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Dossier : 2012-1897(IT)APP

ENTRE :

VICKI MONTOUR,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Demande entendue le 19 mars 2013 à Hamilton (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall Bocock

Comparutions :

Avocat de la requérante :

Me G. James Fyshe

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

____________________________________________________________________

ORDONNANCE

VU que la requérante a présenté une demande en vue d’obtenir une ordonnance prorogeant le délai imparti pour interjeter appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 de la requérante;

ET VU les documents déposés, le témoignage de vive voix de la requérante et les observations des avocats respectifs de la requérante et de l’intimée;

LA COUR ORDONNE :

1.                 la demande présentée en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un avis d’appel est accueillie, compte tenu du fait que l’appel est raisonnablement fondé;

2.                 la requérante doit déposer, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, un nouvel avis d’appel dans lequel elle exposera les faits particuliers et les dispositions législatives concernant son appel;

3.                 si le ministre le souhaite, l’intimée peut déposer une nouvelle réponse dans les 30 jours suivant la réception du nouvel avis d’appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2013.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de février 2016.

M.-C. Gervais


Référence : 2013 CCI 178

Date : 20130605

Dossier : 2012-1897(IT)APP

ENTRE :

VICKI MONTOUR,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Bocock

I.                   La question en litige

[1]             Comme l’a souligné la Cour dans les motifs de l’ordonnance de l’affaire Turcotte c. Sa Majesté la Reine, 2013 CCI 171, chaque contribuable peut, « de droit », interjeter appel auprès de la Cour à l’encontre de toute nouvelle cotisation établie par le ministre, à condition qu’un avis d’appel ait été déposé dans un délai de 90 jours suivant la réception d’un avis de ratification. Comme dans l’affaire Turcotte, aucun avis d’appel n’a été déposé dans le délai de 90 jours.

[2]             En l’espèce, l’avis de ratification a été envoyé au représentant désigné de Mme Montour, Native Leasing Services, le 9 février 2012.

[3]             Aucun avis d’appel n’a été reçu avant le 14 mai 2012. Le délai pour interjeter appel « de droit » a expiré le 10 mai 2012. Selon le paragraphe 167(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), après l’expiration du délai « de droit », le contribuable qui veut interjeter appel à l’encontre de la cotisation doit présenter une demande de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel dans l’année suivant l’expiration du délai de 90 jours imparti pour interjeter appel « de droit ». Dans cette demande, qui ressemble à celle dont il est question dans l’affaire Turcotte, la seule opposition exprimée par l’intimée, et aussi la seule question non résolue dont la Cour est saisie, est de savoir s’il a été satisfait à la dernière condition énoncée au sous‑alinéa 167(5)b)(iv) de la Loi. En résumé, l’appel est‑il « raisonnablement fondé »?

II.      La procédure à ce jour

[4]             Native Leasing Services (« NLS »), à titre de représentant, a déposé cet avis de demande en même temps de que bien d’autres avis de demande pour le compte de certains Indiens inscrits. Conformément à la méthode employée habituellement par NLS, l’avis de demande et l’avis d’appel qui y est joint sont identiques à de nombreux autres avis de demande présentés devant la Cour. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces actes de procédures sont imprécis.

[5]             L’avocat de Mme Montour, qui était également l’avocat inscrit au dossier dans l’affaire Turcotte, demande que la demande soit accueillie et que l’appel soit entendu sur le fond par un juge du fond. En l’espèce, la Cour a remarqué que la demande de prorogation du délai a été présentée seulement cinq jours après l’expiration du délai pour interjeter appel « de droit ». Il ne s’agit aucunement d’un facteur déterminant dans la question de savoir si l’appel est raisonnablement fondé.

III.     Les faits

[6]             En raison du fait que la demande et l’avis d’appel en l’espèce n’étaient pas assez détaillés, la requérante, Mme Montour, a témoigné et a démontré son intention d’interjeter appel en s’appuyant sur des éléments de preuve documentaire. Ces éléments de preuve ont poussé l’intimée à retirer son opposition secondaire à la demande qu’elle avait déjà formulée au motif que la requérante n’avait pas réussi à établir qu’elle avait véritablement l’intention d’interjeter appel suivant le sous‑alinéa 167(5)b)(i) de la Loi.

[7]             Mme Montour a témoigné devant la Cour.

1.                 Elle est une Indienne inscrite.

2.                 Elle est actuellement travailleuse de soutien pour le Native Women’s Centre (le « Centre »), à Hamilton. Le Centre vise à offrir un refuge aux femmes autochtones ayant été victimes de violence familiale. Il offre une aide axée sur la population autochtone en s’appuyant sur les croyances traditionnelles.

3.                 La réserve des Six Nations de la rivière Grand (la « réserve ») se situe à environ 30 minutes de voiture du centre‑ville de Hamilton. Un nombre incalculable de femmes qui se rendent à la réserve, en partent ou y résident se rendent au Centre et ont recours aux services qu’il offre.

4.                 Le Centre n’offre pas exclusivement des services aux femmes autochtones qui habitent dans la réserve.

5.                 L’auto‑identification est la seule méthode par laquelle les services sont offerts aux femmes autochtones. Dans certains cas, le Centre offre des services à des femmes qui ne sont pas des Indiennes inscrites.

6.                 Le Centre ne suit pas les déplacements des femmes avant ou après la prestation de services dans ses locaux. Les femmes qui se rendent au Centre sont décrites à bon droit, de façon générale, comme des femmes autochtones ayant été victimes de violence ou ayant reçu des menaces de violence dans un contexte familial ou relationnel.

7.                 Certains éléments de preuve présentés par Mme Montour donnent à penser que les services qu’offre le Centre aux femmes autochtones vivant dans la réserve ne pourraient pas être offerts dans la réserve facilement ou en toute sécurité (dans la mesure où le Centre crée un milieu sûr).

IV.     Les observations concernant la nécessité d’offrir un milieu sûr à l’extérieur de la réserve

[8]             Dans ses observations, l’avocat de la requérante a fourni trois arguments généraux. Les deux premiers étaient de nature juridique et se rapportaient à l’évolution de la dynamique du critère des facteurs de rattachement et aux décisions rendues récemment, qui changent les [traduction] « règles du jeu » en ce qui concerne la question de savoir s’il convient d’utiliser le critère des facteurs de rattachement et le concept relationnel du [traduction] « marché ordinaire ». Le troisième argument concernait l’exigence, ou du moins l’entente optimale, selon laquelle, en raison de la nature des services qu’il offre, le Centre doit veiller à ce que le milieu soit sûr, éloigné et neutre, et représente pour les femmes autochtones un endroit où elles peuvent se réfugier pour échapper à la violence familiale et relationnelle. Compte tenu de la nature de la vie dans la réserve et de la proximité relative au sein de la réserve des Six Nations, pour que les femmes aient accès à un tel refuge, il peut s’avérer nécessaire qu’au moins un centre pour femmes se situe dans un milieu urbain, à l’extérieur de la réserve.

[9]             L’avocat de l’intimée a attiré l’attention de la Cour sur la décision Horn c. Canada et l’arrêt Horn et Williams c. Canada, respectivement la décision rendue en première instance, 2007 CF 1052, [2007] A.C.F. no 1356, et l’arrêt rendu en appel, 2008 CAF 352, [2008] A.C.F. no 1553. L’avocat a précisé que, si la demande de Mme Montour était accueillie, la Cour serait saisie de la même question que celle tranchée dans l’arrêt Horn et Williams. Plus précisément, l’avocat de l’intimée a mentionné que, dans cette décision, confirmée dans l’arrêt rendu en appel, la cour a examiné la prestation de services sociaux à des femmes autochtones et conclu qu’il n’y avait aucune raison de conférer un traitement fiscal privilégié au contribuable après avoir dûment appliqué le critère des facteurs de rattachement. Comme les faits sont identiques et que la loi est claire, n’a pas été modifiée ou est impossible à distinguer, il n’est pas nécessaire d’entendre la demande en l’espèce, car l’appel n’est pas raisonnablement fondé. En résumé, bien que le travail effectué au Centre soit louable, il ne confère pas un avantage général aux femmes autochtones habitant dans la réserve. Par conséquent, en l’absence d’un tel facteur de rattachement, l’appel n’est pas raisonnablement fondé.

[10]        Les observations de la requérante formulées en réponse étaient axées sur la nature dynamique du droit, qui a été modifié par les arrêts Succession Bastien c. Canada, 2011 CSC 38, [2011] 2 R.C.S. 710; Dubé c. Canada, 2011 CSC 39, [2011] 2 R.C.S. 764, et Canada c. Robertson, 2012 CAF 94, 348 DLR (4th) 227. En l’espèce, la requérante fait valoir que, par sa nature même, l’entreprise ou l’activité dont profitent les Autochtones vivant dans une réserve ne peut pas toujours être réalisée avec succès dans une réserve. Cette caractéristique exceptionnelle du service est un facteur raisonnable devant être examiné par un juge du fond compte tenu du principe énoncé dans l’arrêt Canada c. Robertson.

V.      Analyse

[11]        Le fondement factuel que doit examiner la Cour en l’espèce diffère quelque peu de celui de l’affaire Turcotte en raison de la question du milieu sûr à l’extérieur de la réserve. Cela étant dit, la conclusion de droit qu’il faut tirer pour que la prorogation du délai soit accordée et que l’appel soit entendu est cependant la même, c’est‑à‑dire que l’appel doit être raisonnablement fondé. D’une façon semblable, les actes de procédure dont dispose actuellement la Cour en l’espèce ne sont pas utiles à cet égard.

[12]        Conformément à la logique de l’ordonnance que la Cour a récemment rendue dans l’affaire Turcotte, le juge saisi de la demande doit conclure qu’il existe des circonstances factuelles ou des arguments juridiques qui n’ont pas été jugés. En résumé, l’affaire ne peut pas être identique en tous points à une affaire que la Cour a déjà entendue et tranchée. Sur le plan juridique, si la Cour accepte qu’une telle demande justifie la tenue d’une audience, le régime de common law fondé sur la jurisprudence se dégraderait rapidement. En outre, pour des motifs se rapportant à la procédure, si la Cour ne tire pas une conclusion de cette nature, selon la décision Johnston c. Canada, 2009 CCI 327, 2009 DTC 1198, qui fait autorité, elle serait dessaisie, car elle n’aurait pas le pouvoir d’accueillir la demande et d’autoriser le déroulement de l’audience suivant le paragraphe 167(5).

[13]        L’arrêt Horn et Williams, dont la situation de fait est exactement identique à celle dont est saisie la Cour en l’espèce, comporte deux affaires, soit Williams et Horn. En l’espèce, les faits ressemblent beaucoup à ceux d’une seule des situations de fait visées dans l’arrêt Horn et Williams. Le juge Phelan, au paragraphe 112 de la décision rendue en première instance, a analysé une situation de fait semblable à la demande dont est actuellement saisie la Cour. À cette fin, le juge Phelan a dû tirer des conclusions de fait et accorder un poids à la preuve afin d’appliquer le critère des facteurs de rattachement. Ce principe est souligné dans l’arrêt Horn et Williams, rendu en appel, et ressort de cet arrêt. Au paragraphe 8, le juge Evans s’est exprimé en ces termes :

8          Il appartient avant tout au juge de première instance, selon les circonstances de l’affaire, d’évaluer le poids relatif qu’il doit accorder aux éléments constitutifs d’un critère comportant de multiples facteurs. L’application du critère des « facteurs de rattachement » constitue un exercice particulièrement lié aux faits. En l’absence d’une erreur manifeste et dominante dans l’application du critère ou d’une erreur de droit, la Cour ne peut pas substituer son point de vue à celui du juge.

[14]        Compte tenu de l’analyse de la Cour dans les motifs rendus dans l’affaire Turcotte et de l’orientation précise de la Cour d’appel fédérale présentée ci‑dessus, la décision de refuser d’accorder à la requérante le droit de soumettre son appel à un juge du fond doit se fonder sur une décision de la Cour sur des faits presque identiques. Une telle décision concernant la demande s’appuierait sur la conclusion selon laquelle, après avoir effectué un examen visant à obtenir un aperçu de la situation, les actes de procédure et les témoignages de vive voix à l’étape du traitement de la demande présentent au juge saisi de la demande des faits identiques à ceux des décisions faisant autorité, en l’espèce l’arrêt Horn et Williams.

[15]        À cette fin, la Cour souligne que le juge Phelan a tiré des conclusions de fait concernant le centre offrant des services aux femmes dont il est question en l’espèce. Ces conclusions : (i) ont été tirées près de six ans avant la date de présentation de la demande en l’espèce (leur validité est limitée dans le temps, car elles s’appuyaient sur les données accessibles à ce moment‑là); (ii) comportaient le recensement des fournisseurs de services équivalents remplaçables à proximité de la réserve; (iii) ont mené à une conclusion de fait concernant le nombre de clients vivant alors à l’extérieur de la réserve comparativement au nombre de clients vivant dans la réserve (la clientèle provenait principalement de l’extérieur de la réserve). Si la Cour rejetait cette demande, elle conclurait que la situation de fait évaluée et pondérée par le juge du fond en 2007, qui concernait les femmes auxquelles le centre offrait alors des services et les services remplaçables alors facilement accessibles, est identique à la situation de fait évaluée en l’espèce en 2013, qui concerne une municipalité située à quelques minutes de voiture d’une réserve parmi les plus dynamiques, densément peuplées et urbanisées au Canada. Compte tenu de l’orientation que la Cour d’appel fédérale a prise dans l’arrêt Horn et Williams et du fait que le juge du fond appliquant le critère des facteurs de rattachement doit tenir compte des faits et des circonstances propres à l’affaire, la Cour, qui est actuellement saisie d’une demande d’autorisation de déposer un avis d’appel, ne peut pas priver la requérante de son droit d’interjeter appel devant un juge du fond s’il est possible que les faits présentés à l’audience diffèrent de ceux établis dans les décisions faisant autorité qui ont été citées.

[16]        La Cour l’a précisé au paragraphe 24 des motifs de l’ordonnance rendue dans l’affaire Turcotte :

24        L’existence éventuelle de tels faits et arguments « non jugés », une fois portée à la connaissance du juge saisi de la demande, donne compétence à la Cour, comme l’exige la décision Johnston, et rend l’appel différent des appels qui ont été auparavant tranchés, à l’instar de ce que commande la décision Keshane. D’une manière peut‑être aussi importante, les faits allégués exigent un examen du motif dappel présenté lorsque des faits similaires, mais non identiques, concernant le contribuable en question nécessitent que le juge du fond apprécie la situation particulière du requérant/de l’appelant pour appliquer le même critère, « […] selon les circonstances de l’affaire, […] aux éléments constitutifs d’un critère comportant de multiples facteurs », comme cela est décrit dans la décision Rock, laquelle, ainsi que je l’ai déjà souligné, cite l’arrêt Horn et Williams rendu par la Cour d’appel fédérale.

[17]        Par conséquent, la Cour conclut qu’il est justifié que les faits semblables, mais peut‑être différents, qui évoluent et qui ne sont pas identiques à ceux visés dans la jurisprudence citée par l’intimée, soient présentés à un juge du fond afin que celui‑ci les examine et les pondère, car il peut exister un motif d’appel susceptible d’être raisonnable et qui milite en faveur d’un appel raisonnablement fondé. La question dynamique concernant le service d’abri offert à l’extérieur de la réserve à des Autochtones vivant dans la réserve devrait être entendue en fonction de la situation de fait de la requérante en l’espèce, qui est semblable, mais peut-être différente, au cours d’une audience tenue uniquement à cette fin.

[18]        Comme dans l’affaire Turcotte, pour corriger les lacunes liées aux actes de procédure et faciliter le déroulement de l’audience, l’appelante doit, dans un délai de 30 jours, déposer un nouvel avis d’appel décrivant de façon plus détaillée les dispositions législatives et les faits sur lesquels elle s’appuie. Des droits de réponse concordants seront accordés à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2013.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de février 2016.

M.-C. Gervais


RÉFÉRENCE :

2013 CCI 178

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1897(IT)APP

INTITULÉ:

VICKI MONTOUR ET LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mars 2013

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Randall Bocock

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 5 juin 2013

COMPARUTIONS :

Avocat de la requérante :

Me G. James Fyshe

Avocat de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nom :

G. James Fyshe

Cabinet :

Fyshe, McMahon LLP

Hamilton (Ontario)

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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