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Dossier : 2018-276(IT)I

ENTRE :

876958 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 14 novembre 2018, à Hamilton (Ontario).

Devant : L’honorable juge Ronald MacPhee


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Bobbie A. Walker

Avocat de l’intimée :

Kevin Hong

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2013 et 2014 est accueilli dans son intégralité et les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que toutes les dépenses de location étaient raisonnables et encourues pour produire un revenu.

Les parties devront assumer leurs propres dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2018.

« R. MacPhee »

Juge MacPhee


Référence : 2018 CCI 253

Date : 20181214

Dossier : 2018-276(IT)I

ENTRE :

876958 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Juge MacPhee

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre des avis de nouvelle cotisation datés du 24 octobre 2017 concernant les années d’imposition 2013 et 2014, dans lesquels le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté une portion des dépenses de location réclamées par 876958 Ontario Limited. Les dépenses de location en question s’élèvent à 36 000 $ pour l’année d’imposition 2013 et à 147 000 $ pour l’année d’imposition 2014.

[2]  Les questions dont la Cour est saisie sont les suivantes :

a)  la question de savoir si toutes les dépenses de location en cause ont été engagées par l’appelante;

b)  si les dépenses ont été engagées, la question de savoir si elles ont été engagées dans le but d’obtenir ou de tirer un revenu d’une entreprise ou d’une propriété ou si, dans le cas contraire, l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») permettait de refuser la totalité ou une partie des dépenses de location réclamées;

c)  la question de savoir si une partie des dépenses de location réclamées par l’appelante chaque année était déraisonnable dans les circonstances et, par conséquent, non déductible en vertu de l’article 67 de la Loi.

Exposé des faits :

[3]  M. Alfred Dyck a témoigné au nom de l’appelante. Il est le dirigeant principal des finances de l’appelante et d’Alfco Holdings Inc. (« Alfco »). M. Dyck prend toutes les décisions à l’égard des deux parties. L’appelante et Alfco sont des personnes morales liées en vertu du paragraphe 251(2) de la Loi.

[4]  Depuis 2008 environ, M.Dyck œuvre dans le domaine de l’entreposage frigorifique. Cela consiste en grande partie à entreposer des aliments et du vin pour diverses entreprises. L’entreposage de ces produits se fait dans un bâtiment qui appartient désormais à Alfco et qui est situé sur le chemin Four Mile Creek, à Niagara-on-the-Lake (« chemin Creek »).

[5]  Avant décembre 2012, l’appelante louait les locaux du chemin Creek à une tierce partie, soit la Cannery Park Developments Inc. (« Cannery Park »). M. Dyck détenait une participation minoritaire dans Cannery Park. À ce moment-là, conformément à un contrat de location, l’appelante versait des loyers de 10 000 $ par mois à Cannery Park pour l’utilisation d’un espace de 34 000 pieds carrés. Cela revient à environ 3,53 $ le pied carré sur une base annuelle.

[6]  Le 12 décembre 2012, Alfco a acheté le bâtiment du chemin Creek. Tout de suite après l’achat, Alfco a fait passer la superficie du bâtiment de 34 000 pieds carrés à 43 000 pieds carrés. Alfco a également entrepris divers travaux afin de moderniser l’entrepôt, notamment en rénovant les locaux et en construisant de nouveaux congélateurs.

[7]  Suite à l’achat du bâtiment du chemin Creek en 2012, Alfco et l’appelante ont conclu un nouveau contrat de location le 28 décembre 2012. Ce contrat de location exigeait que l’appelante paie un loyer de 5 000 $ ainsi qu’un supplément de loyer afin de rembourser la dette de 421 000 $ contractée par la propriétaire dans le cadre des améliorations locatives entreprises par Alfco. Conformément aux modalités du contrat de location, le supplément de loyer devait être payé par la locataire [traduction] « selon la disponibilité des fonds ». Le contrat de location, qui devait être en vigueur pendant cinq ans, a été signé par M. Dyck au nom de toutes les parties.

[8]  C’est le caractère vague du nouveau contrat de location qui est à l’origine du conflit qui a porté cette affaire devant les tribunaux. La seule certitude que nous ayons quant aux montants de location dans le nouveau contrat est que l’appelante devait payer 5 000 $ par mois. Dans les faits, la locataire a payé 46 000 $ pour deux mois de location en 2013 et 207 000 $ pour douze mois de location en 2014. En 2014, conformément au nouveau contrat de location, l’appelante a payé un loyer équivalant à 4,81 $ le pied carré.

[9]  Au procès, M. Dyck n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi la propriétaire et la locataire ont conclu un contrat de location incluant un loyer de 5 000 $ par mois et un supplément indéterminé. Il s’est contenté de dire que la question [traduction] « est passée entre les mailles du filet ». M. Dyck a déclaré qu’il y a eu une entente verbale en 2013 et en 2014 dans le cadre de laquelle l’appelante s’est engagée à verser un supplément au loyer de 5 000 $ par mois.

[10]  À l’appui de la position de l’appelante voulant que les paiements de loyer étaient raisonnables, M. Dyck a déclaré qu’en 2013 et en 2014, l’appelante a dû louer de l’espace supplémentaire d’entreposage à une entreprise appelée Niagara Natural Fruit Storage. Pour cet espace, l’appelante a payé un loyer équivalant à 5 $ le pied carré.

[11]  Durant le procès, l’appelante a passé un temps considérable à expliquer les états du grand livre général, les relevés bancaires et divers documents financiers de l’appelante et d’Alfco. Ces documents ont été présentés au procès. Ces éléments de preuve servaient à démontrer que l’appelante a porté aux dépenses et versé 46 000 $ et 207 000 $ de loyer pour les années d’imposition 2013 et 2014 respectivement. De plus, ils ont démontré qu’Alfco avait perçu ces montants de l’appelante et les avait déclarés comme revenu dans ses états financiers. Compte tenu de ces éléments de preuve, qui n’ont pas été contredits au procès, je ne doute pas que les dépenses de location de 46 000 $ et 207 000 $ ont été engagées par l’appelante pour les années d’imposition 2013 et 2014 respectivement.

I. Analyse

[12]  Je peux facilement répondre aux deux premières questions en litige en faveur de l’appelante. Pour les motifs énoncés au paragraphe ci-dessus, je conclus que les dépenses de location réclamées par l’appelante ont été engagées.

[13]  Par rapport à la deuxième question, l’alinéa 18(1)a) de la Loi établit une restriction quant aux déductions permises dans le calcul du revenu d’un contribuable en interdisant la déduction de dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[14]  L’appelante a démontré que les dépenses de location en question ont été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Les services offerts par l’appelante consistaient à entreposer des aliments et du vin pour de tierces parties.

[15]  Afin de fournir ces services, l’appelante devait utiliser les installations du chemin Creek. Il y a un lien direct entre les dépenses de location engagées par l’appelante et le revenu généré par celle-ci. Il ne fait aucun doute que les dépenses de location ont été engagées pour produire un revenu.

[16]  L’argument de la Couronne au sujet de l’alinéa 18(1)a) est tout simplement le suivant : pourquoi un homme d’affaires raisonnable paierait-il les montants que l’appelante prétend avoir payés alors qu’il a signé un contrat de location qui ne l’oblige à payer que 5 000 $ par mois? L’appelante n’a jamais fourni de document ou de calcul pour appuyer le fait qu’elle payait plus que 5 000 $ par mois. Par conséquent, les montants payés par l’appelante en plus des 5 000 $ par mois n’auraient pas servi à produire des revenus.

[17]  Compte tenu du témoignage de M. Dyck, je ne peux souscrire à cet argument. Je reconnais que la somme totale qu’a versé l’appelante à titre de loyer à Alfco l’a été en vue de produire un revenu. L’appelante a effectué les paiements de loyer parce qu’elle avait besoin des installations pour exploiter son entreprise. De plus, j’accepte le témoignage de l’appelante qui se fonde sur l’expérience en affaires de M. Dick selon lequel les paiements de loyer étaient raisonnables.

[18]  Le témoignage de M. Dyck m’a convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante s’est engagée verbalement à verser 46 000 $ en 2013 et 207 000 $ en 2014 à Alfco en vertu de leur contrat de location. De plus, l’appelante a payé ces montants au cours des périodes visées ou peu de temps après.

[19]  Je dois maintenant déterminer si, conformément à l’article 67 de la Loi, le ministre a eu raison de refuser une partie des paiements de loyer réclamés par l’appelante pour la propriété du chemin Creek.

[20]  Ce faisant, je reconnais que, comme l’a si bien dit la Couronne, dans une situation où un contribuable fait des paiements à des personnes avec lesquelles il a un lien de dépendance, les montants versés sont rarement le résultat de négociations serrées ou influencés par les prix du marché, mais sont plutôt motivés par des raisons fiscales.

[21]  L’article 67 de la Loi interdit la déduction d’une dépense, sauf dans la mesure où cette dépense était « raisonnable dans les circonstances ». Le caractère raisonnable d’une dépense repose sur son montant plutôt que sur son objet ou sa nature. Cette disposition vise à limiter la réduction « artificielle » des profits par la déduction excessive de dépenses qui sont sous le contrôle du contribuable.

[22]  La limite imposée au ministre pour l’application de l’article 67 a été décrite dans Gabco Ltd. c. Ministre du Revenu national, 68 DTC 5210, à la p. 5216, comme suit [traduction] :

Il ne s’agit pas pour le ministre, ou pour sa Cour, de changer son jugement pour qu’il établisse quel serait le montant raisonnable à payer, mais plutôt pour le ministre ou la Cour de parvenir à la conclusion qu’aucun homme d’affaires raisonnable n’aurait accepté de payer un tel montant en n’ayant que les considérations opérationnelles de l’appelante à l’esprit.

[23]  La question de savoir si un montant est « raisonnable dans les circonstances » est une question de fait. Comme je l’explique ci-dessous, le caractère raisonnable peut être évalué par rapport aux montants versés dans des circonstances semblables dans d’autres entreprises de même nature, ou aux montants qui seraient versés en l’absence de relations particulières ou d’éléments personnels.

[24]  Cette affaire aurait été relativement facile à trancher, si ce n’était du manque de certitude dans le contrat de location du 28 décembre 2012. Comme je l’ai déjà dit, j’accepte que certaines dépenses de location soient dûment déduites conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi.

[25]  L’appelante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’un homme d’affaires raisonnable paierait environ 5 $ le pied carré pour la propriété du chemin Creek.

[26]   J’en suis venu à cette conclusion en me fondant sur les faits suivants :

a)  l’appelante payait 10 000 $ par mois (3,53 $ le pied carré) quand l’installation ne faisait que les deux tiers de sa superficie actuelle et avant que des travaux de rénovation y soit entrepris;

b)  les montants de location portés aux dépenses par l’appelante ont effectivement été versés par celle-ci à Alfco, qui les a perçus au cours des années en question;

c)  l’appelante a payé 5 $ le pied carré à Niagara Natural Fruit Storage en 2013 et en 2014 pour un espace locatif comparable;

d)  le montant accordé par le ministre, 5 000 $ par mois, ou 1,39 $ par pied carré, est bien inférieur à ce qu’une personne d’affaires raisonnable serait prête à débourser pour louer les locaux de chemin Creek;

e)  j’accepte le témoignage de M. Dyck selon lequel la propriétaire et la locataire, toutes deux représentées par lui, ont convenu, conformément au contrat de location du 28 décembre 2012, que l’appelante verserait un montant en plus du loyer de 5 000 $ par mois. Il est corroboré par les divers états financiers déposés en preuve, qui indiquent que les montants concernés ont été versés au cours des années d’imposition en question.

[27]  Tout en accueillant l’appel, je note que l’appelante a payé un peu plus de 5 $ le pied carré en 2013 et moins de 5 $ le pied carré en 2014.

[28]  Il est malheureux que l’appelante n’ait pas tenu ses livres et registres correctement, comme l’exige l’article 230 de la Loi. Si elle l’avait fait, elle aurait la documentation nécessaire pour justifier les paiements de loyer supérieurs à 5 000 $ par mois. Cela dit, on ne devrait pas recourir à l’article 67 de la Loi pour rejeter une dépense dans le but de contraindre un contribuable à s’acquitter d’une obligation administrative.

[29]   Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, je reconnais que toutes les dépenses de location réclamées pour les années d’imposition 2013 et 2014 ont en effet été payées par l’appelante, et que les paiements ont été faits dans le but de produire un revenu. De plus, j’estime que les montants de location payés par l’appelante sont raisonnables.

[30]  J’accueille donc l’appel dans son intégralité. Les parties devront assumer leurs propres dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2018.

« R. MacPhee »

Juge MacPhee


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 253

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-276(IT)I

INTITULÉ :

876958 ONTARIO LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 novembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Ronald MacPhee

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 décembre 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Bobbie A. Walker

Avocat de l’intimée :

Kevin Hong

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Bobbie A. Walker

 

Cabinet :

Bobbie A. Walker Professional Corporation

St. Catharines (Ontario)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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