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Dossier : 2012-3416(GST)APP

ENTRE :

JACQUES BOLDUC,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

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Demande de prorogation de délai entendue le 25 janvier 2013,

à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Pour le requérant :

Le requérant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Pier-Olivier Julien

 

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

        La demande de prorogation de délai déposée en vertu de la Loi sur la taxe d’accise est accueillie, selon les motifs de l’ordonnance ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2013.

 

 

 

« B.Paris »

Juge Paris

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 77

Date : 20130306

Dossier : 2012-3416(GST)APP

ENTRE :

JACQUES BOLDUC,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Paris

 

[1]             Il s’agit d’une demande de prorogation du délai pour faire opposition à une nouvelle cotisation établie le 18 novembre 2010 en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

 

[2]             Cette cause sort de l’ordinaire à cause de la divergence entre la version française et la version anglaise de l’alinéa 304(5)b) de la LTA, qui énonce les conditions auxquelles un requérant doit satisfaire pour obtenir une prorogation du délai pour faire opposition. La version française est ainsi rédigée :

 

(5) Acceptation de la demande Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) la demande a été présentée en application du paragraphe 303(1) dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour faire opposition ou présenter la requête en application du paragraphe 274(6);

 

b) la personne démontre ce qui suit :

 

(i) dans le délai d'opposition par ailleurs imparti, elle n'a pu ni agir ni mandater quelqu'un pour agir en son nom, ou avait véritablement l'intention de faire opposition à la cotisation ou de présenter la requête,

 

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l'espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

 

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

 

(iv) l'opposition est raisonnablement fondée.

 

[3]             La version anglaise dispose comme suit :

 

(5) When application to be granted — No application shall be granted under this section unless

 

(a) the application was made under subsection 303(1) within one year after the expiration of the time otherwise limited by this Part for objecting or making a request under subsection 274(6), as the case may be; and

 

(b) the person demonstrates that

 

(i) within the time otherwise limited by this Act for objecting,

 

(A) the person was unable to act or to give a mandate to act in the person’s name, or

 

(B) the person had a bona fide intention to object to the assessment or make the request,

 

(ii) given the reasons set out in the application and the circumstances of the case, it would be just and equitable to grant the application, and

 

(iii) the application was made under subsection 303(1) as soon as circumstances permitted it to be made.

 

[4]             Alors, la version française de l’alinéa 304(5)b) contient au sous‑alinéa (iv) une condition qui ne se trouve pas dans la version anglaise, ce qui est important parce que l’argument principal de l’intimée en l’espèce est que le requérant n’a pas démontré que son opposition est bien fondée.

 

[5]             La divergence ne m’est devenue apparente qu’au moment où j’ai commencé à rédiger ces motifs. Les parties ne l’ont pas soulevée et je crois bien qu’elles ne s’en sont pas rendues compte. Puisque la démarche pour résoudre la question d’interprétation que soulève cette divergence est claire, je n’ai pas demandé aux parties de me présenter des arguments à cet égard.

 

[6]             Dans l’arrêt Canada c. Daoust[1], la Cour suprême du Canada a expliqué la démarche qui s’impose pour interpréter les lois bilingues :

 

27     Il y a donc une démarche précise à suivre pour l'interprétation des lois bilingues. La première étape consiste à déterminer s'il y a antinomie. Si les deux versions sont absolument et irréductiblement inconciliables, il faut alors s'en remettre aux autres principes d'interprétation : voir Côté, op. cit., p. 413. Rappelons qu'il faut alors favoriser une interprétation téléologique et contextuelle : voir, par exemple, Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33.

 

28     Il faut vérifier s'il y a ambiguïté, c'est-à-dire si une ou les deux versions de la loi sont "raisonnablement susceptible[s] de donner lieu à plus d'une interprétation" : Bell ExpressVu, précité, par. 29. S'il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l'autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c'est-à-dire chercher le sens qui est commun aux deux versions : Côté, op. cit., p. 413. Le sens commun favorisera la version qui n'est pas ambiguë, la version qui est claire : Côté, op. cit., p. 413-414; voir Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614; Kwiatkowsky c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 R.C.S. 856, p. 863.

 

29     Si aucune des deux versions n'est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive : Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 669; Pfizer Co. c. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1977] 1 R.C.S. 456, p. 464-465. Le professeur Côté illustre ce point comme suit, à la p. 414 :

 

Dans un troisième type de situation, l'une des deux versions a un sens plus large que l'autre, elle renvoie à un concept d'une plus grande extension. Le sens commun aux deux versions est alors celui du texte ayant le sens le plus restreint.

 

30     La deuxième étape consiste à vérifier si le sens commun ou dominant est conforme à l'intention législative suivant les règles ordinaires d'interprétation : Côté, op. cit., p. 415-416. Sont pertinents à cette étape les propos du juge Lamer dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1071 :

 

Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions. Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui-ci semble conciliable avec l'objet et l'économie générale du Code.

 

31     Rappelons finalement que certains principes d'interprétation sont seulement applicables en cas d'ambiguïté d'un texte législatif. Comme le précisait le juge Iacobucci dans l'affaire Bell ExpressVu, précitée, par. 28 : "D'autres principes d'interprétation — telles l'interprétation stricte des lois pénales et la présomption de respect des "valeurs de la Charte" — ne s'appliquent que si le sens d'une disposition est ambigu."

 

[7]             En l’espèce, les conditions énoncées dans les deux versions sont claires et non ambiguës. Par conséquent, selon le paragraphe 29 de l’arrêt Daoust (supra) c’est la version la plus restrictive qui sera retenue. Évidemment, c’est la version anglaise de l’alinéa 304(5)b) qui a le sens le plus restreint.

 

[8]             Quant à la deuxième étape de l’interprétation de l’alinéa 304(5)b) à mon avis la version anglaise est conforme à l’intention du législateur. Dans l’article parallèle qui traite des demandes de prorogation du délai pour produire une opposition adressées au ministre du Revenu national, soit l’article 303 de la LTA, les conditions d’acceptation de la demande spécifiées à l’alinéa 303(7)b) sont pratiquement identiques aux trois conditions énumérées aux sous-alinéas 304(5)b)(i), (ii) et (iii) des versions française et anglaise du paragraphe 304(5). De plus, dans les versions française et anglaise des articles 166.1 et 166.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, (la « LIR ») qui traitent des demandes de prorogation du délai pour produire une opposition à une cotisation établie en vertu de cette loi adressées au ministre (article 166.1) ou à la Cour canadienne de l’impôt (article 166.2), les conditions d’acceptation de la demande sont les mêmes que celles que l’on retrouve aux sous-alinéas 304(5)b)(i), (ii) et (iii) et à l’alinéa 303(7)b) de la LTA. Autrement dit, la quatrième condition, soit celle selon laquelle l’opposition doit être raisonnablement fondée, n’apparaît nulle part dans les dispositions parallèles de la LTA ou de la LIR. Cela m’amène à conclure que le législateur n’entendait pas ajouter cette quatrième condition dans le cas d’une demande de prorogation du délai pour produire une opposition adressée à la Cour.

 

[9]             Je constate d’ailleurs qu’une condition de ce genre apparaît dans les versions tant françaises qu’anglaises des dispositions portant sur les demandes de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel à la Cour, soit le paragraphe 305(5) de la LTA et le paragraphe 167(5) de la LIR; les deux versions de ces deux articles sont donc cohérentes à cet égard.

 

[10]        Pour ces motifs, je conclus que le requérant n’a pas à démontrer un fondement raisonnable pour son opposition.

 

[11]        Je suis convaincu aussi que le requérant remplit les autres conditions du paragraphe 304(5). Le délai imparti pour faire opposition à une cotisation établie en vertu de la LTA est de 90 jours. Le requérant a témoigné à l’audition de sa demande qu’il n’avait pas pu produire son opposition dans les 90 jours suivant l’envoi de l’avis de cotisation (délai qui expirait le 15 février 2012) parce qu’il voyageait beaucoup pour son travail et ne revenait chez lui que les fins de semaine. À certains moments de l’année, il peut lui arriver d’être parti de chez lui pendant des périodes allant jusqu’à deux semaines. Il a dit qu’il s’occupait de la paperasse relative à son travail la fin de semaine, mais que c’était difficile, à cause de sa charge de travail, de se garder à jour. Pourtant il avait toujours eu l’intention de contester la cotisation. Cette intention est suffisante pour satisfaire à la condition du sous‑alinéa 304(5)b)(i). J’admets aussi que la demande adressée à la Cour, qui a été présentée 31 jours après le refus du ministre d’accorder la prorogation du délai, a été présentée dès que les circonstances le permettaient. Par le fait même, le requérant remplit la condition formulée au sous-alinéa 304(5)b)(iii). Dans les circonstances, je conclus également qu’il serait juste et équitable de faire droit à la demande.

 

[12]        Pour ces motifs, la demande de prorogation de délai est accueillie.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2013.

 

 

 

« B.Paris »

Juge Paris

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 77

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-3416(GST)APP

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            JACQUES BOLDUC ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 6 mars 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour le requérant :

le requérant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Pier-Olivier Julien

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour le requérant :

 

                     Nom :                          

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217.

 

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