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Dossier : 2016-1686(IT)G

ENTRE :

MARGO DIANNE BOWKER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 10, 11, 12 et 13 février 2020, à Vancouver

(Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge Sylvain Ouimet


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Alistair G. Campbell

Me Margaret MacDonald

Avocats de l’intimée :

Me Patrick Cashman

Me Natasha Tso

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu par le ministre du Revenu national à l’égard de l’année d’imposition 2010 de l’appelante est accueilli avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mars 2021.

« Sylvain Ouimet »

Le juge Ouimet

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mai 2021.

François Brunet, réviseur


Référence : 2021 CCI 14

Date : 20210302

Dossier : 2016-1686(IT)G

ENTRE :

MARGO DIANNE BOWKER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Ouimet

I. INTRODUCTION

[1] Notre Cour est saisie de l’appel interjeté par Mme Margo Dianne Bowker à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) à l’égard de son année d’imposition 2010.

[2] Le 30 avril 2011, Mme Bowker a produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2010. Dans sa déclaration, elle a fait état d'un revenu total de 78 798 $. Le revenu total déclaré par Mme Bowker comprenait un revenu d’emploi de 45 641 $ de la Bakerview Mennonite Brethren Church, un autre revenu d’emploi de 22 181 $, des prestations de la Sécurité de la vieillesse de 6 222 $, des prestations du Régime de pensions du Canada de 4 750 $ ainsi que des intérêts créditeurs de 4 $.

[3] Le 12 mai 2011, le ministre a initialement établi la cotisation pour l’année d’imposition 2010 de Mme Bowker conformément à la déclaration produite.

[4] Le 26 mars 2012, le cabinet DeMara Consulting Inc. (DeMara) a produit une déclaration de revenus modifiée (la déclaration de revenus modifiée) au nom de Mme Bowker, pour son année d’imposition 2010. Le revenu total déclaré par Mme Bowker demeurait inchangé par rapport à celui indiqué sur la déclaration de revenus initialement produite, mais des pertes d’entreprise nettes de 666 447 $ étaient réclamées à l’égard d’une société de services-conseils. Les pertes d’entreprise consistaient en des déductions de 666 047 $ réclamées au poste d’intérêts débiteurs et de 400 $ pour honoraires professionnels. Des pertes en capital nettes de 333 024 $ provenant de la disposition d’obligations, de débentures, de billets à ordre et d’autres biens comparables étaient aussi demandées. Enfin, la déclaration contenait des demandes de report à un exercice antérieur des pertes autres qu’en capital de 32 566 $, 39 021 $ et 50 214 $, respectivement pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de Mme Bowker.

[5] Le 12 juin 2014, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2010 de Mme Bowker, en lui refusant les pertes d’entreprise, les pertes en capital nettes et le report des pertes demandés dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010. Le ministre a également imposé à Mme Bowker une pénalité pour faute lourde de 139 032 $, en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR).

II. QUESTION EN LITIGE

[6] La question à trancher dans le présent appel est la suivante :

Le ministre était-il justifié d’imposer à Mme Bowker une pénalité pour faute lourde de 139 032 $ à l’égard de sa déclaration de revenus modifiée de 2010, en application du paragraphe 163(2) de la LIR?

[7] Pour répondre à cette question, la Cour fera une analyse visant à déterminer si Mme Bowker, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, a fait un faux énoncé, ou y a participé, consenti ou acquiescé, dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010.

III. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[8] Voici les principales dispositions de la LIR :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : [...]

163(3) Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d’une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l’article 163.2, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

IV. LES FAITS

[9] Au moment de l’audience, Mme Bowker, alors âgée de 77 ans, était mariée à Melvyle Jesse Daniel Bowker depuis 1964. Ils vivaient ensemble à Abbotsford (Colombie-Britannique).

[10] Mme Bowker a obtenu un baccalauréat en éducation religieuse du Canadian Bible College de Regina, en Saskatchewan, en 1963. En 1996, elle a obtenu une maîtrise en musique d’église au Kentucky, aux États-Unis. Ce programme consistait en des études bibliques et théologiques, ainsi qu’en l’étude de l’orgue. En 1999, Mme Bowker obtint également une maîtrise en théologie du Regent College de Vancouver, en Colombie-Britannique.

[11] Mme Bowker a travaillé dans une librairie pendant environ un an et demi, entre 1976 et 1977. Au début des années 2000, elle a enseigné l’anglais pendant trois ans au Gladwin Language Centre. De 2003 jusqu’à sa retraite, en 2015, Mme Bowker a exercé les fonctions de pasteur auxiliaire à la Bakerview Mennonite Brethren Church d’Abbotsford. Ses responsabilités consistaient notamment à planifier les services liturgiques qui avaient lieu tous les dimanches, à organiser la musique, à conseiller les leaders et les liturgistes, ainsi qu’à rendre visite à des personnes à leur domicile ou à l’hôpital.

[12] M. Bowker est titulaire d’une maîtrise en interprétation de piano, mais n’a pas suivi de formation particulière en fiscalité. En 2010, M. Bowker s’occupait des affaires fiscales du couple depuis plusieurs années, notamment de la production de leurs déclarations de revenus. Selon Mme Bowker, c’était habituellement M. Bowker qui préparait sa déclaration de revenus, qu’elle examinait avant de l’envoyer. En 2009, M. Bowker a décidé de retenir les services d’un comptable pour la préparation de leurs déclarations de revenus. Mme Bowker a signalé que M. Bowker avait pris cette décision à la suite de changements dans son travail lié à la musique et de la possibilité qu’il ait à percevoir la TPS/TVH dans le cadre de son travail.

[13] La déclaration de revenus de Mme Bowker pour l’année 2010 a été produite le 30 avril 2011. Cette déclaration avait été préparée par M. Couch, un comptable. Le 12 mai 2011, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a établi une cotisation à l’égard de la déclaration produite par Mme Bowker. C’est en mai ou juin de la même année que M. Bowker a entendu parler de DeMara pour la première fois, par une de ses connaissances, M. Jackson, ainsi que par le beau-frère de Mme Bowker, M. Belsey.

[14] M. Jackson a alors conseillé à M. Bowker de participer à une conférence téléphonique de DeMara, ce qu’il a fait. Selon Mme Bowker, c’est après cet appel ou un deuxième appel que M. Bowker lui a expliqué les services offerts par DeMara. M. Bowker lui a dit que les services offerts par DeMara consistaient à examiner les déclarations de revenus du contribuable pour voir s'il avait droit à la déduction d’autres dépenses ou s’il y avait d’autres éléments qui auraient pu être omis et qui pourraient mener à un remboursement d’impôt. Il lui a également dit qu’un des directeurs de DeMara, Mme Stancer, avait des connaissances et une expertise plus poussées en matière de fiscalité car elle avait déjà été au service de pour l’ARC. Selon Mme Bowker, rien n’indiquait que DeMara était un groupe anti-impôt (« de-taxer »). Selon l’interprétation de Mme Bowker, le terme « de-taxer » désigne des personnes qui [traduction] « cherchent à éviter de payer des impôts [...] [1] ». Durant son témoignage, Mme Bowker a déclaré que si elle et M. Bowker avaient cru que DeMara faisait partie d’un tel groupe, ils [traduction] « seraient partis en courant [2] ». M. Bowker lui a proposé d’aller visiter les bureaux de DeMara pour [traduction] « voir s’il s’agissait d’un véritable bureau, [et] pour rencontrer les gens [...] » [3] , avant de décider s’ils allaient ou non retenir leurs services.

[15] En juin 2011, Mme Bowker et M. Bowker se sont rendus aux bureaux de DeMara, à Vernon (Colombie-Britannique). Les bureaux de DeMara étaient situés au centre-ville de Vernon, juste en retrait de la rue principale. D’après la description de Mme Bowker, [traduction] « il y avait un petit hall d’entrée, une aire de réception et quelques personnes assises à des bureaux [4] ». Une fois à l’intérieur des bureaux de DeMara, Mme Bowker a attendu dans le hall pendant que M. Bowker est allé dans un bureau pour discuter avec un employé de DeMara. M. Bowker est ressorti du bureau après un certain temps, avec une « trousse d’adhésion ». M. Bowker a alors dit à Mme Bowker qu’il croyait qu’ils devraient retenir les services de DeMara et Mme Bowker, se fiant à la recommandation de son époux, a accepté. M. Bowker lui a également demandé de signer les documents contenus dans la « trousse d’adhésion », ce qu’elle a fait. Mme Bowker croyait qu’elle devait signer ces documents pour avoir droit aux services de DeMara; elle les a donc signés. Mme Bowker a alors signé les documents suivants :

  • - Fiche de renseignements à l’intention des membres;

  • - Entente de confidentialité et de non-divulgation;

  • - Autorisation de communiquer des renseignements fiscaux personnels à un tiers;

  • - Formulaire d’adhésion à la Serenity Bound Society;

  • - Demander ou annuler l’autorisation d’un représentant (formulaire T1013);

  • - Demande d’un numéro d’entreprise (formulaire RC1);

  • - Consentement de l’entreprise (formulaire RC59).

[16] Après leur première visite aux bureaux de DeMara, M. et Mme Bowker s’y sont rendus une deuxième fois, avant la fin de l’été 2011, alors qu’ils allaient rendre visite à des membres de leur famille en Alberta. Mme Bowker a témoigné qu’ils avaient alors apporté certains documents que DeMara leur avait demandés. Mme Bowker ne savait pas de quels documents il s’agissait, car c’était M. Bowker qui les avait réunis. Mme Bowker n’est pas entrée dans les bureaux de DeMara la deuxième fois. Mme Bowker a témoigné qu’elle savait que M. Bowker s’était entretenu avec un employé de DeMara entre leurs deux visites, mais elle ne savait pas ce dont ils avaient discuté. Elle a aussi déclaré qu’elle ne se souvenait pas d’avoir discuté de DeMara avec son époux durant cette période.

[17] Le 26 mars 2012, DeMara a produit une déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010 au nom de Mme Bowker. Le revenu total déclaré par Mme Bowker demeurait inchangé par rapport à celui indiqué sur la déclaration de revenus initialement produite, mais des pertes d’entreprise nettes de 666 447 $ étaient réclamées à l’égard d’une « entreprise de services-conseils ». Des pertes en capital nettes de 333 024 $ provenant de la disposition d’obligations, de débentures, de billets à ordre et d’autres biens comparables étaient aussi demandées. Enfin, la déclaration contenait des demandes de report à un exercice antérieur des pertes autres qu’en capital de 32 566 $, 39 021 $ et 50 214 $, respectivement pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de Mme Bowker. Mme Bowker a témoigné qu’elle ne savait pas que DeMara avait produit une déclaration de revenus modifiée et qu’elle ignorait tout de son contenu. Elle ne l’a appris que plus tard, mais ne se rappelait pas exactement à quel moment.

[18] Même si Mme Bowker savait qu’elle avait reçu des lettres de l’ARC à la suite de la production de sa déclaration de revenus modifiée, elle ignorait tout du contenu de ces lettres ou des communications qui ont eu lieu par la suite entre DeMara et l’ARC. Conformément à la demande de DeMara, M. Bowker a envoyé directement aux bureaux de DeMara toutes les lettres que Mme Bowker a reçues de l’ARC.

[19] Entre janvier et la fin de mars 2013, M. Bowker a envoyé trois lettres par télécopieur à l’ARC au nom de Mme Bowker. Ces lettres ont été envoyées après que Mme Bowker eut appris qu’un mandat de perquisition avait été exécuté aux bureaux de DeMara. Mme Bowker a dit à la Cour que, durant cette période, M. Belsey a informé M. Bowker de certains faits « très défavorables [5] » au sujet de Mme Stancer. Selon Mme Bowker, M. Belsey avait obtenu ces renseignements d’un ancien employé de DeMara, M. Earl. Les lettres envoyées à l’ARC ont été rédigées par M. Bowker, M. Belsey et M. Earl. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour expliquer pourquoi M. Belsey et M. Earl avaient participé à la préparation de ces lettres. Mme Bowker a témoigné que, bien qu’elle ait signé les lettres, elle ne les avait pas lues (à l’exception d’une qu’elle n’avait lue qu’en partie).

[20] Selon Mme Bowker, le but de la première lettre était de récupérer ses documents personnels que l’ARC avait saisis dans les bureaux de DeMara. Elle cherchait aussi, par cette lettre, à se dissocier de DeMara. Dans cette lettre, Mme Bowker demandait expressément l’« annulation » de l’autorisation de DeMara à titre de représentant.

[21] Selon Mme Bowker, les deuxième et troisième lettres visaient à conclure une entente avec l’ARC au sujet de ses déclarations de revenus pour les années 2010 et 2011, ainsi qu’à tenter de nouveau de prendre ses distances avec DeMara. Dans ces lettres, Mme Bowker déclarait qu’elle avait récemment appris que DeMara avait produit, en son nom, une déclaration de revenus modifiée pour l’année d’imposition 2010, en plus de sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2011. Elle indiquait que les déclarations contenaient des renseignements erronés, car DeMara avait modifié son statut, en l’inscrivant non plus comme un particulier, mais comme une entreprise, ce qui était incorrect. Mme Bowker déclarait également qu’elle n’avait pas demandé à DeMara de produire ces déclarations et qu’elle n’avait pas eu d’entreprise durant l’année d’imposition 2010. Elle ajoutait qu’elle ne souhaitait pas réclamer des reports de pertes et elle demandait à l’ARC de ne pas tenir compte des déclarations produites par DeMara et de se fier plutôt à la déclaration de revenus initiale qu’elle avait produite pour l’année 2010 et à la somme qu’elle estimait en souffrance pour 2011, aux fins d’établissement des cotisations. Mme Bowker affirmait aussi qu’elle avait découvert que le processus utilisé par DeMara pour produire ses déclarations de revenus était « illégal », mais qu’elle n’en avait jamais été informée. Elle affirmait qu’elle avait toujours été une contribuable honnête et elle joignait un paiement de 2 304,20 $ qui, selon ses estimations, correspondait au montant des impôts en souffrance pour son année d’imposition 2011. Mme Bowker demandait que la pénalité pour faute lourde soit supprimée. Cependant, de nombreux éléments de ces lettres n’avaient aucun sens. Selon les avocats des parties et Mme Bowker elle-même, ces lettres reprenaient un vocabulaire prétendument utilisé par les contestataires de l’impôt (les « de-taxers »).

V. LES THÈSES DES PARTIES

A. La thèse de l’intimée

[22] L’intimée soutient que Mme Bowker a fait un faux énoncé en signant le formulaire de demande de numéro d’entreprise pour une entreprise qui n’existait pas et qu’elle a participé à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée de 2010, puisque ces faux énoncés ont été faits après qu’elle eut signé le formulaire de demande de numéro d’entreprise. L’intimée soutient que, selon le paragraphe 163(2) de la LIR, Mme Bowker a sciemment fait un faux énoncé si la Cour juge qu’elle a lu le formulaire de demande de numéro d’entreprise avant de le signer, et qu’elle a commis une faute lourde si la Cour conclut qu’elle a signé le formulaire sans le lire.

[23] L’intimée soutient en outre que, si Mme Bowker ne savait pas qu’elle demandait un numéro d’entreprise en vue d’obtenir des remboursements d’impôt plus importants, c’est qu’elle a fermé les yeux sur ce fait et qu’elle a donc fait preuve d’aveuglement volontaire. Selon l’intimée, il y avait suffisamment de signaux d’alarme pour que Mme Bowker cherche à obtenir plus de renseignements avant de produire sa déclaration de revenus modifiée pour 2010, mais elle ne l’a pas fait.

B. La thèse de l’appelante

[24] Dans ses observations, l’avocat de Mme Bowker reconnaît que la déclaration de revenus modifiée de 2010 de Mme Bowker contenait de faux énoncés. Il fait toutefois valoir que la pénalité pour faute lourde doit être annulée, car le ministre ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir les faits justifiant l’imposition de la pénalité. Selon lui, Mme Bowker n’a pas « fait » de faux énoncés, car elle n’a pas autorisé DeMara à produire la déclaration. De plus, aucun élément ne permet de conclure que Mme Bowker « a participé, consenti ou acquiescé » à la confection de faux énoncés, car elle n’a pas été informée de la production de la déclaration et qu’elle n’a produit aucun renseignement pour aider DeMara à faire de faux énoncés. Enfin, il est soutenu que, si la Cour devait conclure que Mme Bowker a réellement participé, consenti ou acquiescé à la confection de faux énoncés, rien ne permet de conclure qu’elle l’a fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

VI. DISCUSSION

[25] Le paragraphe 163(2) de la LIR dispose que le ministre peut imposer des pénalités lorsque le contribuable, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenus ou y participe, y consent ou y acquiesce. Aux termes du paragraphe 163(3) de la LIR, il incombe au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui justifient l’imposition de la pénalité prévue par le paragraphe 163(2) de la LIR.

[26] Les paragraphes 163(2) et 163(3) de la LIR sont rédigés comme suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : [...]

163(3) Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d’une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l’article 163.2, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

[27] Il incombe donc au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le contribuable a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé dans une déclaration de revenus, ou a participé à sa confection, y a consenti ou y a acquiescé [6] . Par conséquent, pour que le paragraphe 163(2) de la LIR joue, il faut répondre aux deux questions suivantes : Le contribuable a-t-il fait un faux énoncé dans une déclaration de revenus, ou y a-t-il participé, consenti ou acquiescé? Si le contribuable a fait un faux énoncé dans une déclaration de revenus, ou y a participé, consenti ou acquiescé, l’a-t-il fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde? [7]

A. Mme Bowker a-t-elle fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus modifiée de 2010, ou y a-t-elle participé, consenti ou acquiescé?

[28] Durant son témoignage, Mme Bowker a reconnu que sa déclaration de revenus modifiée de 2010 contenait de faux énoncés. Elle a reconnu que, durant l’année d’imposition 2010, elle n’avait exploité aucune entreprise et, donc, qu’elle n’avait pas enregistré de pertes d’entreprise. Elle a aussi reconnu qu’elle n’avait pas eu de pertes en capital cette année-là. Il ressort toutefois des éléments de preuve que Mme Bowker n’a pas participé, consenti ou acquiescé à la confection de ces faux énoncés. Selon son témoignage, DeMara a produit sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010 à son insu. Mme Bowker n’a pas signé la déclaration de revenus modifiée et, selon son témoignage, elle n’a pas vu cette déclaration avant qu’elle soit produite. Durant son témoignage, Mme Bowker a aussi déclaré qu’elle n’avait pas discuté avec M. Bowker ni avec personne d’autre de la déclaration de revenus modifiée avant que DeMara l’envoie à l’ARC. Selon les éléments de preuve, c’est M. Bowker, et non Mme Bowker, qui a envoyé à DeMara les documents qui ont servi à la production de la déclaration de revenus modifiée. Même si Mme Bowker savait que M. Bowker avait envoyé des documents à DeMara, elle ne lui a jamais demandé de quels documents il s’agissait ni à quelles fins ils avaient été envoyés à DeMara. Durant toute la période pertinente, M. Bowker est la personne qui a communiqué avec DeMara, non Mme Bowker. Mme Bowker était un témoin très crédible. Son témoignage était très circonstancié, si l’on tient compte du fait qu’elle témoignait sur des faits qui s’étaient produits environ dix ans auparavant. La Cour n’a aucune raison de douter de la sincérité du témoignage de Mme Bowker et elle retient donc son souvenir des faits, en l’absence de preuve contraire.

[29] L’avocat de l’intimée soutient que Mme Bowker ne peut échapper à toute responsabilité au titre du paragraphe 163(2) de la LIR du seul fait qu’elle n’a pas signé la déclaration de revenus modifiée. Le fait qu’elle n’a pas signé la déclaration n’est pas pertinent en l’espèce, car la Cour a conclu que Mme Bowker n’a pas vu la déclaration de revenus modifiée et n’a pas participé à sa préparation. En ce qui concerne l'affaire Stein c. La Reine [8] , citée à l’appui des observations de l’intimée, il convient d’opérer une distinction avec la présente espèce car, en ce qui concerne l'affaire Stein, la Cour a conclu que le contribuable avait participé à la préparation de la déclaration et que celle-ci avait été produite suivant ses instructions.

[30] Cela étant dit, Mme Bowker a dit à la Cour qu’elle se rappelait avoir signé le formulaire Demande d’un numéro d’entreprise (formulaire RC1) et le formulaire Consentement de l’entreprise (formulaire RC59). DeMara a utilisé ces documents pour obtenir un numéro d’entreprise et un numéro de compte pour une entreprise de services-conseils pour Mme Bowker [9] . Comme les faux énoncés dans la déclaration de revenus modifiée portaient sur des pertes relatives à une entreprise et qu'il ressort des éléments de preuve que Mme Bowker n’a jamais subi de telles pertes, la Cour convient avec l’intimée qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’en signant les formulaires de demande de numéro d’entreprise et de consentement de l’entreprise Mme Bowker a participé aux faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010.

[31] Par conséquent, notre Cour doit déterminer si Mme Bowker a participé sciemment à la confection de ces faux énoncés ou si elle l’a fait dans des circonstances équivalant à faute lourde.

B. Mme Bowker a-t-elle sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, participé à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010?

1. Mme Bowker a-t-elle sciemment participé à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010?

[32] L’exigence relative à la connaissance, prévue par le paragraphe 163(2) de la LIR, peut être satisfaite si le ministre établit, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Bowker savait qu’elle participait à la confection de faux énoncés ou qu’elle prévoyait y participer [10] . Cette exigence peut également être satisfaite si le ministre établit que Mme Bowker a fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de ces faux énoncés [11] .

a) Mme Bowker savait-elle qu’elle participait à la confection de faux énoncés ou prévoyait-elle y participer?

[33] Les documents utilisés par DeMara pour faire les faux énoncés dans la déclaration de revenus modifiée de Mme Bowker pour l’année 2010 sont les documents qui se trouvaient dans la « trousse d’adhésion » et les documents que M. Bowker a remis à DeMara lors de la deuxième visite de M. et Mme Bowker aux bureaux de DeMara.

[34] En ce qui concerne les documents compris dans la « trousse d’adhésion », selon le témoignage de Mme Bowker, M. Bowker lui a demandé de signer ces documents afin qu’elle puisse avoir recours aux services de DeMara. Durant son témoignage, Mme Bowker a déclaré qu’elle avait signé les documents de la « trousse d’adhésion » et qu’elle croyait que ces documents faisaient partie de la procédure à suivre pour retenir les services de DeMara. Il ne ressort d'aucun élément de preuve qu’elle savait que DeMara utiliserait ces documents pour faire de faux énoncés dans sa déclaration de revenus modifiée ou qu’elle voulait que ces documents soient utilisés à cette fin.

[35] Quant aux documents produits par M. Bowker à DeMara, il ressort des éléments de preuve que c’est M. Bowker, et non Mme Bowker, qui a réuni ces documents et les a remis à DeMara. Mme Bowker ne pouvait donc pas savoir que ces documents serviraient à la confection de faux énoncés, ni ne voulait qu'ils soient utilisés à cette fin.

[36] Ayant établi que Mme Bowker ne savait pas qu’elle participait à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010, ni n'avait l'intention de le faire, la Cour doit rechercher si Mme Bowker a fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de ces faux énoncés.

b) Mme Bowker a-t-elle fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard des faux énoncés?

[37] Dans l’arrêt Wynter, la Cour d’appel fédérale a défini la notion de l’aveuglement volontaire au regard du paragraphe 163(2) de la LIR comme suit :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24 [12] [...]

[Non souligné dans l’original.]

[38] Dans l’arrêt Wynter, la Cour d’appel fédérale a également observé que l’ignorance volontaire est établie en fonction de l’état d’esprit subjectif du contribuable [13] . La Cour a fait l’observation suivante : « [...] l’ignorance volontaire repose sur la conclusion [de la cour] selon laquelle le contribuable a délibérément décidé de ne pas se renseigner afin d’éviter de vérifier ce qui pourrait être une vérité gênante [14] ». La Cour a également observé que l’élément factuel essentiel de l’ignorance volontaire consiste en une conclusion que le contribuable a délibérément ignoré les faits, étant donné que cette expression « suggère l’idée d’[traduction] “un processus réel de suppression des soupçons” [15] ».

[39] Dans la décision Peck c. La Reine [16] , notre Cour a ainsi défini la notion de connaissance subjective au regard du paragraphe 163(2) de la LIR :

[44] Comme l’indique également l’arrêt Wynter, la connaissance subjective de l’appelant peut être prouvée au moyen d’éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a fait preuve d’ignorance volontaire quant à la véracité des énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande. Il s’agit là d’une précision utile sur le fait que l’ignorance volontaire permet d’imputer une connaissance subjective à l’appelant et que l’ignorance volontaire et la faute lourde sont des concepts juridiques différents.

[45] Pour établir l’ignorance volontaire, la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait subjectivement que les faux énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande étaient probablement faux, mais qu’il a délibérément choisi de ne pas se renseigner davantage parce qu’il savait subjectivement ou soupçonnait fortement que s’il se renseignait, il saurait que les énoncés étaient effectivement faux (voir les arrêts Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, à la page 584, R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55 aux paragraphes 102 et 103, et Briscoe c. La Reine, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, aux paragraphes 21 à 23). Le critère de l’ignorance volontaire est résumé comme suit dans l’arrêt Wynter :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21. [...]

[46] La connaissance subjective qui est requise pour justifier une conclusion de connaissance réelle ou d’ignorance volontaire renvoie à la connaissance réelle ou subjective de la personne qui commet l’acte prohibé et non à la connaissance objective ou présumée de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances (voir, de façon générale, les arrêts Shand v. The Queen Reine, 2011 ONCA 5, au paragraphe 188, et Roks v. The Queen, 2011 ONCA 526, au paragraphe 132).

[47] La connaissance subjective réelle et l’ignorance volontaire peuvent être établies par une preuve directe ou circonstancielle ou par une combinaison des deux. Pour déterminer s’il y a connaissance subjective réelle ou ignorance volontaire, il faut tenir compte de toutes les circonstances.

[48] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire, par opposition à la nature objective de la norme de la faute lourde, signifie que la conduite qui justifie une conclusion d’ignorance volontaire peut étayer une conclusion de faute lourde, mais que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Par exemple, le fait que, dans les mêmes circonstances, la personne raisonnable se serait renseignée davantage ne permet pas de conclure à l’ignorance volontaire, mais peut justifier une conclusion de faute lourde. Dans l’arrêt Briscoe, la Cour suprême du Canada explique cette distinction comme suit :

[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [traduction] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « [ignorance] volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[traduction] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [traduction] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».

[49] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire signifie également que les qualités personnelles de la personne peuvent être prises en compte pour déterminer si elle a fait preuve d’ignorance volontaire.

[40] Il y aura donc aveuglement volontaire si l’intimée prouve, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Bowker subjectivement craignait ou soupçonnait que DeMara puisse faire de faux énoncés dans sa déclaration de revenus, mais qu’elle a choisi de ne pas se renseigner davantage. Pour établir que Mme Bowker subjectivement craignait ou soupçonnait que DeMara puisse faire de faux énoncés dans sa déclaration de revenus, l’intimée doit d’abord établir l’existence de circonstances douteuses, circonstances que les tribunaux qualifient de « signaux d’alarme ». L’intimée doit ensuite établir que, vu ces circonstances douteuses, ou « signaux d’alarme », Mme Bowker était tenue de se renseigner sur l’exactitude de sa déclaration.

[41] Dans la décision Torres c. La Reine [17] , notre Cour a recensé un certain nombre de circonstances qui peuvent être considérées comme des « signaux d’alarme » :

i) l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii) le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii) l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv) les demandes inusitées du spécialiste;

v) le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi) les explications inintelligibles du spécialiste;

vii) le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

[42] Ce ne sont que des exemples de circonstances dont la Cour peut tenir compte. Que les circonstances précitées constituent ou non des « signaux d’alarme », cela dépend des circonstances propres à chaque affaire. Bien sûr, il existe également d’autres circonstances dont notre Cour peut tenir compte pour établir l’aveuglement volontaire [18] .

[43] En l’espèce, notre Cour a conclu que Mme Bowker n’a pas fait preuve d’aveuglement volontaire. La Cour a conclu que les soi-disant « signaux d’alarme » ou « feux rouges clignotants », décrits par l’intimée dans ses observations, n’étaient pas suffisants pour conclure que Mme Bowker a fait preuve d’aveuglement volontaire. Si l’on se fie au témoignage et aux qualités personnelles de Mme Bowker, l'on peut conclure que les « signaux d’alarme » mentionnés par l’intimée n’ont pas donné à Mme Bowker d’indications selon lesquelles elle devait se renseigner davantage sur l’exactitude de sa déclaration. La Cour résumera et commentera les observations faites par l’intimée à l’égard de chacun des soi-disant « signaux d’alarme » qu’elle a soulevés.

Importance de l’avantage

[44] L’intimée soutient que, puisque DeMara a envoyé par courriel un avis de remboursement d’impôt à M. Bowker, il est plus que probable que ce dernier a informé Mme Bowker qu’elle recevrait un remboursement, puisque c’est la raison pour laquelle ils avaient retenu les services de DeMara. L’intimée soutient en outre qu’il s’agissait d’un avantage important, et que l’on pourrait en dire autant des pertes d’entreprise et des pertes en capital réclamées dans la déclaration de revenus modifiée.

[45] La Cour convient avec l’intimée que ces avantages étaient importants. Cependant, pour que la Cour retienne l’ensemble des observations de l’intimée sur ce point, il faudrait qu’elle écarte le témoignage de Mme Bowker. Mme Bowker a clairement indiqué à la Cour que M. Bowker ne lui avait pas dit qu’elle aurait droit à un remboursement. Mme Bowker a également dit à la Cour que DeMara n’avait jamais promis à M. Bowker que Mme Bowker pourrait obtenir un remboursement d’impôt. Vu le témoignage rendu par Mme Bowker et le fait que la Cour a établi qu’elle était un témoin crédible, la Cour ne peut considérer l’importance de l’avantage comme un « signal d’alarme ».

Flagrance du faux énoncé

[46] L’intimée fait valoir que le formulaire de demande de numéro d’entreprise que Mme Bowker a signé constituait un « signal d’alarme ». La Cour convient avec l’intimée que demander à un contribuable de signer un formulaire de demande de numéro d’entreprise, alors que ce contribuable n’a pas d’entreprise, peut constituer un « signal d’alarme ». Cependant, en l’espèce, ce « signal d’alarme » n’a pas donné à Mme Bowker une indication selon laquelle elle devait se renseigner davantage sur l’exactitude de sa déclaration. Mme Bowker a témoigné qu’elle croyait qu’elle ne faisait que coopérer et suivre le processus mis en place par DeMara, en remplissant le formulaire de demande de numéro d’entreprise. Cela n’a soulevé aucun doute dans son esprit ni ne l’a amenée à croire qu’elle demandait un numéro d’entreprise à des fins fiscales pour une entreprise qui n’existait pas, car elle croyait que cela faisait partie du processus. Durant son témoignage, Mme Bowker a déclaré qu’elle et M. Bowker ont un niveau de confiance assez élevé envers les autres [19] . Tenant compte des qualités personnelles de Mme Bowker et des explications crédibles qu’elle a produites, la Cour a jugé que le fait que l’on ait demandé à Mme Bowker de signer un formulaire de demande de numéro d’entreprise ne l’a pas amenée à penser qu’elle devait chercher à obtenir plus de renseignements.

Demandes inusitées du spécialiste

[47] L’intimée fait valoir que le fait que DeMara a demandé à Mme Bowker de signer une entente de confidentialité et un formulaire d’adhésion à la Serenity Bound Society constituait des demandes inusitées. Cette demande a été faite immédiatement après la première rencontre entre M. Bowker et un employé de DeMara et immédiatement après que M. Bowker eut recommandé à Mme Bowker de faire affaire avec DeMara. Il a été rappelé à la Cour que, durant son témoignage, Mme Bowker a déclaré que jamais auparavant un spécialiste en déclarations de revenus ne lui avait demandé de signer de tels formulaires.

[48] La Cour convient qu’il s’agissait de demandes inusitées et que demander la signature de ces documents aurait pu lancer un « signal d’alarme ». Cependant comme Mme Bowker avait une confiance absolue en la capacité de M. Bowker de s’occuper de ses affaires fiscales et qu’elle se trouvait dans les bureaux de DeMara lorsqu’elle a signé les documents, lesquels bureaux ressemblaient à ceux de n’importe professionnel en déclarations de revenus, elle n’a pas jugé nécessaire de poser des questions et elle s’est fiée plutôt à la recommandation de M. Bowker. Là encore, en tenant compte des qualités personnelles de Mme Bowker et de ses explications crédibles, la Cour a conclu que le fait que l’on a demandé à Mme Bowker de signer une entente de confidentialité et un formulaire d’adhésion à la Serenity Bound Society n’était pas un signe indiquant à Mme Bowker qu’elle devait se renseigner davantage sur l’exactitude de sa déclaration.

[49] L’intimée fait aussi valoir que l’affiche à connotation religieuse, qui était apposée sur la porte des bureaux de DeMara, aurait dû éveiller les soupçons de Mme Bowker. Cependant, comme la Cour n’a pas vu cette affiche, ni n’en a obtenu de description précise, il lui est impossible de conclure que cette affiche constituait un « signal d’alarme ».

Le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable

[50] Dans ses observations, l’intimée soutient que le fait que Mme Bowker ne connaissait pas DeMara constituait un « signal d’alarme ». L’intimée soutient en outre que le fait que DeMara avait été recommandé à M. Bowker par une personne que M. et Mme Bowker ne connaissaient pas très bien constituait un autre « signal d’alarme ». Il est soutenu que le fait que la déclaration de revenus initiale de Mme Bowker pour l’année 2010 avait été produite par M. Couch, sans « incident », et que Mme Bowker n’a pas questionné M. Bowker ou DeMara pour savoir comment le « processus » de DeMara lui permettrait d’obtenir des déductions qu’elle n’avait pu réclamer avant, témoignent d’un aveuglement volontaire.

[51] La décision d’un contribuable d’embaucher un spécialiste qu’il ne connaît pas, en se fiant uniquement à des références, n’est pas inusitée et ne constitue habituellement pas un « signal d’alarme ». On peut en dire autant de la décision d’un contribuable d’embaucher un nouveau spécialiste en fonction de ses prétentions selon lesquelles il pourrait obtenir un remboursement d’impôt qu’un autre spécialiste ne pourrait obtenir. Il est fort possible que de telles situations puissent être considérées comme des « signaux d’alarme » dans certains cas, mais tel n’est pas le cas en l’espèce. M. et Mme Bowker ont fait preuve de diligence raisonnable. Avant d’embaucher DeMara, ils se sont rendus sur place pour voir les bureaux de DeMara et s’assurer qu’il s’agissait de spécialistes en déclarations de revenus. Deux témoins ont déclaré à la Cour que les bureaux de DeMara ressemblaient à ceux de n’importe quel autre cabinet de professionnels en déclarations de revenus. De plus, le fait que M. Bowker avait déjà embauché un comptable, M. Couch, semble indiquer que, lorsqu’il le jugeait nécessaire, il faisait appel à des professionnels pour remplir les déclarations de revenus du couple, agissant ainsi comme un contribuable diligent. La Cour a conclu que le fait que Mme Bowker ne connaissait pas DeMara, que le cabinet DeMara avait été recommandé par une personne que M. et Mme Bowker ne connaissaient pas très bien et que DeMara avait fait des représentations selon lesquelles Mme Bowker pourrait peut-être obtenir un remboursement d’impôt, ne constituaient pas des « signaux d’alarme » en l’espèce.

[52] Enfin, dans ses observations écrites, l’intimée a beaucoup insisté sur le fait que Mme Bowker n’a posé aucune question au sujet du « processus » de DeMara. L’intimée a fait valoir que, lorsqu’un spécialiste propose d’utiliser un « processus spécial », cela constitue un « signal d’alarme ». Le mot « processus » est celui que Mme Bowker a utilisé durant son témoignage pour faire référence aux documents qu’elle a dû signer pour pouvoir retenir les services de DeMara ou au travail que DeMara ferait en son nom. Elle ne l’a pas utilisé pour décrire un « processus spécial ». M. Bowker a simplement dit à Mme Bowker que DeMara examinerait sa déclaration de revenus pour voir si elle avait droit à d’autres déductions et à un remboursement d’impôt. Aucune promesse ne lui a été faite et aucun « processus spécial » n’a été mentionné. Mme Bowker n’avait donc aucune raison de poser des questions sur le processus utilisé par DeMara.

[53] En conclusion, en se fondant sur les observations faites précédemment au sujet des présumés « signaux d’alarme » et sur les faits énoncés ci-après, la Cour conclut que Mme Bowker n’a pas fait preuve d’aveuglement volontaire :

  • 1- Mme Bowker est une personne instruite et intelligente, qui s’exprime bien, mais il ne ressort d'aucun élément de preuve qu’elle avait des connaissances particulières en fiscalité ou comptabilité; durant toute sa vie active, elle s’est fiée à M. Bowker pour la production de ses déclarations de revenus;

  • 2- Mme Bowker avait une confiance absolue en la capacité de M. Bowker de s’occuper de ses affaires fiscales, même si M. Bowker devait pour cela faire appel à une aide extérieure pour remplir ses déclarations de revenus;

  • 3- Les bureaux de DeMara ressemblaient à ceux de n’importe quel spécialiste en déclarations de revenus;

  • 4- Mme Bowker n’a pas eu l’occasion d’examiner sa déclaration de revenus modifiée avant qu’elle soit envoyée à l’ARC;

  • 5- Mme Bowker n’a pas reçu de courriels de DeMara, ni n’a eu de communication directe avec DeMara;

  • 6- Mme Bowker n’a participé à aucune conférence téléphonique ou séance d’information de DeMara;

  • 7- Mme Bowker n’a remis aucun document à DeMara, à part les documents de la « trousse d’adhésion » qu’elle a signés;

  • 8- Durant son témoignage, Mme Bowker a déclaré qu’elle ne craignait pas ni ne soupçonnait que DeMara puisse faire de faux énoncés dans sa déclaration de revenus.

[54] La Cour conclut donc que Mme Bowker n’a pas sciemment participé à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010.

2. Mme Bowker a-t-elle, dans des circonstances équivalant à faute lourde, participé à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010?

[55] Dans l’arrêt Wynter, la Cour d’appel fédérale a défini la faute lourde au regard du paragraphe 163(2) de la LIR comme suit :

[18] La faute lourde se distingue de l’ignorance volontaire. Elle se manifeste lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un contribuable raisonnable. En termes simples, alors que le contribuable volontairement ignorant savait, le contribuable coupable d’une faute lourde aurait dû savoir.

[19] La faute lourde nécessite un plus haut degré de négligence que la simple absence de diligence raisonnable. Elle correspond à un écart marqué ou important par rapport à la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre. Elle va au-delà de l’inattention ou des fausses déclarations. Ce point est expliqué dans le jugement de la Cour dans Zsoldos c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 338, au paragraphe 21, 2004 D.T.C. 6672 :

Lorsqu’il détermine les pénalités pour faute lourde, le ministre doit prouver l’existence d’un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. (Voir Venne c. Sa Majesté La Reine [1984], A.C.F. no 314, 84 D.T.C. 6247, p. 6256 (C.F. 1re inst.).)

[Non souligné dans l’original.]

[56] Dans l’arrêt Wynter, la Cour d’appel fédérale a également observé que le critère à appliquer pour déterminer s'il y a eu faute lourde de la part du contribuable est un critère objectif. La Cour a défini ce critère comme suit :

[21] Bien que des facteurs subjectifs puissent entrer en jeu dans l’une ou l’autre de ces évaluations, la faute lourde s’établit en recourant à un critère objectif. Plus particulièrement, lorsqu’il y a allégation de faute lourde, je m’attendrais à ce que l’on examine la question de savoir si la conduite en question du contribuable s’écarte de façon tellement marquée de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre qu’elle correspond à un haut degré de négligence qui peut être qualifié d’écart marqué par rapport aux normes, aux pratiques et à la diligence raisonnable attendues de la part d’un contribuable responsable. La mise en garde exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Guindon, au paragraphe 61, s’applique tout autant en l’espèce : ces pénalités « vise[nt] à sanctionner une conduite grave, non la négligence ordinaire ou la simple erreur ».

[Non souligné dans l’original.]

[57] La Cour doit donc rechercher si la conduite de Mme Bowker s’est écartée de façon tellement marquée de celle à laquelle on est en droit de s’attendre d’un contribuable raisonnable et responsable qu’elle peut être qualifiée d’écart marqué par rapport aux normes, aux pratiques et à la diligence raisonnable attendues de la part d’un tel contribuable. La Cour doit garder à l’esprit que le paragraphe 163(2) de la LIR vise uniquement la conduite grave, et non la négligence ordinaire ou les simples erreurs.

[58] La Cour a conclu que Mme Bowker a fait preuve de négligence. Elle aurait dû demander à M. Bowker pourquoi elle devait signer un formulaire de demande de numéro d’entreprise, une entente de confidentialité et un formulaire d’adhésion à la Serenity Bound Society. Elle aurait également dû questionner M. Bowker sur la nature du travail fait par DeMara. Cela étant dit, durant toute la période pertinente, elle a suivi les recommandations de M. Bowker, une personne en qui elle avait une confiance absolue. Avant 2010, M. Bowker s’était toujours chargé de la préparation des déclarations de revenus de Mme Bowker. Rien n’indique que Mme Bowker a eu des problèmes de nature fiscale avant 2010, en utilisant les « services » de M. Bowker. Par conséquent, il n’y a aucune raison de croire qu’un contribuable raisonnable et responsable, se trouvant dans une situation comparable à celle de Mme Bowker, n’aurait pas eu, lui aussi, une confiance totale en les « services » de M. Bowker. Il était, après tout, un membre de la famille digne de confiance. De plus, avant la production de sa déclaration de revenus modifiée, Mme Bowker ne disposait d’aucun renseignement qui aurait pu l’amener à croire que DeMara n’était pas un spécialiste en déclarations de revenus légitime ou que DeMara produirait en son nom une déclaration de revenus modifiée qui contiendrait de faux énoncés.

[59] En conclusion, la Cour conclut que, bien que Mme Bowker ait commis quelques erreurs, sa conduite ne s’est pas écartée sensiblement de celle à laquelle on est en droit de s’attendre d’un contribuable raisonnable et responsable dans les circonstances. La Cour conclut donc que Mme Bowker n’a pas, dans des circonstances équivalant à faute lourde, participé à la confection des faux énoncés contenus dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010.

[60] La Cour discutera maintenant certaines autres observations écrites de l’intimée. La Cour ne les discutera pas toutes, simplement parce que certaines d’entre elles ne sont pas corroborées par les faits ou parce que la jurisprudence citée par l’avocat de l'intimée appelle des distinctions en l'espèce.

Défaut de Mme Bowker d’appeler M. Bowker à témoigner

[61] L’avocat de l’intimée soutient que la Cour doit tirer une conclusion défavorable à Mme Bowker, car elle n’a pas cité M. Bowker à témoigner. Selon l’intimée, Mme Bowker aurait dû citer M. Bowker à témoigner pour corroborer certains faits, compte tenu du rôle central qu’il a joué dans sa collaboration avec DeMara. Il est soutenu que Mme Bowker n’a pas cité M. Bowker à témoigner, car son compte rendu des événements n’aurait pas corroboré le sien. Enfin, il est soutenu que : [TRADUCTION] « [...] la non-citation de [M. Bowker] doit influer de manière défavorable sur le poids et la crédibilité de son compte rendu, un compte rendu si incroyable et si peu vraisemblable que [Mme Bowker] aurait appelé son époux à témoigner pour corroborer son témoignage, si celui-ci avait été sincère [20] ».

[62] La Cour ne tirera pas une telle conclusion, et ce, pour plusieurs raisons, notamment le risque manifeste d’inverser le fardeau de la preuve et de nuire aux choix stratégiques qui s’offrent aux parties en matière de contentieux [21] . La Cour ne devrait tirer une conclusion défavorable que dans les cas où le témoignage de la personne qui n’a pas été citée aurait été supérieur à d’autres témoignages semblables [22] . Tel n’est pas le cas en l’espèce. Personne n’est mieux placé que Mme Bowker elle-même pour témoigner sur sa connaissance des activités de DeMara et sur les circonstances qui auraient pu éveiller des soupçons chez elle. De plus, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, selon le paragraphe 163(3) de la LIR, c’est à l’intimée qu’il incombe d’établir les faits justifiant l’imposition d’une pénalité au titre du paragraphe 163(2) de la LIR. La Cour aurait certainement apprécié que l’intimée appelle M. Bowker à témoigner, mais l’intimée a choisi de ne pas le faire. Ce choix appartenait à l’intimée, mais celle-ci ne peut certainement pas se plaindre de l’absence de témoignage de M. Bowker alors qu’elle aurait pu le citer à témoigner mais qu’elle a délibérément choisi de ne pas le faire, surtout lorsqu’on tient compte du fait que l’intimée a déclaré dans ses observations écrites que M. Bowker avait joué un rôle central dans la décision de Mme Bowker de retenir les services de DeMara. Alors pourquoi l’intimée n’a-t-elle pas cité M. Bowker à témoigner? Elle avait peut-être une bonne raison, mais la Cour n’en a pas été informée.

Dépendance de Mme Bowker envers un membre de la famille digne de confiance

[63] Citant la jurisprudence Bonhomme c. La Reine [23] , l’intimée soutient que la loi ne permet pas à Mme Bowker d’utiliser M. Bowker comme « bouclier » pour se soustraire à ses responsabilités et obligations aux termes de la LIR. La Cour rejette cette thèse. La Cour estime qu’il est possible pour un contribuable, dans certaines circonstances, de se soustraire à l’application du paragraphe 163(2) de la LIR en se fiant à un tiers pour s’occuper de ses affaires fiscales, par exemple lorsque le contribuable se fie en toute honnêteté à un comptable ou à un membre de la famille digne de confiance. Notre Cour a déjà conclu que cela était possible dans la décision Mahdi c. La Reine [24] , une décision que l’intimée a porté à l’attention de la Cour. En l’espèce, il ressort de la preuve que Mme Bowker s’est fiée en toute honnêteté à son époux, qui était un membre de la famille digne de confiance.

[64] En ce qui concerne l'affaire Bonhomme, le ministre a établi de nouvelles cotisations relativement à plusieurs années d’imposition de l’appelante, par lesquelles étaient refusées certaines dépenses qu’elle avait réclamées, étaient inclus des avantages conférés à un actionnaire dans son revenu et lui étaient imposées des pénalités pour faute lourde [25] . Dans cette affaire, il semble que, dans l’ensemble, Mme Bonhomme n’ait pas témoigné pour son propre compte et que le seul témoignage à l’appui de son appel a été rendu par son époux [26] . La Cour n’a pas conclu que le témoignage de son époux était fiable [27] . La Cour a observé que Mme Bonhomme avait très peu témoigné et que, lors du procès, Mme Bonhomme avait affirmé qu’elle s’était fiée à son époux pour préparer ses déclarations de revenus, qu’elle croyait qu’il l’avait fait correctement et qu’elle n’avait pas examiné ses déclarations de revenus, se contentant de les signer. La Cour a également conclu que Mme Bonhomme avait fait preuve d’indifférence quant à savoir si elle s’était conformée ou non à la LIR, qu’elle avait produit ses déclarations de revenus en retard pendant quatre des cinq années en cause, qu’elle avait regroupé inutilement ses affaires et celles de son entreprise, que ni elle ni son entreprise n’avaient tenu les livres et les registres appropriés qui lui auraient permis d’établir ses revenus, qu’elle n’a produit les déclarations de revenus de son entreprise que lorsqu’une ordonnance de la cour l’y a obligée, sous peine d’emprisonnement, qu’elle savait que des montants importants étaient déposés dans son compte bancaire personnel, et que ni elle ni son entreprise ne produisaient de déclarations de revenus et qu’elles avaient été pressées de le faire par le ministre [28] .

[65] Compte tenu de toutes ces conclusions de la Cour, on peut facilement opérer une distinction entre l’affaire Bonhomme et la présente espèce. Ces deux affaires n’ont pratiquement rien en commun. En l’espèce, par exemple, M. Bowker n’a pas témoigné et Mme Bowker a fait un témoignage très détaillé lors du procès. Contrairement à Mme Bonhomme, Mme Bowker n’a pas fait preuve d’indifférence quant à savoir si elle se conformait ou non à la LIR et il ne ressort d'aucun élément de preuve que Mme Bowker a produit des déclarations de revenus en retard.

Déclarations de DeMara à l’égard de l’expérience professionnelle de Mme Stancer et connaissance alléguée de Mme Bowker du « processus spécial » utilisé par DeMara pour la préparation de sa déclaration de revenus

[66] L’intimée cite également la décision Brathwaite c. La Reine [29] . En ce qui concerne cette affaire, la contribuable ne connaissait pas le spécialiste et elle s’est fiée à la recommandation que son époux avait reçue d’une connaissance. Mme Brathwaite a retenu l’affirmation du spécialiste qui disait avoir été au service de l’ARC, où il avait acquis une expertise spéciale lui permettant d’offrir à ses clients les moyens de réduire leur fardeau fiscal en utilisant ce qu’il a qualifié de « techniques peu connues ». Dans la décision Brathwaite, la Cour a conclu que Mme Brathwaite aurait dû s’informer davantage, et notre Cour ne peut que présumer que la mention des « techniques peu connues » constituait un « signal d’alarme ». Notre Cour n’est pas d'avis qu’il y a « signal d’alarme » simplement parce qu’un spécialiste a été au service de l’ARC et dit à un contribuable qu’il a une bonne compréhension ou une compréhension spéciale de la LIR. La mention, par un spécialiste, d’un « processus spécial » ou de « techniques peu connues » peut constituer un « signal d’alarme » selon les circonstances, notamment selon le niveau de compétence du contribuable, mais tel n’est pas toujours le cas. Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve en l’espèce ne portent pas que M. Bowker a dit à Mme Bowker que DeMara utilisait un « processus spécial » ou connaissait des « techniques peu connues ». Le fait que Mme Stancer avait déjà été au service de l’ARC pourrait en fait être considéré comme étant à l’opposé d’un « signal d’alarme » et être davantage perçu comme une bonne chose; ce fait pourrait avoir accru la confiance du contribuable qui utilisait les services de DeMara pour la première fois.

La conduite de Mme Bowker après la production de la déclaration de revenus modifiée

[67] L’intimée soutient que la conduite du contribuable après la production d’une déclaration de revenus peut être servir à lui imputer une faute morale au moment de la production de la déclaration, comme l’exige le paragraphe 163(2) de la LIR. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’était légitime de cet élément de preuve à cet égard [30] . Bien qu’il soit possible d’établir la faute de cette façon, tout cela dépend des circonstances.

[68] En l’espèce, l’avocat de l'intimée soutient que la conduite de Mme Bowker après la production de la déclaration de revenus modifiée témoigne d’une indifférence continue et d’un manque de responsabilité à l’égard de ses propres affaires fiscales. Il fait valoir [traduction] qu’« [a]près avoir reçu des demandes de renseignements de l’ARC et réalisé que DeMara avait produit une déclaration modifiée qui contenait de faux énoncés concernant des centaines de milliers de dollars en pertes d’entreprise fictives, [Mme Bowker] a déclaré durant son témoignage qu’elle a continué de confier la responsabilité de ses affaires fiscales à son époux et à d’autres personnes qu’elle ne connaissait même pas, qu’elle n’avait jamais rencontrées ou à qui elle n’avait jamais parlé [31] ». L’avocat de l'intimée soutient en outre [traduction] qu’« [e]lle a prétendument continué de signer des documents sans les lire ou sans faire l’effort d’en comprendre le contenu, [et que, si] la Cour juge que cela est véridique, il s’agit alors d’une preuve accablante d’un schéma d’aveuglement volontaire et de faute lourde [32] ».

[69] La Cour ne peut retenir la conclusion de l’avocat. Bien qu'il ressort des éléments de preuve que Mme Bowker a continué de faire confiance à M. Bowker et à sa manière de s’occuper de ses affaires fiscales, notamment par l’envoi de plusieurs lettres à l’ARC au nom de Mme Bowker après qu'elle eut découvert que DeMara avait produit une déclaration de revenus modifiée, cela ne prouve pas qu’elle a fait preuve d’aveuglement volontaire ou qu’elle a commis une faute lourde au moment de la production de la déclaration de revenus modifiée ou avant. La Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve sur les circonstances qui ont amené Mme Bowker à continuer de faire confiance à son époux, ou sur les circonstances entourant la préparation des lettres envoyées à l’ARC après la production de la déclaration de revenus modifiée, pour statuer sur cette question.

VII. CONCLUSION

[70] La Cour conclut que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Bowker n’a pas, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010, ni y a participé, consenti ou acquiescé.

[71] Par conséquent, il n’était pas justifié pour le ministre d’imposer à Mme Bowker une pénalité pour faute lourde de 139 032 $ à l’égard de sa déclaration de revenus modifiée pour l’année 2010, en application du paragraphe 163(2) de la LIR. La pénalité pour faute lourde est donc annulée.

[72] Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mars 2021.

« Sylvain Ouimet »

Le juge Ouimet

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mai 2021.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 14

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1686(IT)G

INTITULÉ :

MARGO DIANNE BOWKER

c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 10, 11, 12 et 13 février 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Sylvain Ouimet

DATE DU JUGEMENT :

Le 2 mars 2021

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Alistair G. Campbell

Me Margaret MacDonald

Avocats de l’intimée :

Me Patrick Cashman

Me Natasha Tso

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Alistair G. Campbell

Me Margaret MacDonald

Cabinet :

Legacy Tax & Trust Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Transcription du 12 février 2020, témoignage de Mme Bowker, page 428, ligne 25.

[2] Transcription du 12 février 2020, témoignage de Mme Bowker, page 428, ligne 14.

[3] Transcription du 12 février 2020, témoignage de Mme Bowker, page 430, ligne 12.

[4] Transcription du 12 février 2020, témoignage de Mme Bowker, page 433, lignes 6 à 8.

 

[5] Transcription du 12 février 2020, témoignage de Mme Bowker, page 473, lignes 23 et 24.

 

[6] Voir Kim c. Canada, 2019 CAF 210, par. 15 et 16.

[7] Voir Peck c. La Reine, 2018 CCI 52, par. 41 et 42.

[8] Stein c. La Reine, 2015 CCI 176, par. 41.

[9] Recueil de documents de l’intimée, vol. 1, onglet 26.

[10] Wynter c. Canada, 2017 CAF 195, par. 17 (Wynter).

[11] Wynter, par. 13 et 17. Voir aussi Canada (Procureur général) c. Villeneuve, 2004 CAF 20, par. 6.

[12] Wynter, par. 13.

[13] Wynter, par. 12.

[14] Wynter, par. 17.

[15] Wynter, par. 17, citant R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, par. 24.

[16] Peck c. La Reine, 2018 CCI 52.

[17] Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, par. 65.

[18] Stone c. La Reine, 2019 CCI 253, par. 24. Wardlaw c. La Reine, 2019 CCI 199, par. 34.

[19] Transcription du 12 février 2020, témoignage de Mme Bowker, p. 442.

 

[20] Mémoire des faits et du droit du défendeur, par. 62.

[21] R. v. Degraw, 2018 ONCA 51, par. 31.

[22] Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 5e éd., (Toronto: LexisNexis, 2018), art. 6.471, p. 406 et 407, renvoyant à Chabot v. Chaube, 2014 BCSC 300, par. 143.

[23] Bonhomme c. La Reine, 2016 CCI 152, par. 56 [Bonhomme].

[24] Mahdi c. La Reine, 2018 CCI 149, par. 60 et 61.

[25] Bonhomme, par. 1.

[26] Bonhomme, par. 12 et 84.

[27] Bonhomme, par. 12 et 84.

[28] Bonhomme, par. 54 et 55.

[29] Brathwaite c. La Reine, 2016 CCI 29 [Brathwaite].

[30] Mullen c. Canada, 2013 CAF 101, par. 7.

[31] Mémoire des faits et du droit du défendeur, par. 71.

[32] Mémoire des faits et du droit du défendeur, par. 71.

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