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Dossier : 2011-1424(IT)I

ENTRE :

JOY MANNING,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 septembre 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

MAmelia Fink

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008 est rejeté compte tenu du fait que l’appelante n’a pas le droit de déduire les pertes locatives de 8 389 $, de 14 044 $ et de 11 606 $ qu’elle a subies pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008, respectivement, en application du paragraphe 9(1) de la Loi.

 

          Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 8jour de février 2013.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27jour de mars 2013.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 51

Date : 20130208

Dossier : 2011-1424(IT)I

ENTRE :

JOY MANNING,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge D’Auray

 

[1]             En l’espèce, la question en litige est de savoir si l’appelante a le droit de déduire les pertes locatives suivantes en application du paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») :

 

      8 389 $ pour l’année d’imposition 2006,

     14 044 $ pour l’année d’imposition 2007,

     11 606 $ pour l’année d’imposition 2008.

 

[2]             L’appelante a témoigné à l’audience, mais elle n’a appelé aucun témoin. L’intimée a appelé comme témoin les personnes suivantes : M. George Cooke, le fils de l’appelante, M. Abdelaziz Khadiri, vérificateur auprès de Revenu Québec (« RQ ») et M. Hubert De Groot, agent des appels à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

 

Les faits et la preuve produite à l’audience

 

[3]             L’appelante a déclaré qu’elle avait hérité une maison de sa mère, Mme Joan Leach, au décès de celle‑ci en 2000. Depuis 1962, Mme Leach vivait dans la maison avec son époux, M. James Manning, le père de l’appelante.

 

[4]             Dans son testament, Mme Leach avait donné le droit au père de l’appelante de vivre dans la maison sans avoir à payer de loyer jusqu’à la fin de ses jours. Toutefois, une disposition du testament prévoyait que le père de l’appelante serait responsable des dépenses relatives au bien, y compris l’impôt foncier et les frais des services d’utilité publique et d’entretien.

 

[5]             L’appelante a affirmé que son père, M. Manning, avait été incapable de payer les dépenses susmentionnées à cause d’un accident vasculaire cérébral qui l’a laissé infirme. Néanmoins, il a continué à vivre dans la maison sans payer de loyer.

 

[6]             La maison est située au 51, boulevard de Gaulle, à Lorraine, au Québec. Il s’agit d’une maison de plain‑pied avec un garage attenant.

 

[7]             L’appelante a déclaré que, en 2006, elle avait demandé l’avis de deux agents immobiliers et d’un évaluateur pour savoir si la maison pouvait être louée ou vendue à profit. Selon l’appelante, les agents immobiliers lui ont assuré que, si la maison était nettoyée et qu’elle faisait l’objet de certaines réparations, elle pourrait la vendre ou la louer à profit à court terme. L’évaluateur n’a non plus décelé aucun défaut majeur concernant la maison.

 

[8]             En conséquence, l’appelante a décidé de mettre la maison dans un état qui pouvait lui permettre de la louer ou de la vendre à profit. Elle a décidé de louer la maison à son fils, M. Cooke, étant donné qu’il avait de l’expérience dans le domaine de la construction. Il pouvait faire appel à ses compétences pour mettre la maison dans un état qui permettrait à l’appelante d’augmenter le loyer ou de vendre la maison. Elle a ajouté que [traduction] « les considérations familiales n’ont joué aucun rôle dans cet [arrangement] ».

 

[9]             Selon l’appelante, M. Cooke a emménagé dans la maison en 2006. L’appelante et M. Cooke n’ont pas signé de bail. Ils ont tous les deux témoigné qu’ils avaient plutôt conclu une convention orale.

 

[10]        M. Cooke a déclaré que son grand‑père et lui avaient des chambres à coucher distinctes, mais qu’ils partageaient le reste de la maison. Il a également affirmé qu’après avoir emménagé dans la maison, il consacrait environ trois à quatre heures par semaine à aider son grand‑père à l’accomplissement d’activités de la vie quotidienne.

 

[11]        L’appelante a affirmé que, en 2006, M. Cooke avait lancé sa propre entreprise de construction, à savoir « Les entreprises Cooke ». L’entreprise était exploitée à partir de la maison. Elle a déclaré que le loyer payé par son fils couvrait aussi le loyer de l’entreprise « Les entreprises Cooke », qui est une entreprise inscrite.

 

[12]        Selon le témoignage de l’appelante, M. Cooke effectuait des travaux de rénovation de la maison surtout le soir et la fin de semaine. Lorsque son horaire de travail le permettait, il effectuait des travaux de rénovation de la maison pendant la journée. M. Cooke a confirmé le témoignage de l’appelante en ce qui concerne le moment où ces travaux étaient effectués.

 

[13]        Les travaux de nettoyage et de réparation ont pris plus de temps que prévu, étant donné que certains problèmes latents concernant la maison ont été découverts au fur et à mesure des réparations. La maison se trouvait dans un bien pire état que ne l’avait envisagé l’appelante. Celle‑ci a déclaré qu’il y avait notamment de la moisissure, des fourmis charpentières et des souris, le toit coulait, le plafond de la cuisine s’était effondré et le sous‑sol était à refaire. En conséquence, l’appelante a témoigné que bon nombre de réparations entreprises par M. Cooke dans les années visées par l’appel étaient nécessaires afin de rendre la maison conforme au code du bâtiment.

 

[14]        L’appelante a expliqué qu’elle avait demandé à M. Cooke un loyer mensuel de 200 $ en 2006, mais qu’elle avait décidé de réduire le loyer à 100 $ en 2007 et en 2008 en raison de tous les travaux qu’il fallait faire à l’égard de la maison. Elle a ajouté que, contrairement aux arguments de RQ, il aurait été impossible de louer la maison à sa juste valeur marchande ou de la vendre à un tiers compte tenu de son état de délabrement. L’appelante a mentionné à l’intention de la Cour des passages tirés d’une lettre qu’elle avait envoyée à RQ dans lesquels, selon la Société canadienne d’hypothèque et de logement et la Société d’habitation du Québec, une réduction de loyer peut être accordée si un bien est dans un état délabré.

 

[15]        L’appelante a produit des listes faisant état des travaux que M. Cooke avait effectués dans les années visées par l’appel ainsi que de la valeur de tels travaux. Selon ces listes, M. Cooke avait effectué des travaux d’une valeur de 3 780 $ en 2006, de 4 245 $ en 2007 et de 8 335 $ en 2008. L’appelante a témoigné que la valeur avait été déterminée en fonction des prix pratiqués par M. Cooke à l’égard de clients avec lesquels il n’avait pas de lien de dépendance.

 

[16]        Selon les listes susmentionnées, M. Cooke a effectué les travaux suivants : le déneigement, la réparation d’une conduite d’eau endommagée, le nettoyage du garage, l’enlèvement d’appareils électroménagers, la réparation du plafond de la cuisine et l’application de peinture sur ce plafond, l’extermination de souris et de fourmis charpentières, le nettoyage d’une gouttière, des travaux de jardinage, l’enlèvement de la moisissure et des planchers du sous‑sol, l’installation de planchers, l’application de peinture dans les pièces et l’installation de panneaux de placoplâtre.

 

[17]        Il n’y a pas de certitude quant au moment où les listes ont été établies. Lors du contre‑interrogatoire, l’appelante a témoigné qu’elle avait régulièrement actualisé les listes au fur et à mesure que les travaux étaient exécutés. Toutefois, M. Cooke a déclaré qu’il n’avait pas vu les listes auparavant. De même, le vérificateur de RQ, M. Khadiri, qui a effectué la vérification relativement à la demande de déduction pour pertes locatives de l’appelante, a témoigné qu’il n’avait jamais vu les listes durant la vérification qu’il avait menée. C’est à l’audience qu’il a eu pour la première fois connaissance de l’existence des listes.

 

[18]        J’ai également remarqué que, dans ses communications avec RQ, l’appelante n’a jamais mentionné le fait que M. Cooke avait effectué des travaux à l’égard de la maison en contrepartie d’une réduction de loyer. RQ a demandé à l’appelante la raison pour laquelle le revenu brut provenant de la maison était faible. L’appelante a répondu de la manière suivante, en date du 16 novembre 2009 :

         

[traduction]

La maison est vieille et délabrée, et il est nécessaire d’effectuer des réparations importantes. Le locataire est pauvre et/ou a un faible revenu. (je ne peux pas louer la maison à quelqu’un d’autre, elle est dans un mauvais état) – il y a de la moisissure au plafond et le toit coule.

 

[19]        Il y avait également plusieurs contradictions entre le témoignage de l’appelante et celui de M. Cooke. En ce qui concerne le loyer demandé et le moment de paiement des loyers, l’appelante a déclaré que M. Cooke avait payé un loyer mensuel de 200 $ en 2006 et de 100 $ en 2007 et en 2008. Elle a aussi affirmé que M. Cooke faisait un paiement unique pour plusieurs mois de loyer. Toutefois, M. Cooke a déclaré qu’il payait le loyer mensuellement et qu’il avait payé 200 $ par mois au cours des trois années.

 

[20]        Une autre contradiction concerne le moment où M. Cooke s’était installé dans la maison et les raisons de ce déménagement. Selon le témoignage de l’appelante, M. Cooke a emménagé dans la maison en 2006 dans le but de la rénover. Toutefois, M. Cooke a affirmé qu’il s’était installé dans la maison à un certain moment avant 2005. Il a déclaré qu’il avait emménagé dans la maison à la suite de sa séparation d’avec sa petite amie avec laquelle il vivait. M. Cooke a également déclaré qu’il n’avait payé aucun loyer à l’appelante avant 2006.

 

[21]        Il n’est pas non plus certain si M. Cooke a présenté des factures pour les travaux effectués à l’égard de la maison. M. Cooke a témoigné qu’il les avait fournies alors que l’appelante a soutenu le contraire.

 

[22]        Dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008, l’appelante a inclus des revenus de location de 2 400 $ pour l’année d’imposition 2006 et de 1 200 $ pour les années d’imposition 2007 et 2008. À titre de dépenses liées à ses activités locatives, l’appelante a demandé la déduction de 10 787 $, de 15 244 $ et de 12 806 $ pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008, respectivement. Elle n’a pas inclus dans son revenu de location la valeur des travaux effectués par M. Cooke en contrepartie de la réduction de loyer. L’appelante a déclaré des pertes locatives dans chacune des années en question.

 

[23]        L’appelante a par la suite fait l’objet d’une vérification par RQ, qui a refusé les pertes locatives. Après avoir reçu les renseignements de RQ, l’ARC a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante dans lesquelles elle a refusé la déduction des pertes locatives demandée par l’appelante, à savoir 8 389 $ pour l’année d’imposition 2006, 14 044 $ pour l’année d’imposition 2007 et 11 606 $ pour l’année d’imposition 2008.

 

[24]        L’appelante a déclaré que, en plus des nouvelles cotisations dans lesquelles la déduction demandée à l’égard des pertes subies lui a été refusée, d’autres entrepreneurs l’ont avisé qu’à cause de l’âge de la maison, des travaux supplémentaires étaient nécessaires et que certains travaux étaient à refaire. Compte tenu de ces faits, l’appelante a cessé les travaux de rénovation de la maison en 2009. Elle a également arrêté de demander un loyer à M. Cooke et de demander la déduction de pertes liées à la maison.

 

[25]        Au moment de la tenue de l’audience, M. Cooke vivait toujours dans la maison et il n’avait payé aucun loyer depuis 2009. La société « Les entreprises Cooke » continuait à utiliser l’adresse de la maison pour ses activités.

 

[26]        Au moment de la tenue de l’audience, M. Manning vivait aussi dans la maison sans payer aucun loyer.

 

La position des parties

 

[27]        L’appelante s’est fondée sur l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 RCS 645 (« Stewart »), pour soutenir que ses activités locatives étaient purement commerciales. Elle a cherché à obtenir que des travaux d’amélioration soient apportés à la maison afin de pouvoir la vendre ou la louer à profit. Elle a soutenu que les travaux d’amélioration avaient pris plus de temps que prévu en raison de vices cachés, mais que cela n’était pas déraisonnable, étant donné qu’il faut plusieurs années à bon nombre de petites entreprises pour réaliser des bénéfices. En ce qui concerne son père, l’appelante a avancé que ce dernier pouvait rester dans la maison selon le bon vouloir de l’appelante et de M. Cooke, parce qu’il n’avait pas réussi à payer les dépenses relatives au bien. Elle s’attendait à ce qu’il parte de la maison une fois que les travaux de rénovation seraient terminés. L’appelante a soutenu que le loyer payé par M. Cooke, pris en compte conjointement avec les services que celui‑ci avait fournis, correspondait à la juste valeur marchande. En outre, l’appelante a soutenu que son fils n’avait pas de droits réduits simplement parce qu’il avait un lien de parenté avec la propriétaire du bien, et que le fait de soutenir le contraire pourrait constituer une contravention à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

 

[28]        Par conséquent, l’appelante a soutenu qu’elle devrait avoir le droit de déduire les pertes locatives qu’elle a subies dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008. À titre subsidiaire, elle a soutenu que la valeur des services rendus par M. Cooke devrait être prise en considération dans le calcul des pertes locatives qu’elle a subies.

 

[29]        L’intimée s’est également fondée sur l’arrêt Stewart. Elle a soutenu qu’à la lumière des faits, les activités locatives de l’appelante comportaient un élément personnel. Le père de l’appelante, M. Manning, n’a jamais payé de loyer. Le fils de l’appelante payait un loyer peu élevé et il n’avait payé de loyer que pendant trois ans. Il n’a payé aucun loyer avant 2006 ou après 2009. L’intimée a en outre soutenu que l’appelante n’avait pas satisfait au critère établi dans l’arrêt Stewart, étant donné que l’appelante n’avait pas établi que son intention prédominante était de tirer un profit de ses activités de location et que celles-ci n’étaient pas exercées conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux. Elle a également déclaré que la Cour devrait tenir compte des contradictions entre le témoignage de l’appelante et celui de M. Cooke. À son avis, la crédibilité de l’appelante a été mise en doute à l’égard de nombreuses questions.

 

L’analyse

 

[30]        En ce qui concerne l’argument de l’appelante fondé sur la Charte, je ne souscris pas à l’idée selon laquelle l’article 15 de la Charte est applicable en l’espèce. Ainsi que l’a fait observer le juge en chef Rip, de la Cour, dans la décision Vachon v. The Queen, 2002 CarswellNat 4659, 2003 DTC 1484 (CCI[PI]), les dispositions de la Loi traitant de la déductibilité de dépenses ne créent pas une différence de traitement fondé sur l’état familial. Le critère consiste à déterminer si la propriété était utilisée dans la poursuite d’un profit et si elle était exploitée d’une façon commerciale et donc s’il existait une source de revenus. Le fait qu’un membre de la famille loue la propriété ne rend pas les dépenses liées à cette propriété non déductibles. Voici en partie, la teneur des observations du juge Rip :

 

[30] L’argument constitutionnel soulevé par les appelants, n’est pas bien fondé. Les appelants semblent prétendre que les déductions réclamées par rapport à la propriété à Mississauga ont été refusées parce que leur fils était locataire. Ils prétendent que ceci constitue un traitement discriminatoire qui est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[31] Aucun motif n’a été trouvé qui permettrait de conclure que les dispositions pertinentes aux présents appels sont invalides en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. […]

 

[34] Les dispositions de la Loi traitant de la déductibilité de dépenses, ne créent pas, tel que le prétendent les appelants, une différence de traitement fondé sur l’état familial qui est discriminatoire. Le fait que le fils des appelants soit un locataire de la propriété à Mississauga est pris en compte dans le contexte de déterminer si la propriété était utilisée dans la poursuite d’un profit et donc si c’était une source de revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien. Ce n’est pas le fait que les appelants louent la propriété à Mississauga à leur fils qui rend les dépenses reliées à cette propriété non déductibles, mais c’est plutôt le fait que la propriété n’était pas exploitée d’une façon commerciale.

 

[31]        Dans la décision Sokil c. La Reine, 2009 CarswellNat 4124, 2009 CCI 601(PI), le juge Favreau, de la Cour, a donné un aperçu utile de l’esprit de la Loi et une analyse de l’arrêt Stewart, afin de déterminer si un contribuable avait le droit de déduire des pertes découlant de ses activités locatives. Selon le juge Favreau, la question qu’il faut poser est celle de savoir si la source de revenus du contribuable est une entreprise ou un bien. Il s’est d’abord penché sur les dispositions de la Loi qui traitent de sources de revenus. Aux paragraphes 12 à 14 des motifs du jugement qu’il a rendus, le juge Favreau a fait les observations suivantes :

 

[12] Les règles de base du calcul du revenu pour l’application de la Loi se trouvent aux articles 3 et 4 de la section B de la partie I. L’alinéa 3a) fait état des différentes sources de revenus d’un contribuable :

 

Article 3 : Revenu pour l’année d’imposition

 

Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

 

a) Le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien.

 

[13] Les règles de base du calcul du revenu ou de la perte provenant d’une entreprise sont énoncées à l’article 9 de la Loi :

 

Article 9

 

(1) Revenu. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

(2) Perte. Sous réserve de l’article 31, la perte subie par un contribuable au cours d’une année d’imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte subie au cours de l’année relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée par l’application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

 

[14] Les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) ainsi que l’article 67 de la Loi prévoient certaines restrictions concernant la déduction des dépenses :

 

Article 18 :

 

(1) Exceptions d’ordre général. Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

[…]

 

h) le montant des frais personnels ou de subsistance du contribuable – à l’exception des frais de déplacement engagés par celui‑ci dans le cadre de l’exploitation de son entreprise pendant qu’il était absent de chez lui;

 

Article 67 : Restriction générale relative aux dépenses

 

Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l’égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

 

[32]        Une autre disposition pertinente pour décider si l’article 18 de la Loi est applicable est l’article 248 de la Loi. L’expression « frais personnels ou de subsistance » est définie de la manière suivante à cette disposition :

 

Article 248 « frais personnels ou de subsistance » Sont compris parmi les frais personnels ou de subsistance :

 

a) les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l’usage ou l’avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait ou de l’adoption, et non entretenus dans le but ou avec l’espoir raisonnable de tirer un profit de l’exploitation d’une entreprise.

 

[33]        Le juge Favreau a par la suite mentionné le critère établi dans l’arrêt Stewart pour décider [traduction] « si la source de revenus du contribuable est une entreprise ou un bien ». Aux paragraphes 15 et 16 des motifs du jugement qu’il a rendus, le juge Favreau a fait les observations suivantes :

 

[15] Dans l’arrêt Stewart v. Canada (2002), 56 D.T.C. 6969, 2002 DTC 6969 [(Angl.) (CSC)], la Cour suprême du Canada a élaboré une méthode à deux volets pour déterminer si les activités d’un contribuable sont une source de revenus constituée d’une entreprise faisant en sorte que l’article 9 de la Loi s’applique. Au paragraphe 50, cette méthode à deux volets est présentée de la façon suivante :

 

[…]

 

(i) L’activité du contribuable est‑elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit‑il d’une démarche personnelle?

 

(ii) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est‑elle une entreprise ou un bien?

 

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.

 

[16] La Cour suprême du Canada a donné des précisions sur le premier volet du critère aux paragraphes 52, 54 et 55 de cet arrêt :

 

[52] Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles […] Ainsi, lorsque la nature de l’entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu’elle pourrait être considérée comme un passe‑temps ou une autre activité personnelle, mais que l’entreprise est exploitée d’une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins d’application de la Loi.

 

[…]

 

[54] [...] Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a‑t‑il l’intention d’exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe‑t‑il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[55] Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l’état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s’engager, et (4) la capacité de l’entreprise de réaliser un profit. [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[34]        À mon avis, conformément à l’arrêt Stewart, les activités locatives de la contribuable comportaient un aspect personnel. Bien que l’appelante ait déclaré que, selon le testament de sa mère, son père avait perdu le droit de vivre gratuitement dans la maison parce qu’il n’avait pas réglé les dépenses relatives à la maison, il n’en demeure pas moins qu’il a continué à y habiter sans payer de loyer. Le père de l’appelante a également bénéficié de la présence de M. Cooke. Celui‑ci a témoigné qu’après avoir emménagé dans la maison, il avait consacré au moins trois ou quatre heures par semaine à aider son grand‑père. Malgré le témoignage de l’appelante, il devait être rassurant pour elle de savoir que son père, qui était handicapé, ne vivait pas seul.

 

[35]        M. Cooke a également bénéficié de son arrangement concernant la location. Il a commencé à partager la maison avec son grand‑père avant 2005. Il avait besoin d’un logement après la rupture de sa relation avec sa petite amie. M. Cooke a profité du loyer peu élevé que lui demandait l’appelante, compte tenu du fait que, selon l’appelante, l’un des facteurs considérés pour fixer le loyer était son faible revenu.

 

[36]        Le fait que je conclue à l’existence d’un aspect personnel ne signifie pas que l’appelante n’a pas le droit de déduire ses pertes locatives. Ainsi qu’on l’a fait observer dans l’arrêt Stewart, une fois qu’il est conclu à l’existence d’un aspect personnel, la Cour doit procéder à une autre analyse afin de déterminer si le contribuable a établi les éléments suivants :

 

-       une intention prédominante de tirer profit des activités locatives et l’existence d’éléments de preuve à l’appui de cette intention;

 

-       les activités locatives ont été exercées conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[37]        À mon avis, l’intention déclarée de l’appelante de réaliser un profit n’a pas été étayée par la preuve. En outre, l’appelante n’a pas exercé ses activités locatives conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[38]        Par exemple, il n’y avait pas de bail conclu qui faisait état du loyer mensuel à payer. Aucune facture des travaux effectués par M. Cooke n’a été produite en preuve. Il est également difficile de concevoir, dans un contexte commercial, qu’un locataire accepte de partager une maison délabrée avec une autre personne, à moins que le loyer ne soit vraiment modique. Si le loyer est faible, la capacité de l’appelante de réaliser des profits est nulle. Par contre, si je devais tenir compte de la valeur monétaire du travail effectué par M. Cooke, le loyer mensuel varierait de 515 $ en 2006 à 453,75 $ en 2007 et à 794,58 $ en 2008. De telles variations du loyer mensuel ne correspondent pas aux normes de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

[39]        Pour ce qui est de la possibilité que les activités locatives soient rentables, l’appelante aurait dû demander un loyer cinq fois plus élevé dans l’année d’imposition 2006 et dix fois plus élevé dans les années d’imposition 2007 et 2008, pour couvrir les dépenses dont elle avait demandé la déduction. Même si je devais tenir compte de la valeur des travaux effectués par M. Cooke, il n’en demeure pas moins que l’appelante subirait des pertes découlant de ses activités locatives. En outre, l’appelante avait décidé d’arrêter les travaux de rénovation en 2009, de ne plus exiger de loyer de M. Cooke et de ne plus déduire de pertes locatives.

 

[40]        J’estime qu’il est important de signaler l’existence de nombreuses contradictions à l’égard des dispositions de location prises par l’appelante et M. Cooke. Je comprends qu’il soit difficile de se souvenir précisément de faits qui ont eu lieu en 2006, en 2007 et en 2008 à une audience qui se tient en 2012. Néanmoins, j’ai du mal à comprendre pourquoi M. Cooke déclarerait que son loyer mensuel n’avait pas changé et qu’il était demeuré de 200 $ pour les années 2006, 2007 et 2008, et qu’il était payé mensuellement, alors que l’appelante a déclaré que le loyer mensuel était de 200 $ pour l’année 2006 et de 100 $ pour les années 2007 et 2008, et qu’il était payé tous les trois ou quatre mois. J’ai également du mal à comprendre pourquoi M. Cooke a déclaré qu’il avait fourni des factures concernant le travail qu’il avait effectué alors que l’appelante a soutenu le contraire.

 

[41]        De même, je m’explique mal pourquoi l’appelante n’a pas présenté au vérificateur, M. Khadiri, ni à l’agent des appels, M. De Groot, les listes où figuraient les travaux effectués par M. Cooke et la valeur de tels travaux si ces listes existaient au stade de la vérification et de l’opposition. Je ne comprends pas non plus pourquoi, dans ses communications avec RQ et l’ARC, l’appelante n’a jamais mentionné le fait que M. Cooke avait fait des travaux de rénovation de la maison en contrepartie d’un loyer réduit. C’est dans son avis d’appel déposé à la Cour le 5 mai 2011 que l’appelante l’a mentionné pour la première fois. Il n’est pas non plus aisé de comprendre pourquoi l’appelante n’a jamais mentionné à M. Khadiri au moment de la vérification que, outre M. Cooke, le père de l’appelante vivait aussi dans la maison. M. Khadiri n’a découvert cela qu’en associant le numéro de téléphone à domicile au nom de M. Manning.

 

[42]        Je partage donc l’avis de l’intimée selon lequel la crédibilité de l’appelante a été mise en doute. Il est difficile de comprendre ce qui s’est réellement passé. M. Cooke a‑t‑il effectivement payé un loyer? Dans l’affirmative, le loyer faible tenait‑il compte de la capacité de payer de M. Cooke ou était‑il dû au fait que M. Cooke avait rénové la maison en contrepartie d’une réduction de loyer?

 

[43]        Dans les appels en matière d’impôt, il appartient à l’appelant d’établir que les hypothèses du ministre sont inexactes. Il est évident qu’en l’espèce, l’appelante n’a pas établi que les hypothèses du ministre étaient inexactes. Elle n’a pas réussi à établir une preuve à première vue du fait qu’elle avait exercé ses activités locatives conformément aux normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux et il n’y avait pas d’éléments de preuve à l’appui de son intention de réaliser un profit.

 

[44]        Compte tenu de ce qui précède, l’appelante n’a pas le droit de déduire les pertes locatives qu’elle a subies en application du paragraphe 9(1) de la Loi. L’appel est par conséquent rejeté sans dépens.

 

 

Signé à Montréal (Québec), ce 8e jour de février 2013.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27jour de mars 2013.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 51

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1424(IT)I

                                                         

INTITULÉ :                                      JOY MANNING c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Johanne D’Auray

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 8 février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

MAmelia Fink

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                   

 

            Cabinet :                              

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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