Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2011-1064(EI)

2011-1066(CPP)

2011-1210(EI)

ENTRE :

ACANAC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

et

 

Dossiers : 2012-580(EI)

2012-579(CPP)

ENTRE :

ACANAC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

AARON C. MOULAND,

intervenant.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus les 18, 19 et 23 avril 2013, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gerald Matlofsky

Avocate de l’intimé :

Me Alisa Apostle

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

 

 

JUGEMENT

Les appels interjetés en vertu paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi et de l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de juin 2013.

 

S. Tasset

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 163

Dossiers : 2011-1064(EI)

2011-1066(CPP)

2011-1210(EI)

ENTRE :

ACANAC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

et

 

Dossiers : 2012-580(EI)

2012-579(CPP)

ENTRE :

ACANAC INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

AARON C. MOULAND,

intervenant.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge C. Miller

[1]             Il s’agit d’une affaire semblable à tant d’autres qu’entend la Cour à propos de la question de savoir si des travailleurs sont des employés ou des entrepreneurs indépendants, sauf que la présente, aux dires de l’avocat de l’appelante, comporte une légère variante : elle se déroule dans le secteur de la haute technologie, un fait qui, selon Acanac Inc. (« Acanac »), demande une démarche innovatrice par rapport à l’habituel critère, fondé sur les affaires Wiebe Door et Sagaz, que les tribunaux ont mis au point. L’intimé est d’avis que les deux travailleurs en cause, MM. Mouland et Westcott, étaient des employés d’Acanac exerçant un emploi à la fois assurable aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi (« LAE ») et ouvrant droit à pension aux termes du Régime de pensions du Canada (« RPC ») en 2009 et 2010. Acanac s’oppose à ces conclusions au motif que MM. Mouland et Westcott étaient des entrepreneurs indépendants. M. Mouland a déposé un avis d’intervention.

Les faits

[2]             Acanac est un fournisseur de services Internet, principalement dans des grandes villes en Ontario et au Québec. Selon le président d’Acanac, M. Louro, cette entreprise fait concurrence à des sociétés telles que Bell, Rogers et Vidéotron en offrant un service moins coûteux et plus fiable. Un élément clé de ce service est la capacité qu’a Acanac de traiter les demandes de renseignements des clients, ce qu’elle fait par téléphone ou par Internet, par l’intermédiaire d’agents de soutien technique (« AST »). MM. Mouland et Westcott ont travaillé comme AST en 2009 et 2010.

[3]             Acanac recrute ses AST principalement par l’entremise de sites Internet. Selon M. Louro, Acanac est à la recherche de personnes ayant une solide expertise technique en informatique, quoique l’entreprise, sur son site Web, dise exiger simplement comme condition préalable des connaissances générales en informatique. M. Louro a déclaré que cela se vérifie aisément en faisant des recherches appropriées sur Internet. Acanac met en ligne des avis de recrutement d’AST dans son site Web ou d’autres sites Internet, et des personnes ayant l’expertise voulue y répondent. M. Westcott a toutefois clairement indiqué qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine et avait simplement entendu parler, par l’entremise d’un ami, de la possibilité d’entrer au service d’Acanac. Ce n’est pas là le seul exemple de situation dans laquelle le point de vue d’Acanac et celui des AST diffèrent quelque peu. Bien qu’il puisse fort bien y avoir sur Internet une quantité considérable d’informations sur d’éventuels candidats à un poste d’AST, ce n’est pas toujours de cette façon que les futurs AST sont trouvés et recrutés. M. Louro a témoigné qu’Acanac n’estime pas nécessaire de mener des entrevues, et qu’elle se fonde plutôt surtout sur les antécédents de la personne, lesquels sont déterminés à partir d’Internet. Là encore, cela ne semble pas être aussi évident que cela d’après le témoignage de MM. Mouland et Westcott, dont l’embauche précise n’est pas exactement conforme à la description que M. Louro a faite des pratiques d’Acanac sur ce plan. M. Louro a tout de même reconnu qu’Acanac embauche également du personnel en se fondant sur les recommandations d’AST déjà au service d’Acanac. L’entreprise recrute des AST aussi bien au pays qu’à l’étranger.

[4]             Acanac demande à l’AST de signer un contrat d’entrepreneur indépendant, dont j’ai joint des extraits en tant qu’annexe A. Je signale que M. Mouland a signé un tel contrat, mais pas M. Westcott.

[5]             Une fois embauché, l’AST reçoit une courte séance de formation – moins d’une journée – qui lui apprend le fonctionnement du système de facturation et la façon de procéder à une connexion en utilisant les mots de passe appropriés, et qui l’initie aux sites de dépannage. D’après M. Mouland, Acanac fournissait les outils de dépannage nécessaires pour régler la plupart des problèmes qu’un AST pouvait rencontrer. Il y avait aussi un document Word qui décrivait les problèmes courants. L’AST obtenait quelques directives générales sur la façon de lire les outils diagnostiques du portail Bell, de façon à pouvoir déterminer s’il fallait établir une fiche de travail de Bell; autrement dit, faire passer le problème d’Acanac à Bell.

[6]             L’AST peut répondre aux appels téléphoniques ou aux demandes de renseignements transmises par Internet (appelés « fiches de travail ») par les clients d’Acanac. Les demandes de renseignements téléphoniques sont traitées au moyen d’un système qu’Acanac appelle « QueueMetrics », un dispositif d’acheminement téléphonique dont cette entreprise est propriétaire. Ainsi, un appel entrant est automatiquement acheminé vers le prochain AST disponible : s’il y a plus d’un AST disponible, c’est celui qui décroche le premier qui reçoit l’appel. Acanac n’est pas en mesure d’écouter les appels en temps réel, mais, comme le système QueueMetrics les enregistre, Acanac peut écouter l’enregistrement après coup.

[7]             Le système QueueMetrics enregistre la durée de chaque appel. Cela permet à Acanac de vérifier les factures reçues dans lesquelles les AST consignent le nombre d’heures travaillées. Les heures inscrites sur la facture peuvent être comparées à celles qu’enregistre le système QueueMetrics. Selon M. Louro, la falsification des heures de travail est un problème constant.

[8]             M. Louro a déclaré qu’Acanac n’a jamais établi un modèle de facture, même s’il était clair que les factures des AST étaient identiques. Si ce n’était pas Acanac qui les produisait, il s’agissait certes d’un formulaire semblable qui était à la disposition des AST.

[9]             Les AST convenaient d’effectuer une semaine de travail d’environ 40 heures, soit pendant le quart de jour, de 9 h à 17 h, soit pendant le quart de soir, de 16 h à minuit, mais il leur était loisible d’effectuer plus ou moins d’heures de travail que cela. Durant la période en litige – celle durant laquelle MM. Mouland et Westcott ont été au service d’Acanac (2009 à 2010) – l’entreprise était extrêmement occupée, et l’on encourageait les AST à effectuer de plus longues heures de travail. Ils n’étaient rémunérés que pour le temps consacré aux appels téléphoniques ou aux demandes de renseignements transmises par Internet. Acanac a introduit le concept d’une heure de prime afin d’inciter les AST à effectuer davantage d’heures de travail, mais les AST considéraient simplement cela comme une pause repas rémunérée.

[10]        Les AST travaillaient à partir de chez eux, ou ailleurs : pour Acanac, cela ne faisait aucune différence. Comme il a été indiqué, un grand nombre de ces AST étaient à l’étranger.

[11]        Que faisaient donc exactement ces AST pour Acanac? Ils décidaient quel quart de travail ils voulaient effectuer et, au début de chaque quart, ils se connectaient au système, en se servant de leurs divers mots de passe. MM. Louro, Mouland et Westcott ont déclaré que les 40 heures de travail prévues dans le contrat d’entrepreneur indépendant n’étaient certainement pas coulées dans le béton. Comme l’indiquaient des copies des factures, les AST pouvaient effectuer plus ou moins que les 40 heures de travail prévues.

[12]        Le processus de connexion consistait à se brancher au système QueueMetrics (le système d’Acanac qui répartissait automatiquement les appels), au système NX (afin d’avoir un accès sécurisé aux systèmes de facturation d’Acanac, ainsi qu’au portail et au soutien électronique de Bell), de même qu’au système Spark (une forme de service de messagerie instantanée et ouverte,  permettant aux AST de communiquer entre eux ainsi qu’avec Acanac). Une fois que les AST étaient connectés, le téléphone commençait à sonner, habituellement au domicile des AST, où ils étaient équipés de leurs propres ordinateur, casque d’écoute et microphone. Les AST pouvaient savoir quels autres agents étaient en ligne, tout comme Acanac.

[13]        Les appels pouvaient être simples ou complexes, pouvaient être réglés à l’interne ou pouvaient être acheminés à Bell, si l’on considérait que le problème en question relevait de Bell : il était normalement possible de le savoir en ayant accès au système NX. Si un AST avait de la difficulté avec un appel, il pouvait demander de l’aide par l’intermédiaire du système Spark. M. Kay, un superviseur, a témoigné que si une personne lui demandait conseil, il lui prêtait assistance.

[14]        Si l’AST voulait faire une pause, selon MM. Mouland et Westcott, il devait en faire la demande à un superviseur. D’après M. Louro, si un AST voulait faire une pause, le fait d’en aviser le superviseur n’était, pour l’AST, qu’un simple geste de courtoisie.

[15]        Pour ce qui était des demandes de renseignements transmises par Internet, dont M. Mouland s’était occupé vers la fin de la période qu’il avait passée au service d’Acanac, la façon de procéder était semblable. Il a témoigné qu’Acanac vérifiait la rapidité avec laquelle il réglait ce que l’on appelait les fiches de travail, et s’il y en avait qui avaient été mal réglées. Les supérieurs communiquaient avec lui pour savoir pourquoi il y avait encore des fiches de travail non réglées.

[16]        J’ai l’impression, d’après ce qu’ont dit MM. Mouland, Westcott et Kay, que, compte tenu de la formation restreinte que l’on dispensait sur le plan des mesures de dépannage, une bonne part de l’expertise en matière de solution de problèmes était acquise en cours d’emploi.

[17]        À la fin de son quart du travail, l’AST se déconnectait des divers systèmes. Il consignait ses heures de travail. Il a été question lors des témoignages d’une forme de système de consignation du temps, mais M. Louro a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un système qu’Acanac avait créé ou exigeait, mais plutôt d’un système que les AST avaient vraisemblablement établi eux-mêmes pour mieux suivre leur temps de travail.

[18]        Aux deux semaines, l’AST transmettait ses factures et Acanac comparait les heures qui y étaient consignées à celles que le système QueueMetrics avait enregistrées. Les factures que MM. Mouland et Westcott ont transmises étaient de forme identique. Comme je l’ai dit plus tôt, M. Louro a déclaré qu’Acanac ne fournissait pas de modèle de facture, mais il est clair que MM. Mouland et Westcott n’ont pas conçu de manière indépendante des factures identiques.

[19]        Il n’y avait pas d’examens de rendement officiels, mais Acanac intervenait en cas de plainte de clients. Tous les appels étaient enregistrés, de sorte qu’Acanac pouvait revenir en arrière et écouter un appel afin de déterminer si la plainte était justifiée. De l’avis de M. Louro, le rendement était contrôlé par Internet lui-même. Les plaignants faisaient état de leurs doléances sur des sites Web accessibles à tous. On m’a renvoyé à certains de ces messages. Les plaintes ne visaient pas seulement des personnes en particulier, souvent identifiées par leur seul prénom, mais aussi Acanac, l’entreprise elle-même.

[20]        Les AST ne produisaient pas de déclarations de la taxe sur les produits et services (« TPS »). Tant M. Mouland que M. Westcott ont produit des déclarations à titre de particuliers ayant gagné un revenu d’un travail indépendant, mais M. Westcott n’a pas produit de déclaration pour l’année 2010.

[21]        MM. Louro, Mouland et Westcott ont fait mention d’un possible sentiment d’insatisfaction parmi les AST, qui aurait mené à ce que M. Louro a appelé une révolte, dont la présente instance ferait partie. Je n’entrerai pas dans les détails des éléments de preuve produits à cet égard, car je les trouve peu pertinents pour ce qui est de la décision que je dois rendre. Disons seulement qu’on ne m’a pas convaincu que la présente action de MM. Mouland et Westcott a été motivée par une vendetta quelconque. Je crois que ces deux hommes se soucient de façon légitime du fait que l’on détermine leur statut juridique.

Analyse

[22]        Comme la Cour l’a vu à maintes autres occasions, il est question en l’espèce d’une forme de travail qui peut être exécutée tout autant par un employé que par un entrepreneur indépendant : il n’y a rien dans la nature du travail lui-même qui porte à croire qu’il est mieux exécuté dans le cadre d’un contrat de louage de services que dans le cadre d’un contrat d’entreprise. L’analyse qui permet de ranger ce travail dans une catégorie précise devient plus difficile encore quand le souhait des AST est d’être considérés comme des employés et le souhait du payeur est qu’on les considère comme des entrepreneurs indépendants : chacun prend toutes les mesures qui sont nécessaires et brosse le tableau qui étaye le mieux sa propre position. Acanac est clairement allée jusqu’à établir un contrat d’entrepreneur indépendant dont les clauses s’apparentent à celles qui s’appliqueraient à un entrepreneur indépendant. Certains pourraient dire que cela illustre une intention de conclure une relation de client à entrepreneur indépendant : les plus cyniques pourraient sous-entendre que le but véritable n’a pas nécessairement trait à la relation juridique, mais au résultat qui en découle, c’est-à-dire l’absence d’obligation de procéder à des retenues à la source. Pour dire les choses franchement, j’ai toujours eu de la difficulté à accorder une importance quelconque au rôle que joue l’intention. Pour se fonder sur l’intention, il faut présumer que les intéressés ont une connaissance juridique intime de la distinction qu’il y a entre un employé et un entrepreneur indépendant. Ceci étant dit avec égards, dans bien des cas, il s’agit là d’une présomption irréaliste. Comme l’a déclaré un AST : [traduction] « ce n’était qu’un travail ». En disant cela, parlait-il du travail d’un employé ou d’un entrepreneur indépendant?

À l’évidence, il n’y avait aucune rencontre de volontés, aucune intention commune malgré le contrat écrit, ce qui est un facteur, mais un facteur qui n’est tout simplement pas déterminant. Je me tourne donc vers les critères classiques qui ont été énoncés dans la décision Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[1] ainsi que par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[2] Comme l’a déclaré récemment le juge Mainville, dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (S/N Connor Homes) c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.)[3] :

[traduction]

[37]      Étant donné que la qualification de la relation professionnelle a des conséquences juridiques et pratiques importantes et d’une portée considérable, qui intéressent entre autres le droit de la responsabilité délictuelle (la responsabilité du fait d’autrui), les programmes sociaux (l’admissibilité et les cotisations), les relations de travail (la syndicalisation) et la fiscalité (l’enregistrement aux fins de la TPS et la situation au regard de la Loi de l’impôt sur le revenu), on ne peut simplement laisser les parties décider à leur seul gré si elles sont liées par une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. La situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

[…]

[41]      La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour fournir les services les fournit, dans les faits, en tant que personne travaillant à son compte. […]

 

Le contrôle

[23]        Comme l’a dit la Cour suprême du Canada, le contrôle sera toujours un facteur et il ressort clairement de la jurisprudence du Québec qu’il se peut qu’il s’agisse du seul facteur déterminant. Mais le contrôle sur « quoi », voilà la question. L’appelante soutient, avec raison je crois, qu’il y aura toujours des éléments de contrôle de la part d’un payeur, que l’AST soit employé ou entrepreneur indépendant. Un exemple classique de cela, bien sûr, réside dans les arts de la scène, où le payeur contrôle à quel moment et à quel endroit un artiste doit se présenter pour les répétitions et les prestations. Manifestement, il ne peut s’agir d’un type de contrôle distinctif.

[24]        Pour ce qui est des AST, qu’ils soient employés ou entrepreneurs indépendants, Acanac doit exercer un certain contrôle sur le nombre de travailleurs qui sont « connectés » à n’importe quel moment afin de surveiller comme il faut la charge de travail. Il serait manifestement peu efficace que tous les AST prennent la même heure de pause, par exemple, et ne laissent personne pour répondre aux appels téléphoniques. Dans le même ordre d’idées, le fait que les AST puissent travailler à partir de chez eux n’est pas un facteur de contrôle (ou d’absence de contrôle) qui fait réellement ressortir une différence entre la relation juridique d’un employé par opposition à celle d’un entrepreneur indépendant. En cette ère d’informatique, dans ce type d’entreprise liée à l’informatique, le fait que l’on puisse faire son travail en pyjama, dans l’intimité de son propre foyer, fait partie de la réalité – cela ne dénote aucune relation de travail particulière. Le travail est ainsi fait que, de par sa nature, il peut être exécuté de manière informelle.

[25]        Voici donc les facteurs qui, à première vue, semblent être des éléments de contrôle mais qui, ai-je conclu, sont neutres car ils ne font ressortir aucune relation juridique particulière :

-        les AST pouvaient travailler à partir de chez eux;

-        Acanac vérifiait les heures de travail par rapport aux factures  consignées dans son propre système QueueMetrics;

-        les AST devaient indiquer à quel moment ils faisaient une pause;

-        pas de code vestimentaire;

-        une formation sur la manière de se connecter aux systèmes.

[26]        Quels sont donc les facteurs de contrôle qui pourraient aider à faire la distinction, et comment faudrait-il les pondérer?

a)       Les facteurs qui dénotent une absence de contrôle et donc l’existence d’une relation de client à entrepreneur indépendant :

-                     pas d’examen de rendement.

L’appelante a fait grand cas du fait que ce n’était pas Acanac, mais le Web planétaire, qui contrôlait le rendement. Les plaintes étaient mises en ligne pour que tous puissent les voir, ce qui portait donc atteinte à la réputation des AST. Telle était l’étendue du contrôle exercé, et il était externe. Une lecture des messages mis en ligne m’a donné l’impression qu’Acanac était autant critiquée, sinon plus, que les AST eux-mêmes. De plus, l’identification de l’AST en question n’était pas toujours évidente. Même si j’admets qu’il s’agit là d’un facteur important, qui se répercute sur la réputation d’un AST et donc sur sa capacité future de  trouver du travail, il s’agit, comme l’appelante l’a reconnu, d’un facteur externe. Oui, dans le secteur de l’informatique, il est possible que l’on fasse davantage de recherches dans des sites Web pour obtenir des informations, mais, dans n’importe quel secteur, il est possible de se servir d’Internet comme outil pour faire des recherches sur les aptitudes et la réputation d’une personne. Je ne considère toutefois pas que ce facteur externe a une incidence quelconque sur l’évaluation de l’élément du  contrôle qu’Acanac exerçait ou non sur les AST.

-                     Acanac ne contrôlait pas la façon dont les AST répondaient aux appels; elle ne pouvait pas écouter les appels en temps réel, mais uniquement après coup.

-                     L’AST pouvait choisir quel quart de travail il voulait et n’était pas limité à 40 heures de travail; on l’encourageait à en faire plus.

-                     L’AST, selon M. Louro, pouvait confier son travail à un sous-traitant.

-                     L’AST n’était pas obligé de travailler exclusivement pour Acanac.

-                     L’AST n’était pas tenu de demander une période de vacances quand il voulait en prendre, mais l’on s’attendait à ce qu’il le fasse par courtoisie.

-                     L’AST produisait ses propres factures.

-                     Le contrat écrit d’entrepreneur indépendant

b)      Les facteurs qui dénotent un contrôle de la part d’Acanac et donc une relation d’employeur-employé :

-        même s’il n’y avait pas d’examen de rendement officiel, les AST étaient surveillés par l’entremise du système QueueMetrics, au point où si l’on voyait qu’ils ne répondaient pas au téléphone, on leur demandait pourquoi.

-                     Acanac pouvait écouter des appels après coup en vue de surveiller le rendement au travail.

-                     Acanac fournissait les outils de dépannage nécessaires pour s’occuper des appels et des fiches de travail.

-                     Les AST, selon ces derniers, étaient tenus de demander un congé quand ils voulaient en prendre un.

-                     Selon les AST, la question de la sous-traitance n’a jamais été soulevée : cela aurait été peu pratique.

-                     Les superviseurs ou les chefs d’équipe étaient disponibles pour aider à régler les appels difficiles.

-                     Les AST soutiennent qu’ils obtenaient des augmentations de leur taux de rémunération horaire, mais que cela n’était pas dû à une négociation quelconque.

-                     Les AST considéraient que le fait d’être branché au système Spark était une exigence nécessaire de leur travail.

-                     Les AST employaient ce qu’ils considéraient comme des formulaires de facture d’Acanac, de même qu’un système de consignation du temps pour le suivi du temps de travail.

-                     M. Westcott a soutenu que s’ils commettaient des erreurs, les AST étaient réprimandés.

[27]        Tous ces facteurs, qui pointent dans un sens ou dans l’autre, doivent être situés dans le contexte d’un système général relativement peu structuré, dans lequel l’existence de mesures de contrôle n’est pas manifestement évidente, mais je suis convaincu que, tout bien pesé, il y avait un élément de contrôle que l’on ne trouve pas dans la situation d’un entrepreneur indépendant. Ce qui fait réellement pencher la balance dans un contexte où les points évalués ont par ailleurs un poids semblable, c’est qu’Acanac procurait effectivement à ses AST un système concernant la façon de faire le travail, non seulement en fournissant au départ des outils de dépannage, mais en assurant une communication constante par l’intermédiaire du système Spark ainsi qu’en surveillant les appels, même au point d’écouter ceux pour lesquels l’entreprise recevait des plaintes. Cela m’amène à penser que, même dans ce système informel, l’employeur exerçait un certain contrôle direct. De plus, et j’insisterai de nouveau sur ce point sous le facteur des « outils », j’ai le sentiment que les AST faisaient leur apprentissage principalement en cours d’emploi. Là encore, cela n’est pas là le signe d’un statut d’entrepreneur indépendant. Dans l’ensemble, je conclus que ce facteur, tout bien pesé, dénote qu’il s’agissait d’un emploi.

Les outils

[28]        Les AST fournissaient l’ordinateur, le microphone et le casque d’écoute. Acanac fournissait les logiciels et les mots de passe permettant d’accéder aux sites requis. Le partage est relativement égal. Acanac soutient que l’outil le plus utile, dans une industrie informatique comme celle-ci, est qu’un travailleur tel qu’un AST peut mettre à contribution son expertise en informatique – ses connaissances. Rien n’est plus précieux que cela, et c’est pour cette raison-là que l’AST obtient le travail, pas juste parce qu’il possède un ordinateur. Ce que cet argument passe sous silence dans les circonstances dont je suis saisi est le fait que, tout d’abord, ni M. Mouland ni M. Westcott n’ont commencé à travailler avec une vaste expertise en informatique, et les exigences du travail ne l’exigeaient pas non plus, même si M. Louro a laissé entendre le contraire. Acanac, dans son annonce, exigeait simplement des connaissances générales en informatique.

[29]        La situation dont il est ici question est nettement différente de celle dont il est question dans l’affaire Edward Asare-Quansah c Ministre du Revenu national[4], où j’ai laissé entendre de façon incidente que, dans certaines circonstances, les connaissances préexistantes peuvent être un facteur. J’ai la nette impression que la formation qu’Acanac dispensait, de pair avec ce qui constituait une formation en cours d’emploi importante, était bel et bien la manière dont les AST acquéraient leurs connaissances. On s’attendrait à ce qu’un entrepreneur indépendant ait déjà l’expertise voulue pour le poste : la formation en cours d’emploi, comme je l’ai indiqué plus tôt, est un facteur du type « emploi ». Je conclus que la propriété des instruments de travail ne tranche pas la question de manière concluante dans un sens ou dans l’autre.

c)       Les chances de profit/les risques de perte

[30]        L’appelante fait valoir que l’AST s’expose à un risque considérable de perdre sa réputation à cause des messages mis en ligne sur Internet, et que ce facteur illustre clairement que l’AST travaillait à son propre compte. J’ai déjà traité de ce point au moment d’examiner l’aspect du « contrôle ». Il ne fait aucun doute que la réputation est importante, et qu’elle peut avoir une incidence sur la capacité future d’une personne de gagner un revenu. Mais, dans le cas présent, je n’ai pas affaire à des postes d’une importance et d’une expertise telles qu’une personne quelconque, disposant d’un minimum de connaissances en informatique et d’une voix agréable, ne pourrait pas les occuper. Il ne s’agit pas d’un travail fondé sur la réputation. On ne m’a pas convaincu que l’AST s’exposait à un risque de perte plus grave - ce qui donnerait à penser qu’il est un entrepreneur indépendant - que s’il était un employé. Si sa réputation était entachée, cela lui serait tout aussi préjudiciable au moment de chercher du travail, soit comme employé, soit comme entrepreneur indépendant. Il ne s’agit pas d’un facteur important en l’espèce.

[31]        Quant aux chances de profit, les AST étaient rémunérés à l’heure – plus d’heures, plus de rémunération. Comme il a été indiqué dans l’arrêt City Water International Inc. c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.)[5] :

24.       De la façon que j’analyse les faits en l’espèce, la possibilité de réaliser un profit revenait entièrement à City Water. Les travailleurs en entretien étaient assurés de recevoir un salaire horaire et pouvaient recevoir une prime de rendement. Bien qu’il soit vrai que les travailleurs pouvaient gagner plus d’argent s’ils travaillaient plus d’heures, la jurisprudence établit clairement que cela ne constitue pas une possibilité de réaliser un profit (voir Hennick, au paragraphe 14). Il est vrai qu’ils étaient incités à travailler plus fort et à recevoir 200 $ supplémentaires, mais cela n’équivaut pas au risque commercial de diriger une entreprise […]

Cela est valable aussi dans le cas présent. Seule Acanac avait des chances de réaliser un profit. Ce facteur dénote l’existence d’une relation employeur-employé.

Autres facteurs

[32]        Un certain nombre d’autres facteurs dont il faut tenir compte sont le fait que les AST n’ont jamais produit de déclaration de TPS, ni semblé posséder d’autres attributs d’un travail à leur propre compte. Ils ont toutefois produit leurs déclarations comme s’ils touchaient un revenu d’entreprise, plutôt qu’un revenu d’emploi. Ils étaient, à l’époque, de jeunes hommes, ayant peu d’expérience, à qui Acanac avait dit qu’ils devaient se considérer comme des entrepreneurs indépendants : ils produisaient leurs déclarations en ce sens. Ces autres facteurs ne font pas ressortir de manière convaincante l’existence d’un statut d’entrepreneur indépendant.

[33]        La décision est serrée. Je dis cela parce qu’il est évident que les AST avaient le sentiment d’être mal traités en étant coincés dans une catégorie qu’ils jugeaient incorrecte. Même si j’ai conclu, tout bien pesé, qu’ils ont raison, cela n’a pas été simple et facile. Je n’attribue à Acanac aucune malveillance ou mauvaise foi; elle voulait une relation de client à entrepreneur indépendant mais, en fin de compte, la relation de travail ne correspondait pas à ce qu’elle voulait. L’impression générale est que les AST ne travaillaient pas à leur propre compte. Il n’y avait, dans le cas présent, qu’une seule entreprise et c’était celle d’Acanac. Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de juin 2013.

 

S. Tasset

 


ANNEXE A

Extraits du contrat d’entrepreneur indépendant

[traduction
          « Attendu que :

2.                 L’entrepreneur est un spécialiste du soutien téléphonique, possédant une expertise dans le domaine des télécommunications et d’Internet et, plus précisément, dans celui de la vente et des services connexes;

3.                 L’entreprise souhaite embaucher l’entrepreneur en vue de la prestation des services décrits à l’annexe « A » (les « services »).

1.                             Exigences liées aux services

(1)           L’entrepreneur convient de fournir les services à l’entreprise pendant la durée de l’entente, conformément aux normes les plus strictes de l’industrie, de la manière choisie par l’entreprise à sa discrétion.

(2)           L’entrepreneur convient de tenir les registres qu’exige et que précise l’entreprise ainsi que de fournir à cette dernière des rapports sur les services fournis; il convient de plus que tous ces registres et rapports sont et demeurent la propriété de l’entreprise. L’entrepreneur convient par ailleurs de tenir un relevé détaillé et précis du temps passé et des services fournis, ainsi que de transmettre ces relevés à l’entreprise de la manière demandée par celle-ci, mais au moins deux fois par année et, tout au plus, une fois par mois.

2.                 Paiement des services

(1)           L’entreprise paiera à l’entrepreneur chargé de la prestation des services la somme de ______dollars (_____,00 $) l’heure, ou les sommes convenues d’un commun accord. L’entrepreneur convient d’être disponible pour travailler en tout environ 40 heures par semaine, 52 semaines par année. 

(2)           L’entrepreneur supportera toutes les dépenses qu’il engagera directement ou indirectement en vue de la prestation des services, conformément au présent contrat, sauf si ce dernier précise expressément le contraire.

(3)           L’entrepreneur fournira ces services à titre d’entrepreneur indépendant et ne sera pas réputé être un employé à une fin quelconque. En fournissant les services à titre d’entrepreneur aux termes du présent contrat, l’entrepreneur aura toute la latitude voulue quant à la manière de fournir les services et à la nature des services requis, et il les fournira d’une manière conforme aux normes professionnelles les plus strictes.

5.       Dépenses

Toutes les dépenses liées à l’exécution, par l’entrepreneur, du présent contrat ainsi qu’à ses activités en tant que représentant des ventes et du service auprès de l’entreprise, y compris, notamment, les déplacements, l’utilisation d’une automobile, les salaires et les fournitures, seront supportées par l’entrepreneur, qui sera seul responsable de leur paiement.

6.                               Obligation de l’entrepreneur

Fournir les services décrits à l’annexe « A » par les moyens suivants :

a)           un ordinateur moderne;

b)           des compétences en informatique de base;

c)            une connexion rapide à Internet, comme un modem DLS ou un câblomodem;

d)           une version récente d’un système d’exploitation d’ordinateur, comme la dernière version de Microsoft Windows ou Linux;

e)            une version récente d’applications Internet et courriel, comme Internet Explorer et Microsoft Outlook;

f)             d’excellentes « aptitudes en relations humaines », de façon à pouvoir faire convenablement affaire avec les clients en anglais.

7.       Obligations de l’entreprise

          L’entreprise doit :

a)           fournir à l’entrepreneur un système ATA Voip (voix sur IP) de façon à ce que les appels de soutien technique puissent être acheminés au lieu où il se trouve;

b)           payer l’accès Internet haute vitesse dont l’entrepreneur se sert avec l’adaptateur ATA Voip;

c)            offrir à l’entrepreneur une formation complète.

8.       Mode de prestation des services

          Dans le cadre de la fourniture des services, l’entrepreneur :

a)     devra fournir, sauf dans la mesure où les présentes prévoient expressément le contraire, l’ensemble des outils, du matériel, de la main-d’œuvre et des mesures de supervision nécessaires, et il sera exclusivement responsable des frais qui s’y rapportent, ainsi que de leur paiement;

b)    se conformera à l’ensemble des lois, règlements et règles applicables de toutes les autorités compétentes;

c)     sera libre de choisir l’endroit d’où il fournira les services;

d)    sera libre d’utiliser n’importe quel système informatique en sa possession, à la condition que celui-ci soit en mesure de fournir les services et d’établir et maintenir les contacts nécessaires  avec l’entreprise, et l’entreprise déterminera, en exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable, si les contacts assurés par l’entrepreneur sont suffisants;

e)     sera libre de choisir le quart de travail qu’il préférera pour la prestation des services. Les quarts s’étendent soit de 9 h à 17 h, soit de 16 h à minuit, du lundi au vendredi (sont exclus les jours fériés fédéraux du Canada);

f)      sera libre d’exécuter les services à son gré, à la condition que ce soit durant le quart de travail choisi.

ANNEXE « A »

LES « SERVICES »

Des spécialistes en soutien téléphonique qui, au niveau le plus élevé de l’industrie :

a)           fourniront une assistance technique;

b)           répondront aux questions relatives aux ventes;

c)            conseilleront les clients;

d)           interpréteront les problèmes;

e)            fourniront un soutien technique sur le plan du matériel, des  logiciels et des systèmes;

f)             répondront à des appels téléphoniques et à des courriels;

g)           analyseront des problèmes à l’aide de programmes diagnostiques automatisés;

h)                   régleront des difficultés récurrentes. 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 163

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2011-1064(EI), 2011-1066(CPP),
2011-1210(EI), 2012-580(EI) et
2012-579(CPP)

 

INTITULÉ :                                      ACANAC INC. ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET AARON C. MOULAND

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 18, 19 et 23 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 16 mai 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Gerald Matlofsky

Avocate de l’intimé :

Me Alisa Apostle

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     Me Gerald Matlofsky

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada



[1]           [1986] 3 C.F.553.

[2]           2001 CSC 9.

[3]           2013 CAF 85.

[4]           2012 CCI 226.

[5]           2006 CAF 350.

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