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Dossier : 2012-687(GST)I

ENTRE :

MODES CRYSTAL INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 septembre 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, Juge suppléant

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Sami Chedid

Avocate de l'intimée :

Me Josée Fournier

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l’avis est daté du 10 mai 2011 et ne porte aucun numéro distinctif, pour les douze (12) périodes mensuelles de déclaration suivantes, soit : du 1er juin 2008 au 30 juin 2008, du 1er juillet 2008 au 31 juillet 2008, du 1er août 2008 au 31 août 2008, du 1er septembre 2008 au 30 septembre 2008, du 1er octobre 2008 au 31 octobre 2008, du 1er novembre 2008 au 30 novembre 2008, du 1er décembre 2008 au 31 décembre 2008, du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2009, du 1er février 2009 au 28 février 2009, du 1er mars 2009 au 31 mars 2009, du 1er mai 2009 au 31 mai 2009 et du 1er juillet 2009 au 31 juillet 2009, est rejeté.

 

Signé à Kingston, Ontario, ce 1er jour de février 2013.

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse


 

 

 

Référence : 2013 CCI 33

Date : 20130201

Dossier : 2012-687(GST)I

ENTRE :

MODES CRYSTAL INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Masse

 

[1]             En l’espèce, il s’agit d’un appel à l’encontre d’une cotisation datée du 10 mai 2011 sans numéro, établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA » ou la « Loi ») pour les douze périodes mensuelles suivantes, soit : du 1er juin 2008 au 30 juin 2008, du 1er juillet 2008 au 31 juillet 2008, du 1er août 2008 au 31 août 2008, du 1er septembre 2008 au 30 septembre 2008, du 1er octobre 2008 au 31 octobre 2008, du 1er novembre 2008 au 30 novembre 2008, du 1er décembre 2008 au 31 décembre 2008, du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2009, du 1er février 2009 au 28 février 2009, du 1er mars 2009 au 31 mars 2009, du 1er mai 2009 au 31 mai 2009 et du 1er juillet 2009 au 31 juillet 2009, (les « périodes visées »), établie à l’égard de l'appelante, Modes Crystal inc. (la « société »). La cotisation est du montant de 3 943,93 $ qui représentent des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») que l'appelante a demandés, et obtenus, en trop, par erreur ou sans droit relativement à la taxe sur les produits et services (la « TPS ») qu’elle aurait payée lors de fourniture de biens ou de services qu’elle prétend avoir obtenus. De plus, l'intimée réclame le montant de 482,25 $ pour intérêts sur arriéré et rajustement administratif pour un montant total de 4 426,18 $. La cotisation a été confirmée par une décision sur opposition rendue le 23 novembre 2011, d’où le présent appel.

 

[2]             L'intimée prétend que les CTI demandés et obtenus par l'appelante, sans droit, concernent des CTI relatifs à des fournitures de biens ou de services que l'appelante n’a pas acquis de deux sociétés qui sont des fournisseurs de fausses factures ou de factures dites « d’accommodation » ou « de complaisance ». De plus, les renseignements fournis par l'appelante sont inadéquats et ne sont pas conformes aux normes exigées par l’article 3(4) du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédits de taxe sur les intrants (TPS/TVH) (le « Règlement »).

 

Contexte factuel

 

[3]             Il n’est pas contesté que Modes Crystal inc. est une personne morale dûment constituée et inscrite aux fins de la partie IX de la LTA. Sami Chedid et Nicolas Chedid en sont les administrateurs. La société exploite une entreprise dans le domaine du textile et ceci depuis 1984. La société est domiciliée au 350, rue de Port‑Royal Ouest, Montréal (Québec). Modes Crystal inc. est un fabricant de vêtements pour femmes et emploie environ une douzaine de personnes. Modes Crystal inc. projette ou conçoit un style de vêtement et les employés découpent les pièces de tissu dont les vêtements sont fabriqués selon le patron ou le modèle du style conçu par Modes Crystal inc. Les pièces sont ensuite confiées à des sous‑traitants qui doivent coudre les pièces ensemble et les vêtements ainsi assemblés sont ensuite retournés à Modes Crystal inc. pour finition, si nécessaire. Les vêtements finis sont ensuite vendus aux clients de Modes Crystal inc.

 

[4]             Modes Crystal inc. a plusieurs de ces sous-traitants. Sami Chedid a témoigné qu’à l’époque, il y avait un surplus de travail et il était donc nécessaire d’embaucher deux sous-traitants, 6956912 Canada inc. (ci-après « 912 inc. ») et 6964397 Canada inc. (ci-après « 397 inc. ») à qui Modes Crystal inc. a confié la réalisation de travaux de fabrication de vêtements. Sami Chedid a témoigné qu’il a fait sa « due diligence » en vérifiant la validité du numéro de TVQ des sous-traitants sur le site internet de Revenu Québec. Il dit que ce n’était pas possible de vérifier les numéros de TPS mais d’après lui, la TPS et la TVQ sont en harmonies, donc, si un numéro est valide, l’autre doit l’être aussi. Modes Crystal inc. a confié la réalisation de travaux de fabrication de vêtements aux deux sous-traitants pendant les périodes visées, et, d’après Sami Chedid, le travail a bel et bien été effectué. Modes Crystal inc. a reçu les fournitures qui ont été commandées. Les deux sous‑traitants ont facturé Modes Crystal inc. pour les fournitures y compris la TPS et la TVQ. Modes Crystal inc. a payé toutes les factures y compris la TPS et la TVQ. Modes Crystal inc. a vendu ses produits à ses clients et a perçu la TPS et la TVQ de ses clients pour les produits vendus. Modes Crystal inc. a bien calculé sa taxe nette et a, de bon droit, réclamé les CTI contestés par Revenu Québec. Sami Chedid a témoigné que Modes Crystal inc. a bien complété et remis à Revenu Québec des rapports spéciaux à l’égard de tous ses sous-traitants comme l’exige Revenu Québec (voir pièce A-1 « Déclaration de renseignements – industrie de la fabrication du vêtement  – formule VDZ-350.49 »). Monsieur Chedid nous dit qu’il était toujours coopératif avec Revenu Québec, il a toujours suivi toutes les procédures exigées et il a exercé toute la prudence raisonnable pour s’assurer que les sous-traitants étaient légitimes.

 

[5]             En contre-interrogatoire, Sami Chedid nous dit qu’il ne s’est jamais rendu sur les lieux de 912 inc., ni 397 inc. pour examiner leurs équipements et leurs opérations. Il ignore combien d’employés ont les deux sous-traitants et il n’a jamais vu les lieux où les vêtements étaient assemblés. Le seul contact qu’il avait avec les sous-traitants était avec les personnes qui faisaient la livraison des fournitures. La personne-ressource pour 912 inc. était un monsieur Dan et pour 397 inc. une madame Phan. Il n’y avait pas de contrats écrits avec les sous-traitants. Ces deux personnes, dont Sami Chedid ne connaît pas leur nom au complet, n’ont pas témoigné parce que les sous-traitants n’existent plus et qu’il n’est pas possible de rejoindre ni monsieur Dan, ni madame Phan. Monsieur Chedid n’a jamais eu une carte d’affaires ni de monsieur Dan, ni de madame Phan. C’était monsieur Dan et madame Phan qui faisaient la livraison des fournitures et la livraison se faisait par « mini van » ou fourgonnette. Les deux sous-traitants faisaient la facturation d'un mois à l'autre et Modes Crystal inc. payait les factures dans un délai de sept jours, parfois dans un mois au plus tard. Les sous-traitants ont toujours été payés par chèque et jamais en comptant. Monsieur Chedid admet qu’il y a de petites anomalies dans la facturation ainsi que dans d’autres documentations; par exemple, des erreurs dans les dates, mais celles-ci ne sont que des erreurs d’entrée au système. La dernière fois que monsieur Chedid a fait affaire avec monsieur Dan était au mois de juin 2009 et la dernière fois qu’il a fait affaire avec madame Phan était au mois de mars 2009. Il se peut que les chèques que Modes Crystal inc. a versés aux sous-traitants aient été encaissés dans un centre d’encaissement de chèques, mais monsieur Chedid ne l’a jamais remarqué parce qu’il ne regarde jamais l’endos des chèques. C’est seulement après que la cotisation a été établie que monsieur Chedid s’est rendu aux lieux des deux sous-traitants et s’est rendu compte du fait que les lieux étaient vides.

 

[6]             Madame Liette Lavoie est une vérificatrice interne qui travaille pour Revenu Québec. C’est elle qui a procédé à la cotisation en l’espèce. À l’époque, elle travaillait dans le programme de factures de complaisance. Ce programme ciblait les entreprises qui faisaient affaire avec des centres d’encaissement de chèques. Son secteur a reçu des listes d’entreprises qui ont fait affaire avec des centres d’encaissement de chèques et alors son travail consistait à vérifier les transactions qui ont été négociées avec ces entreprises. Les deux sous-traitants, 912 inc. et 397 inc., faisaient affaire avec des centres d’encaissement de chèques et Modes Crystal inc. faisait affaire avec eux. Donc, elle voulait vérifier les transactions entre Modes Crystal inc. et les sous-traitants.

 

[7]             Elle a témoigné qu’elle a envoyé une lettre datée du 31 janvier 2011 à Modes Crystal inc. demandant des pièces justificatives afin de vérifier les transactions dont elle doutait la validité. La lettre faisait référence aux factures et aux chèques qui ont été encaissés dans des centres d’encaissement. Elle et monsieur Chedid se sont parlés au téléphone le 7 février 2011. Monsieur Chedid lui explique qu’il est dans le domaine de la fabrication des vêtements. Il a trois « entrepreneurs stables » à qui il confie du travail. Lorsqu’il y a un surplus de travail, il fait appel à d'autres sous‑traitants. Monsieur Chedid ne se souvenait plus de quelle façon il est entré en contact avec les deux sous-traitants qui font l’objet de l’enquête. Monsieur Chedid a envoyé à madame Lavoie des copies des factures qu’elle avait demandées (voir pièce I-1). Il lui a aussi remis de la documentation qu’elle n’a pas demandée comme les bons de livraison. Elle a fait l’examen de toute la documentation afin de vérifier si les factures étaient conformes aux exigences de la Loi et du Règlement.

 

[8]             Elle a remarqué plusieurs anomalies à l’égard de la documentation. Elle a témoigné que plusieurs factures ne comportaient pas de numéros de taxe. Mais, elle se trompe. Bien que les caractères soient très petits, il est évident que les numéros de TPS et TVQ sont imprimés sur toutes les factures qui se trouvent à la pièce I-1. Elle a remarqué que la suite numérique des factures ne concordait pas, tant pour 912 inc., que pour 397 inc. Elle a remarqué que la majorité des bons de livraison n’ont pas le nom de « l’entrepreneur »; par contre, certains avaient seulement le nom « Dan » comme entrepreneur supposément pour la compagnie 912 inc. Certains bons de livraison sont signés, mais il y en a plusieurs signés par la même personne qui a supposément reçu les livraisons. Elle a fait la vérification des employés de Modes Crystal inc., mais il n’y en avait pas qui correspondait à la prétendue signature. Certaines des factures sont datées de 2002, mais ont été payées en 2009. Un bon de commande pour 397 inc., est daté du 3 février 2003, mais a été facturé en 2009. Il y avait 7 factures payées en deux versements avec seulement quelques jours de différence entre les deux versements. Elle dit que généralement, dans son cadre de travail, les factures sont payées dans un versement et non deux. D’après elle, la calligraphie sur les bons de commande, les factures et les bons de livraison est la même. Les bons de livraison portent le logo de Modes Crystal inc. et non le logo des sous-traitants. Il est évident qu’un bon de livraison est habituellement préparé par le fournisseur et non par le demandeur et donc le bon de livraison devrait porter le logo du fournisseur et non le logo du demandeur.

 

[9]             La semaine qui suit, elle a reçu un appel de Nicolas Chedid qui voulait savoir ce qui se passait dans le dossier. Elle lui a expliqué qu’elle avait parlé à Sami à l’effet que l’écriture sur les bons de livraison semblait être la même que sur les factures. Nicolas lui a dit qu’elle avait juste à refuser ceux-là et d’accepter les autres. Elle a considéré ses vérifications ainsi que les vérifications faites par les vérificateurs externes et elle a donc procédé à une cotisation basée sur le fait que les factures étaient des factures de complaisance.

 

[10]        Mme Nicoleta Marcos Miron est chef d’équipe en vérification externe chez Revenu Québec. Elle a témoigné qu’elle a fait une vérification auprès de 912 inc. et 397 inc., les présumés sous-traitants de l'appelante. Le dossier en question lui a été confié pour vérifier si les sous-traitants étaient en activités commerciales.

 

[11]        Quand elle fait une vérification à l’externe, elle commence toujours par une visite chez l’entreprise. Le 9 février 2009, elle s’est rendue au 1979, rue Beaubien, à Montréal, l’adresse prétendue de 397 inc. L’endroit était une place de résidence et non une place de commerce. Il n’y avait aucun indice d’activités commerciales sur les lieux. Mme Marcos Miron ne voyait rien qui indiquait que 397 inc. se trouvait à cette adresse. Un monsieur a répondu à la porte, mais il ne voulait pas parler à Mme Marcos Miron et il ne voulait pas fournir de pièce d’identité. Le monsieur s’est identifié comme le frère d’Anh Tuan Phan, le président de 397 inc. Il dit que son frère n’habite pas à cette adresse. Son frère passe des nuits là parfois mais il n’y est pas souvent. Le monsieur n’a pas voulu donner le numéro de téléphone d’Anh Tuan Phan. Mme Marcos Miron lui a laissé son numéro de téléphone et a demandé qu’Anh Tuan Phan l’appelle le plus tôt possible. Le 13 mars 2009 elle a pu parler à Anh Tuan Phan au téléphone et il a dit que la place d’affaires de la compagnie était sur la rue Sauvé, mais il n’y avait plus d’activité commerciale. D’après Mme Marcos Miron, il n’y avait pas d’autre adresse valide que l’adresse sur la rue Beaubien pour 397 inc. À cette adresse-là, il n’y avait pas d’équipement, il n’y avait rien sauf la famille d’Anh Tuan Phan qui y résidait. Elle a complété des recherches auprès des donneurs d’ouvrage pour 397 inc. et elle a vérifié que 397 inc. a fourni des factures jusqu’au mois d’août 2009. De plus, les montants indiqués sur les factures étaient des montants vraiment importants.

 

[12]        En ce qui a trait à la compagnie 912 inc., Mme Marcos Miron a témoigné que le 20 mars 2009, elle a visité le 9675, av. Papineau, suite 40, Montréal, l'adresse de la compagnie. À l’entrée de l’édifice, elle a remarqué un panneau sur lequel était inscrit le nom de Damico, étant la compagnie qui se trouve à l’appartement numéro 40. La porte était ouverte et elle a pu voir deux personnes qui travaillaient à l’intérieur. Il y avait seulement deux machines à coudre et une machine à repassage. Une femme travaillait à une machine à coudre et une autre travaillait à la machine à repassage. Elle a demandé à parler au président de l’entreprise qui, d’après elle, était un monsieur Nguyen. Une des femmes lui a répondu que ce monsieur n’était pas sur place ce jour-là. La femme lui a demandé de laisser son numéro de téléphone ainsi que ses coordonnées pour que monsieur Nguyen puisse communiquer avec elle. Madame Marcos Morin a décidé de faire une deuxième visite le 5 juin 2009. Lors de cette visite, elle a constaté que la porte 40 était barrée. Donc il n’y avait aucune activité commerciale. Le concierge lui a ouvert la porte et elle a constaté que l’espace était vide; il n’y avait personne là et il n’y avait pas d’équipement. Il n’y avait rien du tout. Par contre, d’après ses recherches auprès des donneurs d’ouvrage à cette compagnie, elle a constaté qu’il y avait supposément beaucoup de commerce jusqu’au mois de mai 2009. Le chiffre d'affaires pour le mois de mai était encore plus élevé que pour les autres mois auparavant. Pourtant, quand elle est allée sur place il n’y avait pas d’activité. Elle a demandé à voir le bail qui a été conclu entre l’entreprise et les propriétaires de l’édifice et le bail se terminait le 30 avril 2009. Donc, c’est certain qu’il n’y avait pas d’activités commerciales sur les lieux durant le mois de mai 2009.

 

[13]        Elle a fait pleine recherche à l’égard de ces deux sous-traitants auprès de Revenu Québec, les institutions financières, les fournisseurs de service comme Hydro-Québec, le Registraire des entreprises du Québec, la Société de l’assurance automobile du Québec et les supposés donneurs d’ouvrage aux sous-traitants. Elle s’est rendu compte que les deux compagnies n’avaient aucune charge d’exploitation, ce qui est impossible s’il y avait de l’activité commerciale. Elle a pu conclure par la suite que les entreprises 397 inc. et 912 inc. n’étaient que des fournisseurs de factures de complaisance. Elle a énuméré les faits qui l'ont amenée à conclure qu’il n’y avait pas d’activités commerciales et ceci depuis longtemps. En voici quelques-uns :

 

a)           Les compagnies 397 inc. et 912 inc. n’ont remis aucune déclaration de taxes à Revenu Québec. Donc, elles étaient délinquantes au niveau des lois fiscales.

b)          Les compagnies 397 inc. et 912 inc. n’ont déclaré aucun employé.

c)           Les compagnies 397 inc. et 912 inc. sont des entreprises qui œuvrent dans le domaine de la fabrication de vêtements et donc elles sont obligées de remettre à Revenu Québec des déclarations mensuelles spécifiques à ce domaine (la formule VDZ-350.49). Dans ce formulaire, elles doivent déclarer si elles font affaire avec des sous-traitants. La compagnie 397 inc. n’a pas d’employé et n’a déclaré aucun sous‑traitant. Donc, si elle n’a pas d’employé ni de sous-traitant, elle n’a pas les moyens d’exécuter les travaux demandés.

d)          Les sous-traitants déclarés par 912 inc. sont tous qualifiés de fournisseurs de factures de complaisance.

e)           Les entreprises ne possèdent aucun équipement, sauf 912 inc. qui avait seulement deux machines à coudre et une machine à repassage.

f)            Il n’y a pas de trace d’activités commerciales, sauf pour 912 inc. qui avait seulement deux personnes qui travaillaient sur les lieux. Il est impossible que les deux personnes puissent accomplir les travaux supposément accomplis par 912 inc.

g)           Selon les factures que les vérificateurs ont examinées, Mme Marcos Miron a constaté que 397 inc. prétendait opérer dans plusieurs domaines d’activité et non juste dans le domaine de la fabrication de vêtements. Par exemple, le commerce en gros de papeterie et de fournitures de bureau. Mais la compagnie n’avait aucune place d’affaires.

h)          Pour les deux compagnies, il n’y avait aucune trace de charge d’exploitation; par exemple, le chauffage, l’électricité et autres.

i)             Elles faisaient affaire avec des centres d’encaissement de chèques. Ceci en soi est très louche car une compagnie légitime fait affaire avec une banque et non avec des centres d’encaissement de chèques.

j)             Mme Marcos Miron a demandé aux donneurs d’ouvrage de ces deux compagnies de lui fournir les noms de personnes‑ressources des deux compagnies avec qui ils faisaient affaire. On lui a donné des noms différents et ceux qui ont donné le nom d’Anh Tuan Phan se référaient au Registraire des entreprises du Québec et non au nom d’une personne avec qui ils faisaient affaire. Quelques uns ont fourni des numéros de téléphone. Mme Marcos Miron a essayé de contacter toutes ces personnes‑ressources, mais sans succès.

k)          Les compagnies 397 inc. et 912 inc. n’ont fourni aucune pièce justificative. Elles n’ont aucunement collaboré avec Revenu Québec. Revenu Québec n’avait aucune preuve que ce soit que ces deux compagnies étaient en activités commerciales. Mme Marcos Miron a tenté plusieurs fois de communiquer avec les représentants de ces deux compagnies, mais sans succès, sauf pour la première fois avec Anh Tuan Phan.

l)             Les compagnies 397 inc. et 912 inc. n’avaient aucun véhicule immatriculé à leur nom. Il est impensable qu’une compagnie qui était en activité commerciale n’ait pas de véhicule pour faire le transport de marchandises.

m)        Les chiffres d’affaires de ces deux compagnies se chiffraient dans les millions de dollars pendant la période visée. Il était impossible que ces deux sous-traitants puissent accomplir ce niveau de commerce. Il n’y a aucun indice que les sous-traitants possédaient les ressources financières, les ressources humaines, l’immeuble, l’équipement et matériel nécessaire, afin d’effectuer les travaux qui leur ont été confiés par leurs donneurs d’ouvrage. 

n)          Il y avait un lien entre 397 inc. et 912 inc. puisque les deux, parfois, déposaient des chèques dans le même compte de banque.

o)          Aucun autre établissement n’a été déclaré par 912 inc. après le 30 avril 2009, date à laquelle le bail s’est terminé et les lieux ont été abandonnés, mais par contre les documents que Mme Marcos Miron a étudiés démontrent qu’il y a eu une augmentation des montants totaux encaissés pour le mois de mai par rapport au mois d’avril.

 

La thèse de l’appelante

 

[14]        L’appelante soutient que, d’après toutes les pièces qui ont été versées au dossier, il est incontestable que le travail confié aux sous-traitants ait été accompli et tous les renseignements exigés par le Règlement se trouvent sur les factures, les bons de commande et les bons de livraison. En tout temps, l’appelante a agi de bonne foi et l’appelante a fourni au ministère tout document requis ainsi que d’autres documents que le ministère n’a pas demandés. L’appelante n’avait aucune connaissance que les deux sous-traitants étaient des fournisseurs de factures de complaisance, s’ils le sont, car d’après Modes Crystal inc. les travaux confiés aux sous-traitants ont été bel et bien effectués. Les travaux ont été facturés et ont été payés. L’appelante ne voit pas où elle a failli, ni où elle n’aurait pu être complaisante dans les circonstances. L’appelante a remis la taxe payable au ministère en conformité avec la Loi. L’appelante n’a jamais réclamé des crédits de taxe sur les intrants auxquels elle n’avait pas droit et donc la cotisation devrait être rejetée et l’appel devrait être accueilli.

 

La thèse de l’intimée

 

[15]        L’intimée soutient que les travaux qui ont été supposément confiés par l’appelante aux sous-traitants n’ont pas été effectués par 397 inc. et 912 inc. et l'appelante n’a pas acquis les fournitures qu’elle elle prétend avoir acquises. L’intimée soutient que les pièces justificatives remises au ministre au soutien des CTIs refusés sont fausses; les factures sont donc des factures « d’accommodation » ou de « complaisance ».

 

[16]        L’intimée soutient que l’appelante n’a pas respecté les exigences du paragraphe 169(4) de la LTA et les exigences du Règlement y relatif. Il incombait à l’appelante d’obtenir des renseignements suffisants pour établir le montant du crédit. Il y a un certain nombre de factures qui ne respectent pas les exigences réglementaires à l'égard de la date. Les exigences réglementaires doivent être considérées comme obligatoires et elles doivent être rigoureusement appliquées. C’est l’obligation de Modes Crystal inc. de connaître la loi et de s’y conformer dans sa documentation pour réclamer des crédits de taxe sur les intrants.

 

[17]        L’appelante a démontré un manque de prudence raisonnable dans ses affaires avec les deux sous-traitants. Lorsqu’un contribuable fait affaire avec des personnes ou des entités morales qui sont des délinquants fiscaux, c’est le contribuable qui traite avec ces derniers qui est tenu responsable. Il incombe au contribuable de faire des recherches dans le but de s’assurer que les fournisseurs sont des fournisseurs légitimes. Dans le cas échéant l'appelante n’a vérifié que le numéro TVQ et pas autre chose. Il n’y a pas eu de contacts véritables avec les fournisseurs d’ouvrage outre que de les avoir sporadiquement rencontrés.

 

[18]        L'appelante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombe de réfuter les présomptions sur lesquelles l'intimée s’est basée pour établir la cotisation. L'appelante est donc redevable au ministre du montant de la cotisation y compris les intérêts et la pénalité.

 

Les dispositions législatives

 

[19]        Les dispositions pertinentes en matière de TPS sont l’alinéa 169(4)a) de la LTA et l’article 3 du Règlement. Les extraits pertinents sont les suivants :

 

Loi sur la taxe d’accise

 

169(4)  L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

a)   il obtient des renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

 

Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédits de taxe sur les intrants (TPS/TVH)

 

3.         Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

a)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire,

(ii) si une facture a été émise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

[…]

(iv) le montant total payé pour la ou les fournitures;

b)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribuée, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l’intermédiaire, selon le cas,

[…]

c)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

(i) les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(ii) soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii) les modalités de paiements,

(iv) une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

Analyse

 

[20]        L’affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (C.S.C.), nous enseigne que le ministre se fonde sur des hypothèses pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir les hypothèses formulées par le ministre repose sur le contribuable. Ce dernier s’acquitte du fardeau initial s’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des hypothèses formulées par le ministre. Enfin, lorsque le contribuable s’est acquitté de son fardeau initial, le fardeau de la preuve passe au ministre, qui doit alors réfuter la preuve prima facie faite par le contribuable et prouver les hypothèses. Une preuve prima facie est une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire. Une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur, que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé : voir Stewart v. Minister of National Revenue, [2000] T.C.J. No. 53 (QL). La Cour d’appel fédérale a précisé que le fardeau de la preuve imposé au contribuable doit ne pas être renversé à la légère ou habituellement, puisqu’il s’agit de l’entreprise du contribuable : voir Voitures Orly Inc. v. Canada, 2005 CAF 425, [2005] G.S.T.C. 200. La Cour d’appel fédérale a statué que c’est le contribuable qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Le contribuable possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle. Alors, l’appelante en l’espèce doit démontrer par moyen d’une preuve prima facie qu’elle avait réellement acheté des fournitures des sous-traitants douteux. Enfin, l’appelante doit aussi démontrer que les factures prétendument établies par les sous-traitants douteux répondent aux exigences de la LTA et du Règlement.

 

[21]        La question qui se pose maintenant est à savoir si la preuve présentée par l’appelante constitue une preuve suffisante pour démolir les hypothèses de fait du ministre.

 

Les renseignements suffisants pour établir les CTI

 

[22]        Le paragraphe 169(4) énonce que l’inscrit ne peut demander un CTI que s’il obtient les renseignements visés par règlement. L’article 3 du Règlement dit clairement que les renseignements visés par règlement doivent comprendre :

 

a.  le nom ou le nom commercial du fournisseur,

b.     le numéro d’inscription attribué au fournisseur,

c.      la date de la facture,

d.     le montant payé ou payable,

e.      le nom de l’acquéreur,

f.       les modalités de paiement,

g.     une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

[23]        Dans l’affaire Key Property Management Corp. v. Canada, 2004 CCI 210, [2004] G.S.T.C. 32, mon collègue, le juge Bowie, a statué que le but du paragraphe 169(4) de la Loi et de l’article 3 du Règlement, est de protéger le fisc contre les violations tant frauduleuses qu’innocentes. Ce but ne peut être atteint que si les exigences sont considérées comme étant obligatoires et sont rigoureusement appliquées. Ma collègue la juge Campbell était du même avis dans l’affaire Davis v. Canada, 2004 TCC 662, [2004] G.S.T.C. 134. Elle a statué qu’il n’est pas possible de contourner ces dispositions et ces dispositions sont « manifestement obligatoires ». La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, 2007 CAF 226, [2007] G.S.T.C. 74, a adopté comme principe de droit important les énoncés du juge Bowie et de la juge Campbell et par conséquent tous les juges de la Cour canadienne de l’impôt y sont liés.

 

[24]        En l’espèce, présumant que les factures sont valides et ne sont pas fausses, est-ce que les pièces justificatives (pièce I-1) contiennent suffisamment de renseignements pour établir les montants de CTI? L'intimée prétend que les factures en question n’ont pas de numéros d’inscription et donc, les renseignements nécessaires n’y sont pas présents. Par contre, il est évident que la vérificatrice interne, Liette Lavoie, s’est trompée à cet égard, car toutes les factures portent les numéros TPS et TVQ des sous-traitants. L'intimée affirme aussi que certaines factures apparaissent comme payées en 2009 mais sont datées de 2002. De plus, un bon de commande est daté du 3 février 2003 alors qu’il apparaît avoir été facturé en 2009. Quant à moi, les erreurs de date peuvent simplement être des erreurs de frappe du clavier ou d’écriture; ce que des gens peuvent souvent faire sans le vouloir et sans que ces petites erreurs soient qualifiées d’insouciances ou de négligences. Je ne considère pas que ce genre d’erreur constitue un manquement à fournir des renseignements nécessaires et suffisants, car dans le contexte de tous les documents considérés ensemble, il est certainement possible de facilement établir la vraie date de facture. Il est évident que les pièces justificatives portent le nom du fournisseur, le montant payé, le nom de l’acquéreur et les modalités de paiement. Est-ce que les pièces justificatives donnent une description suffisante pour identifier chaque fourniture? Je suis d'avis que oui. Les pièces justificatives indiquent le nombre de vêtements, le numéro de style de chaque vêtement, le numéro de lot, la couleur de chaque vêtement, la grandeur de chaque vêtement et le prix de chaque vêtement. À mon avis, les pièces justificatives contiennent tous les renseignements nécessaires et suffisants pour établir le montant du crédit de taxe sur les intrants.

 

Les factures de complaisance

 

[25]        Le phénomène de « factures de complaisance » est un stratagème par lequel un contribuable, la personne dite « accommodée », fait appel aux services d'un « fournisseur de factures de complaisance ». Ces derniers émettent de fausses factures à la personne « accommodée » pour des fournitures de produits et services que le fournisseur n’a pas effectués et que la personne accommodée n’a pas acquises. Les factures de complaisance permettent à la personne accommodée d'effectuer des demandes sans droit de CTI dans le calcul de sa taxe nette.

 

[26]        En l’espèce, Nicoleta Marcos Miron offre une preuve accablante que les deux sous-traitants en question sont des fournisseurs de factures de complaisance. J'accepte comme étant véridique et fiable le témoignage de Mme Marcos Miron. Il est manifestement évident que les deux sous-traitants n’étaient pas en activités commerciales durant les périodes visées. Il n’y avait aucun indice que les sous‑traitants possédaient les ressources financières, les ressources humaines, les immeubles, l’équipement, le matériel ou les véhicules nécessaires afin d’effectuer les travaux qui leur ont été confiés par leurs donneurs d’ouvrage. Les sous-traitants 912 inc. et 397 inc., n’avaient simplement pas les moyens d’exécuter les travaux demandés. Les sous-traitants n’avaient aucune charge d’exploitation comme les dépenses pour électricité, chauffage et autres. Les sous-traitants faisaient affaire avec des centres d’encaissement de chèques; ceci en soi constitue un indice sérieux tendant à démontrer l’existence d’un stratagème frauduleux car les entreprises valides font affaire avec des banques et non des centres d’encaissement de chèques. Les représentants des sous-traitants étaient très élusifs et difficiles, sinon impossibles, à rejoindre. Les chiffres d’affaires des sous-traitants se chiffraient dans les millions de dollars ce qui était impossible dans les circonstances. Les sous‑traitants étaient délinquants au niveau des lois fiscales. Il y avait évidemment un lien entre les deux sous-traitants puisque les deux parfois déposaient des chèques dans le même compte de banque – très louche dans les circonstances. Les suites numériques des factures des sous-traitants sont très révélatrices. Les factures de 912 inc. pour les périodes visées commencent avec le numéro 451 et vont de suite jusqu’à 467. Il manque seulement les factures numérotées 458, 460, 461 et 464. En ce qui a trait à 397 inc., les factures pour les périodes visées commencent avec le numéro 969001 et vont de suite jusqu’à 9690011. Il y a seulement la facture 969007 qui manque. Ces suites numériques consécutives, presque sans discontinuité, tendent à suggérer soit que Modes Crystal inc. était l’unique mandataire ou que les factures ont toutes été préparées en même temps. D’après le témoignage de Mme Marcos Miron, il est évident que les deux sous-traitants avaient plusieurs supposés donneurs d’ouvrage. Donc, il est improbable que les suites numériques pour les deux sous-traitants soient consécutives et presque sans discontinuité. De plus, j’ai déjà indiqué qu’il est très inusité que les bons de livraison portent le logo du mandataire au lieu du logo du fournisseur.

 

[27]        Il faut souligner le fait que l’appelante avait la possibilité de faire témoigner les représentants des sous-traitants, mais elle ne l’a pas fait. Je n’accepte pas les explications de Sami Chedid que monsieur Dan et Mme Phan sont introuvables. Il n’y a aucune preuve des efforts qu’il aurait faits à les trouver. Monsieur Chedid était certainement capable de communiquer avec eux pendant les périodes visées. Monsieur Chedid aurait dû certainement avoir retenu les coordonnées de ces derniers. Sinon, pourquoi pas? Je juge très révélateur le fait que Modes Crystal inc. n’ait appelé à la barre des témoins aucun représentant des sous-traitants dont les factures étaient contestées par le ministre. Je peux tirer une inférence négative de l’absence de ces témoins et je conclus que leur témoignage aurait été défavorable à la cause de l’appelante.

 

[28]        Ayant considéré l’ensemble de la preuve, j’arrive à la conclusion que le ministre est justifié de conclure que les prétendus sous-traitants, 912 inc. et 397 inc. n’ont pas la capacité, les ressources humaines, financières et matérielles pour fournir les services facturés à Modes Crystal inc. Il est évident que 912 inc. et 397 inc. sont des fournisseurs de factures de complaisance.

 

À qui le risque – le contribuable ou le fisc?

 

[29]        L'appelante soutient que ce n’est pas à elle de supporter le fardeau économique qui en résulte lorsque des sous-traitants sont des délinquants fiscaux à son insu. L'appelante prétend qu’elle a toujours agi de bonne foi et qu’elle a exercé une diligence raisonnable, ou en ses paroles « la due diligence », à l’égard des sous‑traitants et qu’elle n’avait aucune connaissance que les supposés sous-traitants étaient des délinquants fiscaux. Vu ma conclusion que les factures en litige sont des factures de complaisance, cette prétention n’est donc plus pertinente. D’ailleurs, je suis d’avis qu’en l’espèce, le fait d’avoir vérifié le numéro de TVQ sur le site internet de Revenu Québec, sans autres démarches, ne constitue pas un niveau adéquat de diligence raisonnable. Quant à moi, dans de telles circonstances, c’est le contribuable ou le donneur d’ouvrage qui doit supporter les risques liés à la fraude et aux actes illicites de ses sous-traitants. Le donneur d’ouvrage est donc obligé de mettre en place des mesures de gestion du risque dans ses relations avec ses fournisseurs. Ceci nécessite qu’un donneur d’ouvrage fasse des recherches plus approfondies que de vérifier la validité du numéro de TVQ d’un fournisseur. 

 

[30]        Le juge Boyle de la Cour canadienne de l’impôt nous donne un exemple très éclairant à cet égard dans l’affaire Comtronic Computer Inc. v. Canada, 2010 CCI 55, [2010] G.S.T.C. 13. Le juge Boyle a élucidé les faits saillants au paragraphe 5 :

 

[5]        Il a été déterminé que les factures établies par cinq fournisseurs de Comtronic indiquaient des numéros d’inscription aux fins de la TPS qui, bien que valide, avait été attribués à d’autres personnes que ces fournisseurs. Ce semble être un cas ou des actes illicites ont été commis par les fournisseurs. Personne n’a prétendu que Comtronic était complice de tels actes ou bien qu’elle était au courant du fait que les fournisseurs avaient commis quelques actes illicites que ce soit. Il est admis que Comtronic a payé les fournitures ainsi que la TPS applicable et qu’elle a reçu ces fournitures. Il semble que la TPS perçue de Comtronic n’a jamais été versée par les fournisseurs. Il convient de signaler que, par l’effet de la loi, c’est à titre de mandataires de la Couronne que les fournisseurs ont reçu la TPS payée par Comtronic.

 

[31]        Le juge Boyle se posait la question de savoir si c’est l’acheteur canadien ou le gouvernement canadien qui supporte le risque lié aux actes illicites commis par le fournisseur dans de telles circonstances. Il arrive à la conclusion que c’est l’acheteur canadien qui doit supporter ce risque. Le juge Boyle a souligné ce fait, comme l’a fait le juge Archambault en première instance dans Systematix Technology Consultants Inc. c. La Reine, 2006 CCI 227, aux paragraphes 29 et 30 :

 

[29]      […] cette approche stricte est une source potentielle d’injustice pour l’acheteur qui paye la TPS de bonne foi. Elle a pour conséquence que les entreprises canadiennes doivent supporter les risques liés à la fraude, au vol d’identité et aux actes illicites, et les oblige dans les faits à mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations tant avec leurs nouveaux fournisseurs qu’avec leurs fournisseurs existants de manière à déterminer quels renseignements fournis par les fournisseurs peuvent nécessiter qu’elles fassent des recherches plus approfondies. Un tel résultat peut s’avérer sévère et injuste, mais il est loisible au législateur fédéral d’instaurer un tel régime et je suis tenu d’appliquer les dispositions législatives telles qu’elles ont déjà été interprétées par la Cour d’appel fédérale.

 

[30]      La question de savoir si, en matière de perception et de versement de la TPS, c’est l’acheteur ou le fisc qui doit supporter le risque lié au vol d’identité et aux actes illicites commis par les fournisseurs est une question de politique valable qu’on pourrait débattre. Cependant, dans des circonstances comme celles en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a jugé que le législateur fédéral s’est déjà penché sur la question. La Cour de l’impôt ne peut donc pas la réexaminer.

 

[32]        Les paroles du juge Archambault et du juge Boyle sont très appropriées dans les circonstances en l’espèce.

 

Conclusion

 

[33]        En l’espèce, j’arrive à la conclusion que les fournisseurs, 912 inc. et 397 inc. n’étaient que des fournisseurs de factures de complaisance. Par conséquent, j’arrive à la conclusion que Modes Crystal inc. n’a pas acquis les fournitures en question pour lesquelles elle a demandé des CTI dans le calcul de sa taxe nette. Donc, Modes Crystal inc. a obtenu les CTI en litige sans droit. D’ailleurs, il va sans dire que Modes Crystal inc. ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombe à réfuter ou à démolir l’exactitude des hypothèses sur lesquelles l'intimée se base pour établir la cotisation.

 

[34]        Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Kingston, Ontario, ce 1er jour de février 2013.

 

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse


 

 

RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 33

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-687(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MODES CRYSTAL INC.

                                                          c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable Rommel G. Masse,

                                                          Juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 1er février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Sami Chedid

Avocate de l'intimée :

Me Josée Fournier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                          

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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