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Dossier : 2011-2466(IT)G

 

ENTRE :

JOHN MORGAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

 

Appel entendu le 17 mai 2013, à Calgary (Alberta).

 

Par : L'honorable juge Judith M. Woods

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me Lori G. Bokenfohr

 

Avocate de l'intimée :

Me Mary Softley

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre d'une cotisation établie au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2009 est accueilli, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la pénalité ne doit pas être imposée à l'égard de fonds transférés en 2009 à un régime enregistré d'épargne‑retraite. Chaque partie assumera ses propres frais.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 16e jour de juillet 2013.

 

 

« J. M. Woods »

Le juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'octobre 2013.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 232

Date : 20130716

Dossier : 2011-2466(IT)G

 

ENTRE :

JOHN MORGAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Woods

 

[1]             Lorsque John Morgan, qui exerçait un emploi auprès de la ville de Calgary, a pris sa retraite, il a choisi de retirer la totalité de sa pension du régime de son employeur. Une partie du montant retiré était un revenu gagné par M. Morgan, que celui‑ci a omis d'inclure dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2009. Étant donné que M. Morgan avait auparavant omis de déclarer des revenus, une pénalité a été imposée au titre du paragraphe 163(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]             Le total des pénalités fédérale et provinciale qui ont été imposées est d'environ 36 000 $, et correspond à 20 % du revenu qui aurait dû être déclaré. Seule la pénalité fédérale est en question en l'espèce.

 

Le paragraphe 163(1) de la Loi

 

[3]             Le paragraphe 163(1) de la Loi impose une pénalité de 10 % du revenu qui n'a pas été inclus dans la déclaration de revenus si le contribuable a déjà omis de déclarer un revenu dans une déclaration pour l'une des trois années d'imposition précédentes.

 

[4]             La disposition est reproduite ci‑après :

 

(1) Omission répétée

 

Toute personne qui ne déclare pas un montant à inclure dans le calcul de son revenu dans une déclaration produite conformément à l'article 150 pour une année d'imposition donnée et qui a déjà omis de déclarer un tel montant dans une telle déclaration pour une des trois années d'imposition précédentes est passible d'une pénalité égale à 10 % du montant à inclure dans le calcul de son revenu dans une telle déclaration, sauf si elle est passible d'une pénalité en application du paragraphe (2) sur ce montant.

 

[5]             Bien que le paragraphe 163(1) de la Loi ne fasse pas état du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, les tribunaux ont reconnu que la pénalité ne doit pas être imposée si le contribuable établit qu'il a été diligent. Le critère approprié est énoncé dans l'arrêt Les Résidences Majeau inc. c. La Reine, 2010 CAF 28 :

 

[8]        Selon l'arrêt Corporation de l'école polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, un défendeur bénéficie de la défense de diligence raisonnable s'il établit l'une ou l'autre des deux choses suivantes : soit qu'il a commis une erreur de fait raisonnable, soit qu'il a pris des précautions raisonnables pour empêcher que ne se produise l'évènement qui donne naissance à la pénalité.

 

[9]        L'erreur de fait raisonnable emporte un double test : subjectif et objectif. Le test subjectif est satisfait si le défendeur établit qu'il s'est mépris en ce qu'il a cru en une situation de fait qui, si elle avait existé, aurait éliminé le caractère fautif de son geste ou de son omission. En outre, pour que cet aspect de la défense opère, il faut aussi que l'erreur soit raisonnable, i.e. une erreur qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait commise. Il s'agit là du test objectif.

 

[10]      Le deuxième volet de la défense requiert, tel que déjà mentionné, que des gestes soient posés ou des mesures prises pour éviter l'événement qui engendre la pénalité.

 

La question préliminaire

 

[6]             Au début de l'audience, l'avocate de M. Morgan a soutenu que le fardeau de la preuve devrait incomber à la Couronne pour ce qui est d'établir que le montant sur lequel la pénalité a été imposée était en réalité un revenu.

 

[7]             Monsieur Morgan n'avait pas auparavant contesté le point ainsi soulevé, et j'ai convenu avec l'avocate de l'intimée qu'il serait préjudiciable que la question soit soulevée pour la première fois à l'audience. J'ai ensuite demandé à l'avocate de M. Morgan si elle demandait un ajournement pour permettre à la Cour d'être valablement saisie de la question. J'ai été informée que M. Morgan ne souhaitait pas demander d'ajournement, et l'audience a alors suivi son cours sur cette base.

 

Les questions en litige

 

[8]             La Cour est appelée à trancher deux questions :

 

a)       Le paragraphe 163(1) de la Loi s'applique‑t‑il pour une année d'imposition donnée même si une autre pénalité a été imposée pour l'une des trois années précédentes?

 

b)      La pénalité devrait‑elle être annulée pour des motifs de diligence raisonnable?

 

Les faits

 

[9]             Monsieur Morgan était un employé de longue date de la ville de Calgary, d'abord comme éboueur, et ensuite comme inspecteur et contremaître dans le service qui s'occupe des compteurs d'eau.

 

[10]        Lorsqu'il a pris une retraite anticipée à environ 55 ans, M. Morgan a eu le choix de retirer ses fonds du régime de retraite de son employeur. Selon une trousse sur les choix concernant les prestations (pièce A‑1), si M. Morgan choisissait de retirer le montant total, une partie, c'est‑à‑dire 268 466 $, devait être transférée à un compte de retraite avec immobilisation des fonds (« CRIF »), et le solde, soit 179 612 $, pouvait lui être versé directement ou transféré à un régime enregistré d'épargne‑retraite (« REÉR »).

 

[11]        Le 18 février 2009, M. Morgan a choisi de retirer le montant total auquel il avait droit au titre de la pension. En ce qui concerne les fonds qui n'étaient pas immobilisés, M. Morgan a décidé qu'une partie, soit 143 510 $, lui serait versée directement, et que le solde de 36 102 $ serait transféré à un REÉR.

 

[12]        Peu de temps après, des paiements ont été effectués conformément au choix fait. Le montant de 36 102 $ concernant le REÉR a été transféré à un REÉR dont l'épouse de M. Morgan était la rentière. Le montant qui a été versé directement à M. Morgan était de 144 757 $, moins les retenues à la source de 43 427 $ (pièce A‑4).

 

[13]        Monsieur Morgan a pris des dispositions avec la Banque de Nouvelle‑Écosse pour que celle‑ci s'occupe des fonds. Il a témoigné que la banque l'avait assuré qu'elle s'occuperait de l'impôt, et il n'a pas pensé qu'il devait déclarer les fonds.

 

[14]        Un feuillet T4A a été délivré à M. Morgan relativement au montant qui lui avait été directement versé (144 757 $) (pièce A‑4). Le feuillet mentionnait que l'impôt avait été retenu à la source.

 

[15]        En outre, la banque a délivré à M. Morgan un reçu concernant la cotisation de 36 102 $ au REÉR du conjoint. Le reçu qui a été produit en preuve comportait une mention selon laquelle il devrait être joint à la déclaration de revenus provinciale. Compte tenu du reçu de cotisation au REÉR, j'ai conclu qu'aucune retenue à la source n'avait été effectuée relativement au transfert de 36 102 $ au REÉR.

 

[16]        Monsieur Morgan a établi sa propre déclaration de revenus pour l'année d'imposition 2009 comme d'habitude. Il n'a déclaré aucun des fonds de pension à titre de revenu. Selon son témoignage, il ne s'est pas rendu compte du fait que les fonds de pension étaient un revenu et il craignait qu'il n'y eût une double imposition, parce qu'il savait qu'un impôt avait été retenu à la source. Il a aussi déclaré que son épouse plaçait simplement les feuillets d'impôt dans un dossier sans ouvrir les enveloppes.

 

[17]        Pour calculer la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(1) de la Loi, le ministre du Revenu national a considéré que le montant payé directement à M. Morgan et le montant versé au REÉR du conjoint étaient des revenus gagnés par M. Morgan, et que le montant immobilisé transféré au CRIF ne l'était pas. Le montant total qui a été considéré comme étant imposable est de 180 859 $.

 

[18]        Comme je l'ai déjà mentionné, la pénalité prévue au paragraphe 163(1) de la Loi exige qu'il y ait des omissions répétées de déclarer un revenu. En ce qui concerne les trois années d'imposition précédentes, M. Morgan a omis de déclarer les montants suivants dans ses déclarations de revenus :

 

a)       pour l'année d'imposition 2006, M. Morgan a omis de déclarer des revenus provenant de deux sources, à savoir un montant de 10 000 $ retiré d'un REÉR et un montant de 12 500 $ reçu de la fiducie « The John C. Morgan Family Trust », qui avait été établie par le père de M. Morgan;

 

b)      pour l'année d'imposition 2007, M. Morgan a omis de déclarer un revenu de 11 250 $ provenant de la fiducie « The John C. Morgan Family Trust ».

 

[19]        Monsieur Morgan a témoigné qu'il pensait que les montants provenant de la fiducie établie par son père étaient des dons et qu'il avait supposé qu'ils n'étaient pas imposables. Quant au montant retiré d'un REÉR en 2006, M. Morgan a déclaré qu'il n'avait pas reçu le feuillet d'impôt et qu'il avait supposé que l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») relèverait l'omission.

 

[20]        Monsieur Morgan s'est vu imposer une pénalité au titre du paragraphe 163(1) de la Loi pour l'année d'imposition 2007.

 

Analyse

 

Les conséquences de pénalités multiples

 

[21]        La première question est de savoir si le paragraphe 163(1) de la Loi s'applique à de multiples années d'imposition. M. Morgan soutient que, par suite de la pénalité qui lui est infligée pour l'année d'imposition 2009, il est puni deux fois pour la même omission, parce qu'il avait également dû payer une pénalité pour l'année d'imposition 2007. En fait, on prétend que le paragraphe 163(1) de la Loi ne s'applique qu'une seule fois durant une période de quatre ans.

 

[22]        Je ne puis souscrire à l'argument ci‑dessus. Selon une interprétation téléologique du paragraphe 163(1) de la Loi, la pénalité est imposée sur une base annuelle. L'objet de la cotisation établie pour l'année d'imposition 2009 est l'omission de déclarer des revenus pour cette année‑là. La cotisation établie pour l'année d'imposition 2007 visait une omission de déclarer des revenus pour cette année‑là. Il n'y a pas de pénalité imposée deux fois, même si une omission antérieure de déclarer des revenus est une condition obligatoire.

 

Le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable a-t-il été établi?

 

[23]        La deuxième question est de savoir si M. Morgan a établi le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

 

[24]        J'aimerais d'abord faire observer que le montant de la pénalité imposée en l'espèce est très élevé.

 

[25]        Comme cela a été mentionné dans la jurisprudence, la pénalité peut être particulièrement sévère si des retenues à la source ont été effectuées, parce que l'intention d'éviter le paiement de l'impôt est souvent absente. L'avocate de M. Morgan a laissé entendre, au cours des plaidoiries, que les retenues à la source, en l'espèce, étaient suffisantes pour payer la totalité de l'impôt dû. L'argument est certainement plausible, étant donné que M. Morgan n'avait apparemment aucun autre revenu en 2009.

 

[26]        Dans une situation comme l'espèce, lorsqu'il ne semble pas y avoir eu d'intention d'éviter le paiement de l'impôt, il semble excessif d'imposer une pénalité de 20 % en plus de l'impôt de la partie I. L'avocate de M. Morgan a également souligné que le montant de la pénalité est très élevé pour quelqu'un qui se trouve dans la situation financière de M. Morgan.

 

[27]        Malgré le caractère sévère de la pénalité, il n'appartient pas aux tribunaux de modifier la loi. Le législateur a jugé bon de prévoir la pénalité au paragraphe 163(1) de la Loi et les tribunaux ont l'obligation de l'appliquer.

 

[28]        Je me penche à présent sur le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

 

[29]        Le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable peut s'appliquer en cas d'erreur de fait ou lorsque toutes les mesures raisonnables ont été prises pour éviter l'omission. En l'espèce, il n'y a pas d'éléments de preuve suffisants quant à l'existence d'une erreur de fait et, par conséquent, la question est de savoir si M. Morgan a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter l'omission. Un examen de la jurisprudence qui a été citée à l'intention de la Cour laisse entrevoir que chaque cas dépend des faits particuliers qui lui sont propres.

 

[30]        Monsieur Morgan a‑t‑il pris toutes les mesures raisonnables pour éviter l'omission d'inclure des montants dans la déclaration de revenus? À mon avis, il ne l'a pas fait.

 

[31]        Premièrement, M. Morgan a reconnu qu'il était au courant de l'obligation d'inclure tous les revenus dans la déclaration de revenus, en raison du fait qu'une pénalité lui avait été imposée antérieurement au titre du paragraphe 163(1) de la Loi.

 

[32]        Monsieur Morgan a témoigné qu'il avait satisfait à l'obligation de déclarer ses revenus en mettant l'affaire entre les mains de la banque, et que celle‑ci l'avait avisé qu'elle s'occuperait de l'impôt. L'explication n'est pas satisfaisante.

 

[33]        Il semble que la conversation avec la banque était assez générale et qu'elle ne portait pas précisément sur l'établissement de la déclaration de revenus. Si M. Morgan avait fait preuve de diligence relativement à son obligation d'inclure le revenu dans sa déclaration de revenus, il aurait demandé des renseignements précis à la banque ou à quelqu'un d'autre sur la manière dont il fallait établir la déclaration de revenus.

 

[34]        J'aimerais également souligner que M. Morgan a reçu un document de l'employeur, qui mentionnait que les fonds qui lui étaient directement versés étaient [TRADUCTION] « considérés comme un remboursement en espèces imposable » (pièce A‑1). En outre, l'employeur a délivré un feuillet T4A pour le montant payé directement à M. Morgan. Dans ces conditions, M. Morgan n'a pas pris de mesures suffisantes pour déterminer ses obligations en matière de déclaration de revenus relativement à ce montant.

 

[35]        J'adopterai un point de vue différent en ce qui concerne le montant de 36 102 $ qui a été transféré au REÉR. Le document concernant l'impôt fourni par l'employeur mentionnait que [TRADUCTION] « les montants transférés qui excèdent ceux autorisés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu seront considérés comme un revenu dans l'année au cours de laquelle ils sont transférés ». En l'espèce, aucune retenue à la source n'a été effectuée, et il semble qu'un feuillet T4A n'a peut‑être pas été délivré.

 

[36]        J'aurais préféré avoir des éléments de preuve plus détaillés quant à la question de savoir si M. Morgan avait reçu quelques conseils fiscaux que ce soit au moment où le choix avait été fait, et quant à la raison pour laquelle il avait décidé de transférer 36 102 $ à un REÉR. Il n'est pas vraisemblable que ce montant a été tiré du néant.

 

[37]        Bien que le manque d'éléments de preuve soit troublant, il convient, à mon avis, d'appliquer le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable aux fonds de pension qui ont été transférés directement au REÉR. Ils sont passés d'un instrument exonéré d'impôt à un autre, et rien n'indiquait que M. Morgan avait été avisé que ce montant serait imposé au moment du transfert. S'il s'agit d'une interprétation généreuse des faits en faveur de M. Morgan, j'estime que les circonstances dans l'ensemble justifient ce résultat.

 

[38]        L'appel est accueilli pour réduire la pénalité fédérale afin qu'elle ne s'applique pas à l'égard du montant transféré au REÉR.

 

[39]        Chaque partie assumera ses propres frais.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 16e jour de juillet 2013.

 

 

« J. M. Woods »

Le juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'octobre 2013.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 232

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-2466(IT)G

 

INTITULÉ :                                      JOHN MORGAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 17 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L'honorable juge J. M. Woods

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 16 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Lori G. Bokenfohr

Avocate de l'intimée :

MMary Softley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

         

          Nom :                             Lori G. Bokenfohr

          Cabinet :               Dunphy & Bokenfohr Law Partnership

                                       Calgary (Alberta)

 

          Pour l'intimée :     William F. Pentney

                                       Sous-procureur général du Canada

                                      Ottawa (Ontario)

 

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