbantes concernant l’archivage des courriels.

IV. M. Robert McDermott

[39] M. Robert McDermott est un avocat à la retraite qui était auparavant au service du cabinet McMillan Binch LLP et dont Falconbridge a retenu les services à partir du milieu des années 1980 pour intervenir à l’occasion à titre d’avocat conseil adjoint à l’interne. M. McDermott a déclaré que son rôle était de voir à l’exécution de la transaction entre Falconbridge et DFR et de rédiger la documentation, de telle sorte que Falconbridge puisse faire l’acquisition de DFR et, plus précisément, de 75 % de sa participation dans le gisement de Voisey’s Bay. M. McDermott a fait partie de l’équipe de Falconbridge qui a participé à la « tournée de présentation » pour répondre à toute préoccupation juridique que les actionnaires de Falconbridge et de DFR pourraient soulever.

[40] Durant son témoignage, M. McDermott a passé en revue les accords en cause et a expliqué comment l’opération avait été montée. Il a expliqué que les accords en cause prévoyaient un plan d’arrangement, comme c’est souvent le cas dans les opérations complexes mettant en cause le droit des sociétés de multiples territoires et que le plan d’arrangement est invoqué devant le juge pour déterminer l’« équité » de l’opération pour les actionnaires. M. McDermott a décrit la contrepartie en trois volets que Falconbridge avait accepté de verser à DFR : actions participatives, actions à droit de vote subalterne et billets. M. McDermott a reconnu que, pour créer les nouvelles actions envisagées dans les accords en cause, des modifications devaient être apportées aux statuts constitutifs de Falconbridge.

[41] En plus de participer à l’opération proposée avec DFR, M. McDermott a aussi participé aux négociations menées avec Inco dans le cadre du « mini-projet de paix ». Durant son témoignage, M. McDermott a déclaré que l’équipe juridique de McMillan Binch LLP avait examiné la question des indemnités de rupture, puisqu’il s’agissait d’une notion relativement nouvelle à l’époque, et elle en est arrivée à la conclusion que les indemnités, telles qu’elles étaient définies dans les accords en cause, étaient exécutoires. Bien que M. McDermott ait rédigé les accords en cause, il a précisé durant son témoignage qu’il n’avait pas négocié le montant des indemnités de rupture.

V. M. Don Lindsay

[42] M. Don Lindsay est l’actuel président et directeur général de Teck Resources; il fut banquier d’affaires pour la CIBC Wood Gundy et est intervenu en qualité de conseiller et de principal négociateur dans la transaction entre Falconbridge et DFR. M. Lindsay a rencontré les membres du conseil d’administration de Falconbridge à plusieurs reprises pour leur expliquer les aspects économiques de l’opération et la forme que prendrait la nouvelle société issue de la fusion. M. Lindsay a aussi fait partie de l’équipe de Falconbridge qui a participé à la « tournée de présentation » visant à vendre la transaction aux actionnaires.

[43] Pour autant que M. Lindsay pouvait se souvenir, les banquiers d’affaires se sont fondés durant les négociations sur la liste de contrôle Classique en matière de fusions et acquisitions et dont l’un des éléments est l’indemnité de rupture. Selon M. Lindsay, entre 30 et 50 % environ des négociations prévoyaient des indemnités de rupture en 1995-1996. Il a déclaré que le montant des indemnités de rupture au début de 1996 correspondait habituellement à un taux se situant entre 3 et 4 % et que ces chiffres auraient été indiqués sur la liste de contrôle de la banque.

[44] Durant son témoignage, M. Lindsay a déclaré que l’indemnité de rupture minimale jugée acceptable pour Falconbridge était de 100 millions de dollars, en raison de l’effet psychologique d’une telle somme, qui saurait attirer l’attention en faisant les grands titres de la presse industrielle. M. Lindsay a ajouté que l’objectif de l’indemnité de rupture était d’influer de façon défavorable sur le bilan d’Inco. Il a également dit que Falconbridge n’avait pas changé le montant de l’indemnité de rupture dans l’offre modifiée qu’elle a présentée en réponse à l’offre d’Inco. Falconbridge n’a pas égalé le prix proposé par Inco pour faire l’acquisition de DFR, mais a modifié les formes de contreparties offertes. Les autres formes de contreparties prévoyaient notamment un certificat de valeur mobilière visant à verser aux actionnaires de DFR une indemnité fondée sur le nombre total futur de tonnes qui seraient extraites de Voisey’s Bay.

[45] M. Lindsay a aussi parlé de l’ampleur de la découverte de Voisey’s Bay pour le marché minier, la qualifiant de découverte qui allait changer la donne dans l’industrie. M. Lindsay a expliqué qu’il en était ainsi parce que les minerais découverts dans la zone Ovoid initiale consistaient en du nickel et du cuivre à haute teneur et que les gisements étaient facilement exploitables et qu’ils pourraient rapidement être mis en production. Selon lui, la découverte ultérieure du gisement Eastern Deeps a eu un véritable effet retentissant, car cette découverte signifiait que Voisey’s Bay offrait la possibilité de devenir un « camp minier », c’est-à-dire une zone regroupant plusieurs mines. M. Lindsay a décrit la dynamique qui existait alors entre les sociétés minières au Canada; en 1996, Inco était considérée comme le numéro un et Falconbridge était le numéro deux. M. Lindsay a expliqué que l’acquisition de Voisey’s Bay était une perspective extrêmement intéressante pour Falconbridge, car cela aurait pu l’amener à supplanter Inco au premier rang du marché mondial.

B. Les témoins pour l’intimée

[46] Les témoins pour l’intimée ont été M. Louis Martin, M. Michael Doggett et M. Guhan Subramanian.

I. M. Louis Martin

[47] L’ancien vice-président (Fiscalité) chez Falconbridge, M. Louis Martin, n’était pas un témoin contraignable lors de l’instance, car il avait déménagé à l’étranger. M. Martin n’était donc pas présent à l’audience. Des extraits de l’interrogatoire préalable de M. Martin ont été consignés en preuve pour examiner les recherches faites par Falconbridge en vue de trouver des documents pertinents pour l’appel et les efforts faits personnellement par M. Martin pour établir l’existence ou la disponibilité de ces documents.

II. M. Michael Doggett

[48] M. Michael Doggett, B. Sc., M. Sc. et Ph. D., professeur associé à l’Université Queen’s, a été qualifié de témoin expert pour l’intimée, spécialisé en économie des minéraux. Durant son témoignage, M. Doggett a discuté des facteurs qui ont eu une incidence sur le marché du nickel en 1995 et 1996, ainsi que de la composition du marché. M. Doggett a précisé que l’industrie du nickel était composée de quatre à cinq acteurs dominants qui se disputaient les parts du marché, et que d’importants obstacles nuisaient à l’entrée des plus petites sociétés.

[49] M. Doggett a parlé du climat de concurrence qui régnait au sein de l’industrie en raison de l’appauvrissement des ressources (p. ex. des mines de nickel), ce qui obligeait les sociétés à chercher de nouveaux approvisionnements ailleurs. M. Doggett a indiqué que l’ajout de Voisey’s Bay aux actifs de Falconbridge aurait eu une incidence majeure sur la production de métaux et les recettes de la société et aurait modifié de manière favorable sa position sur le marché. Il a déclaré que la découverte possible d’un camp minier à Eastern Deeps laissait entrevoir la possibilité que plusieurs gisements puissent alimenter une usine de traitement centrale. Cependant, M. Doggett a également déclaré que la découverte de Voisey’s Bay n’avait eu aucun effet économique direct sur le marché, en raison du long intervalle qui s’écoulerait entre la découverte et la production réelle de nickel. De l’avis de M. Doggett, les offres présentées pour acquérir Voisey’s Bay étaient supérieures à la valeur des échantillons analysés provenant de la zone Ovoid. M. Doggett a fait valoir que les offres faites par Inco et Falconbridge étaient véritablement fondées sur la perspective d’autres découvertes et sur la mise en valeur de la région autour de Voisey’s Bay.

III. M. Guhan Subramanian

[50] M. Guhan Subramanian, A.B., M.B.A., J.D., est professeur aux facultés de commerce et de droit à l’Université Harvard. Il a été qualifié à titre de témoin expert pour l’intimée dans le domaine des clauses de protection de l’opération, ayant rédigé plusieurs publications sur les négociations entre entreprises et, plus précisément, sur les fusions et les acquisitions. Durant son témoignage, M. Subramanian a présenté des renseignements de base sur les principes qui sous-tendent les indemnités de rupture.

[51] Il a expliqué que ces indemnités ont deux objectifs : dissuader les tiers de présenter une soumission et indemniser le premier soumissionnaire. Durant son témoignage, il a expliqué la difficulté de quantifier les coûts relatifs aux fusions d’envergure, notamment les coûts de renonciation, les coûts relatifs à l’atteinte à la réputation, les coûts de transfert et de recherche, ainsi que le temps consacré par la direction. Selon M. Subramanian, l’effet dissuasif que peut avoir l’indemnité de rupture diminue si les biens sous-jacents de la société cible sont conjecturaux.

[52] M. Subramanian a ensuite décrit plus en détail le fonctionnement de la participation réduite (« toehold ») dans le cadre d’une fusion, notamment pourquoi une personne qui détient déjà des actions dans une société sur le point de faire l’objet d’une prise de contrôle profiterait d’une guerre de surenchères. Il a expliqué comment les « droits d’égaler » visent généralement à empêcher une guerre de surenchères, car la partie qui ne possède pas un tel droit ne saura pas jusqu’où la partie qui a ce droit est prête à offrir. Une autre notion examinée fut la « clause interdisant la sollicitation », laquelle, a expliqué M. Subramanian, vise à empêcher, par voie contractuelle, une société cible de solliciter d’autres offres, sous réserve d’une clause de retrait par obligation fiduciaire si la société est contactée de façon indépendante par un tiers qui lui soumet une meilleure offre.

[53] Durant le voir dire de M. Subramanian, il a été conclu que M. Subramanian était qualifié comme expert en matière de mesures de protection des opérations dans le cadre des fusions et acquisitions. L’appelante a par la suite déposé une requête en vue d’obtenir la radiation de certaines parties du rapport d’expert de M. Subramanian, intitulé « Deal Protection Device in the Falconbridge Diamond Fields Transaction » (mesure de protection de la transaction entre Falconbridge et Diamond Fields). La requête a été accueillie en partie. Les paragraphes 71 à 87 du rapport d’expert ont été supprimés, car ils ne répondaient pas au critère de pertinence, le critère fundamental enc e qui concerne l’admission d’une preuve d’expert. Le rapport d’expert était largement fondé sur des données américaines qui ne tenaient pas compte des particularités du marché canadien en 1995 et 1996, lequel est un marché beaucoup plus petit quant à sa taille, à son étendue et au nombre de sociétés présentes dans différents secteurs de l’économie.

Le texte législatif

[54] Les dispositions pertinentes de la Loi, dans sa version applicable à l’année d’imposition 1996, sont rédigées comme suit :

SECTION B

Calcul du revenu

Règles fondamentales

Revenu pour l’année d’imposition

3 Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

b) le calcul de l’excédent éventuel de la somme visée au sous-alinéa (i) sur la somme visée au sous-alinéa (ii) :

(i) le total des sommes suivantes :

(A) ses gains en capital imposables pour l’année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

(B) son gain net imposable pour l’année tiré de la disposition de biens meubles déterminés,

(ii) l’excédent éventuel de ses pertes en capital déductibles pour l’année, résultant de la disposition de biens autres que des biens meubles déterminés sur les pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise pour l’année, subies par le contribuable;

c) le calcul de l’excédent éventuel du total établi selon l’alinéa a) plus le montant établi selon l’alinéa b) sur le total des déductions permises par la sous-section E dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année (sauf dans la mesure où il a été tenu compte de ces déductions dans le calcul du total visé à l’alinéa a));

d) le calcul de l’excédent éventuel de l’excédent calculé selon l’alinéa c) sur le total des pertes subies par le contribuable pour l’année qui résultent d’une charge, d’un emploi, d’une entreprise ou d’un bien et des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise subies par le contribuable pour l’année;

Pour l’application de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

e) si un montant est calculé selon l’alinéa d) à l’égard du contribuable pour l’année, le revenu du contribuable pour l’année correspond à ce montant;

f) sinon, le revenu du contribuable pour l’année est réputé égal à zéro.

Revenu ou perte provenant d’une source déterminée ou de sources situées dans un endroit déterminé

4(1) Les règles suivantes s’appliquent à la présente loi :

a) le revenu ou la perte d’un contribuable pour une année d’imposition provenant d’une charge, d’un emploi, d’une entreprise, de biens ou d’une autre source, ou de sources situées dans un endroit déterminé, s’entend du revenu ou de la perte, selon le cas, du contribuable, calculés conformément à la présente loi, à supposer que ce contribuable n’ait eu, durant l’année d’imposition, aucun revenu ni perte, sauf ce qui provenait de cette source, ni aucun revenu ou perte, sauf ce qui provenait de ces sources, selon le cas, et qu’il n’ait eu droit à aucune déduction dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition à l’exception des déductions qu’il est raisonnable de considérer comme entièrement applicables à cette source ou à ces sources, selon le cas, et à l’exception de la partie de toutes autres déductions qu’il est raisonnable de considérer comme applicable à cette source ou à ces sources;

[...]

SOUS-SECTION B

Revenu ou perte provenant d’une entreprise ou d’un bien

Règles fondamentales

Revenu

9 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

Perte

(2) Sous réserve de l’article 31, la perte subie par un contribuable au cours d’une année d’imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte subie au cours de l’année relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée par l’application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

Exclusion des gains et pertes en capital

(3) Dans la présente loi, le revenu tiré d’un bien exclut le gain en capital réalisé à la disposition de ce bien, et la perte résultant d’un bien exclut la perte en capital résultant de la disposition de ce bien.

Éléments à inclure

Sommes à inclure dans le revenu

12 (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celle des sommes suivantes qui sont applicables :

[...]

Paiements incitatifs et autres

x) un montant (à l’exclusion d’un montant prescrit) reçu par le contribuable au cours de l’année pendant qu’il tirait un revenu d’une entreprise ou d’un bien :

(i) soit d’une personne ou d’une société de personnes (appelée « débiteur » au présent alinéa) qui paie le montant, selon le cas :

(A) en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien,

(B) en vue d’obtenir un avantage pour elle-même ou pour des personnes avec qui elle a un lien de dépendance,

(C) dans des circonstances où il est raisonnable de conclure qu’elle n’aurait pas payé le montant si elle n’avait pas reçu des montants d’un débiteur, d’un gouvernement, d’une municipalité ou d’une autre administration visés au présent sous-alinéa ou au sous-alinéa (ii),

(ii) soit d’un gouvernement, d’une municipalité ou d’une autre administration,

s’il est raisonnable de considérer le montant comme reçu :

(iii) soit à titre de paiement incitatif, sous forme de prime, de subvention, de prêt à remboursement conditionnel, de déduction de l’impôt ou d’indemnité, ou sous toute autre forme,

(iv) soit à titre de remboursement, de contribution ou d’indemnité ou à titre d’aide, sous forme de prime, de subvention, de prêt à remboursement conditionnel, de déduction de l’impôt ou d’indemnité, ou sous toute autre forme, à l’égard, selon le cas :

(A) d’une somme incluse dans le coût d’un bien ou déduite au titre de ce coût,

(B) d’une dépense engagée ou effectuée,

dans la mesure où le montant, selon le cas :

(v) n’a pas déjà été inclus dans le calcul du revenu du contribuable ou déduit dans le calcul, pour l’application de la présente loi, d’un solde de dépenses ou autres montants non déduits, pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure,

(v.1) n’est pas une somme reçue par le contribuable relativement à une clause restrictive, au sens du paragraphe 56.4(1), qui a été incluse, en application du paragraphe 56.4(2), dans le calcul du revenu d’une personne liée au contribuable,

(vi) sous réserve des paragraphes 127(11.1), (11.5) ou (11.6), ne réduit pas, pour l’application d’une cotisation établie en vertu de la présente loi, ou pouvant l’être, le coût ou le coût en capital du bien ou le montant de la dépense,

(vii) soit il ne réduit pas, en application du paragraphe (2.2) ou 13(7.4) ou de l’alinéa 53(2)s), le coût ou coût en capital du bien ou le montant de la dépense,

(viii) soit on ne peut raisonnablement le considérer comme un paiement fait au titre de l’acquisition par le débiteur ou par l’administration d’un droit sur le contribuable, sur son entreprise ou sur son bien;

Les thèses des parties

A. La thèse de l’appelante

[55] L’appelante a avancé les trois arguments suivants : 1) les indemnités constituaient une rentrée de capital extraordinaire ne provenant pas d’une source, 2) l’alinéa 12(1)x) de la Loi ne s’applique pas et 3) subsidiairement, les indemnités doivent être assimilées à des gains en capital.

[56] L’appelante soutient que les indemnités ne relèvent d’aucune des sources de revenus énumérées à l’article 3 de la Loi; elles ne sont donc pas imposables. Les activités commerciales de Falconbridge consistaient en l’exploration, la mise en valeur, l’exploitation, le traitement et la commercialisation de minéraux; elles n’étaient donc pas la source des indemnités. En présentant son offre de fusion, Falconbridge avait pour seul objectif d’acquérir une participation dans Voisey’s Bay; il s’agissait donc d’une opération en capital. Les indemnités constituaient tout au plus une contrepartie de minimis provenant de la liste des points négociables établie par le syndicat financier de CIBC Wood Gundy.

[57] L’appelante a opéré ainsi une distinction entre les faits de la présente affaire en instance et ceux des affaires Morguard et Ikea : les indemnités n’étaient pas inextricablement liées aux activités quotidiennes de Falconbridge ni n’étaient des corollaires de ces activités, l’offre de fusion n’avait pas pour but de toucher les indemnités et, enfin, les indemnités n’avaient pas indemnisé Falconbridge pour ses coûts ou ses dépenses.

[58] Les indemnités étaient conçues comme une mesure dissuasive, les dépenses réelles engagées par Falconbridge relativement à la tentative de fusion ayant totalisé 15,3 millions de dollars. L’appelante soutient qu’il n’existe aucune corrélation entre les dépenses réellement engagées et le montant des indemnités, celles-ci dépassant à peine la moitié de la commission d’engagement.

[59] L’appelante soutient que les indemnités ne proviennent d’aucune source et qu’il est déraisonnable de conclure, en l’absence de preuve des dépenses alléguées, qu’un paiement a été effectué en lien avec ces dépenses. L’appelante fait en outre valoir que, même si les sources de revenus énumérées à l’article 3 ne sont pas exhaustives, la jurisprudence généralement retenu une interprétation restreinte de la notion de revenu.

[60] Le deuxième argument est que l’alinéa 12(1)x) ne s’applique pas, car il doit exister un lien clair entre le montant reçu et, soit une somme incluse dans le coût d’un bien (ou déduite au titre de ce coût), soit une dépense engagée ou effectuée, pour que le sous-alinéa 12(1)x)(iv) s’applique. Selon l’appelante, l’intimée a omis de déterminer quelles dépenses sont remboursées.

[61] Le troisième argument est que les indemnités doivent être qualifiées de gain en capital, puisque les droits de Falconbridge, avant l’offre de fusion et conformément à cette offre, étaient admissibles à titre d’immobilisations. Les droits contractuels obtenus par Falconbridge au titre de l’offre de fusion comportaient plusieurs engagements de la part de DFR, notamment ceux de poursuivre les activités normalement, de poursuivre l’exploitation de l’entreprise conformément aux conditions négociées et de ne pas solliciter d’offres concurrentes.

B. La thèse de l’intimée

[62] L’intimée soutient que les indemnités ont été qualifiées, à juste titre, de rentrées de revenus, car ces indemnités avaient un but d`indemnisation, et non de dissuasion. Les indemnités correspondaient à 2,5 % du montant de l’offre ce qui, selon l’intimée, constitue un trop faible montant pour dissuader les tiers de soumettre une offre. L’intimée fait en outre valoir que les indemnités ont fait l’objet d’actives négociations et que Falconbridge savait qu’Inco présenterait vraisemblablement une offre pour acquérir DFR.

[63] L’intimée invoque le critère de l’arrêt Ikea et soutient que les indemnités sont des rentrées relevant du compte des produits. Le principal facteur à considérer dans la jurisprudence Ikea est l’objectif commercial du paiement et son lien avec les activités commerciales de son bénéficiaire. L’intimée allègue que l’acquisition potentielle du gisement de Voisey’s Bay faisait partie de la stratégie de Falconbridge de tirer un revenu de son entreprise et que Falconbridge a fait une offre à DFR dans le but d’obtenir le gisement de nickel.

[64] L’intimée cite la jurisprudence Cranswick en ce qui concerne la qualification des profits imprévus non imposables, car Falconbridge avait une créance exécutoire sur les paiements, les indemnités ont fait l’objet d’intenses négociations entre deux parties averties, les indemnités ont été demandées par Falconbridge et Falconbridge voulait acquérir Voisey’s Bay mais a demandé la mise en place de mesures de protection de l’opération lorsqu’elle a fait une offre à DFR. L’intimée soutient que la négociation des indemnités est incompatible avec la notion de profit imprévu.

[65] L’intimée soutient que l’alinéa 12(1)x) de la Loi s’applique, parce que les indemnités étaient des paiements incitatifs visant à amener Falconbridge à faire une offre d’achat à DFR et que l’indemnité de rupture visait à rembourser Falconbridge pour les dépenses engagées dans la préparation de l’offre. L’intimée soutient que les indemnités ont été reçues en vue de tirer un revenu, car l’acquisition de DFR et de Voisey’s Bay avait pour but de maximiser la valeur actionnariale. L’intimée allègue que Falconbridge n’aurait pas fait d’offre à DFR avant le versement de la commission d’engagement et que cette commission a fait l’objet d’intenses négociations entre DFR et Falconbridge.

[66] L’intimée rejette l`idée que les indemnités étaient un produit de disposition, car il n’y a eu aucun transfert de propriété entre Falconbridge et DFR. L’intimée cite l’affaire Morguard, où l’avocat du contribuable avait reconnu que l’indemnité de rupture en cause n’avait pas été reçue à titre de produit de la disposition de biens en immobilisation. Selon la juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, cette thèse était saine.

[67] Enfin, l’intimée a formulé des observations sur des questions de preuve, notamment sur ce que la reconnaissance de l’authenticité d’un document ne constitue pas une admission quant à la véracité de son contenu. L’intimée soutient que le contenu d’un document relève du ouï-dire lorsque l’auteur du document n’est pas présent à l’audience et, donc, que l’admissibilité du document doit alors être établie. L’intimée a également demandé à la Cour de ne pas inférer que la documentation manquante de l’ordre du jour (qui a été présenté au conseil d’administration lors de l’une de ses réunions) va de quelque manière que ce soit dans le sens de la thèse de l’appelante.

Discussion

[68] Le 9 février 1996, lorsque Falconbridge et DFR ont toutes deux annoncé que Falconbridge avait accepté de faire l’acquisition de DFR, une autre société canadienne ouverte, la situation était la suivante :

  • a) Inco Limitée (« Inco ») avait acquis 25 % des actions en circulation de la filiale de DFR, la Voisey’sBayNickelCompany (« VBNC »), qui détenait les concessions minières dans Voisey’sBay, en échange d’actions privilégiées d’Inco d’une valeur approximative de 525 millions de dollars;

  • b) Inco avait accepté de vendre la totalité de la production de nickel et de cobalt provenant du projet de Voisey’sBay durant les cinq premières années de production, puis de vendre une quantité minimale de la production de nickel durant les 15 années suivantes;

  • c) DFR s’était engagée à informer Inco de toute offre publique d’achat qu’elle recevrait d’un tiers et à offrir à Inco la possibilité raisonnable de discuter de cette offre;

  • d) Inco avait acquis deux millions d’actions ordinaires en circulation de DFR, soit une participation d’environ 8 p. 100 dans DFR;

  • e) Teck, une importante société minière canadienne ouverte, avait souscrit trois millions d’actions ordinaires de DFR, pour le montant de 108 millions de dollars;

  • f) Teck avait accepté de mettre son personnel d’ingénierie au service de DFR, sans frais, pour aider DFR dans la réalisation de la phase de préfaisabilité du projet de Voisey’sBay;

  • g) Teck a été engagée à titre d’entrepreneur principal chargé de mener l’étude de faisabilité à la mine de Voisey’sBay;

  • h) Falconbridge était au courant des diverses participations d’Inco et de Teck dans le gisement de Voisey’sBay et dans DFR.

[69] Falconbridge est entrée en scène tardivement et a comprend que la seule façon d’acquérir une participation dans le gisement de Voisey’s Bay était de faire une offre en vue d’acquérir la totalité des actions ordinaires en circulation de DFR.

[70] Le 9 février 1996, Falconbridge a déposé son offre de fusion avec DFR. Selon les conditions de l’offre de fusion, les actions ordinaires en circulation de DFR étaient échangées contre un ensemble d’actions, d’espèces et de billets échangeables de Falconbridge d’une valeur totale d’environ 4,1 milliards de dollars.

[71] L’offre de fusion comprenait le paiement d’une commission d’engagement correspondant à 0,25 $ par action ordinaire en circulation de DFR, pour le montant total de 28 206 106 $, ainsi que d’une indemnité de rupture correspondant à 0,65 $ par action ordinaire en circulation de DFR, pour le montant total de 73 335 881 $. Le montant de l’indemnité de rupture fut fixé par les négociations et il constituait 2,5 % de l’offre. Cet élément se voulait une mesure visant à décourager les autres offres.

[72] L’objectif principal de Falconbridge était clairement d’acquérir une participation de 75 % dans le gisement de Voisey’s Bay, mais, ce faisant, elle a aussi veillé à ce que toutes ses dépenses relatives à l’offre publique d’achat soient couvertes par la commission d’engagement et à ce qu’elle réalise un bénéfice important advenant le rejet de l’offre. En réalité, Falconbridge n’a pris aucun risque financier en concluant l’accord de mise en œuvre de l’offre de fusion avec DFR, et son objectif secondaire était de réaliser un profit substantiel dans un très court laps de temps, advenant l’échec de l’offre.

[73] Il ressort clairement des témoignages que les activités commerciales de Falconbridge ne consistaient pas en l’acquisition ou la vente de sociétés. Ses activités consistaient en l’exploration, la mise en valeur, l’exploitation, le traitement et la commercialisation de minéraux. Les activités menées par Falconbridge en vue de faire croître son entreprise de nickel comportaient nécessairement le remplacement, par divers moyens, de ses réserves de minerais appauvries, notamment par des travaux d’exploration menés par son propre personnel mais aussi par l’acquisition de concessions ou de participations dans des gisements de minerais en établissant des coentreprises ou des contrats de société de personnes avec de petites sociétés minières ou des prospecteurs. La tentative d’acquisition de DFR par Falconbridge a été montée différemment des autres acquisitions de Falconbridge, pour la simple raison que DFR était une société ouverte. Le fait que la tentative par Falconbridge d’acquérir le gisement de Voisey’s Bay ait été menée sous la forme d’une offre d’achat d’actions ordinaires de DFR est sans importance.

[74] L’acquisition potentielle de DFR se voulait un moyen d’acquérir le gisement de Voisey’s Bay, et il ressort clairement des éléments de preuve que les activités commerciales de Falconbridge consistaient notamment en l’acquisition de gisements de minerais.

[75] Les indemnités de rupture reçues par Falconbridge étaient inextricablement liées aux activités commerciales habituelles de Falconbridge à titre de société minière de nickel. Falconbridge a cherché à acquérir le gisement de Voisey’s Bay dans le but d’en tirer un bénéfice. Comme Falconbridge était une société ouverte, l’ensemble de ses activités tendaient vers cet objectif, c’est-à-dire accroître la valeur actionnariale. L’acquisition potentielle du gisement de Voisey’s Bay s’inscrivait dans la stratégie de Falconbridge de tirer des revenus de son entreprise.

[76] Falconbridge exerçait son activité lorsqu’elle a négocié l’accord de mise en œuvre de l’offre de fusion et l’accord d’arrangement, lesquels prévoyaient tous les deux les indemnités en cause. La stratégie de Falconbridge en vue de tenter d’acquérir le gisement de Voisey’s Bay consistait à maximiser la valeur actionnariale en maintenant et en augmentant ses réserves de minerais et en contenant ses coûts de production. Ces objectifs étaient inextricablement liés aux activités commerciales de Falconbridge. L’indemnité de rupture constituait un revenu d’entreprise accessoire réalisé par Falconbridge en tirant un revenu de son entreprise.

[77] Cette conclusion est corroborée par une jurisprudence de la Cour suprême du Canada (la « CSC »), Ikea Ltd. c. Canada [1998] 1 R.C.S. 196 (« IKEA », qui constitue l’arrêt de principe sur la qualification des rentrées de fonds extraordinaires ou inhabituelles dans le cadre commercial. IKEA n’avait pas inclus un paiement d’incitation à la location dans le calcul de son revenu aux fins de l’impôt, pour le motif qu’il s’agissait d’une « rentrée de capital non imposable »). La CSC a conclu que la qualification d’une rentrée de capital extraordinaire ou inhabituelle appelle la prise en compte de plusieurs facteurs, notamment l’objectif commercial du paiement et son lien avec les activités commerciales de son bénéficiaire. La CSC a conclu que le paiement d’incitation à la location constituait un revenu habituel tiré des activités commerciales d’IKEA. Le paiement d’incitation à la location découlait d’obligations, c’est-à-dire du paiement du loyer et de l’exploitation de l’entreprise d’IKEA dans les locaux loués, lesquels étaient des corollaires nécessaires de l’exploitation de l’entreprise d’IKEA. À ce titre, le paiement d’incitation à la location « a clairement été reçu dans le cadre d’activités commerciales ordinaires [d’IKEA] et, dans les faits, il était inextricablement lié à ces activités » (par. 33).

[78] En l’espèce, l’indemnité de rupture a fait l’objet de négociations entre deux sociétés ouvertes et elle a été versée conformément aux modalités de deux accords; il s’agissait d’une condition essentielle qui faisait partie intégrante de l’offre faite par Falconbridge à DFR, dont l’objectif principal était d’acquérir les gisements de nickel de Voisey’s Bay.

[79] Eu égard à ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments invoqués par les parties.

[80] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens.

[81] Les parties ont jusqu’au 13 décembre 2021 pour parvenir à un accord sur les dépens, à défaut de quoi elles auront jusqu’au 21 janvier 2022 pour signifier et déposer leurs observations écrites sur les dépens, puis elles auront jusqu’au 4 février 2022 pour signifier et déposer une réponse écrite. Ces observations ne doivent pas dépasser dix pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et en l’absence de dépôt d’observations dans les délais fixés, chaque partie assumera alors ses propres dépens.

Les motifs modifiés du jugement remplacent les motifs du jugement daté du 12 octobre 2021.

Signé à Montréal (Québec), ce 8e jour de décembre 2021.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2022.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 63

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-887(IT)G

INTITULÉ :

GLENCORE CANADA CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 23, 24, 25, 26 et 27 novembre 2019, à Toronto (Ontario), puis dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 9 septembre 2020, avec présentation des observations finales le 18 septembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 octobre 2021

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT :

Le 8 décembre 2021

Le 8 décembre 2021

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Guy Du Pont

Me Nathalie Goyette

Me Matthias Heilke

Me James Trougakos

Avocats de l’intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me Darren Prevost

Me Peter Swanstrom

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Guy Du Pont

Me Nathalie Goyette

Me Matthias Heilke

Me James Trougakos

Cabinet :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

ANNEXE

 

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