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Dossier : 2009-1943(IT)G

ENTRE :

ROBERT MURRAY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 17, 18 et 19 septembre 2012, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Johanne D'Auray

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me Chantal Donaldson

Avocat de l'intimée :

Me André LeBlanc

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

       L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 est rejeté avec frais.

 

Signé à Toronto, Ontario, ce 20e jour d’août 2013.

 

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray


 

 

 

Référence : 2013 CCI 253

Date : 20130820

Dossier : 2009-1943(IT)G

ENTRE :

ROBERT MURRAY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge D'Auray

 

APERÇU

 

[1]             M. Murray est un Indien inscrit et est membre de la Première Nation Mohawk de Kanesatake, dans la province de Québec.

 

[2]             En 1993, M. Murray ouvre sur la réserve à Kanesatake un magasin de fournitures de bureau sous le nom de Produits de Bureau MTC.

 

[3]             En 1995, le gouvernement fédéral décide de privatiser 17 de ses magasins d’approvisionnement en fournitures de bureau. M. Murray fait l’acquisition de l’un de ces magasins à Gatineau.

 

[4]             En 1996, le gouvernement fédéral met en place une politique d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones (la « SAEA »), qui a comme objectif d’accroître la participation des entreprises autochtones à son processus d’approvisionnement en incitant et, dans certaines situations, en obligeant les ministères et organismes fédéraux à octroyer des contrats à des entreprises autochtones.

 

[5]             Durant la période en litige, soit les années d’imposition 2001, 2002 et 2003, M. Murray est l’unique actionnaire et administrateur des sociétés The Mohawk Trading Company Inc. / La Compagnie de Commerce Mohawk Inc. (« MTC ») et Mohawk Contract Furniture Inc. / Les Meubles de Bureau Mohawk Inc. (« MCF »). MTC vend des fournitures de bureau et MCF des meubles de bureau. Les établissements principaux des deux sociétés sont situés à Gatineau.

 

[6]             Grâce à l’esprit d’entrepreneur de M. Murray et aux incitations offertes par la SAEA aux entreprises autochtones, les sociétés MTC et MCF ont du succès et atteignent un niveau des ventes qui dépasse toutes attentes.

 

[7]             M. Murray reçoit des sociétés des honoraires de gestion à la fin de chaque année fiscale. Le montant des honoraires de gestion reçus par M. Murray équivaut aux bénéfices non répartis des sociétés, soit les profits des sociétés moins les dépenses personnelles engagées par les sociétés pour M. Murray.

 

[8]             M. Murray fait valoir que les honoraires de gestion reçus des sociétés n’ont été reçus que pour le travail qu’il a effectué sur la réserve. Il soutient que les honoraires de gestion sont situés sur la réserve. Par conséquent, en vertu de son statut d’Indien, il n’a pas à verser d’impôts sur les biens que sont ces honoraires. Quant à ses dépenses personnelles payées par les sociétés, il fait valoir qu’il ne peut pas faire l’objet d’une cotisation fondée sur le fait d’avoir reçu des avantages personnels imposables alors que les montants qui constituent ces avantages imposables sont exempts d’impôt.

 

[9]             Pour sa part, le ministre du Revenu national (le « ministre ») fait valoir que l’exemption prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») et la Loi sur les Indiens (« LI ») ne s’applique pas aux honoraires de gestion. Quant aux avantages personnels imposables conférés par les sociétés MTC et MCF, le ministre prétend qu’il les a à bon droit inclus dans le calcul du revenu de M. Murray.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]        Est-ce que les honoraires de gestion reçus par M. Murray des sociétés MTC et MCF pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 sont, par l’application conjointe de l’article 87 de la LI et de l’article 81 de la LIR, exempts de taxation à titre de biens meubles situés sur la réserve?

 

[11]        Est-ce que les montants inclus dans le calcul du revenu de M. Murray à titre d’avantages imposables sont également exempts de taxation à titre de biens meubles situés sur la réserve?

 

[12]        Est-ce que les pénalités imposées par le ministre pour production tardive de déclarations de revenus pour les années 2001 et 2002 sont justifiées?

 

FAITS

 

[13]        M. Murray est né sur la réserve de Kanesatake, au 204, rue Sainte-Sophie, et y a résidé jusqu’à l’âge d’environ 16 ans. À l’âge de 16 ans, il quitte la réserve pour aller travailler dans un cirque à Saint-Eustache.

 

[14]        Par la suite, il vivra à Ottawa, à Montréal, à Calgary ainsi qu’aux États‑Unis, et occupera différents emplois. Vers les années 1980, M. Murray quitte le Canada pour la Floride. De 1980 à 1985, il travaille dans des bars et des motels à Miami Beach comme gérant, barman et portier. Pendant cette période, il devient propriétaire de plusieurs restaurants. Entre 1985 et 1990, il quitte la Floride pour travailler au Texas au sein de la compagnie pétrolière de l’un de ses amis. C’est également durant cette période qu’il rencontre sa conjointe, madame Glynn House Murray. En tout et pour tout, l’absence de M. Murray durera plus de 15 ans.

 

[15]        C’est en 1988 qu’il commence à caresser l’idée de revenir sur sa réserve natale pour en favoriser le développement économique. En 1990, alors qu’il est âgé d’environ 33 ans, il quitte les États-Unis et emménage à Montréal pour poursuivre des études universitaires en gestion à l’Université McGill. Ses différentes recherches et lectures lui feront réaliser qu’il y a une demande pour des commerces de fournitures de bureau. De plus, ce domaine lui est familier, car à cette époque son épouse travaille pour une entreprise qui fait la vente de papier.

 

[16]        En 1991, il retourne sur la réserve pour habiter avec sa conjointe dans la maison familiale située au 204, rue Sainte-Sophie, à Oka, là où réside également sa mère.

 

[17]        En 1992, il achète un immeuble au 84, rue Notre-Dame, à Oka et entreprend l’exploitation d’un commerce de fourniture de papier. Le commerce, Produits de Bureau MTC, est alors exploité sous la forme d’une entreprise individuelle.

 

[18]        En 1993, M. Murray achète de sa mère pour un dollar la maison et la terre ancestrale (« maison ancestrale ») au 204, rue Sainte-Sophie, à Oka.

 

[19]        De 1993 à 1999, il réside, avec sa conjointe, dans une maison au 18, rue St‑Paul dans le village d’Oka. Durant cette période, M. Murray est toujours propriétaire de la maison ancestrale, mais n’y demeure pas. C’est sa mère qui y demeurera jusqu’à son décès. À la suite du décès de la mère de M. Murray, la nièce de M. Murray y emménagera avec ses six enfants.

 

[20]        En 1995, le gouvernement fédéral décide de privatiser 17 de ses magasins d’approvisionnement en fournitures de bureau. Le 17 avril 1995, M. Murray fait l’acquisition de l’un de ces magasins, situé au 1, promenade du Portage, aux Terrasses de la Chaudière, à Gatineau.

 

[21]        Le 8 mars 1996, M. Murray constitue en société par actions 3236871 Canada Inc., qui deviendra par la suite MTC. MTC fait la vente au détail de fournitures de bureau.

 

[22]        Le 27 mars 1996, le gouvernement fédéral annonce la SAEA.

 

[23]        La SAEA est décrite, dans l’Avis sur la Politique sur les marchés 1996-2, comme "une initiative visant à encourager la participation des entreprises autochtones au processus d’approvisionnement gouvernemental". Cette initiative comporte différents volets, à savoir :

 

·        place plus importante accordée au développement de l'économie autochtone au moment de la planification des achats;

·        commandes réservées obligatoires pour les biens ou les services destinés à des populations autochtones et dont la valeur dépasse un certain seuil;

·        commandes réservées dans des cas particuliers;

·        dispositions sur la sous-traitance favorisant les entreprises autochtones lorsque les marchés principaux ne sont pas assujettis à l'ALENA ni à l'AMPOMC;

·        changements connexes à apporter aux politiques sur les marchés et sur l'examen des acquisitions à l'appui des mesures proposées ci-dessus;

·        durant la deuxième phase de la présente initiative, chaque ministère ou organisme ayant un budget de marché de plus de 1,0M$ doit élaborer des objectifs de rendement pluriannuels pour la conclusion de marchés avec les entreprises autochtones. On annoncera à une date ultérieure les modalités détaillées de poursuite de ce but.

 

[24]        Grâce à la mise en place de la SAEA, la société MTC connaît un essor fulgurant. La SAEA permet à MTC de participer à des offres réservées aux entreprises autochtones qui s’avèrent lucratives pour MTC.

 

[25]        Le 25 juin 2002, M. Murray constitue une deuxième société par actions, 4087771 Canada Inc., qui deviendra MCF. MCF vend des meubles de bureau.

 

[26]        Durant les années en litige, les sociétés ont trois magasins, une salle de montre et un entrepôt. Deux des trois magasins sont situés à Gatineau : l’un dans l’édifice des Terrasses de la Chaudière au 1, promenade du Portage, et un autre est à Place Vincent-Massey au 351, boulevard St‑Joseph. Le troisième magasin est situé sur la réserve soit, au 84, rue Notre-Dame à Oka. La salle de montre, quant à elle, est située au 25, rue Eddy, à Gatineau, et l’entrepôt se trouve aux 35 et 45, rue de Villebois, à Gatineau.

 

[27]        Le chiffre d’affaires des sociétés MTC et MCF à Gatineau atteint 7 774 796 $ en 2001, 11 849 459 $ en 2002 et 3 763 130 $ en 2003, alors que le chiffre d’affaires du magasin à Oka atteint, selon le témoignage de M. Murray, environ 300 000 $.

 

[28]        Durant les années d’imposition 2001, 2002, 2003, les sociétés versent des honoraires de gestion à M. Murray et paient ses dépenses personnelles. M. Murray n’inclut pas ces montants dans le calcul de son revenu, car il soutient qu’il bénéficie d’une exemption en vertu de son statut d’Indien. Par avis datés du 30 mars 2006, le ministre établit à l’égard de M. Murray des cotisations de la façon suivante :

 

Année 2001

 

 

Avantages conférés

 

243 594,00 $

Honoraires de gestion

 

532 000,00 $

Total

 

775 594,00 $

Déductions pour PPC et PPQ

 

1 496,00 $

Revenu total

 

774 098,00 $


 

 

 

 

Année 2002

 

 

Avantages conférés

 

218 281,00 $

Honoraires de gestion - MTC

932 574,00 $

 

Honoraires de gestion - MCF

98 143,00 $

1 030 717,00 $

Total :

 

1 248 998,00 $

Déductions pour PPC et PPQ

 

1 673,00 $

Revenu total

 

1 247 325,00 $

 

 

 

Année 2003

 

 

Revenu tel que déclaré

 

648 570,00 $

Avantages conférés

 

94 400,00 $

Total

 

742 970,00 $

Déductions pour PPC et PPQ

 

1 802,00 $

Revenu total

 

741 168,00 $

 

[29]        À l’audience, il y a eu deux témoins, soit M. Murray et Mme Thibault, la vérificatrice responsable du dossier à l’Agence du Revenu du Canada.

 

[30]        M. Murray est honnête et, pour la majeure partie, son témoignage est clair et crédible. Toutefois, certains éléments non corroborés sont contradictoires ou inusités à la lumière des circonstances.

 

[31]        Par exemple, il considère le 204, rue Sainte-Sophie à Oka comme sa résidence et ce, même s’il a vécu aux États-Unis pendant une période de 10 ans[1]. D’emblée, M. Murray admet qu’il connaît l’existence de l’exemption fiscale dont peuvent bénéficier les Indiens inscrits et l’importance de conserver un lien avec la réserve.

 

[32]        M. Murray indique que durant les années en litige, il a reçu des sociétés des honoraires de gestion pour son travail relatif à la planification financière et stratégique des sociétés. Bien qu’il prenne des décisions à la fois sur la réserve et hors réserve, il ne conserve toutefois aucun registre, aucun rapport ni aucune feuille de temps montrant la proportion du travail fait sur la réserve ou celle du travail fait hors réserve. Il prétend qu’il passe environ 25 % de son temps sur la réserve, alors que l’intimée prétend que M. Murray passe environ 5 % de son temps sur la réserve. M. Murray est également incapable de dire à quel taux horaire il est rémunéré pour ses services, tant ceux fournis sur la réserve que ceux fournis hors réserve. Il n’y a pas de contrat ni d’entente avec les sociétés qui prévoit des modalités à cet égard. Il ressort de la preuve que les honoraires de gestion reçus par M. Murray annuellement équivalent aux bénéfices non répartis qui étaient accumulés par les sociétés durant l’année.

 

[33]        M. Murray mentionne à plusieurs reprises que c’est « par design » et  aux fins d’impôt[2] qu’il choisit de facturer aux sociétés uniquement le travail qu’il effectue sur la réserve. Il indique, lors de son témoignage, qu’il ne reçoit aucune rémunération pour le travail effectué à Gatineau.

 

[34]        Cependant, dans son témoignage, M. Murray est beaucoup plus précis quant au travail effectué à Gatineau. Par exemple, il rencontre les sous-ministres et les directeurs généraux des différents ministères pour les inciter à réserver des commandes à des entreprises autochtones en vertu de la SAEA. Il met en œuvre, pour ses magasins de Gatineau, des stratégies de marketing pour inciter les fonctionnaires qui sont responsables des achats à passer aux magasins pour faire leurs achats de fournitures de bureau. Il voit à la gestion quotidienne des magasins et prend les décisions qui s’imposent afin d’augmenter les ventes de fournitures et de meubles de bureau. Il admet qu’il est présent à son magasin de la promenade du Portage pratiquement tous les jours et qu’il dispose d’un bureau de travail qui se trouve dans la salle de montre du 25, rue Eddy. Lors de la vérification, madame Thibault a passé beaucoup de temps à cet endroit. Dans son témoignage, elle mentionne que M. Murray était très présent et actif dans son commerce. Les clients le connaissaient bien et il les connaissait souvent par leur prénom.

 

[35]        M. Murray mentionne que sa conjointe, Mme House Murray, travaille également dans les magasins de Gatineau. Elle aurait même été vice-présidente des sociétés durant une certaine période. Mme House Murray n’a pas témoigné à l’audience pour corroborer certains éléments du témoignage de M. Murray. Il est toutefois à noter que Mme House Murray ne bénéficie pas du statut d’Indien inscrit. De plus, elle ne reçoit aucune rémunération pour son travail effectué pour les sociétés.

 

[36]        La preuve établit également que M. Murray a habité durant les années en litige dans des résidences situées dans la région de la capitale nationale, soit :

 

•   de 2000 à 2002, dans un « penthouse » au 259, rue Champlain à Gatineau; la conjointe de M. Murray en est la propriétaire;

 

•   en 2002, dans un appartement qu’il a loué, situé au 221, rue Lyon à Ottawa;

 

•   de l’hiver 2002 à octobre 2003, dans une maison de campagne qu’il a louée, située à Val-des-Monts;

 

•   fin 2003, au 113, chemin des Montagnais à Gatineau; M. Murray et sa conjointe en sont les propriétaires.

 

[37]        La preuve produite à l’audience démontre que M. Murray est présent dans la région de la capitale nationale non seulement pour ses activités d’affaires, mais aussi pour ses activités personnelles. Il est membre d’un club de golf et d’un yacht‑club à Gatineau. Les relevés de cartes de crédit mis en preuve établissent également que M. Murray passe la majeure partie de son temps dans la région de la capitale nationale. En effet, du 1er janvier 2001 au 1er juillet 2003, les relevés de cartes de crédit font état de plusieurs centaines de transactions dans la région de la capitale nationale alors qu’environ huit ont pu être retracées qui avaient eu lieu sur la réserve ou près de la réserve.

 

[38]        Au niveau des activités des sociétés, il ressort de la preuve que la totalité ou presque du chiffre d’affaires est attribuable aux deux magasins situés à Gatineau. D’ailleurs, les ventes générées au 84, rue Notre-Dame à Oka ne semblent pas avoir été incluses dans les états financiers produits par les comptables des sociétés, car au poste inventaires, le 84, rue Notre-Dame ne figure pas sur la liste des établissements des sociétés.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

 

Position de M. Murray

 

[39]        M. Murray fait valoir qu’en vertu des facteurs de rattachement énoncés dans l’arrêt Williams c R[3], les honoraires de gestion et les avantages imposables sont des revenus gagnés sur une réserve et, par conséquent, sont exempts d’impôt.

 

[40]        Il fait aussi valoir que l’un des facteurs de rattachement pertinents pour déterminer le situs des honoraires de gestion est l’endroit où il prenait les décisions importantes et stratégiques pour les sociétés.

 

[41]        Il fait également valoir que les décisions importantes et stratégiques auxquelles se rapportent les honoraires de gestion ont été prises sur la réserve. Les sociétés MTC et MCF avaient leurs sièges sociaux sur la réserve de Kanesatake, là où les frais de gestion étaient générés. M. Murray est aussi lié à la réserve par le magasin qu’il exploitait au 84, rue Notre-Dame. Il était propriétaire de l’édifice qui abritait le magasin et des logements. À une certaine époque, il aurait gardé le « petit appartement » à ses fins personnelles. Il est aussi propriétaire de la maison ancestrale située sur la réserve, soit le 204, rue Sainte‑Sophie.

 

[42]        Il prétend que la SAEA est aussi un facteur de rattachement pertinent car, sans la SAEA, les sociétés n’auraient pas pu participer aux commandes réservées. Les sociétés MTC et MCF doivent leurs sources de revenus à la SAEA. Les sociétés ont pu participer aux offres réservées aux entreprises autochtones, grâce au statut d’Indien de M. Murray. Par conséquent, les honoraires de gestion et les avantages conférés ont été reçus grâce à son statut d’Indien. De plus, il fait valoir que les profits des sociétés liés à la SAEA ne font pas partie du marché ordinaire.

 

[43]        Quant aux montants que le ministre a inclus à titre d’avantages imposables, M. Murray fait valoir que les sociétés n’agissent qu’à titre d’intermédiaires et ne lui procurent aucun avantage imposable. Les montants engagés par les sociétés pour payer ses dépenses personnelles sont donc non imposables. De plus, M. Murray prétend qu’il aurait pu choisir de se payer des honoraires de gestion plus élevés au lieu d’effectuer ses dépenses personnelles avec les cartes de crédit appartenant aux sociétés.

 

[44]        M. Murray fait aussi valoir que les honoraires de gestion et les avantages qui lui ont été conférés sont réputés être des biens situés sur une réserve en vertu de l’alinéa 90(1)(a) de la LI. Il fait valoir que Sa Majesté a acheté des biens, soit des fournitures et meubles de bureau, avec de l’argent ou des fonds destinés à l’usage et au profit d’Indiens, conformément à la SAEA. Par conséquent, les revenus en découlant, soit les honoraires de gestion et les avantages imposables, doivent être exempts de taxation.

 

Position de l’intimée

 

[45]        Selon l’intimée, M. Murray a admis avoir délibérément (« par design ») choisi de ne pas être rémunéré pour le travail de gestion qu’il faisait hors réserve pour les sociétés, afin de bénéficier de l’exemption prévue par l’article 87 de la LI.

 

[46]        L’intimée fait aussi valoir que M. Murray fait fi des structures corporatives de MTC et de MCF en prétendant que les sommes qu’il a prises dans ces sociétés pour payer ses dépenses personnelles sont indirectement des honoraires de gestion, car, n’eût été les dépenses payées par les sociétés, les honoraires de gestion auraient été plus élevés.

 

[47]        Quant aux facteurs de rattachement, l’intimée fait valoir que le situs des honoraires de gestion et des avantages conférés à M. Murray est à Gatineau et non pas sur la réserve pour les raisons suivantes :

 

•   les principaux établissements de MTC et de MCF sont situés à Gatineau;

 

•   les chiffres d’affaires des sociétés MTC et MCF sont générés à Gatineau;

 

•   les comptes bancaires des sociétés sont situés à Ottawa, à la Banque Royale du Canada;

 

•   la gestion quotidienne et la prise de décisions relatives aux sociétés MTC et MCF ainsi que le contrôle de ces sociétés sont effectués à Gatineau;

 

•   les honoraires de gestion sont générés par M. Murray à Gatineau et déposés par les sociétés débitrices MTC et MCF dans le compte bancaire de M. Murray à la Banque Royale à Ottawa;

 

•   durant les années en litige, M. Murray réside dans la région de la capitale nationale et toutes ses activités et son mode de vie sont liés à cette région.

 

[48]        De plus, l’intimée fait valoir que l’alinéa 90(1)(a) de la LI ne s’applique pas pour les raisons suivantes :

 

•   En vertu de l’alinéa 90(1)(a), on doit définir les biens meubles auxquels cet alinéa s’applique. Dans cet appel, ce sont les honoraires de gestion et les avantages conférés à M. Murray; ainsi, même en admettant que les fournitures et meubles de bureau ont été achetés par MTC et MCF avec l’argent des Indiens par des ministères et organismes fédéraux, on ne peut pas prétendre qu’ils ont été achetés au profit des Indiens et des bandes. De plus, ce seraient les fournitures et les meubles de bureau qui seraient réputés situés sur la réserve et non pas les honoraires de gestion. Ainsi, cela ne procurerait aucun avantage à M. Murray.

 

•   On ne peut pas non plus prétendre que Sa Majesté a acheté les honoraires de gestion et les avantages imposables reçus par M. Murray. Contrairement, à ce qui est allégué par M. Murray, on ne peut pas soulever le voile corporatif et faire fi de la structure corporative des sociétés.

 

•   L’article 2 de la LI définit ce que signifie l’expression « argent des Indiens ». Cet argent est soumis à un régime administratif strict en vertu des articles 61 à 69 de la LI. La SAEA ne fait aucune référence à ce régime. Aucune preuve n’a été présentée par M. Murray qui démontre que c’est « l’argent des Indiens » au sens de la LI qui a été utilisé par les fonctionnaires pour acheter des fournitures et meubles de bureau.

 

•   De plus, il n’y a aucune preuve au dossier qui démontre que des fonds ont été votés par le Parlement à l’usage et au profit des Indiens ou de bandes.

 

ANALYSE

 

L’article 87 de la LI

 

[49]        La LIR exclut du revenu d’un contribuable certaines sommes exonérées d’impôt en vertu de lois fédérales particulières. C’est par l’interaction de l’alinéa 81(1)(a) de la LIR et de l’article 87 de la LI qu’un bien meuble qui est situé sur une réserve et qui appartient à un Indien inscrit est exempté de taxation :

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

81. (1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

a) une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

 

Loi sur les Indiens

 

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

 

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

    (2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

[50]        Les parties ont reconnu que les honoraires de gestion et les avantages conférés à M. Murray par les sociétés sont des biens au sens de l’article 87 de la LI.

 

[51]        Dans le présent appel, pour répondre à la question de savoir si ces biens sont exempts d’impôt, je dois déterminer si les honoraires de gestion et les avantages conférés à M. Murray étaient situés sur la réserve.

 

[52]        Le juge Cromwell de la Cour suprême du Canada, dans la décision Succession Bastien c Canada[4], s’est récemment penché sur l’analyse que les cours doivent entreprendre pour déterminer si un bien est exempt d’impôt en vertu de l’article 87 de la LI.

 

[53]        Sommairement, le juge Cromwell propose l’analyse suivante, qui consiste en deux étapes :

 

·        L’analyse doit tenir compte du fond et du sens manifeste et ordinaire des termes employés au paragraphe 87(1) de la LI. En vertu des termes utilisés dans l’article 87 de la LI, soit « les biens meubles d’un Indien […] situés sur une réserve », l’analyse doit porter sur la question de savoir si le bien est situé sur la réserve.

 

·        Lorsque l’emplacement d’un bien n’est pas facile à déterminer, d’un point de vue objectif, en raison de la nature du bien ou du type d’exemption dont il est question, les tribunaux doivent appliquer la méthode des facteurs de rattachement décrite dans la décision Williams pour déterminer où le bien est situé. Ces facteurs ne seront pertinents que dans la mesure où ils permettent d’identifier l’emplacement du bien pour l’application de l’article 87.

 

·        La pertinence des facteurs de rattachement variera selon le type de bien et de la nature du traitement fiscal réservé à ce revenu.

 

[54]        Une fois les facteurs de rattachement déterminés, la Cour doit procéder à une analyse téléologique pour déterminer quel poids accorder à chacun des facteurs de rattachement. Il n’y a pas nécessairement de facteurs prépondérants. Il faut analyser et soupeser l’ensemble des facteurs et déterminer à la lumière de l’objet de l’exemption, le genre de bien en cause et la nature de l’imposition du bien, l’endroit auquel se rattache le revenu.

 

[55]        Je vais commencer comme le juge Cromwell l’a fait dans la décision Succession Bastien, où, au paragraphe 21, il débute par la détermination de l’objet de l’exemption, le genre de bien et de la nature de l’imposition. Ensuite, il détermine les facteurs de rattachement pertinents et analyse ceux-ci en fonction de l’objet de l’exemption, du genre de bien et de la nature de l’imposition.

 

L’objet de l’exemption

 

[56]        Quant à l’objet de l’exemption, le juge Cromwell reproduit dans ses motifs au paragraphe 21, l’énoncé du juge La Forest dans la décision Mitchell c Bande indienne Peguis[5]:

 

[…] En ce qui concerne l’exemption fiscale, il a spécifié qu’elle « empêch[e] qu’un palier de gouvernement, par l’imposition de taxes, puisse porter atteinte à l’intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes » (p. 130-131).  Il a résumé son examen de l’objet des dispositions en soulignant que, depuis la Proclamation royale de 1763 (reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 1), « la Couronne a toujours reconnu qu’elle est tenue par l’honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non‑Indiens pour les déposséder des biens qu’ils possèdent en tant qu’Indiens ».  Il a ajouté une précision importante : l’objet de l’exemption est de protéger les biens réservés à l’usage des Indiens et non « pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d’acquérir, de posséder et d’aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens » (p. 131).  Le juge La Forest a de plus affirmé :

 

Ces dispositions n’ont pas pour but d’accorder des privilèges aux Indiens à l’égard de tous les biens qu’ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l’endroit où ils sont situés.  Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux‑ci ne soient pas dépouillés de leurs droits.  [Je souligne; p. 133.]

 

Le juge Cromwell fait dans la décision Succession Bastien deux remarques additionnelles quant à l’objet de l’exemption. D’une part, la prise en compte de l’objet de l’exemption ne permet pas à une cour de faire abstraction des termes de la Loi[6]. D’autre part, l’application de l’exemption ne dépend pas de la question de savoir si le bien fait partie intégrante de la vie sur la réserve ou de la préservation du mode de vie traditionnel des Indiens. Ainsi, les mots « biens que les Indiens possèdent en tant qu’Indiens » doivent plutôt être interprétés en fonction de la nécessité d’établir un lien entre le bien et la réserve, de telle sorte que l’on puisse affirmer que le bien est situé sur la réserve pour l’application de la LI.

 

Le genre de bien

 

[57]        Tel qu’il a été mentionné précédemment, la jurisprudence établit clairement que, pour l’application de l’article 87 de la LI, un revenu est un bien meuble.

 

[58]        Dans leurs actes de procédure, ainsi qu’à l’audience, les parties ont fait des observations selon lesquelles les honoraires de gestion et les avantages conférés à M. Murray constituaient un revenu d’emploi. Compte tenu de la preuve, et avec égards, il me semble que dans ce cas précis les honoraires de gestion reçus par M. Murray devraient être considérés plutôt comme un revenu d’entreprise.

 

[59]        Selon l’article 2085 du Code civil du Québec[7]:

 

Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

Également, l’article 248 de la LIR définit les termes emploi et entreprise :

 

« emploi »  Poste qu’occupe un particulier, au service d’une autre personne (y compris Sa Majesté ou un État ou souverain étrangers); « préposé » ou « employé » s’entend de la personne occupant un tel poste.

 

« entreprise »  Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l’application de l’alinéa 18(2)c), de l’article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l’alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi.

 

[60]        D’après la preuve, les paramètres de la relation entre M. Murray et les sociétés ne s’apparentent pas à ceux que l’on retrouve normalement dans un contrat d’emploi. D’une part, il n’y a pas de tel contrat en l’espèce. D’autre part, il n’y a pas de rémunération qui a été fixée d’avance, et il n’y a pas d’horaire de travail. Dans les faits, M. Murray est seul actionnaire, administrateur et dirigeant des sociétés. Sa rémunération, à chaque année, consiste en les profits des sociétés moins les dépenses personnelles engagées par celles-ci pour M. Murray (qui constituent par ailleurs des avantages imposables en vertu de la LIR). Ainsi, à la lumière de la preuve, les honoraires de gestion s’apparentent plutôt, pour M. Murray, à un revenu d’entreprise. C’est d’ailleurs en tant que revenu d’entreprise que ces honoraires ont été inclus dans les revenus de M. Murray lors de l’établissement du premier projet de cotisation.

 

[61]        Tel qu’il a été mentionné précédemment, il ressort de la preuve présentée à l’audience que les honoraires de gestion correspondent essentiellement aux profits annuels des sociétés. Ces honoraires ont été versés de la manière suivante : tout au long de l’année, M. Murray payait ses propres dépenses personnelles avec les liquidités des sociétés, principalement au moyen de cartes de crédit appartenant à celles-ci; à la fin de l’année, les sociétés versaient à M. Murray la différence entre les profits annuels et les dépenses personnelles engagées tout au long de l’année. Ce « solde » correspondait aux honoraires de gestion que M. Murray a choisi d’exclure dans le calcul de son revenu.

 

[62]        Dans un premier temps, je ferai l’analyse en considérant les honoraires de gestion comme du revenu d’entreprise, et dans un deuxième temps, je la ferai en tenant pour acquis qu’il s’agit d’un revenu d’emploi. En ce qui concerne les avantages conférés, je les analyserai en tant qu’avantages conférés à un actionnaire selon l’article 15 de la LIR ainsi qu’à titre d’avantages conférés en vertu d’un emploi selon l’article 6 de la LIR.

 

[63]        Il est important aussi de déterminer quelle est la nature des honoraires de gestion et des avantages conférés à M. Murray. Les honoraires de gestion ont été reçus par M. Murray pour le travail effectué par lui pour les sociétés MTC et MCF. Cela comprend, l’ensemble des fonctions exercées par M. Murray pour les sociétés, dont les rencontres avec les sous-ministres et les directeurs généraux pour promouvoir les sociétés, l’élaboration de stratégies de marketing, la gestion quotidienne des magasins par la présence de M. Murray dans les magasins à Gatineau, la prise de décisions stratégiques, la planification financière, l’élaboration de stratégies financières (dont les projections des revenus et des dépenses) et la préparation des soumissions pour les offres sélectives réservées aux entreprises autochtones. Quant aux avantages conférés, ce sont les dépenses personnelles que les sociétés ont payées. Contrairement à ce que soutient M. Murray, les honoraires de gestion reçus par lui ne peuvent provenir que du travail qu’il a effectué sur la réserve. Je discuterai plus loin dans ces motifs des prétentions de M. Murray à cet égard.

 

La nature de l’imposition

 

[64]        Si ce n’était de l’exemption, le revenu d’entreprise que représentent les honoraires de gestion serait inclus dans les revenus de M. Murray par l’application conjointe des articles 3 et 9 de la LIR. Si, tel qu’il a été allégué par M. Murray lors de l’audience, les honoraires de gestion constituaient du revenu d’emploi, ils seraient imposables par l’application conjointe des articles 3 et 5 de la LIR. Quant aux avantages conférés à M. Murray, c'est-à-dire les dépenses personnelles payées par les sociétés, n’eût été de l’exemption, ils auraient été imposables, selon le cas, soit à titre d’avantage conféré à un actionnaire, en vertu du paragraphe 15(1) de la LIR, soit à titre d’avantage conféré au titre d’un emploi, selon le paragraphe 6(1) de la LIR.

 

Analyse des facteurs de rattachement sous l’angle du revenu d’entreprise

 

[65]        La Cour suprême n’a pas encore eu l’occasion d’analyser les facteurs de rattachement pertinents dans la détermination du situs d’un revenu d’entreprise. La Cour d’appel fédérale a cependant eu l’occasion de proposer et d’appliquer certains facteurs pertinents dans la décision Southwind[8]. Ces facteurs furent repris par cette même cour dans les décisions Ballantyne c Canada[9] et Canada c Robertson[10], toutes deux subséquentes à la décision Succession Bastien.

 

[66]        Dans la décision récente rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kelly c Canada[11], le juge Stratas, dans un jugement unanime, fait non seulement une analyse détaillée de la décision Succession Bastien, mais il donne aussi des lignes directrices quant à l’analyse relative au revenu d’entreprise.

 

[67]        À la lumière de cette jurisprudence, j’examinerai donc les facteurs de rattachement suivants pour déterminer le situs des honoraires de gestion et des avantages conférés à M. Murray par les sociétés:

 

                   i)            l’endroit où l’entreprise de services de gestion est exploitée;

 

                ii)            l’endroit où les services sont rendus et le type de services rendus;

 

              iii)         l’endroit où les honoraires de gestion sont générés;

 

              iv)         l’endroit où les décisions sont prises;

 

                v)         l’endroit où se trouvent les débiteurs (clients), l’endroit où se trouvent ceux qui reçoivent les services, l’endroit où sont faits les paiements;

 

              vi)         l’endroit où se trouve la résidence de la personne qui exploite l’entreprise;

 

           vii)            l’endroit où les livres sont conservés et l’emplacement des banques détenant les comptes bancaires;

 

         viii)            le marché ordinaire.

 

[68]        D’entrée de jeu, il importe de faire la clarification suivante. Le revenu d’entreprise qu’il faut qualifier de « sur ou hors réserve » est celui que M. Murray reçoit pour les activités qu’il exerce pour les sociétés. En aucun cas il ne faut confondre ces activités avec les activités des sociétés qui ont une personnalité juridique et des patrimoines distincts[12]. À la lumière de ce qui précède, c’est l’entreprise de services de gestion de M. Murray qui doit être analysée, et non pas les activités de vente de fournitures et de meubles de bureau exercées par les sociétés. Il faut toutefois faire preuve de prudence. Il est impossible d’analyser les activités de gestion de M. Murray en « vase clos », c’est-à-dire en ne considérant pas le contexte dans lequel s’exercent ces activités, soit celui de l’exploitation d’un commerce de vente de meubles et de fournitures de bureau effectuée presque exclusivement hors réserve par un administrateur, actionnaire et dirigeant unique.

 

[69]        J’examinerai les trois premiers facteurs de rattachement ensemble, car ils sont inter-reliés : 

 

                   i)            l’endroit où l’entreprise de services de gestion est exploitée;

                ii)            l’endroit où les services de gestion sont rendus et le type de services rendus;

              iii)            l’endroit où les honoraires de gestion sont générés.

 

[70]        M. Murray exerce diverses tâches de gestion pour les deux sociétés. La nature de ces activités est intrinsèquement liée à M. Murray, car il fournit personnellement les services. Ainsi, l’entreprise est exploitée à l’endroit où se trouve M. Murray, où il prend les décisions et où il s’occupe de la gestion des sociétés afin de générer du revenu. Il n’y a pas de lieu physique distinct où l’on peut situer l’entreprise.

 

[71]        La preuve établit que M. Murray exploite son entreprise de services de gestion dans la région de l’Outaouais. Il passe la grande majorité de son temps à exécuter ses activités de gestion dans les magasins à Gatineau. Selon la preuve, le temps passé par lui à travailler pour les sociétés sur la réserve frôle davantage les 5 % que les 25 % indiqués par M. Murray. De toute façon, même si j’acceptais le chiffre de 25% indiqué par M. Murray, la majeure partie de son travail serait effectué hors réserve. Il n’est tout simplement pas logique ni vraisemblable que M. Murray, dont la majorité des activités personnelles et professionnelles s’exercent dans l’Outaouais, retourne à son magasin sur la réserve, au 84, rue Notre-Dame, quand des décisions importantes s’imposent ou encore pour effectuer des tâches de gestion. C’est la sœur de M. Murray, Ginette, qui s’occupe de la gestion quotidienne du magasin sur la réserve. Je ne dis pas que M. Murray ne se rend pas sur la réserve pour y accomplir des tâches de gestion et voir au bon fonctionnement du magasin sur la réserve. Cependant, eu égard à la preuve que les services de gestion sont rendus par M. Murray en totalité ou presque à Gatineau pour les sociétés, je conclus que l’entreprise de M. Murray est exploitée à Gatineau.

 

[72]        La quasi-majorité des clients des sociétés soit, les ministères et organismes fédéraux sont situés dans la région de l’Outaouais, c’est auprès et pour ces clients que M. Murray exerce ses activités de gestion.

 

[73]        Ayant conclu que l’entreprise de M. Murray est exploité à Gatineau. Je conclus aussi que les honoraires de gestion et les avantages conférés à M. Murray sont générés à Gatineau, l’endroit où les honoraires de gestion sont gagnés. Les honoraires de gestion reçus par M. Murray équivalent aux bénéfices non répartis qui dérivent presqu’en totalité des profits des magasins à Gatineau. M. Murray passe de loin la majeure partie de son temps dans les magasins à Gatineau. Il s’ensuit que les honoraires de gestion sont générés grâce aux services de gestion fournis physiquement par M. Murray à Gatineau. Les avantages conférés à M. Murray sont aussi situés à Gatineau; la source de ces avantages est les revenus des magasins exploités et situés à Gatineau. Quant à la destination de ces avantages, les dépenses sont effectuées par M. Murray en grande majorité dans la région de la capitale nationale et non pas sur la réserve.

 

iv)  l’endroit où les décisions sont prises :

 

[74]        La majorité des décisions pour les sociétés sont prises à Gatineau. M. Murray est physiquement présent dans les magasins et prend les décisions qui s’imposent pour le bon fonctionnement des sociétés à cet endroit. Je n’accepte pas la partie du témoignage de M. Murray qu’il se rendait sur la réserve prendre des décisions importantes et effectuer des tâches de gestion. D’abord, il est beaucoup plus volubile quand il parle des activités de gestion à Gatineau que celles effectuées sur la réserve. Tel que je l’ai déjà dit, M. Murray ne quittait pas Gatineau à chaque fois qu’une décision importante s’imposait.

 

[75]        Je n’accepte pas non plus la prétention de M. Murray selon laquelle il reçoit des honoraires de gestion seulement pour les activités de gestion exercées et les décisions prises sur la réserve. Il a créé, selon moi, une fiction économique qui n’est pas appuyée par la preuve. Je ne peux accepter cette façon de fonctionner qui ne colle pas à la réalité.

 

[76]        De plus, M. Murray ne conservait pas de registre se rapportant aux activités de gestion exercées sur la réserve et hors réserve. Mis à part le témoignage de M. Murray, il n’y a pas de preuve relativement à la proportion des activités exercées sur la réserve ou hors réserve. De plus, comme M. Murray se voyait verser à titre d’honoraires de gestion l’ensemble des bénéfices non répartis à la fin de chaque année, il ne m’est pas possible d’attribuer certains montants à l’endroit où les activités de gestion étaient exercées.

 

v)  l’endroit où se trouvent les débiteurs (clients) et où sont faits les paiements

 

[77]        M. Murray reçoit des sociétés des honoraires de gestion en contrepartie des activités de gestion exercées par lui. Pour analyser ce facteur de rattachement, il faut donc déterminer si les sociétés se situent sur la réserve ou hors réserve. À l’audience, les parties ont fait des observations quant à la résidence des sociétés. La détermination de la résidence d’une société est essentiellement une question de faits et de circonstances. Selon l’arrêt De Beers Consolidated Mines Ltd. v How[13], « a company resides for purposes of income tax where its real business is carried on . . .  and the real business is carried on where the central management and control actually abides ». Ce critère se réfère au pouvoir de contrôle et de gestion de la société que détient le conseil d’administration et à l’endroit où sont prises les décisions importantes.

 

[78]        M. Murray était le seul administrateur des sociétés, sauf pendant une courte période pour laquelle il avait nommé sa conjointe vice-présidente. La preuve établit toutefois qu’il n’y avait que lui qui prenait les décisions importantes relativement aux sociétés. Comme je l’ai mentionné précédemment, il ressort de la preuve que M. Murray passait la majeure partie de son temps à l’extérieur de la réserve dans la région de l’Outaouais. Il a d’ailleurs admis avoir pris la majorité des décisions hors réserve, car non seulement il résidait dans la région de l’Outaouais, mais il était présent dans ses magasins ou à son bureau à Gatineau. Ainsi, je suis convaincue sur la foi de la preuve que le centre de gestion et de contrôle  des sociétés était hors réserve, soit à Gatineau. Par conséquent, la résidence des débitrices des honoraires de gestion, à savoir les sociétés MTC et MCF, était située hors réserve.

 

[79]        En ce qui a trait à l’endroit où étaient effectués les paiements des honoraires de gestion, il ressort de la preuve qu’ils étaient effectués dans le compte bancaire de M. Murray à une succursale de la Banque Royale à Ottawa. Les fonds demeuraient dans ce même compte bancaire. De plus, la preuve a révélé que les comptables qui agissaient pour les sociétés et pour M. Murray se trouvaient aussi à Ottawa.

 

vi)  la résidence de la personne qui exploite l’entreprise

 

[80]        À l’audience, les parties n’ont pas ménagé leurs efforts et leur énergie pour présenter différents éléments de preuve relativement à la résidence de M. Murray. Je dois toutefois relever certaines contradictions entre les actes de procédure et le témoignage de M. Murray :

 

•   Dans son premier avis d’appel daté du 27 mai 2009, M. Murray mentionne au paragraphe 6 f) qu’il résidait sur la réserve, au 204, rue Sainte-Sophie, à Oka.

 

•   Dans son avis d’appel remodifié daté du 17 septembre 2012, M. Murray dit qu’il résidait sur la réserve, à la maison paternelle du 204, rue Sainte‑Sophie et/ou au 84, rue Notre-Dame, à Oka.

 

•   Lors de l’audience, M. Murray a indiqué qu’il était propriétaire de la maison ancestrale et du magasin situé au 84, rue Notre-Dame. Il résidait cependant dans la région de l’Outaouais, mais il ne recevait des honoraires de gestion que pour les activités de gestion qu’il exerçait alors qu’il était physiquement présent sur la réserve.

 

[81]        Lorsqu’il est question de déterminer le situs d’un revenu d’entreprise, la résidence du débiteur n’est pas un facteur prépondérant[14]. Il importe toutefois d’en tenir compte dans l’analyse. L’arrêt de principe sur cette question est l’arrêt Thomson v Canada[15], où la Cour suprême du Canada indique que la résidence d’un particulier est une question de fait qui dépend des circonstances particulières de chaque cas. Bien que les critères s’appliquent habituellement dans un contexte international, je crois qu’il est possible de les utiliser ici. Parmi les différents critères qui permettent de déterminer si une personne réside ou réside habituellement dans un lieu, il faut tenir compte, entre autres, du mode de vie général et de la présence physique. Dans un article intitulé « La résidence des particuliers au Canada : critères jurisprudentiels »[16], la professeure Marie‑Pierre Allard fait une distinction entre les « liens importants »[17] et les « liens secondaires »[18] de résidence. Après avoir fait une analyse de l’ensemble de la jurisprudence relative à la résidence des particuliers pour les 20 dernières années, elle vient à la conclusion que les tribunaux basent presque toujours leurs décisions sur les liens primaires, et que les liens secondaires ne constituent pas à eux seuls des facteurs décisifs en l’absence de liens primaires forts. Ainsi, les liens primaires que constituent le logement disponible, la présence du conjoint ou d’enfants à charge et le lieu de l’emploi sont des facteurs très importants dans la détermination de la résidence d’un particulier.

 

[82]        Il ressort de la preuve que M. Murray a toujours maintenu une résidence disponible au 204, rue Sainte-Sophie, sur la réserve. Toutefois, de 1999 à 2003, il a habité plusieurs résidences hors réserve, principalement dans la région de l’Outaouais. Tout au long de son témoignage, M. Murray a beaucoup insisté sur le fait qu’il considère que sa résidence est, et a toujours été, la maison ancestrale au 204, rue Sainte-Sophie, et ce, même lors de son séjour aux États-Unis. Il a mentionné que son intention est que ce soit sa résidence tout au long de sa vie. L’intention de M. Murray n’est toutefois pas appuyée par les faits. D’une part, il ressort de la preuve que M. Murray est très peu présent au 204, rue Sainte-Sophie. Au cours des années en litige, il a résidé dans quatre maisons ou appartements, tous situés dans la région de la capitale nationale. D’autre part, pour les années en litige, la conjointe de M. Murray et la fille de celle-ci résidaient également dans les propriétés situées hors réserve. Au niveau des liens secondaires, la preuve établit que tout le mode de vie de M. Murray gravitait autour de la région de la capitale nationale. Ses différentes affiliations avec des clubs sportifs, ses comptes bancaires et les très nombreux relevés de cartes de crédit mis en preuve révèlent clairement que le mode de vie général et habituel de M. Murray était très étroitement lié à cette région. Ainsi, à la lumière de la preuve, je conclus que M. Murray résidait dans la région de l’Outaouais. Bien qu’il détenait un permis de conduire et une carte d’assurance maladie indiquant le 204, rue Sainte-Sophie, je suis d’avis que le 204, rue Sainte-Sophie n’est qu’une adresse postale pour M. Murray. Tous les facteurs de détermination de la résidence vont dans le même sens et situent la résidence de M. Murray dans la région de l’Outaouais pour les années en litige.

 

vii)  L’endroit où les livres sont conservés et l’emplacement des banques détenant les comptes bancaires

 

[83]        Mis à part quelques documents déposés à l’audience[19], M. Murray ne conservait ni registres ni livres relatifs à l’exploitation de son entreprise de services de gestion pour les sociétés. Ainsi, ce facteur ne peut être appliqué en l’espèce. M. Murray a mentionné que les livres et registres des sociétés étaient situés sur la réserve, sans préciser lesquels. Or, selon le témoignage de Mme Thibault, les registres et les livres des sociétés étaient conservés aux bureaux du 25, rue Eddy à Hull. De plus, la preuve révèle que les affaires des sociétés étaient administrées par des comptables à Ottawa. M. Murray avait même embauché un contrôleur, qui lui aussi travaillait dans les magasins situés dans l’Outaouais.

 

viii)  Le marché ordinaire

 

[84]        Dans l’arrêt Succession Bastien[20], le juge Cromwell met en garde contre l’utilisation du principe du « marché ordinaire » (« commercial mainstream ») comme facteur de rattachement prépondérant pour conclure qu’un revenu n’est pas situé sur une réserve. Au paragraphe 54, la Cour indique que, même s’il avait été gagné sur le marché ordinaire, le revenu pouvait être suffisamment lié à la réserve pour que l’exemption fiscale s’applique. M. Murray fait valoir que ce facteur de rattachement n’est pas pertinent car, à la lumière de SAEA, les sociétés ne font pas partie du marché ordinaire. Je suis d’accord avec M. Murray pour dire que ce facteur de rattachement n’est pas pertinent. Cependant, il ne faut pas confondre les sociétés MTC et MCF avec l’entreprise de services de gestion de M. Murray. La SAEA s’applique aux sociétés et non pas à l’entreprise individuelle de services de gestion de M. Murray. Les contrats résultant des commandes réservées en vertu de la SAEA sont conclus entre les sociétés MTC et MCF et un ministère du gouvernement fédéral. Je n’ai pas à déterminer le situs des revenus des sociétés dans cet appel; je n’ai donc pas à déterminer si les revenus des sociétés font partie du marché ordinaire. De toute façon, si le lien entre les honoraires de gestion et la réserve était assez fort pour que je puisse affirmer qu’ils sont situés sur la réserve, les honoraires de gestion seraient exempts de taxation peu importe qu’ils fassent partie du marché ordinaire ou pas.

 

La SAEA comme facteur de rattachement

 

[85]        M. Murray prétend que la SAEA est aussi un facteur de rattachement pertinent, car c’est grâce à la SAEA que les sociétés MTC et MCF ont fait des profits et qu’il a reçu des honoraires de gestion. Selon M. Murray, la SAEA encourage les entreprises autochtones; elle favorise ainsi le développement autochtone et les revenus en découlant ne devraient pas être imposés.

 

[86]        La SAEA n’est pas un facteur de rattachement dans le présent appel.

 

[87]        La politique sur la SAEA établie par le Conseil du Trésor vise à favoriser le développement des entreprises autochtones en augmentant leur part des marchés passés avec les ministères et organismes fédéraux. C’est une politique qui fait appel aux systèmes d’achat du gouvernement fédéral pour aider les entreprises autochtones à prendre de l’expansion. Elle prévoit que les ministères et organismes fédéraux doivent obligatoirement réserver des commandes aux entreprises autochtones si les biens et les services sont destinés à des populations autochtones et si leur valeur dépasse un certain seuil. Dans les cas où les biens ou les services ne sont pas destinés à des populations autochtones, la politique prévoit des commandes sélectives; les ministères peuvent dans ces cas réserver des commandes aux entreprises autochtones, mais ce n’est pas obligatoire. Cela étant dit, les ministères sont incités à y participer et ils doivent établir des objectifs à l’égard de cette politique. Dans le présent appel, les sociétés ont soumissionné relativement à des commandes sélectives, car les biens vendus par les sociétés MTC et MCF n’étaient pas destinés à des marchés autochtones.

 

[88]        Selon la politique, il n’est pas essentiel que les soumissionnaires pour des marchés réservés soient situés sur une réserve. La SAEA ne requiert pas que les biens soient vendus sur une réserve ou que le revenu provenant de ces biens soit généré sur une réserve.

 

[89]        De plus, la prétention de M. Murray fait abstraction de la réalité corporative et juridique des sociétés. Ce sont les sociétés qui ont soumissionné pour obtenir des contrats en vertu de la SAEA et non pas M. Murray. Les sociétés sont des véhicules juridiques et ont une personnalité distincte de celle de leurs actionnaires et de leurs dirigeants. M. Murray à titre d’actionnaire des sociétés ne peut invoquer la SAEA, même si cette dernière rattachait les revenus des sociétés à la réserve. Les profits des sociétés ne sont pas juridiquement équivalents aux honoraires de gestion versés et aux avantages conférés à M. Murray, et leur traitement fiscal est différent.

 

Analyse des facteurs de rattachement sous l’angle du revenu d’emploi

 

[90]        Aux paragraphes 58 et suivants des présents motifs, j’ai déterminé que, dans les circonstances de la présente affaire, les biens meubles en cause doivent être considérés comme du revenu d’entreprise plutôt qu’un revenu d’emploi. Toutefois, même si les biens meubles constituaient un revenu d’emploi, ce revenu serait tout de même situé hors réserve selon les critères établis par la jurisprudence.

 

[91]        En effet, en appliquant au revenu d’emploi les facteurs de rattachement spécifiques, on en vient à la même conclusion. D’une part, le lieu d’exercice des fonctions de gestion a déjà été établi. Les fonctions de gestion ont été accomplies en grande partie dans la région de l’Outaouais. La nature des fonctions et les circonstances, soit la gestion des sociétés effectuée hors réserve, vont également dans ce sens. Les activités génératrices du revenu d’emploi ont eu lieu aussi hors réserve à Gatineau.

 

[92]        L’emplacement des sociétés débitrices est situé hors réserve à Gatineau. La majorité des revenus des sociétés sont générés par les magasins de Gatineau. La nature du travail effectué par M. Murray fait qu’il est présent dans ses magasins de Gatineau. Eu égard à l’ampleur des revenus des établissements à Gatineau, M. Murray doit veiller à leur bon fonctionnement et doit être présent physiquement à Gatineau. Son revenu d’emploi est généré par le travail effectué aux établissements de Gatineau. M. Murray prend plus de décisions à Gatineau que sur la réserve. Les comptes bancaires des sociétés et de M. Murray sont dans une succursale de la Banque Royale à Ottawa. Les honoraires de gestion sont déposés par les sociétés débitrices MTC et MCF dans les comptes bancaires de M. Murray à Ottawa. Les comptables des sociétés et de M. Murray sont également à Ottawa. Durant les années en litige, M. Murray réside aussi hors réserve, dans la région de la capitale nationale.

 

[93]        Les avantages conférés, soit leurs sources, découlent des revenus des sociétés à Gatineau. De plus, les dépenses sont faites pour le bénéfice de M. Murray. Tel qu’il ressort de la preuve, la quasi-totalité des dépenses sont effectuées par M. Murray hors réserve.

 

[94]        Sans égard à la prépondérance de l’un ou de l’autre de ces différents facteurs, ils permettent tous de situer le revenu d’emploi hors réserve. Finalement, l’argument relatif à la SAEA ne peut s’appliquer dans un contexte de revenu d’emploi. Ainsi, ma conclusion en l’espèce ne serait pas différente même s’il s’agissait d’un revenu d’emploi.

 

L’article 90 de la LI

 

[95]        Le paragraphe 90(1) de la LI créé une présomption selon laquelle certains biens meubles, dans certaines circonstances, sont situés sur une réserve :

 

90. (1) Pour l’application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été :

      a) soit achetés par Sa Majesté avec l’argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l’usage et au profit d’Indiens ou de bandes;

      b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d’un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

 

[96]        L’expression  « argent des Indiens » est définie comme suit à l’article 2 de la LI :

 

« argent des Indiens » Les sommes d’argent perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit des Indiens ou des bandes.

 

[97]        Dans le présent appel, pour que l’alinéa 90(1)a) de la LI s’applique, M. Murray doit démontrer que les honoraires de gestion et les avantages conférés ont été achetés par Sa Majesté avec l’argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l’usage et au profit d’Indiens ou de bandes. Je suis d’avis que l’alinéa 90(1)a) ne s’applique pas dans le présent appel.

 

[98]        Premièrement, M. Murray n’a présenté aucune preuve que l’argent utilisé pour l’achat des fournitures et des meubles de bureau par les ministères et organismes fédéraux était de « l’argent des Indiens » selon la définition à l’article 2, soit des sommes d’argent qui ont été perçues, reçues ou détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit des Indiens ou des bandes.

 

[99]        Deuxièmement, aucune preuve n’a été présentée lors de l’audience qui démontre que des fonds ont été votés par le Parlement à l’usage et au profit des Indiens ou de bandes en vertu de la SAEA. La SAEA est une politique du Conseil du Trésor qui incite les ministères et organismes fédéraux à participer au développement des entreprises autochtones en achetant à ces entreprises. Il n’y a aucune mention dans cette politique que des fonds ont été votés par le Parlement aux fins de la SAEA. Vu l’absence de preuve en ce sens, il est logique d’inférer que les sommes utilisées par les ministères et organismes fédéraux pour acheter des biens meubles à des entreprises autochtones sont des sommes qui font partie de l’enveloppe budgétaire « courante » de ces ministères et organismes.

 

[100]   De plus, comme l’intimée le fait valoir, même si on admettait que les ministères et organismes fédéraux avaient utilisé de l’argent des Indiens au sens de la définition à l’article 2 pour acheter des fournitures et des meubles de bureau aux sociétés, ce seraient ces biens qui seraient réputés situés sur la réserve et non pas les honoraires de gestion et les avantages conférés à l’actionnaire. Encore une fois, on ne peut pas passer outre à la structure corporative des sociétés.

 

[101]   Enfin, il faut retenir que les biens qui doivent être situés sur la réserve sont les honoraires de gestion et les avantages conférés à M. Murray et non pas les fournitures et meubles de bureau vendus par les sociétés. L’article 90 ne peut tout simplement pas s’appliquer ici.

 

Conclusion

 

[102]   Pour déterminer si les honoraires de gestion et les montants représentant les avantages conférés à M. Murray sont situés sur la réserve, j’ai examiné et apprécié le poids qui devrait être accordé aux facteurs de rattachement pertinents, en ayant comme toile de fond, l’objet de l’exemption, le genre de biens en cause, la nature de l’imposition du bien.

 

[103]   Les facteurs de rattachement qui sont pertinents dans le présent appel, c’est‑à-dire ceux qui nous assistent dans la détermination de l’emplacement des honoraires de gestion et des avantages conférés à M. Murray, sont l’endroit où les revenus sont générés, l’endroit où l’entreprise est exploitée, l’endroit où les services sont rendus, l’endroit où se trouvent ceux qui reçoivent les services, l’endroit où les sociétés débitrices sont situées, l’endroit où les paiements sont faits et l’endroit où les décisions sont prises. Les autres facteurs de rattachement, tels que la résidence de M. Murray et l’endroit où les livres des sociétés sont conservés, ne jouent pas un rôle important dans le présent appel, bien qu’ils nous assistent à confirmer la décision prise quant au situs des biens.

 

[104]   Contrairement à la Cour suprême du Canada qui a déterminé, dans la décision Succession Bastien, que l’endroit où le revenu était généré n’était pas un facteur de rattachement pertinent, je suis d’avis que l’endroit où sont générés les revenus est un facteur de rattachement important dans le présent appel. Il ne s’agit pas de revenus passifs comme c’était le cas dans l’affaire Succession Bastien, mais de revenus d’entreprise ou d’emploi, c’est-à-dire du revenu d’activité « active income ».

 

[105]   M. Murray passe la majeure partie de son temps dans l’Outaouais; il réside dans l’Outaouais et la nature des ses activités de gestion l’oblige à être à proximité de ses commerces. Le travail qui permet de générer les honoraires de gestion est effectué majoritairement dans les magasins situés à Gatineau. Tel que je l’ai déjà indiqué, les activités générant les revenus d’entreprise de M. Murray sont de par leur nature, indissociables de sa personne.

 

[106]   Quant aux autres facteurs de rattachement pertinents, j’ai conclu que la majorité des services de gestion ont été rendus à Gatineau par M. Murray. Le même raisonnement s’appliquerait s’il s’agissait de revenus d’emploi. M. Murray travaillait principalement à Gatineau au bénéfice des sociétés MTC et MCF. Soulignons à cet égard que non seulement les sociétés débitrices MTC et MCF avaient leurs établissements d’affaires à Gatineau, mais elles étaient aussi résidentes de Gatineau. Ces établissements généraient la presque totalité des revenus pour les années en litige. Il serait difficile de conclure que les services de gestion n’étaient pas rendus majoritairement pour les sociétés à Gatineau, d’autant plus que la preuve établit que M. Murray passait la majeure partie de son temps dans l’Outaouais. Quant aux décisions prises, M. Murray a admis qu’il avait pris plus de décisions hors réserve que sur la réserve. Les honoraires de gestion sont, de plus, déposés par les sociétés MTC et MCF dans le compte bancaire de M. Murray situé à Ottawa. Les clients des sociétés débitrices MTC et MCF, soit les ministères et organismes fédéraux, sont aussi situés dans la région de l’Outaouais.

 

[107]   En ce qui a trait aux autres facteurs de rattachement, tels que le lieu de résidence de M. Murray, les livres des sociétés et les comptes bancaires des sociétés, l’applicabilité de l’article 87 dépend de la question de savoir si le bien en question, et non son propriétaire, est situé sur une réserve. Ainsi, le lieu de résidence de M. Murray n’est pas un facteur de rattachement déterminant, bien que la preuve démontre que durant les années en litige, M. Murray résidait dans la région de la capitale nationale. Quant aux comptes bancaires des sociétés, la preuve démontre aussi qu’ils sont situés à Ottawa. Quant aux livres des sociétés, la preuve est contradictoire à leur sujet. Bien que ces facteurs de rattachement ne sont pas déterminants, car ils ne servent pas à déterminer si les biens sont situés sur la réserve, ils servent appuyer ma conclusion que les revenus gagnés par M. Murray n’étaient pas situés sur une réserve.

 

[108]   Quant à la SAEA comme facteur de rattachement, j’ai expliqué dans ces motifs pourquoi, à mon avis, la SAEA n’est pas un facteur de rattachement. J’ai aussi expliqué dans ces motifs pourquoi l’article 90 de la LI ne s’applique pas dans le présent appel.

 

[109]   Les seuls facteurs de rattachement qui lient M. Murray à la réserve sont les sièges sociaux des sociétés, qui sont situés sur la réserve, le fait que M. Murray est propriétaire de la maison ancestrale située sur la réserve et le fait que les sociétés exploitent un magasin de fournitures de bureau sur la réserve dans un édifice dont M. Murray est le propriétaire. Les deux premiers facteurs de rattachement ne sont pas déterminants, car ils ne servent pas à situer l’emplacement des biens.

 

[110]   Quant à l’établissement d’affaire situé sur la réserve, malheureusement mis à part le témoignage de M. Murray indiquant qu’il aurait passé 25% du temps sur la réserve à exercer des activités de gestion, ce qui est contesté par l’intimée. Il n’y a ni registre ni explications concernant les activités sur la réserve qui me permettent de déterminer que ce soit sur le plan temporel ou sur le plan financier, dans quelle mesure M. Murray exerce des activités de gestion sur la réserve. Le témoignage de sa sœur Ginette et de sa conjointe auraient sûrement été utiles à cet égard. Je ne sais pas non plus si les honoraires de gestion proviennent en partie du magasin situé sur la réserve, puisque les revenus de ce magasin ne semblent pas être inclus dans les états financiers des sociétés. Ainsi, à la lumière de la preuve, il m’est impossible de déterminer qu’une partie des honoraires de gestion ont été générés sur la réserve.

 

[111]   Pendant l’audience, M. Murray a dit que, « par design », ce n’est que pour les activités de gestion exercées lors de sa présence sur la réserve qu’il a reçu des honoraires de gestion, et il a déclaré que le droit fiscal canadien lui permettait d’organiser ses affaires de manière à minimiser ses impôts.

 

[112]   Je ne peux retenir cet argument. Comme je l’ai mentionné précédemment, il ressort du témoignage de M. Murray qu’il a créé une fiction économique qui ne colle pas à la réalité factuelle, lui permettant d’obtenir un revenu exempt d’impôt en vertu de l’article 87 de la LI. Dans le présent appel, la seule question à déterminer était de savoir si les honoraires de gestion et les montants représentant les avantages conférés à M. Murray étaient situés sur une réserve selon la méthode énoncée par la Cour suprême du Canada dans la décision Succession Bastien.

 

[113]   En ce qui concerne les pénalités pour production tardive, elles sont maintenues puisque M. Murray a omis de produire dans les délais des déclarations de revenus pour les années 2001 et 2002.

 

[114]   À la lumière de ces motifs, l’appel est rejeté pour les années 2001, 2002 et 2003 avec frais.

 

 

Signé à Toronto, Ontario, ce 20e jour d’août 2013.

 

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 253

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2009-1943(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            ROBERT MURRAY c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 17, 18 et 19 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Johanne D'Auray

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 20 août 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Chantal Donaldson

Avocat de l'intimée :

Me André LeBlanc

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER À L’AUDIENCE:

 

       Pour l'appelant :

 

                      Nom :                          Me Chantal Donaldson

 

                  Cabinet :                         LeBlanc Donaldson

                                                          Gatineau (Québec)

 

        Pour l’intimée :                         William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Transcriptions, page 156.

[2] Ibid., pages 48, 49, 245 et 325.

[3] Williams c Canada, [1992] 1 RCS 877, ci-après « Williams ».

[4] Bastien Succession c Canada, 2011 CSC 38, [2011] 2 RCS 710, ci-après « Succession Bastien ».

[5] Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85, ci-après « Mitchell ».

[6] Succession Bastien, supra note 4 ci-dessus par 25.

[7] Code civil du Québec, LQ 1991, ch 64.

[8] Southwind c Canada, [1999] ACF no 15 (QL), 1998 CanLII 7300 (CAF). À noter que cette décision a été rendue avant la décision de la Cour suprême dans l’affaire Succession Bastien.

[9] Ballantyne c Canada, 2012 CAF 95, [2012] ACF no 359.

[10] Canada c Robertson, 2012 CAF 94, [2012] ACF no 358 (QL). Ci-après « Robertson ».

[11] Kelly c Canada, 2013 CAF 171.

[12] Article 302 du Code civil du Québec, note 7 ci-dessus.

[13] De Beers Consolidated Mines Ltd. v Howe, [1906] AC 455 (Chambre des Lords) à la p. 458.

[14] Robertson, note 10 ci-dessus, au par 57.

[15] Thomson v Minister of National Revenue, [1946] RCS 209.

[16] Revue de planification fiscale et financière, vol. 32, no 1, aux pages 7 à 62.

[17] Logement disponible, présence du conjoint et d’enfants à charge, lieu de l’emploi.

[18] Permis de conduire, comptes bancaires, cartes de crédit, propriété d’une maison non disponible pour le contribuable, famille élargie, etc.

[19] Voir la pièce A-6.

[20] Note 4 ci-dessus, para 54.

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