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Dossier : 2009-2099(IT)G

ENTRE :

DAVID ARMSTRONG,

appelant/requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée/intimée dans le cadre de la requête,

 

ET ENTRE :

 

CANGO INC.,

 

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE et DAVID ARMSTRONG,

 

intimés dans le cadre de la requête.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Requêtes par écrit

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

 

ORDONNANCE

 

Vu la requête présentée par écrit par la requérante Cango Inc. en vue d’obtenir une ordonnance l’autorisant à intervenir dans l’instance;

 

Et après avoir lu les documents déposés;

 

La requête est accueillie.

 

Vu la requête présentée par écrit par le requérant David Armstrong en vue d’obtenir une ordonnance de levée de l’engagement implicite de ne pas communiquer les documents et les renseignements obtenus lors de l’interrogatoire préalable de Stephen Kleinschmidt;

 

Et après avoir lu les documents déposés;

 

La requête est rejetée.

 

Aucuns dépens ne sont adjugés dans l’une ou l’autre des requêtes.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2013

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d’août 2013.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

Référence : 2013 CCI 59

Date : 20130220

Dossier : 2009-2099(IT)G

 

DAVID ARMSTRONG,

appelant/requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée/intimée dans le cadre de la requête,

 

ET ENTRE :

 

CANGO INC.,

 

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE et DAVID ARMSTRONG,

 

intimés dans le cadre de la requête.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Angers

[1]             Le requérant David Armstrong demande à la Cour l’autorisation d’utiliser dans une ou plusieurs instances distinctes qu’il a engagées ou qu’il engagera devant la Cour de l’Ontario contre son ancien employeur, Cango Inc. (ci-après appelée « Cango ») et ses anciens avocats les documents et les renseignements obtenus dans le cadre de l’interrogatoire préalable de la personne désignée par le ministre dans un appel en matière d’impôt sur le revenu dont la présente cour fut saisie. Autrement dit, il demande à la Cour d’être relevé de l’engagement implicite qu’il a donné à l’égard des documents et des renseignements (les « éléments de preuve ») qui ont été obtenus lors du processus d’interrogatoire préalable tenu dans son appel en matière d’impôt sur le revenu.

[2]             Le requérant a été au service de Cango du 24 juin 1993 au 11 novembre 2002 à titre de président et chef de la direction.

[3]             Au début de 2002, après avoir reçu un rapport de dénonciation d’un ancien employé, Cango a procédé à une enquête sur le requérant. À la suite de cette enquête, Cango a allégué avoir découvert que le requérant avait détourné des fonds provenant de plusieurs lave-autos de cette entreprise et l’a donc congédié. Une autre enquête menée par un cabinet de juricomptabilité s’est soldée par un rapport dans lequel ont été quantifiés le montant total des fonds censément détournés ainsi que les pertes de Cango.

[4]             Cango a engagé une action civile devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue de recouvrer les fonds censément détournés, et le requérant a engagé contre Cango une action pour congédiement injustifié.

[5]             Vers juin 2004, le requérant et Cango ont résolu la situation en réglant leurs poursuites civiles respectives, et tous deux ont signé une renonciation totale et définitive découlant des faits et des circonstances plaidés dans leurs actions respectives.

[6]             Soucieuse d’avoir peut-être déclaré erronément son revenu, et à la suite de conseils professionnels, Cango a entrepris un processus de divulgation volontaire auprès de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») vers le mois de février 2003. À peu près à la même époque, l’ARC a entrepris une enquête sur les gains et les biens du requérant. Lors de cette dernière, l’ARC a envoyé à Cango, le 13 avril 2006, une demande péremptoire au sujet de la communication de documents financiers concernant le requérant, en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Plus précisément, Cango a été tenue de fournir :

[traduction]

[…] toute l’aide raisonnable, dont des réponses aux questions légitimes ainsi que tous les documents pertinents concernant David J. Armstrong pour les années d’imposition 1999, 2000 et 2001.

[7]             En août 2006, en recourant à une analyse comparative de l’avoir net, l’ARC a établi à l’endroit du requérant une nouvelle cotisation concernant des revenus antérieurement non déclarés d’un montant de 1 713 630 $. En janvier 2007, le requérant a été l’objet d’une nouvelle cotisation destinée à refléter des rajustements autorisés par l’ARC, et le montant de revenus non déclarés a été réduit à 462 481 $. Le requérant a déposé un avis d’appel auprès de la Cour le 24 juin 2009.

[8]             Un interrogatoire préalable a eu lieu les 28 et 29 septembre 2010. M. Stephen Kleinschmidt, la personne désignée par l’intimée, a été interrogé. Des réponses à des engagements ont été fournies le 29 novembre 2010, et elles incluaient des renseignements obtenus de Cango, sous la forme de sept relieurs à feuilles mobiles remplis de documents.

[9]             L’appel en matière d’impôt a été réglé en faveur du requérant par jugement sur consentement le 13 octobre 2011. L’intimée a consenti à un jugement qui faisait intégralement droit à l’appel et qui renvoyait les nouvelles cotisations au ministre pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le requérant (appelant) n’avait eu aucun revenu non déclaré pour ses années d’imposition 1999 à 2001.

[10]        Il convient de signaler qu’aucun des éléments de preuve recueillis lors de l’interrogatoire préalable n’a été déposé en tant que preuve devant la Cour ou par ailleurs produit en audience publique.

[11]        Le 27 septembre 2012, le requérant a institué contre Cango une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, sollicitant des dommages‑intérêts pour avoir fourni à l’ARC une série de documents faux, incomplets et trompeurs. De plus, il est clairement ressorti des documents contenus dans les relieurs susmentionnés que l’ancien cabinet d’avocats du requérant avait communiqués à Cango des renseignements privilégiés et confidentiels dans le contexte de son différend avec cette dernière. Cango conteste tout ce qui précède.

[12]        Comme il a déjà été mentionné, le requérant sollicite une ordonnance de la Cour pour la levée de l’engagement implicite qu’il a pris concernant les renseignements que l’ARC a produits dans le cadre de l’interrogatoire préalable de M. Kleinschmidt.

[13]        Les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») ne contiennent pas de dispositions portant sur l’usage ultérieur que fait le destinataire de renseignements communiqués dans le cadre d’un interrogatoire préalable, pas plus que des dispositions portant sur la requête proprement dite à soumettre à la Cour à cet égard. Cependant, cela n’empêche aucunement d’appliquer la règle de common law dans toutes les instances dont la Cour est saisie, et une requête telle que la présente peut être déposée.

[14]        Dans l’arrêt Kitchenham v. AXA Insurance Canada, 2008 ONCA 877, [2008] O.J. no 5413 (QL), aux paragraphes 30, 31 et 32, que je reproduis ci‑dessous, la Cour d’appel de l’Ontario décrit en ces termes l’effet qu’a l’article 30.1 (présomption d’engagement) des Règles de procédure civile de l’Ontario :

[traduction]


30 L’engagement implicite favorise de deux façons la bonne administration de la justice dans le déroulement d’un litige civil. Premièrement, elle encourage les parties à effectuer une divulgation complète et franche dans le cadre d’un interrogatoire préalable. Elle le fait en interdisant, sauf avec l’autorisation du tribunal, l’utilisation ultérieure des renseignements communiqués par la partie qui a obtenu cette divulgation pour une fin étrangère au litige dans le cadre duquel la divulgation a été faite. Deuxièmement, l’engagement implicite reconnaît que le droit à la vie privée des parties doit, sous réserve de revendications de privilège légitimes, céder le pas à l’obligation de divulgation dans le cadre du litige, mais que ce droit doit être protégé à l’égard de questions étrangères au litige :
Juman v. Doucette, aux paragraphes 23 à 27; Richard B. Swan, « The Deemed Undertaking : A Fixture of Civil Litigation in Ontario » (hiver 2008) 27 Advocates’ Soc. J., no 3, p. 16.

31 Dans l’arrêt Goodman c. Rossi, à la p. 369, le juge Morden cite un extrait de l’ouvrage intitulé Discovery de Matthews et Malek (1992), à la p. 253, où ces derniers décrivent ainsi la raison d’être de la règle :

            [traduction]

·         La raison d’être première de l’imposition de l’engagement implicite est la protection de la vie privée. Un interrogatoire préalable est une atteinte au droit d’un particulier de garder pour lui ses propres documents, et la sauvegarde de ce droit est une affaire d’intérêt public. L’engagement a pour objet de protéger, dans la mesure où cela cadre avec le déroulement approprié de l’action, la confidentialité des documents de la partie. Il est généralement injuste qu’une partie, qui est contrainte par la loi de produire des documents pour l’objet d’une instance particulière, s’expose au risque que l’autre partie se serve de ces documents à une fin autre que l’objet de l’instance judiciaire en question. […]

32 On favorise la promotion d’une divulgation complète et franche, ainsi que la protection du droit à la vie privée de ceux qui sont contraints de faire une divulgation lors d’un interrogatoire préalable en restreignant l’usage que peut faire de ces renseignements la partie qui les a obtenus. Ni l’une ni l’autre des raisons d’être de l’engagement implicite ne justifient que l’on restreigne l’usage ultérieur des renseignements que fait la partie qui les a produits. Au contraire, le fait d’englober la totalité des renseignements produits dans le cadre d’un interrogatoire préalable mené dans une seule action sous un voile de non-divulgation pour tout objet ultérieur, et celui de demander une ordonnance judiciaire en vue de lever ce voile du secret feraient inévitablement obstacle au fonctionnement efficace du processus d’interrogatoire préalable.

[15]        Il est intéressant aussi de noter que, au paragraphe 58, ce même arrêt définit qui est le bénéficiaire de la protection qu’accorde l’article 30.1 des Règles :

[traduction]


58
 Le droit de la partie qui a été contrainte de divulguer les renseignements est le seul qui peut justifier le maintien de l’engagement. Mon interprétation du paragraphe (8) concorde avec une interprétation de l’article qui reconnaît que la partie qui a fourni les renseignements est la seule bénéficiaire de la protection que confère l’article. Cela concorde également avec le paragraphe (4), qui dispose que l’engagement présumé ne s’applique pas si la partie qui a divulgué les éléments de preuve consent à leur usage.

[16]        Cela dit, une requête ultérieure a également été déposée devant la présente cour par Cango, qui a sollicité une ordonnance l’autorisant à intervenir en l’espèce. Elle a aussi soumis des arguments en opposition à la requête initiale au cas où cette autorisation serait accordée.

[17]        L’autorisation d’intervenir auprès de la Cour s’obtient habituellement si l’on satisfait aux exigences énoncées à l’article 28 des Règles, dont le texte est le suivant :

28. Autorisation d’intervention — (1) Quiconque n’est pas partie à l’instance et prétend :

a) qu’il a un intérêt dans l’objet de cette instance;

b) qu’il peut subir un préjudice par suite du jugement;

c) que lui-même et l’une ou plusieurs des parties à l’instance sont liés par la même question de droit, la même question de fait ou la même question de droit et de fait,

peut demander, par voie de requête, l’autorisation d’intervenir dans l’instance.

(2) Saisie de la requête, la Cour, après avoir examiné si l’intervention risque de retarder indûment ou de compromettre la décision sur les droits des parties à l’instance, peut :

a) autoriser le requérant à intervenir à titre d’intervenant bénévole et sans être partie à l’instance, afin d’éclairer la Cour par son témoignage ou son argumentation;

b) rendre toute directive qu’elle estime appropriée en matière d’actes de procédure, d’interrogatoire préalable ou de frais.

[18]        La Cour n’est plus saisie de l’appel du requérant et l’article 28 des Règles n’a pas été conçu pour traiter d’une instance telle que la requête initiale qui a été soumise à la Cour, mais cet article peut sans nul doute servir de ligne directrice pour pouvoir déterminer si une personne (Cango, en l’occurrence) devrait obtenir l’autorisation d’intervenir à titre d’intervenant bénévole en vue d’aider la Cour à trancher la requête initiale.

[19]        La requête visant à obtenir l’autorisation d’intervenir découle du fait que l’intimée n’a pas consenti à ce que le requérant utilise les documents et les renseignements communiqués lors de l’interrogatoire préalable. Si cela avait été fait, l’affaire ne se serait pas rendue devant la Cour, car la règle de l’engagement implicite ne se serait pas appliquée.

[20]        Cela dit, j’ai lu l’affidavit de Warren Kettlewell de Cango, de même que celui du requérant David Armstrong qui a été déposé en réponse à la requête en autorisation d’intervenir.

[21]        Le critère préliminaire auquel il convient de satisfaire en vue d’obtenir l’autorisation d’intervenir est que la personne qui sollicite cette dernière doit montrer qu’elle a un intérêt dans l’objet de l’instance et qu’elle peut subir un préjudice par suite du jugement. De plus, il doit y avoir une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait en commun avec une question en litige dans l’instance, et l’intervention ne doit pas causer un retard ou un préjudice indu.

[22]        Pour ce qui est de la dernière condition, il n’y aura pas de retard indu en l’espèce, car Cango a déjà fait part à la Cour d’observations écrites sur la levée de l’engagement implicite, et le requérant n’a pas soutenu qu’il subira un préjudice si l’on fait droit à l’autorisation d’intervenir.

[23]        Le requérant a signifié à Cango la requête initiale. Je ne puis qu’en déduire qu’il jugeait – à juste titre d’ailleurs – que Cango était une personne sur laquelle la directive demandée aurait une incidence, comme il est indiqué au paragraphe 67(1) des Règles. Aux termes de l’article 28, pour obtenir l’autorisation d’intervenir, la personne qui en fait la demande doit montrer qu’elle subira un préjudice par suite de la directive ou de l’ordonnance demandée. L’affidavit de Cango suffit pour que je conclue que cette dernière subira un préjudice. Les renseignements qu’elle a fournis à l’intimée, de pair avec les autres qu’elle a été contrainte de communiquer, dont des dossiers financiers, seront utilisés dans le cadre de l’action engagée devant les tribunaux de l’Ontario et auront une incidence financière sur Cango.

[24]        Je suis également persuadé que les renseignements que Cango a fournis, tant avant d’avoir été contrainte de le faire que par la suite, au moyen des documents et des éléments de preuve que la personne désignée par l’intimée a fournis, constituent la question qui est en litige dans la requête initiale, et cela confère à Cango un intérêt véritable et direct dans l’instance.

[25]        Je ferai donc droit à la requête et autoriserai Cango à intervenir à titre d’intervenante bénévole dans le but d’aider la Cour à trancher la requête initiale, laquelle aide fait déjà partie du dossier de requête de Cango. De plus, je prendrai en considération les éléments de preuve et les arguments que le requérant a fournis dans sa réponse.

La requête initiale

[26]        Dans l’arrêt Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157, [2008] A.C.S. no 8 (QL), la Cour suprême du Canada a établi la portée d’un engagement implicite en common law. Cet engagement a pour objet d’offrir une mesure raisonnable de protection au droit à la vie privée d’une personne interrogée dans les cas où l’on est obligé de produire des documents et des renseignements, ainsi que favoriser la tenue d’un interrogatoire préalable exhaustif et franc. La Cour suprême a déclaré que, pour obtenir la levée de l’engagement implicite, l’auteur de la demande doit démontrer « selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un intérêt public plus important que les valeurs visées par l’engagement implicite, à savoir la protection de la vie privée et le déroulement efficace du litige civil » (paragraphe 32). La Cour suprême du Canada a également déclaré, aux paragraphes 25 et 26 :

25        Dans une action civile, l’intérêt qu’a le public à découvrir la vérité l’emporte sur le droit de la personne interrogée à sa vie privée, lequel mérite néanmoins une certaine protection. La loi n’oblige à fournir des réponses et à produire des documents que pour l’action civile, et elle exige donc que l’atteinte à la vie privée se limite généralement à la mesure nécessaire à ces fins. Même si la présente affaire soulève la question de l’auto-incrimination de l’appelante, il ne s’agit pas d’une condition préalable à la protection. En fait, il n’est même pas nécessaire que les renseignements divulgués satisfassent aux exigences légales de confidentialité énoncées dans Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254. L’idée générale est que, métaphoriquement, tout ce qui est divulgué dans la pièce où se déroule l’interrogatoire préalable reste dans cette pièce, sauf si cela est finalement révélé en salle d’audience ou révélé par suite d’une ordonnance judiciaire.

26        Une deuxième raison justifie l’existence d’un engagement implicite. La partie qui a une certaine assurance que les documents et les réponses qu’elle fournit ne seront pas utilisés à des fins connexes ou ultérieures à l’instance où ils sont exigés sera incitée à donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes. Cela est particulièrement intéressant à une époque où la production de documents est d’une envergure telle (« litige par avalanche ») qu’elle empêche, bien souvent, les particuliers ou les entreprises devant produire les documents de procéder à une présélection approfondie. Voir Kyuquot Logging Ltd. c. British Columbia Forest Products Ltd. (1986), 5 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.), le juge Esson, dissident, p. 10‑11.

[27]        La Cour suprême du Canada a ajouté que tout préjudice perçu causé à la personne interrogée est un facteur qui pèsera toujours lourd dans la balance.

[28]        Dans des affaires telles que Goodman v. Rossi, [1995] O.J. no 1906 (QL) (C.A. Ont.), Disher v. Kowal, 56 O.R. (3d) 329 (C.S. Ont.), Ochitwa v. Bombino, [1997] A.J. no 1157 (QL) (B.R. Alb.), Merck and Co. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1852 (QL) (C.F. 1re inst.), les tribunaux ont tenu compte de divers facteurs en vue de les aider à soupeser l’intérêt public par rapport à l’intérêt que protège l’engagement implicite. Ces facteurs comprennent des aspects tels que l’existence de questions en litige et de parties différentes, l’existence d’autres moyens d’obtenir les renseignements, l’effet causé à des tiers par opposition au droit à la vie privée, de même que le souci de promouvoir un processus de justice civile efficace.

[29]        En l’espèce, les parties et les questions en litige sont différentes. La question qui était en litige dans l’appel soumis à la Cour avait trait à l’obligation fiscale du requérant à l’égard d’un revenu non déclaré et de pénalités, ainsi qu’au fait que la cotisation avait été établie au-delà de la période normale de cotisation. Les questions en litige dans l’action engagée en Ontario ont trait à une poursuite engagée dans un but malveillant ainsi qu’à de la diffamation. Il n’y a pas de lien en soi entre les questions en litige dans l’appel en matière d’impôt sur le revenu et celles qui le sont dans l’action engagée en Ontario, hormis la question de la fiabilité des faits qu’a présumés l’intimée au moment de déterminer le revenu non déclaré, et ces faits n’ont jamais été tranchés. Les parties sont le requérant et le ministère public dans le cadre de l’appel soumis à la Cour, ainsi que le requérant et Cango dans l’action engagée en Ontario.

[30]        La preuve que le requérant a présentée n’est pas claire quant aux efforts qu’il avait faits pour obtenir les renseignements et les documents d’autres sources. Il y a peut-être d’autres voies qui s’offrent à lui, comme des engagements obtenus dans le processus d’interrogatoire préalable mené dans le cadre de l’action engagée en Ontario. Il s’agit là d’un facteur dont j’ai tenu compte.

[31]        Le requérant soutient que l’on servira l’intérêt public supérieur en permettant au tribunal de déterminer la vérité. Autrement dit, il ne faudrait pas permettre à Cango de dissimuler ses présumées divulgations trompeuses et sélectives sous le couvert de l’engagement implicite de l’intimée, à laquelle les renseignements ont été communiqués volontairement.

[32]        En revanche, dans l’arrêt Goodman (précité), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les procédures du tribunal ne peuvent pas être ou sembler être un instrument qui permet d’engager un litige qui n’était pas par ailleurs envisagé ou une partie de la cause d’action qui mit au jour la demande potentiellement nouvelle. Sinon, on minerait toute divulgation complète et franche de la part des parties. Dans la situation de fait dont il est question en l’espèce, le requérant a pris conscience du rôle joué par Cango dans l’instance par l’intermédiaire de l’appel en matière d’impôt sur le revenu, au cours duquel ont été divulgués les faits qui sont maintenant allégués dans l’action engagée en Ontario.

[33]        Il faut également garder à l’esprit que, dans les cotisations d’impôt sur le revenu, notamment les cotisations de valeur nette, il arrive parfois que les renseignements qu’obtiennent et qu’utilisent les vérificateurs de l’ARC dans le cadre du processus de vérification et qui constituent le fondement d’une cotisation soient erronés. Les renseignements sont soit fournis volontairement par des tiers soit obtenus par une contrainte exercée conformément à la loi, mais il n’en demeure pas moins que le contribuable est la personne qui connaît le mieux ses affaires et qui est le mieux à même de réfuter les présomptions du ministre, ce que, en l’espèce, le requérant est parvenu à faire.

[34]        Cela m’amène aux autres droits plus importants que l’engagement implicite est destiné à protéger, soit la vie privée et le déroulement efficace du litige, ce qui inclut les appels en matière d’impôt sur le revenu. Certains des documents obtenus dans le cadre de l’enquête préalable l’ont été grâce à la divulgation volontaire d’un tiers (Cango), et cette divulgation exige d’être protégée pour des raisons de confidentialité, comme le prévoit la Loi; certains ont été divulgués avant qu’une ordonnance oblige à les produire, et d’autres ont été fournis en vertu d’une telle ordonnance. Il est juste de présumer que les documents qui sont fournis à l’ARC dans le cadre d’une vérification sont fiables et, étant donné que la cotisation repose sur des présomptions de fait, il faut qu’il y ait une certaine confidentialité dans le cadre des appels en matière d’impôt sur le revenu. Tout écart par rapport à cette règle – c’est-à-dire, si les renseignements obtenus pourraient être utilisés contre l’informateur dans une action en justice ultérieure – pourrait créer un effet inhibiteur.

[35]        Le requérant a peut-être bien une question litigieuse à régler et il a peut-être bien été privé d’un moyen de présenter sa cause, mais je crois qu’il serait contraire à l’intérêt public que les procédures de la Cour soient ou qu’elles semblent être un instrument permettant d’engager un litige non envisagé par ailleurs ou une partie de la cause d’action qui a mis au jour la demande potentiellement nouvelle (Goodman, précité).

[36]        Je crois que, selon la prépondérance des probabilités, l’intérêt public invoqué par le requérant n’est pas plus important que les valeurs que l’engagement implicite vise à protéger.

[37]        La requête est rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés dans le cadre de l’une ou l’autre des requêtes.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2013

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour d’août 2013.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 59

 

No DE DOSSIER DE LA COUR :    2009-2099(IT)G

 

INTITULÉ :                                      David Armstrong c. La Reine

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge François Angers

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 20 février 2013

 

AVOCATS INSCRITS

AU DOSSIER :

 

       Pour David Armstrong :

 

                          Nom :                     Leigh Taylor

 

                          Cabinet :                 Leigh Sommerville Taylor

                                                          Professional Corporation

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour Cango Inc. :

 

                          Noms :                    Eric R. Hoaken

                                                          Amanda C. McLachlan

 

                          Cabinet :                 Bennett Jones LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour Sa Majesté la Reine :         William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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