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Dossier : 2018-1689(EI)

ENTRE :

LINDA TAGHLIAN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 15 janvier 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimé :

Me Gabriel Girouard

 

JUGEMENT

L’appel de la décision du ministre du Revenu national en ce qui concerne l’assurabilité de l’emploi de l’appelante auprès de 9249-7403 Québec inc. au cours de la période du 7 août 2017 au 30 novembre 2017 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’août 2019.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau


Référence : 2019 CCI 165

Date : 20190814

Dossier : 2018-1689(EI)

ENTRE :

LINDA TAGHLIAN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]  Il s’agit d’un appel de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) selon laquelle l’appelante n’occupait pas un emploi assurable aux termes des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la LAE) alors que l’appelante travaillait pour 9249-7403 Québec inc. au cours de la période du 7 août 2017 au 30 novembre 2017.

[2]  Le ministre était d’avis que l’appelante était liée à 9249-7403 Québec inc. parce que cette société était contrôlée par M. El-Khoury, son conjoint de fait, et que l’appelante avait un lien de dépendance avec 9249-7403 Québec inc. sans lequel, elle n’aurait pas conclu de contrat de travail à peu près semblable à celui qu’elle a dans les faits conclu.

[3]  Les alinéas 5(2)i) et 5(3)a) et b) de la LAE sont rédigés comme suit :

5(2)  N’est pas un emploi assurable :

[...]

  • (i) i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

[...]

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[4]  Pour prendre sa décision, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

  • a) le payeur exploitait une entreprise de services-conseils en TI;

  • b) l’entreprise du payeur exerçait ses activités toute l’année;

  • c) le payeur était une société;

  • d) le payeur a été constitué en société le 12 août 2011;

  • e) l’unique actionnaire du payeur était Simon El-Khoury (« M. El-Khoury »);

  • f) M. El-Khoury contrôlait les activités quotidiennes du payeur;

  • g) l’appelante était la conjointe de fait de M. El-Khoury;

  • h) l’appelante a été engagée par le payeur aux termes d’un contrat verbal;

  • i) l’appelante a été embauchée à titre d’employée de l’entreprise du payeur;

  • j) l’appelante et M. El-Khoury étaient les seuls employés du payeur;

  • k) l’appelante a été embauchée par le payeur pour fournir des services en tant qu’adjointe de direction;

  • l) le payeur a offert l’emploi à l’appelante parce qu’elle avait aidé l’entreprise dans le passé sans être rétribuée;

  • m) le payeur n’a pas examiné la candidature d’autres personnes pour le poste;

  • n) l’appelante a commencé à offrir ses services au payeur en 2013;

  • o) les tâches de l’appelante comprenaient celles qui suivent :

  • (i) vérification des documents;

  • (ii) recherche de clients potentiels en ligne;

  • (iii) organisation du bureau;

  • (iv) saisie de toutes les données;

  • (v) effectuer les opérations bancaires du payeur;

  • (vi) effectuer des commissions;

  • p) l’appelante exécutait ses tâches à partir de l’espace de bureau du payeur;

  • q) l’espace de bureau du payeur était situé à la résidence familiale de l’appelante;

  • r) le payeur a formé l’appelante suivant les besoins;

  • s) le comptable du payeur effectuait les tâches liées aux retenues à la source, à la TPS/TVH, aux comptes clients et aux comptes créditeurs, au paiement des salaires, aux états financiers et à la facturation;

  • t) l’appelante avait deux jeunes enfants nés en 2015 et en 2016;

  • u) au cours de la période, l’appelante prenait soin de ses enfants à la maison et à temps plein;

  • v) le payeur et l’appelante établissaient l’horaire de l’appelante;

  • w) l’appelante travaillait du lundi au vendredi, de 9 h à 18 h;

  • x) l’appelante travaillait 45 heures par semaine;

  • y) l’appelante travaillait à l’occasion en dehors des heures de travail habituelles ou la fin de semaine, au besoin;

  • z) l’appelante était disponible en tout temps à l’égard du payeur;

  • aa) l’appelante n’a pas consigné ses heures de travail;

  • bb) le payeur établissait la rétribution de l’appelante;

  • cc) l’appelante était payée 5 000 $ par mois;

  • dd) l’appelante était payée par chèque chaque mois;

  • ee) l’appelante était payée le même montant indépendamment du nombre d’heures qu’elle travaillait;

  • ff) l’appelante a reçu une prime du payeur s’élevant à 10 500 $;

  • gg) la prime a été remise à l’appelante alors que le payeur avait l’intention de mettre fin aux activités de l’entreprise;

  • hh) l’appelante utilisait une voiture de fonction pour effectuer les commissions à longueur d’année;

  • ii) l’appelante utilisait un téléphone cellulaire de l’entreprise à longueur d’année;

  • jj) la voiture et le téléphone cellulaire étaient payés par le payeur;

  • kk) l’appelante a pris un congé de maternité en 2015 et une nouvelle fois en 2016;

  • ll) alors qu’elle était en congé de maternité, le payeur n’a pas remplacé l’appelante;

  • mm) le payeur s’est acquitté des tâches de l’appelante alors qu’elle était en congé de maternité;

  • nn) l’appelante est revenue de congé de maternité en août 2017;

  • oo) au cours de la période, le payeur n’a pas déclaré de ventes;

  • pp) au cours de la période, le payeur n’avait pas de contrats avec des clients;

  • qq) selon les déclarations de TPS/TVH, l’entreprise du payeur n’a déclaré aucune vente depuis le 31 octobre 2016;

  • rr) l’appelante a été mise à pied en novembre 2017, car le payeur n’avait pas de travail;

  • ss) l’appelante a continué d’utiliser les outils de travail du payeur (p. ex., la voiture et le téléphone cellulaire) après la période;

  • tt) l’appelante a continué de fournir des services occasionnels au payeur au besoin après la période sans être rétribuée.


[5]  Mme Taghlian a témoigné à l’audience. Elle était d’accord avec toutes les hypothèses sur lesquelles le ministre s’est appuyé énumérées au paragraphe 8 de la réponse à son avis d’appel, excepté celles qui suivent :

  • a) à l’égard de l’hypothèse (l), elle a affirmé qu’elle avait aidé l’entreprise de son conjoint dans le passé, sans être rétribuée, mais que cela ne s’était pas fait de manière régulière;

  • b) elle a nié l’hypothèse (m), car son époux a interviewé d’autres personnes pour l’emploi;

  • c) elle a nié l’hypothèse (o)(v), car elle n’avait pas accès au compte bancaire et à la comptabilité de 9249-7403 Québec inc.

  • d) elle a nié l’hypothèse (u), car sa fille allait à la garderie en 2016;

  • e) en ce qui concerne les hypothèses  (v) et (x), elle a déclaré qu’elle travaillait habituellement de 9 h à 17 h tous les jours pour un total de 40 à 45 heures par semaine et à l’occasion le soir s’il fallait effectuer du travail supplémentaire;

  • f) à l’égard de l’hypothèse (ee), elle a déclaré qu’elle avait reçu une rétribution fixe de 5 000 $ par mois, mais qu’elle travaillait toujours plus de 40 heures par semaine;

  • g) en ce qui concerne les hypothèses (ff) et (gg), elle a déclaré que la prime de 10 500 $ avait été reçue en 2017 et elle l’a niée parce que 9249-7403 Québec inc. ne cessait alors pas ses activités;

  • h) les hypothèses (oo) et (qq) ont été ignorées, car elle ne savait pas si les énoncés étaient exacts;

  • i) l’hypothèse (pp) a été niée, car 9249-7403 Québec inc. avait toujours des contrats avec des clients;

  • j) à l’égard de l’hypothèse (rr), elle énonce qu’elle a été mise à pied en décembre 2017 et qu’elle a fait une demande de prestations d’assurance-emploi à la fin de décembre de cette année-là.

[6]  Au cours de son témoignage, Mme Taghlian a en outre expliqué qu’elle avait été en congé de maternité en 2015 et en 2016 et qu’elle avait reçu des prestations de maternité chacune de ces années. Elle a également déclaré que personne ne l’avait remplacée pendant qu’elle était en congé de maternité.

[7]  Mme Taghlian a décrit ses tâches comme comprenant la vérification de documents et leur traduction du français à l’anglais, la préparation de présentations à des clients potentiels, la recherche en ligne, la saisie de données, l’organisation du bureau, effectuer les commissions deux fois par semaine et un peu de tenue de livres. Elle se considérait comme une adjointe de direction bien que le comptable de 9249-7403 Québec inc. se chargeait des retenues à la source, des déclarations de la taxe sur les produits et services, des comptes créditeurs et des comptes clients, des états financiers et de la facturation des clients.

[8]  Dans l’exécution de ses tâches, elle utilisait toute l’année une voiture de fonction pour effectuer les commissions et un téléphone cellulaire de la société aux frais de la société.

[9]  En contre-interrogatoire, Mme Taghlian a reconnu qu’au cours des années 2016 et 2017, son conjoint avait été embauché comme employé à temps plein de la Banque Nationale du Canada et qu’il avait des contrats avec la banque depuis 2011. Elle a en outre affirmé qu’elle travaillait encore 40 heures par semaine pour 9249-7403 Québec inc. au cours des années 2016 et 2017 malgré la diminution du nombre de contrats.

[10]  Mme Claire Grant, une agente des décisions auprès de l’Agence de revenu du Canada (l’Agence), a témoigné à l’audience pour produire en preuve les documents qui suivent :

  • - le rapport de la décision demandé par Service Canada, décision ayant fait l’objet d’un appel et ayant été confirmée en l’espèce;

  • - la liste des relevés T4 émis par 9249-7403 Québec inc. de 2012 à 2017;

  • - les déclarations de la TPS/TVH de 9249-7403 Québec inc. indiquant les ventes du 31 août 2014 au 31 octobre 2018;

  • - le résumé des déclarations de revenus à l’égard des années d’imposition se terminant le 31 juillet 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017.


Analyse et conclusion

[11]  Il ressort clairement des faits que les parties avaient l’intention d’établir une relation d’employeur à employé et que l’appelante a été embauchée par 9249-7403 Québec inc. aux termes d’un contrat de service pour la période visée.

[12]  Il ressort également clairement que l’appelante avait un lien de dépendance avec 9249-7403 Québec inc. parce qu’elle était liée à son conjoint de fait qui était l’unique actionnaire de 9249-7403 Québec inc. Aux fins de l’impôt sur le revenu, l’appelante est liée à son conjoint de fait et à la société que son conjoint de fait contrôlait. Les personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance aux termes de l’alinéa 251(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[13]  Par conséquent, l’emploi de l’appelante auprès de 9249-7403 Québec inc. est exclus des emplois assurables aux termes de l’alinéa 5(2)i) de la LAE parce que l’appelante et 9249-7403 Québec inc. sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance au cours de la période visée.

[14]  L’alinéa 5(3)b) de la LAE prévoit une exception à la règle mentionnée ci-dessus. Il prévoit que l’employeur et l’employé sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[15]  Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt dans le cadre de l’appel d’une décision du ministre à l’égard des dispositions d’exclusion contenues aux paragraphes 5(2) et (3) de la LAE a été décrit par le juge en chef Richard (tel était alors son titre) de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Denis c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 26, dans les termes qui suivent :

[...] est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et les témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre paraît toujours raisonnable. Toutefois, le juge ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus [...]

[16]  L’analyse des faits relatifs au présent appel, y compris les témoignages et la preuve documentaire, ainsi que les modalités de l’emploi de l’appelante, révèle qu’aucun fait nouveau n’a été pris en compte par le ministre pour en arriver à sa décision et je constate que rien n’indique que les faits ont été mal compris ou mal appliqués par le ministre.

[17]  Un examen de toutes les circonstances de l’emploi de l’appelante, plus particulièrement les modalités, la rétribution et la nature et l’importance du travail effectué indiquent qu’il ne serait pas raisonnable de conclure que 9249-7403 Québec inc. aurait conclu un contrat de travail à peu près semblable avec une personne avec laquelle elle n’aurait pas eu de lien de dépendance.

[18]  Plus précisément, les modalités du contrat de travail de l’appelante qui suivent indiquent qu’elles n’étaient pas raisonnables :

  • - les heures de travail n’ont pas été consignées;

  • - le travail a été effectué au besoin et n’était pas nécessairement rétribué avant et après la période visée;

  • - l’appelante gardait au moins un de ses enfants tout en travaillant;

  • - l’appelante était plus disponible qu’une personne non liée;

  • - l’appelante a eu toute l’année l’usage d’un téléphone et d’une voiture appartenant à 9249-7403 Québec inc.;

  • - l’appelante a touché le salaire d’une adjointe de direction, mais ses tâches ne justifiaient pas une telle rétribution;

  • - en 2017, l’appelante a reçu une prime de 10 500 $ alors que 9249-7403 Québec inc. cessait ses activités; aucune vente et aucune TPS n’a été déclarée par 9249-7403 Québec inc. en 2017;

  • - le travail effectué par l’appelante n’était pas essentiel à 9249-7403 Québec inc., car au cours de ses deux congés de maternité, 9249-7403 Québec inc. n’a embauché personne pour la remplacer.

[19]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’août 2019.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 165

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1689(EI)

INTITULÉ :

LINDA TAGHLIAN c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 janvier 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 août 2019

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimé :

Me Gabriel Girouard

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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