Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2018 CCI 246

Date : 20181206

Dossier : 2017-408(IT)G


ENTRE :

WARREN BRADSHAW,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés oralement à l’audience le 12 octobre 2018, à Hamilton (Ontario).)

La juge Campbell

[1] M. Bradshaw interjette appel des cotisations établies pour ses années d’imposition 2012 et 2013. Lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus de 2012, il a inscrit 310 555 $ à la ligne « Autres déductions ». Il a également inscrit 204 138 $ à la ligne « Autres déductions » dans sa déclaration de revenus de 2013. Dans l’établissement des cotisations pour ces deux années d’imposition, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les déductions demandées et il a imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Pour l’appelant, demander ces déductions avait pour effet de réduire son revenu total quasi à néant pour chacune de ces années, de sorte qu’il n’avait aucun impôt à payer.

[2] M. Bradshaw a refusé de témoigner ou de fournir des documents à l’appui, même si je lui ai dit qu’il aurait avantage à le faire. Il a fait une seule déclaration à l’appui de ses appels, lors de la plaidoirie finale, dans laquelle il a brièvement dit avoir rempli ses déclarations de cette façon conformément à son interprétation personnelle des dispositions de la Loi.

[3] En contre-interrogatoire, M. Bradshaw n’a pas pu expliquer ou a refusé d’expliquer en quoi consistaient ces autres déductions. Lorsque l’avocate de l’intimée a insisté pour obtenir des explications à cet égard, il a déclaré qu’il n’avait aucune information détaillée, hormis qu’il s’agissait de [traduction] « dépenses pour vivre ». Plus tard au cours de son contre-interrogatoire, il a déclaré que les montants avaient plutôt été accumulés au cours des années précédentes et qu’il n’en avait pas réclamé la déduction avant. Cependant, aucun autre détail, calcul ou autre précision n’a été fourni outre sa déclaration selon laquelle il croyait avoir le droit de réclamer ces déductions en raison de son interprétation personnelle des dispositions relatives à l’impôt sur le revenu, bien qu’il ait admis ne jamais avoir demandé de conseils juridiques ou comptables ou d’autres types de conseils professionnels à qui que ce soit. Lorsqu’il s’est fait demander pourquoi il n’avait pas cherché à obtenir de tels conseils, il a répondu : [traduction] « C’est mon interprétation, pas la leur. » Il a également refusé de préciser les dispositions qui, à son avis, justifiaient ses déductions.

[4] Qui plus est, ce qui n’est pas pour améliorer la situation, M. Bradshaw a eu des problèmes avec ses déclarations antérieures pour les années d’imposition 2008 à 2011. Il savait, lorsqu’il a réclamé ces importantes déductions, que ces déclarations antérieures n’avaient pas été acceptées telles quelles, qu’elles faisaient l’objet d’appels, que des déductions pour pertes d’entreprise avaient été refusées et que des pénalités avaient été imposées pour ces années.

[5] Comme l’avocate du ministre l’a souligné, la réclamation de ces « Autres déductions » équivalentes environ au revenu du contribuable pour chacune de ces années rappelle de nombreux autres groupes d’appels interjetés devant la Cour, dans lesquels des déductions avaient été réclamées sous le couvert de pertes quelconques qui n’avaient aucun fondement factuel et dont le seul but était de réduire le revenu au point où le contribuable ne payait pas d’impôt. Ces prétendus « programmes » incitent les contribuables à penser qu’ils peuvent s’en tirer en réclamant des déductions sans les expliquer, de façon à échapper à leur obligation de payer l’impôt qui par ailleurs serait exigible. Lorsque quelque chose semble trop beau pour être vrai, c’est généralement le cas. Étant donné l’expérience de travail de M. Bradshaw et les études qu’il a faites, je ne crois pas qu’il ait jamais pensé pouvoir légitimement se soustraire ainsi à ses obligations fiscales. Je ne crois pas non plus qu’il ait pu s’attendre à comparaître devant la Cour et à avoir gain de cause dans ses appels, alors qu’il a refusé de produire des éléments de preuve et qu’il n’a fourni que des réponses vagues aux questions qui lui ont été posées par l’avocate de l’intimée. M. Bradshaw était certainement un témoin et un appelant évasif, à son grand détriment.

[6] Même si M. Bradshaw contestait le refus des « Autres déductions », ce qu’il n’a jamais dit faire, je ne dispose d’aucun élément de preuve à cet égard. Ces déductions demeurent vagues et non étayées, ce qui rappelle d’autres demandes et stratagèmes examinés par la Cour qui sont dénués de tout fondement.

[7] Malgré les problèmes associés aux déclarations antérieures pour les années d’imposition 2008 à 2011, où les déductions liées aux pertes ont été refusées et où des pénalités ont été imposées, le tout faisant l’objet d’un appel devant la Cour, l’appelant a décidé de continuer d’agir de la même façon, en réclamant d’« Autres déductions » considérables équivalentes à son revenu, au point de réduire ses impôts à une somme nulle, et ce qui est encore plus incroyable, c’est qu’il l’a fait en se fondant sur sa propre opinion et interprétation de la Loi, sans obtenir d’opinion professionnelle externe. Compte tenu de ces antécédents, M. Bradshaw savait ou aurait dû savoir que ces « Autres déductions » réclamées dans ses déclarations étaient fausses et suspectes. M. Bradshaw dit être estimateur et gestionnaire de l’entreprise de fabrication d’acier de son frère, Bradshaw Iron Works. Il travaille dans ce domaine depuis 40 à 50 ans et, avant de vendre la société à son frère, il en était le propriétaire et supervisait dix employés. De toute évidence, M. Bradshaw était capable de comprendre les conséquences potentielles de son choix de continuer à réclamer dans ses déclarations de fausses déductions, qui n’ont jamais eu de fondement dans la réalité. En fait, il s’agit d’un comportement imprudent de sa part, surtout à la lumière des problèmes qu’il avait déjà rencontrés. Il ne m’en faut pas plus pour conclure que le ministre a eu raison d’imposer des pénalités pour faute lourde en l’espèce, c’est-à-dire qu’il existe un faux énoncé fait sciemment par M. Bradshaw.

[8] L’avocat de l’intimée a présenté à la Cour une partie de la jurisprudence fondamentale portant sur la faute lourde. Les principes généraux concernant la faute lourde sont énoncés dans les affaires Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.), DaCosta c. Canada, 2005 CCI 545, et Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, [1994] A.C.I. nº 260 (QL) (C.C.I.). Les tribunaux ont également affirmé clairement que la faute lourde peut inclure « l’aveuglement volontaire » en plus de l’acte intentionnel et de l’intention coupable. Je crois qu’il convient également que je conclus, compte tenu des circonstances, que M. Bradshaw a fait preuve d’aveuglement volontaire. En examinant les facteurs énoncés dans la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2015 CAF 60, qui s’appliquent aux présents appels, M. Bradshaw a fait preuve d’aveuglement volontaire en faisant de faux énoncés dans ses déclarations. L’avantage qu’il aurait obtenu si ces déductions avaient été autorisées aurait été d’une telle ampleur qu’il n’aurait pas payé d’impôt sur des revenus de 322 592 $ en 2012 et de 215 636 $ en 2013. De plus, il ne s’est informé auprès de personne d’autre, se reposant plutôt sur sa propre interprétation de la Loi, ce qui, avec des déclarations antérieures, ne l’avait mené qu’à des problèmes et à des pénalités imposées en conséquence. Il ne s’agissait pas d’un simple oubli de la part de M. Bradshaw, puisqu’il a délibérément reproduit son comportement passé. Les allégations étaient manifestement fausses et facilement détectables, particulièrement pour une personne ayant l’intelligence et l’expérience de travail de M. Bradshaw. Se livrer de nouveau à ce même comportement, compte tenu de ce qui s’est produit avec ses déclarations de revenus antérieures, est aberrant. Par ailleurs, le fait de se présenter devant la Cour et de refuser de produire des éléments de preuve concrets en dit long sur le fait que M. Bradshaw savait pertinemment quel serait le résultat de sa conduite. Je n’ai aucun doute qu’il n’a pas demandé d’autres conseils professionnels également parce qu’il savait très bien qu’on lui conseillerait de ne pas continuer à faire ces demandes ridicules de déductions inexistantes.

[9] Les appels sont rejetés. L’imposition de pénalités par le ministre est justifiée. J’accorde à l’intimée à titre de dépens une somme globale de 5 000 $, à payer immédiatement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de décembre 2018.

« Diane Campbell »

La juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de septembre 2019.

 

 

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 246

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-408(IT)G

INTITULÉ :

WARREN BRADSHAW et LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

Le 12 octobre 2018

Le 6 décembre 2018

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Dominique Gallant

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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