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Référence : 2013CCI220

Date : 20130708

Dossiers : 2012-3713(EI)

2012-3712(CPP)

ENTRE :

STEVE MURRAY,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 13 juin 2013.)

La juge V.A. Miller

 

[1]             Les appels dont la Cour est saisie visent à déterminer si Michael Shawn English occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension pendant la période où il a travaillé pour l’appelant, du 9 juin 2011 au 25 septembre 2011.

 

[2]             L’appelant et Michael Shawn English sont ceux qui ont témoigné à l’audience.

 

[3]             L’appelant exploite une entreprise à propriétaire unique œuvrant dans le domaine de la construction résidentielle sous le nom de By Design Contracting. Dans le cadre de son entreprise, il construit des résidences neuves et rénove et agrandit des résidences existantes.

 

[4]             En 2011, il a obtenu un contrat avec PMT Development (« PMT ») pour participer à la construction d’un duplex et d’un quintuplex (les « immeubles ») à Qikiqtarjuaq, au Nunavut. PMT avait été désignée comme entrepreneur général du projet de construction en vertu d’un contrat avec la Société d’habitation du Nunavut.

 

[5]             Aux termes du contrat conclu avec PMT, l’appelant était chargé de la construction des éléments architecturaux des immeubles. D’après le contrat initial, l’appelant disposait de 16 semaines pour terminer sa partie des travaux. Toutefois, ce délai a été prolongé à 17 semaines, ce qui repoussait la date d’achèvement des travaux au 7 octobre 2011.

 

[6]             Pour s’acquitter de ses obligations contractuelles, l’appelant a embauché six travailleurs; Michael Shawn English (le « travailleur ») était l’un d’eux. Je parlerai d’« équipe » lorsque je ferai référence à l’ensemble des six travailleurs.

 

[7]             PMT a assumé le coût du transport de l’appelant et de son équipe d’Ottawa au Nunavut. Elle a également payé l’hébergement de l’équipe pendant qu’elle séjournait au Nunavut.

 

[8]             Le travailleur a été embauché pour travailler sur tous les aspects des éléments architecturaux des immeubles. Selon l’appelant, cela comprenait la construction de la charpente des immeubles de même que l’installation du bardage, des fenêtres, de la toiture et des cloisons sèches.

 

[9]             Aux dires des deux témoins, le travailleur devait recevoir 40 000 $ en rémunération. L’appelant a déclaré que le travailleur devait toucher cette somme par versements déterminés selon un pourcentage des paiements que l’appelant recevait lui‑même de PMT. Quant au travailleur, il a affirmé qu’il devait toucher 1 000 $ par semaine pendant qu’il était au Nunavut et recevoir le solde dû sur les 40 000 $ à la fin du projet.

 

[10]        Toujours selon les deux témoins, au moment de l’embauche, l’intention commune était que les services du travailleur soient offerts à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[11]        PMT avait retenu les services d’un contremaître et d’un coordonnateur de projet pour la construction des immeubles. L’appelant a déclaré qu’à son arrivée au Nunavut, le coordonnateur de projet de PMT lui avait dit que son équipe devait être rémunérée selon les mêmes modalités que les Inuits travaillant sur le projet. Les travailleurs inuits avaient le statut d’employés. On lui a dit qu’il s’agissait d’une exigence de la Loi sur les normes du travail du Nunavut.

 

[12]        L’appelant a senti qu’il n’avait d’autre choix que de se plier à cette exigence. S’il ne l’acceptait pas, il perdrait le contrat. Il a fait part de l’information aux membres de son équipe en leur disant que ceux qui n’acceptaient pas les nouvelles modalités d’emploi devraient rentrer en Ontario. Selon ce qu’il affirme, l’appelant aurait dit à l’équipe qu’aux termes de ces nouvelles modalités, ils continueraient de toucher 40 000 $, mais que cette somme leur serait versée selon un taux horaire. Ils seraient rémunérés au taux de 20 $ l’heure pour les 44 premières heures travaillées dans la semaine et de 30 $ l’heure pour les heures supplémentaires. Chaque membre de l’équipe recevrait également 750 $ par semaine au titre des indemnités quotidiennes. Or, le travailleur a affirmé lors de son témoignage qu’on lui aurait dit qu’en vertu des nouvelles modalités, il recevrait un salaire hebdomadaire égal à la somme de 40 000 $ divisée par le nombre de semaines nécessaires à la réalisation complète des travaux visés par le contrat. D’après mes calculs, cela correspond à 2 352,94 $ par semaine.

 

[13]        L’appelant a déclaré qu’il avait ensuite appris que l’information reçue du coordonnateur de projet de PMT était erronée. La Loi sur les normes du travail du Nunavut ne prévoit aucune exigence du genre et depuis, il a déposé une plainte à la Commission des normes du travail du Nunavut. Il attend la décision.

 

[14]        Pour déterminer si le travailleur occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension lorsqu’il travaillait pour l’appelant, il faut se demander s’il fournissait ses services en tant que personne exploitant une entreprise pour son propre compte : 671122 Ontario Ltd c Sagaz Industries Canada Inc. [2001] 2 RCS 983. À cet égard, l’intention des parties revêt une importance particulière et il y a lieu de faire appel aux facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd c MRN, [1986] 3 CF 553 (CAF), pour analyser la relation de travail existant entre le travailleur et l’appelant en vue de vérifier si cette relation est conforme à leur intention. Ces facteurs sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte.

 

L’intention

 

[15]        Au départ, il était de l’intention de l’appelant et du travailleur que celui-ci soit engagé à titre d’entrepreneur indépendant. À leur arrivée au Nunavut, leur intention s’est modifiée. Le travailleur a indiqué qu’après avoir reçu un ultimatum de l’appelant, il a voulu être embauché comme employé. Quant à l’appelant, il a déclaré que son intention était restée la même : le travailleur continuait d’être engagé comme entrepreneur indépendant. Seul le mode de paiement avait été modifié : on l’avait [traduction] « contraint à verser des salaires ».

 

Le degré de contrôle

 

[16]        Dans son témoignage, le travailleur a indiqué qu’à l’instar des autres membres de l’équipe, il était censé travailler du lundi au samedi à raison de dix heures par jour. Cet horaire avait été établi de concert par l’appelant, le coordonnateur de projet de PMT et le contremaître. Toutefois, l’équipe a décidé de travailler aussi le dimanche, de sorte qu’elle travaillait dix heures par jour, tous les jours de la semaine. Les heures de travail effectuées par le travailleur étaient consignées par le coordonnateur de projet de PMT.

 

[17]        Le coordonnateur de projet et le contremaître de PMT dirigeaient le travailleur dans l’exécution de ses tâches et lui donnaient des instructions de façon à ce que les indications des devis descriptifs soient respectées. Le travailleur a déclaré qu’il n’avait pas un mot à dire quant à la façon d’effectuer le travail. Il suivait les instructions du contremaître et du coordonnateur de projet de PMT, qui le supervisaient dans ses tâches. Le contremaître attribuait les tâches chaque semaine et fixait les priorités et les échéances que le travailleur devait respecter.

 

[18]        Lorsque PMT a jugé qu’il y avait du retard dans les travaux, elle a téléphoné à l’appelant qui s’est rendu au Nunavut afin de vérifier où en était l’équipe dans la réalisation du projet.

 

[19]        J’estime que l’appelant et sa cliente, PMT, exerçaient un contrôle sur l’exécution des tâches du travailleur.

 

La propriété des instruments de travail et du matériel

 

[20]        Le travailleur devait posséder sa propre ceinture porte‑outils, ses petits outils à main, une ceinture anti-chute et des bottes de protection. Le reste des instruments de travail et du matériel dont le travailleur avait besoin pour s’acquitter de ses tâches était fourni par PMT ou la Société d’habitation du Nunavut.

 

[21]        Il a été jugé que si les instruments de travail appartiennent au travailleur et qu’il est raisonnable que ceux‑ci lui appartiennent, ce facteur permet de conclure que le travailleur est un entrepreneur indépendant, bien que les principaux instruments nécessaires à l’accomplissement de son travail lui soient fournis : Precision Gutters Ltd c Canada, 2002 CAF 207, au paragraphe 25.

 

[22]        Par conséquent, j’estime que ce facteur tend à établir que le travailleur est un entrepreneur indépendant.

 

La sous‑traitance et l’embauche d’assistants

 

[23]        Aux dires de l’appelant, le travailleur pouvait embaucher un assistant dans la mesure où il se chargeait de le rémunérer. Quant au travailleur, il a affirmé n’avoir jamais abordé cette question avec l’appelant.

 

[24]        Le travailleur a quitté le chantier le 25 septembre, soit avant l’achèvement du projet. L’appelant a embauché quelqu’un d’autre pour le remplacer.

 

[25]        Après examen de la preuve, je conclus que le travailleur n’était pas autorisé à embaucher un assistant ou un remplaçant. Ce facteur donne à penser que le travailleur était un employé.

 

La possibilité de profit et le risque de perte

 

[26]        L’appelant et le travailleur avaient convenu que ce dernier recevrait 40 000 $. Toutefois, leurs témoignages divergent quant à la façon dont cette somme serait versée. Quoi qu’il en soit, c’est l’appelant qui a établi le taux de rémunération du travailleur. Selon ce qu’a déclaré ce dernier, ce n’est qu’au moment de recevoir ses bordereaux de paie qu’il a appris qu’il était rémunéré à l’heure, soit quelque temps après son retour en Ontario.

 

[27]        Selon les registres de paie déposés en preuve, le travailleur devait toucher 20 $ l’heure pour les heures travaillées jusqu’à concurrence de 44 heures par semaine. Pour les heures supplémentaires, il devait recevoir 30 $ l’heure. Il était censé toucher une paie chaque semaine mais dans les faits, il était payé de façon sporadique. Il a reçu une rémunération brute de 5 657,60 $ le 21 juillet et le 8 septembre. Des retenues avaient été faites sur son salaire au titre de l’impôt, de l’assurance‑emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada.

 

[28]        Au cours de cette période, le travailleur a aussi touché des indemnités quotidiennes se montant à 10 750 $ et à chaque paie, il recevait une paie de vacances de 4 %.

 

[29]        L’appelant décidait de la fréquence et des modalités des paiements qu’il versait au travailleur. Le travailleur a cessé de travailler pour l’appelant parce qu’il n’était pas payé à intervalles réguliers.

 

[30]        L’appelant a fait valoir que le travailleur aurait pu réaliser un profit s’il avait travaillé plus fort et terminé le projet plut tôt. Or, même si le projet avait été achevé en moins de 16 semaines, il aurait quand même empoché 40 000 $.

 

[31]        Je ne souscris pas au point de vue de l’appelant. L’expression « possibilité de profit et risque de perte » s’entend dans une optique d’entreprenariat. En l’espèce, le travailleur n’avait pas la possibilité de négocier son salaire. Il n’a pas négocié les conditions du contrat.

 

[32]        Il est vrai que le travailleur a subi une perte du fait qu’il n’a pas reçu le salaire promis, mais il ne courait pas un risque de perte au sens entrepreneurial. Il n’y avait pas d’investissement en jeu de sa part. C’était l’appelant qui garantissait la qualité des travaux exécutés par le travailleur et qui avait la responsabilité de trouver des solutions aux plaintes formulées par sa cliente, PMT. S’il fallait reprendre des travaux, c’est à l’appelant qu’il revenait d’en assumer les frais. PMT a constaté des lacunes dans le travail effectué par l’équipe de l’appelant et celui-ci a supporté les coûts nécessaires pour remédier à ces lacunes.

 

[33]        J’en conclus que le travailleur n’avait aucune possibilité de réaliser un profit et ne courait aucun risque de perte. Ces facteurs me portent davantage à conclure que le travailleur était un employé.

 

[34]        Après examen de tous les facteurs, je conclus que le travailleur n’exploitait par une entreprise de son plein gré. Bien qu’au départ, à l’instar de l’appelant, son intention était d’être engagé comme entrepreneur indépendant, les modalités de leur relation, analysées à la lumière des facteurs établis dans l’arrêt Wiebe Door, ne permettent pas de corroborer cette intention. Au contraire, ces modalités traduisent un changement d’intention faisant du travailleur un employé.

 

[35]        Les appels sont rejetés.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2013.

« V.A. Miller »

Juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2013.

 

C. Laroche, traducteur


RÉFÉRENCE :                                 2013CCI220

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-3713(EI)

                                                          2012-3712(CPP)

 

INTITULÉ :                                      STEVE MURRAY c.

                                                          M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Valerie Miller

 

DATE DES MOTIFS RENDUS

ORALEMENT :                                Le 13 juin 2013

 

SIGNATURE DES MOTIFS:           Le 8 juillet 2013

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 18 juin 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimé :

Me Erin Strashin

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :                       

 

                          Nom :                     s.o.

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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