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Dossier : 2010-2203(IT)G

ENTRE :

IBRAHIM ARIDI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 12 décembre 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Marie-Hélène Tremblay

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Mounes Ayadi

 

 

 

 

JUGEMENT

 

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2004 est accueilli, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints, et la cotisation est annulée.


Signé à Calgary (Alberta), ce 1er jour de mai 2013.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 74

Date : 20130501

Dossier : 2010-2203(IT)G

ENTRE :

IBRAHIM ARIDI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Hogan

 

I        Introduction

 

[1]             L’appelant interjette appel d’un avis de nouvelle cotisation daté du 30 juillet  2009 établi pour l’année d’imposition 2004 en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1]LIR »). Ce paragraphe permet l’établissement d’une cotisation après le délai normal de nouvelle cotisation, qui est de trois ans. L’avis de nouvelle cotisation ajoute 83 465 $ au revenu imposable de l’appelant relativement à la disposition d’un immeuble qu’il détenait. L’appelant a omis de déclarer ce revenu en se fondant sur les conseils de son comptable fiscaliste, qui lui a confirmé que la loi permettait le report du gain à une date future.

 

II       Sommaire des faits pertinents

 

[2]             Le 2 mars 1999, l’appelant a acheté un immeuble locatif de 96 logements.

 

[3]             Le 24 mars 2004, l’appelant a vendu une moitié indivise de l’immeuble locatif à Antoine Jarjour. Le produit de la disposition de la moitié indivise était alors de 2 400 000 $, et le prix de base rajusté était de 2 222 438 $. En conséquence, l’appelant a réalisé un gain en capital de 177 562 $.

 

[4]             En produisant sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2004, l’appelant a notamment déclaré une perte locative provenant d’un immeuble et une perte en capital à la suite de la disposition d’actions. L’appelant n’a toutefois pas déclaré le gain en capital réalisé à la suite de la vente de la moitié indivise de l’immeuble.

 

[5]             En conséquence, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a révisé le calcul du gain en capital imposable de l’appelant pour l’année d’imposition 2004 de la façon suivante :

 

Gain en capital résultant de la vente de la moitié indivise de l’immeuble

177 562 $

Perte en capital déclarée par l’appelant pour  la vente d’actions

(10 633 $)

Gain en capital révisé

166 929 $

Gain en capital imposable révisé

83 465 $

 

[6]             Le ministre a établi et ratifié la nouvelle cotisation après le délai normal de nouvelle cotisation en se fondant sur le paragraphe 152(4) de la LIR.

 

[7]             Seul l’appelant fut appelé à témoigner. Son témoignage était honnête, précis et crédible. L’appelant est ingénieur civil. Il a immigré du Liban en 1976, et a depuis travaillé au Québec, au Labrador, ainsi qu’en Arabie saoudite. En 1999, il a acheté l’immeuble dont la disposition fait l’objet du présent litige. Éprouvant certaines difficultés financières, l’appelant a vendu une moitié indivise de son immeuble à M. Jarjour en mars 2004. Selon son témoignage, il croyait à ce moment qu’il aurait de l’impôt à payer en raison de la vente de la partie indivise de l’immeuble, vraisemblablement sur le gain en capital qui en résultait.

 

 

[8]             Au début de l’année 2005, l’appelant a donné tous ses documents à son comptable agréé, M. Diab, afin que ce dernier prépare sa déclaration de revenus pour l’année 2004. L’appelant dit avoir passé deux heures avec son comptable et avoir revu chaque document qu’il lui remit pour la préparation de la déclaration de revenus. M. Diab offrait ses services à l’appelant depuis l’acquisition de l’immeuble en 1999.

 

[9]             Il ressort de la preuve que M. Diab avait alors mentionné à l’appelant qu’il existait deux manières de traiter la vente de la moitié indivise de l’immeuble du point de vue fiscal : le traitement ordinaire, c'est-à-dire l’inclusion au revenu d’un gain en capital imposable en raison de la vente de l’immeuble, ou encore ce que le comptable a appelé un « roulement ». Selon ce « roulement », l’appelant pouvait reporter l’impôt découlant de la vente de la première moitié de l’immeuble jusqu’au moment de la disposition de la deuxième moitié. Ainsi, l’appelant ne devait payer d’impôt sur l’ensemble du gain en capital que lors de la vente de la totalité de l’immeuble.

 

[10]        L’appelant a choisi la seconde option, le « roulement », car selon son témoignage, « le fait que ça venait d’un expert, pour moi, c’était supposé d’être légal et raisonnable ». L’appelant a également demandé à M. Diab des détails sur le fonctionnement du roulement. M. Diab a donc préparé la déclaration de revenus en conséquence, c'est-à-dire sans inclure le gain en capital dans le revenu imposable de l’appelant. La preuve démontre également que le contribuable a traité de façon appropriée tous les autres aspects fiscaux de la vente de la partie indivise de l’immeuble. En effet, à compter de la date de la vente, l’appelant n’a inclus dans son revenu que 50 % des revenus locatifs et a déduit 50 % des dépenses relatives à l’immeuble.

 

[11]        Il ressort de la preuve que le « roulement » proposé par M. Diab n’était pas un roulement tel que les fiscalistes l’entendent généralement, c'est-à-dire un transfert avec report d’impôt en vertu de l’article 85 de la LIR. En fait, le « roulement » proposé n’avait aucune assise juridique ou fiscale. Il s’agissait d’une invention ou d’une erreur de la part du comptable, qui croyait vraisemblablement  qu’en effectuant un choix, l’appelant pouvait reporter le gain en capital réalisé jusqu’à la disposition de l’autre partie indivise de l’immeuble.

 

[12]        À plusieurs occasions lors de son témoignage, l’appelant a mentionné qu’il avait examiné sa déclaration de revenus avec son comptable avant sa signature. Il a mentionné avoir posé des questions et avoir regardé les détails prouvant que la vente avait eu lieu. Il dit également avoir lu la déclaration du début à la fin et avoir posé des questions générales sur ledit « roulement » avant de signer la déclaration. Cette dernière rencontre aurait duré plus d’une heure.

 

III     Les questions en litige

 

[13]        La question en litige consiste à déterminer si le ministre avait raison d’établir à l’égard de l’appelant une nouvelle cotisation après le délai normal de nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2004. Plus précisément, les deux questions suivantes ont été soulevées :

 

a)              L’expression « personne produisant la déclaration » à l’alinéa 152(4)a) de la LIR vise-t-elle également le comptable ou le professionnel qui prépare la déclaration du contribuable?

b)             L’appelant a-t-il fait une présentation erronée des faits par négligence,          inattention ou omission volontaire au sens du paragraphe 152(4) de la           LIR?

 

IV     Les thèses des parties

 

[14]        En ce qui a trait à l’application de l’alinéa 152(4)a) de la LIR relativement aux cotisations établies après le délai normal, l’appelant admet d’emblée qu’il y a eu présentation erronée des faits en raison de la non-inclusion du gain en capital. Toutefois, l’appelant soutient que cette présentation n’est pas imputable à sa négligence, son inattention ou son omission volontaire. L’appelant affirme qu’il a été prudent et diligent, et qu’il a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans les circonstances. C’est plutôt son comptable qui a fait une erreur en lui affirmant que le gain en capital pouvait être reporté jusqu’à la date de la disposition de l’autre moitié indivise de l’immeuble.

 

[15]        Quant à l’interprétation de l’expression « personne produisant la déclaration » que l’on retrouve à l’alinéa 152(4)a) de la LIR, l’appelant soutient que cette expression ne vise pas le comptable externe d’un contribuable. L’appelant soutient que cela vise plutôt le représentant d’un contribuable, par exemple la personne qui signe la déclaration pour une société.

 

[16]        Au cours des observations qu’elle a formulées à l’instruction, l’intimée a plutôt soutenu que cette expression pouvait viser entre autres le comptable ou le professionnel qui a préparé la déclaration pour le contribuable. De cette manière, il serait possible d’imputer la responsabilité à l’article 152 de la LIR au contribuable lorsque le comptable engagé par l’appelant a fait preuve de négligence. D’autre part, l’intimée soutient que l’erreur du comptable peut être imputée au contribuable en raison de la règle du mandat. En d’autres termes, l’appelant deviendrait garant du travail de son professionnel. Si celui-ci fait une erreur attribuable à sa négligence, le recours de l’appelant est en responsabilité civile.

 

[17]        L’intimée soutient également que l’appelant a été négligent car il n’a pas posé de questions assez précises lors de l’examen de sa déclaration de revenus. L’intimée soutient que le contribuable aurait dû demander des explications supplémentaires sur le traitement du gain en capital relatif à la disposition de l’immeuble.

 

V       Analyse

 

La portée de l’expression « personne produisant la déclaration » à l’alinéa 152(4)a) de la LIR

 

[18]        Le paragraphe 152(4) de la LIR se lit comme suit :

 

152(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année;

 

[19]        Au fil des années, les tribunaux ont adopté la méthode moderne d’interprétation des lois, qui repose sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions législatives.

 

[20]        Après avoir fait l’analyse du contexte dans lequel s’inscrit l’expression « la personne produisant la déclaration », je suis d’avis qu’on ne peut y attribuer la portée élargie que suggère l’intimée. Selon moi, l’expression « personne produisant la déclaration » que l’on retrouve à l’alinéa 152(4)a) de la LIR correspond à la personne visée à l’article 150 de la LIR.

 

[21]        Le paragraphe 150(1) de la LIR se lit comme suit :

 

(1) Sous réserve du paragraphe (1.1), une déclaration de revenu sur le formulaire prescrit et contenant les renseignements prescrits doit être présentée au ministre, sans avis ni mise en demeure, pour chaque année d’imposition d’un contribuable :

adans le cas d’une société, par la société, ou en son nom, dans les six mois suivant la fin de l’année si, selon le cas :

(i) au cours de l’année, l’un des faits suivants se vérifie :

                                    (A) la société réside au Canada,

(B) elle exploite une entreprise au Canada, sauf si ses seules recettes provenant de l’exploitation d’une entreprise au Canada au cours de l’année consistent en sommes au titre desquelles un impôt était payable par elle en vertu du paragraphe 212(5.1),

(C) elle a un gain en capital imposable (sauf celui provenant d’une disposition exclue),

(D) elle dispose d’un bien canadien imposable (autrement que par suite d’une disposition exclue),

(ii) l’impôt prévu par la présente partie :

                        (A) est payable par la société pour l’année,

(B) serait, en l’absence d’un traité fiscal, payable par la société pour l’année (autrement que relativement à la disposition d’un bien canadien imposable qui est un bien protégé par traité de la société);

bdans le cas d’une personne décédée après le 31 octobre de l’année et avant le lendemain du jour qui aurait représenté la date d’échéance de production qui lui est applicable pour l’année si elle n’était décédée, par ses représentants légaux au plus tard au dernier en date du jour où la déclaration serait à produire par ailleurs et du jour qui tombe six mois après le jour du décès;

c) dans le cas d’une succession ou d’une fiducie, dans les 90 jours suivant la fin de l’année;

d) dans le cas d’une autre personne :

(i) au plus tard le 30 avril de l’année suivante, par cette personne ou, si celle-ci ne peut, pour quelque raison, produire la déclaration, par son tuteur, curateur ou autre représentant légal,

(ii) au plus tard le 15 juin de l’année suivante, par cette personne ou, si celle-ci ne peut, pour quelque raison, produire la déclaration, par son tuteur, curateur ou autre représentant légal, dans le cas où elle est :

(A) un particulier qui a exploité une entreprise au cours de l’année, sauf si les dépenses effectuées dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise représentent principalement le coût ou le coût en capital d’abris fiscaux déterminés, au sens du paragraphe 143.2(1),

(B) au cours de l’année, l’époux ou le conjoint de fait visé, au sens de l’article 122.6, d’un particulier auquel s’applique la division (A);

(iii) si, au cours de l’année, la personne est l’époux ou le conjoint de fait visé, au sens de l’article 122.6, d’un particulier auquel l’alinéa b) s’applique pour l’année, au plus tard le dernier en date du jour où elle serait tenue par ailleurs de produire sa déclaration et du jour qui tombe six mois après le décès du particulier;

e) dans le cas où aucune personne visée à l’alinéa a), b) ou d) n’a produit la déclaration, par la personne qui est tenue, par avis écrit du ministre, de produire la déclaration dans le délai raisonnable que précise l’avis.

[Je souligne.]

 

[22]        Ainsi, une déclaration de revenus doit être présentée, pour chaque année d’imposition d’un contribuable :

 

a)   dans le cas d’une société, « par la société, ou en son nom »;

b)  dans le cas d’une succession, « par ses représentants légaux au plus tard au  dernier en date du jour où la déclaration serait à produire par ailleurs »;

c)  dans le cas d’une personne physique, « par cette personne ou, si celle-ci ne peut, pour quelque raison, produire la déclaration, par son tuteur, curateur ou autre représentant légal »;

d)  dans les autres cas non visés, « dans le cas où aucune personne […] n’a produit la déclaration, par la personne qui est tenue, par avis écrit du ministre, de produire la déclaration ».

[23]        Le paragraphe 150(1) de la LIR prévoit ainsi des situations précises dans lesquelles certaines personnes ou leurs représentants doivent « produire » la déclaration de revenus pour le contribuable en question. On peut déjà conclure de ces alinéas que, dans ce contexte, la personne qui produit la déclaration est le représentant, légal ou de facto, du contribuable.

 

[24]        En matière d’interprétation des lois, il est bien établi qu’on doit présumer, dans une loi, que le même terme a partout le même sens[2]. Il s’agit du principe de l’uniformité d’expression[3]. Ainsi, à moins que le contexte ne s’y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et le même sens tout au long d’un texte législatif[4]. Il ne s’agit pas d’un principe invariable, mais plutôt d’une présomption   « qui doit céder le pas lorsqu’il ressort des circonstances que telle n’était pas l’intention du législateur »[5].

 

[25]        En ce sens, l’expression « personne produisant la déclaration » à l’alinéa 152(4)a)  de la LIR doit être interprétée de la même façon qu’à l’article 150, à moins que le contexte ne s’y oppose. Ici, le contexte, loin de s’y opposer, confirme cette interprétation.

 

[26]        Ainsi, je suis d’avis que l’expression « personne produisant la déclaration » à l’alinéa 152(4)a) de la LIR vise une des personnes énumérées au paragraphe 150(1) de la LIR. En conséquence, je ne peux accepter l’argument de l’intimée selon lequel l’alinéa 152(4)a) de la LIR vise également le comptable ou le professionnel qui prépare la déclaration. De plus, même si j’acceptais la position de l’intimée, je note qu’il n’y a aucune preuve que le comptable ait produit la déclaration. La preuve démontre seulement que le comptable a préparé la déclaration pour l’appelant.

 

[27]        En ce qui concerne la théorie du mandat, l’intimée a affirmé que le paragraphe 152(4) de la LIR s’applique au contribuable et à ses mandataires. Ainsi, selon cette thèse, lorsque le comptable fait preuve de négligence lors de la préparation de la déclaration, c’est le contribuable qui doit en accepter la responsabilité à titre de mandant.

 

[28]        D’une part, tel que je l’ai mentionné précédemment, le paragraphe 152(4) de la LIR vise la production de la déclaration, plus précisément la personne qui produit la déclaration selon le paragraphe 150(1). La section I de la partie I de la LIR ne fait aucunement référence à la préparation de la déclaration. Le régime applicable à la production de la déclaration est cependant exposé en détail aux articles 150 à 152. Si le législateur avait voulu que le paragraphe 152(4) de la LIR englobe la préparation de la déclaration, il aurait pu le prévoir.

 

[29]        D’autre part, l’article 2130 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que « le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers, à  une autre personne, le mandataire […] »[6]. La préparation d’une déclaration de revenus ne constitue pas un acte juridique accompli avec un tiers. Je ne crois donc pas que l’on puisse importer la théorie du contrat de mandat envers les tiers pour étayer les prétentions de l’intimée[7].

 

La présentation erronée des faits est-elle attribuable à la négligence, à l’inattention ou à l’omission volontaire?

 

[30]        L’article 152 de la LIR accorde au ministre le pouvoir de fixer l’impôt, les intérêts et les pénalités prévus par la LIR. Cet article prévoit également les délais pour les nouvelles cotisations. Ainsi, selon l’alinéa 152(3.1)b) de la LIR, un contribuable[8] peut faire l’objet d’une nouvelle cotisation pendant la période de trois ans qui suit la date d’envoi d’un premier avis de cotisation pour l’année d’imposition. Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR prévoit toutefois une exception à cette règle générale. Cet alinéa dispose qu’une cotisation peut être établie après l’expiration de la période normale de cotisation si le contribuable ou la personne produisant la déclaration a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Selon la jurisprudence, deux exigences doivent être satisfaites pour que ce sous-alinéa s’applique : a) il doit y avoir une présentation erronée des faits, b) cette présentation erronée doit imputable être à la négligence, à l’inattention ou à l’omission volontaire[9].

 

[31]        Le but de cette exception est donc de permettre que le contribuable fasse l’objet d’une cotisation « comme il aurait dû l’être » n’eût été de la présentation erronée des faits. Il faut toutefois se méfier de la conclusion selon laquelle cette exception permettrait de passer outre à la prescription avec trop d’aisance. Comme le mentionnait le juge Tardif dans Chaumont c. La Reine[10]:

 

Conclure que le comportement de l'appelant constitue une omission volontaire ou une erreur suffisante pour permettre au ministre de cotiser au-delà de la période normale aurait pour effet, d'une part, d'affecter le droit de tout contribuable de contester le bien-fondé d'une cotisation et d'autre part, de faire en sorte que la limite de temps imposée par le législateur est essentiellement théorique.

[32]        La décision de principe en la matière est Venne c. Canada[11], décision rendue en 1984 par la Cour fédérale. Dans cette décision, le juge Strayer mentionnait, à propos de la négligence, qu’elle est établie s’il est démontré que le contribuable n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Plus récemment, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Gebhart (Succession) c. Canada[12], a confirmé que le manque de diligence raisonnable dont le juge Strayer a fait état dans Venne est le critère qu’il faut satisfaire pour que s’applique le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR. La diligence raisonnable se définit comme le soin dont on s’attendrait d’une personne avisée (« wise and prudent ») dans les mêmes circonstances[13].

 

[33]        D’une part, j’accepte la preuve selon laquelle le comptable a été négligent lorsqu’il a proposé le roulement erroné qui a mené à la non-inclusion du gain en capital. Il ressort clairement de la preuve que, n’eût été la suggestion du comptable, l’appelant aurait inclus le gain en capital dans sa déclaration de revenus.

 

[34]        Cependant, la négligence du comptable n’est pas le facteur qui permet de passer outre au délai de prescription au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR. C’est la négligence du contribuable au moment de la présentation qui doit être analysée. Le contribuable peut-il établir sa propre prudence et diligence et affirmer que la présentation erronée est imputable à la négligence de son comptable? L’appelant prétend que oui. L’intimée prétend que non.

 

[35]        La jurisprudence est abondante et partagée quant à la possibilité pour un contribuable d’invoquer, d’une part, qu’il n’a pas agi de façon négligente et, d’autre part, que la représentation erronée et la négligence sont imputables aux faits ou à la faute de son comptable et qu’il n’en est pas responsable.

 

[36]        Dans Venne, l’appelant avait essayé de présenter une preuve selon laquelle son comptable avait commis des fautes lourdes ou était incompétent[14]. Tout en reconnaissant que bien des subtilités du droit fiscal et de la comptabilité étaient incompréhensibles pour le contribuable, le juge Strayer a tout de même considéré que l’appelant avait été négligent pour deux raisons. Premièrement, la preuve avait établi que le contribuable ne lisait pas ses déclarations avant de les signer. Deuxièmement, « les erreurs faites dans les déclarations de revenus auraient dû être assez évidentes pour qu’une personne raisonnable, même avec une instruction et une expérience limitées [...] les ait remarquées ». Enfin, le juge mentionnait :

 

[...] Bien que l’on ne puisse s’attendre à ce qu’une personne ayant l’instruction limitée du demandeur et sa faible expérience des questions comptables puisse comprendre tout à fait les détails d’une déclaration de revenus, elle ne peut, à mon sens, s’exonérer de toute responsabilité en engageant ce qu’elle décrit maintenant comme un teneur de livres manifestement incompétent et en lui laissant l’entière responsabilité de sa situation fiscale. [...]

 

[37]        Dans Snowball c. Canada[15], le contribuable n’avait pas inclus, dans son revenu, certaines sommes relatives à une participation dans une société de personnes. Le contribuable soutenait qu’il avait remis tous les documents nécessaires à son comptable et que ce dernier, par inadvertance, avait omis d’inclure le revenu provenant de la société de personnes. Le juge Bowman, tel était alors son titre, a rejeté les prétentions du contribuable pour deux raisons. Premièrement, il n’était pas convaincu que le contribuable avait remis à son comptable tous les documents se rapportant à l’entreprise exploitée par la société de personnes. Deuxièmement, le contribuable n’avait pas pris de mesures suffisantes pour s’assurer que le revenu provenant de la société de personnes soit déclaré.

 

[38]        Dans Nesbitt c. Canada[16], la Cour d’appel fédérale a souscrit aux conclusions du juge de première instance qui avait rejeté l’appel du contribuable. Dans cette affaire, des erreurs de calcul avaient été faites par le comptable. Le contribuable avait toutefois reconnu ne pas avoir examiné attentivement sa déclaration avant de la signer, et s’être « pas mal fié à son comptable pour ce qui est de l’exactitude de la déclaration »[17]. Le juge Heald avait alors mentionné qu’un contribuable ne peut  imputer la responsabilité d’un mauvais calcul ou d’une erreur au spécialiste qui a préparé la déclaration de revenus[18].

 

[39]        Dans Isnor c. Canada[19], une décision orale du juge Bowie, il ressortait très clairement de la preuve que la « comptable agréée était malhonnête ou incompétente »[20]. Dans cette affaire, les contribuables avaient interrogé brièvement la comptable qui leur avait répondu « de ne pas s’inquiéter »[21]. Le juge Bowie a toutefois considéré que les contribuables avaient fait preuve de négligence car, bien qu’ils se fiaient à leur comptable, ils comprenaient qu’ils signaient des formulaires indiquant qu’ils n’avaient aucun revenu pour chacune des années en cause, alors qu’en réalité ils retiraient des sommes d’argent importantes.

 

[40]        Dans Gebhart[22], la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel d’une succession qui avait omis d’inclure dans son revenu certaines sommes provenant du REÉR du défunt. L’exécuteur testamentaire et le comptable retenu étaient confus quant aux comptes bancaires. Selon la Cour d’appel fédérale :

 

25        [l’exécuteur testamentaire] savait, ou aurait dû savoir, que le produit tiré de la fermeture de tous les RÉR appartenant à M. Gebhart au moment de son décès devait être inclus dans les revenus de la succession pour 1996. […]

 

[41]        Plus loin, la Cour d’appel fédérale mentionne également :

 

26        […] Cette confusion aurait aisément pu être dissipée en se rendant à la succursale de la CIBC à Mankota ou en téléphonant à cette succursale, où M. Gebhart avait traité ses affaires financières. Il n’était pas difficile de résoudre ce problème et j’estime que [l’exécuteur testamentaire] n'a pas fait preuve de diligence raisonnable […].

 

[42]        Enfin, dans College Park Motor Products Ltd. c. La Reine[23], le juge Bowie de notre Cour a rejeté l’appel du contribuable à l’égard d’une cotisation visant l’impôt de la partie I.3. Dans cette affaire, l’administrateur et le comptable externe du contribuable n’avaient pas connaissance des règles relatives à l’impôt de la partie I.3, et n’en avaient pas tenu compte dans la déclaration de revenus du contribuable. Le juge Bowie a conclu que :

 

19        Si M. Ulmer avait porté à l'examen des projets de déclaration le soin qu'y aurait mis un contribuable avisé et prudent, il aurait lu les questions posées à la page 2, aurait remarqué celles qui concernaient l'impôt de la partie I.3 et, ne sachant pas ce qu'il en était, il aurait interrogé M. Baert à ce sujet et aurait vu que ce dernier ne le savait pas plus que lui. Ils auraient alors consulté la section 115 du guide ou auraient cherché ailleurs et ils auraient appris qu'il fallait répondre «oui» à deux des questions relatives à la partie I.3 et joindre les annexes applicables à cette partie au formulaire T2 et que les appelantes ne pouvaient se prévaloir de la déduction accordée aux petites entreprises. Il ne porte pas à conséquence que l'inattention procède du fait que les questions de la page 2 n'ont pas été lues ou du fait que les questions nécessaires pour savoir à quoi s'en tenir au sujet de la partie I.3 n'ont pas été posées. En tout état de cause, M. Ulmer n'a pas agi avec le soin nécessaire.

[43]        Ces décisions ont plusieurs points en commun. D’une part, dans toutes les décisions, le tribunal est venu à la conclusion que le contribuable n’avait pas examiné attentivement ou n’avait tout simplement pas lu les déclarations de revenus avant de les signer. D’autre part, dans plusieurs de ces décisions, le tribunal a conclu que le contribuable aurait aisément pu constater l’existence de la présentation erronée des faits s’il avait posé des questions ou s’il s’était donné la peine de pousser son analyse plus loin. Enfin, dans certains cas, le tribunal a jugé que le contribuable était tenu de savoir, de par la situation, qu’il y avait présentation erronée des faits.

 

[44]        À la lecture de ces décisions, le constat suivant s’impose. Dans toutes ces décisions, les tribunaux ont reconnu que le comptable ayant agi pour le contribuable avait fait preuve de négligence. Toutefois, ils en viennent à la conclusion que le contribuable avait lui aussi fait preuve d’une certaine négligence, d’où l’application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR.

 

[45]        Le comportement de l’appelant dans le présent appel se distingue de celui des contribuables dans ces décisions. Il est clair que le comptable a fait preuve de négligence. Toutefois, la preuve révèle que ce n’est pas le cas de l’appelant.

 

[46]        L’appelant savait que la vente de la partie indivise de l’immeuble entraînerait la réalisation d’un gain en capital. Il a avoué qu’il croyait être imposé sur ce gain. C’est en donnant ses documents à son comptable que ce dernier lui a fait part d’une possibilité de différer le traitement de ce gain en capital. L’appelant a posé quelques questions et a accepté la proposition du comptable qui semblait avantageuse. Après que le comptable eut préparé la déclaration de revenus, celui-ci a rencontré l’appelant pour réviser ladite déclaration. La rencontre a duré plus d’une heure, et le contribuable a posé des questions à la fois sur la vente de l’immeuble et sur la déclaration en général.

 

[47]        L’intimée a soutenu, dans ses plaidoiries, que l’appelant aurait dû poser des questions plus précises et plus techniques sur le « roulement » proposé. Avec égards, je ne crois pas que l’appelant aurait dû poser plus de questions. L’appelant connaissait le traitement fiscal normal de la transaction qu’il venait d’effectuer. Un spécialiste, en l’occurrence son comptable, lui a fait part d’un autre traitement, plus compliqué mais avantageux. L’appelant a posé des questions et a accepté les conseils du spécialiste. Il a ensuite examiné la déclaration et l’a signée. Qu’est-ce qu’une personne avisée aurait fait de plus?

 

[48]        L’appelant a consulté un professionnel dont il respectait les compétences et l’opinion, ce dernier lui ayant fourni des services de comptabilité  au cours des cinq dernières années. Il lui a remis tous les documents nécessaires. L’appelant a posé des questions à son comptable au moment pertinent et l’a interrogé sur la déclaration de revenus. Je suis d’avis que la ligne de conduite suivie par l’appelant est celle d’une personne avisée. La conduite de l’appelant dans ce dossier s’apparente plutôt à celle des appelants dans les décisions McKellar c. La Reine[24] et O’Dea c. La Reine[25], deux décisions récentes où la Cour a conclu que le contribuable n’avait pas fait preuve de négligence. Dans McKellar, le contribuable avait consulté un professionnel, lui avait posé des questions et avait entrepris les démarches nécessaires pour comprendre la déclaration. Le juge Rossiter, tel était alors son titre, a conclu que la conduite d’une personne sage et prudente n’aurait pas été différente de celle de l’appelant[26].

 

[49]        Dans O’Dea, la juge Campbell a conclu que des associés commanditaires n’avaient pas agi de façon négligente en consultant des professionnels avant de déduire les pertes de la société de leurs revenus. Les contribuables dans ce dossier s’étaient également fiés à des documents professionnels liés à un appel d’offres. La juge Campbell écrivait :

 

104      […] Ces particuliers participaient à l'entreprise à titre de commanditaires. Ils n'en étaient pas les âmes dirigeantes et ils ne s'étaient pas non plus occupés de l'organisation initiale. Je crois qu'ils ont agi d'une façon raisonnable et prudente en se fondant sur les diverses opinions professionnelles avant de décider d'effectuer leur placement et qu'ils ne devraient pas être tenus de respecter une norme plus rigoureuse. Ce faisant, on se trouverait à insister pour qu'ils enquêtent personnellement sur les détails techniques des diverses structures et des divers arrangements concernant des documents publics d'offre. Par conséquent, le fait qu'ils se sont fondés sur les états reçus de la société en commandite ne constitue pas une omission de faire preuve d'une diligence raisonnable dans la production de leurs déclarations […].

[50]        Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR requiert que le contribuable ait agi de manière négligente. Invoquer et prouver la négligence du comptable ou du professionnel ayant agi pour le contribuable ne suffiront pas pour empêcher l’application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR. Le contribuable doit également avoir agi de façon diligente, ou à tout le moins, contredire la preuve du ministre selon laquelle il aurait agi de façon négligente. Ainsi, il est vrai que la négligence du comptable ne constitue pas une réponse à une cotisation par ailleurs justifiée. Je crois toutefois que lorsque la négligence du comptable est prouvée, et que le contribuable a par ailleurs démontré sa propre diligence ou son absence de négligence, le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR ne peut s’appliquer.

 

[51]        Pour que je donne gain de cause à l’intimée, il aurait fallu que le libellé de l’alinéa 152(4)a) soit comme suit : « […] le contribuable, la personne produisant la déclaration ou toute personne ayant participé à la préparation de la déclaration produite par ces derniers [...] a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire ». Les mots soulignés ne font pas partie du texte de loi en question.

 

VI     Conclusion

 

[52]        Pour toutes les raisons mentionnées précédemment, je suis d’avis que l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant avait agi de façon négligente. Au contraire, la preuve démontre que l’appelant a agi avec diligence. J’accueillerais donc l’appel avec dépens et j’ordonne que la cotisation soit annulée.

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 1er jour de mai 2013.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 74

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-2203(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            IBRAHIM ARIDI c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 1er mai 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Marie-Hélène Tremblay

Avocat de l'intimée :

Me Mounes Ayadi

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                     Nom :                           Me Marie-Hélène Tremblay

 

                 Cabinet :                          Ravinsky Ryan Lemoine, s.e.n.c.r.l.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L.R.C. 1985, ch.1 (5e suppl.) LIR »).

[2] Edwards v. Attorney General for Canada, [1930] A.C. 124.

[3] Pierre-Andre Côté, Interprétation des lois, 4e édition, Les Éditions Thémis, Montréal, p. 382.

[4] Thomson c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 385.

[5] Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, au par. 61.

[6] L.R.Q., ch. C.c.Q-1991.

[7] Articles 2160 à 2165, C.c.Q.

[8] Autre qu’une fiducie de fonds commun de placement ou une société autre qu’une société privée sous contrôle canadien.

[9] Boucher c. Canada, 2004 CAF 46. Voir aussi Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL).

[10] 2009 CCI 493, par. 18. 

[11] Note 9 ci-dessus.

[12] 2008 CAF 206.

[13] Angus c. Canada, [1998] A.C.F. no 1694 (QL), au par. 7.

[14]Note 9 ci-dessus.

[15] [1996] A.C.I. no 276 (QL).

[16] [1996] A.C.F. no 1470 (QL), conf. [1996] A.C.F. no 19 (QL).

[17] Ibid., par. 24.

[18] Ibid., par. 25.

[19] [2000] A.C.I. no 622 (QL).

[20] Ibid., par. 3.

[21] Ibid., par.7.

[22] Note 12 ci-dessus.

[23] 2009 CCI 409.

[24] 2007 CCI 266.

[25] 2009 CCI 295.

[26] Note 23 ci-dessus, par. 33.

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