Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2016-2606(GST)G

ENTRE :

CIBC WORLD MARKETS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 18 octobre 2017, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Al-Nawaz Nanji

Avocate de l’intimée :

Me Justine Malone

 

JUGEMENT

  CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci-joints, l’appel concernant les crédits de taxe sur les intrants demandés pour des dépenses attribuables à certaines fournitures effectuées par l’appelante en faveur de succursales non résidantes de sa banque mère pour les périodes de déclaration se terminant en 2008, 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013, respectivement, est rejeté au motif que ces fournitures étaient des services financiers exonérés en application du paragraphe 150(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, dans sa version modifiée.

Les dépens sont accordés à l’intimée conformément au tarif établi, sous réserve du droit des deux parties de présenter des observations supplémentaires dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mai 2018.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 103

Date : 20180529

Dossier : 2016-2606(GST)G

ENTRE :

CIBC WORLD MARKETS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. Introduction et questions en litige

[1]  L’appelante, CIBC World Markets Inc. (« WMI » ou « l’appelante »), est une société de services financiers canadienne résidante dont la Banque Canadienne Impériale de Commerce (« CIBC ») possède la propriété intégrale. La CIBC est une banque à charte canadienne. En plus d’exercer des activités au Canada, la CIBC exploite des succursales à l’extérieur du pays (les « succursales non résidantes »). WMI fournit des services administratifs à la CIBC. Certains des services que WMI fournit à la CIBC concernent des activités de la CIBC qui se déroulent dans ses succursales non résidantes.

[2]  Pendant les périodes de déclaration se terminant de 2008 à 2013, WMI a réclamé des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») pour des dépenses liées à des services (les « services exportés ») fournis par WMI à la CIBC en lien avec des activités menées dans des succursales non résidantes de la CIBC. WMI fait valoir que des CTI peuvent être réclamés puisque ces services exportés ont été fournis à des non-résidants; ils constituent donc des fournitures détaxées.

[3]  Un facteur vient compliquer la situation. WMI et la CIBC ont fait un choix au titre du paragraphe 150(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, dans sa version modifiée (la « LTA »), auquel elles sont encore liées. L’article 150 sera analysé en détail dans le présent jugement, mais, de manière générale, il permet à un groupe d’entités étroitement liées dont fait partie une institution financière de faire un choix pour que chaque fourniture de biens et de services effectuée entre elles soit réputée être une fourniture de services financiers. Sur le plan administratif, ce choix permet à ces entités étroitement liées d’éviter d’avoir à produire des déclarations, à payer des taxes puis à réclamer des CTI relativement à des fournitures taxables (n’eût été du choix) effectuées « à l’intérieur du groupe ».

[4]  En raison du choix fait au titre de l’article 150, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les CTI demandés pour les services exportés au seul motif que l’article 150 dispose que toute fourniture est réputée être une fourniture de services financiers et que l’article 2 de la partie VII de l’annexe V, qui renvoie à l’article 150, prévoit que la fourniture de services financiers est réputée être exclusivement une fourniture exonérée. Aucun CTI ne peut être demandé sur des fournitures exonérées.

[5]  Les deux parties affirment que, n’eût été le choix, la fourniture de services par WMI à la CIBC, pour ce qui est des services exportés, constituerait une fourniture de services détaxés du fait que les services sont fournis par un établissement canadien résidant envers un établissement stable non résidant ainsi réputé aux termes du paragraphe 132(3) de la LTA et de la partie IX de l’annexe VI qui s’y rattache. Dans de telles circonstances, l’inscrit qui est un résidant canadien pourrait réclamer des CTI sur les services exportés se rapportant à ses activités dans les succursales non résidantes.

[6]  La question principale est de savoir si les fournitures exportées sont des fournitures détaxées ou des fournitures exonérées; si elles sont détaxées, WMI peut réclamer des CTI, mais si elles sont exonérées, WMI ne le peut pas.

[7]  Il faut également trancher les sous-questions plus précises suivantes : (i) les services exportés constituent-ils des services visés par le choix fait au titre de l’article 150 et ces services sont-ils par conséquent réputés être des services financiers fournis « à l’intérieur du groupe »; (ii) le cas échéant, les services exportés sont-ils réputés être des fournitures de services financiers exonérées, nonobstant leur exportation et leur consommation subséquente par une personne réputée être non résidante pour ce qui est de ces activités?

[8]  Aucun fait important n’est contesté. Les parties ont produit un exposé conjoint des faits au début de l’audience. Aucun témoin n’a été appelé.

II. Dispositions légales et commentaires

[9]  Sont exposés ci‑après les passages pertinents de dispositions légales, de jugements et de commentaires.

a)  LTA

[10]  La Cour présente ci‑après des passages de dispositions de la LTA non pas dans l’ordre numérique mais dans un ordre logique pour l’examen de la question en litige principale et des sous-questions :

(i) Article créant la règle d’application générale

[11]  Les paragraphes 165(1) et (3) de la section II de la LTA prévoient ce qui suit :

165 (1) Taux de la taxe sur les produits et services – Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer […] une taxe calculée au taux de 5 % […].

165 (3) Fourniture détaxée – Le taux de la taxe relative à une fourniture détaxée est nul.

(ii) Fournitures exonérées et fournitures détaxées

fourniture exonérée Fourniture figurant à l’annexe V.

fourniture détaxée Fourniture figurant à l’annexe VI.

(iii) Autres définitions pertinentes

[12]  Les définitions pertinentes du paragraphe 123(1) susceptibles d’aider la Cour à trancher les questions dont elle est saisie sont reproduites ci-dessous :

fourniture taxable Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

fourniture […] livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

activité commerciale Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise […], sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées [...]

entreprise Sont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

(iv) Articles « incompatibles »

[13]  Le paragraphe 150(1), auquel renvoie la disposition exonérant la fourniture de services financiers, est rédigé ainsi :

150 (1) Choix visant les fournitures exonérées [dans un groupe étroitement lié] – Pour l’application de la présente partie, un membre d’un groupe étroitement lié, dont une institution financière désignée est membre, et une personne morale qui est également membre du groupe peuvent faire un choix conjoint pour que chaque fourniture de biens, par bail, licence ou accord semblable, ou de services qui est effectuée entre eux, à un moment où le choix est en vigueur, et qui, sans le présent paragraphe, constituerait une fourniture taxable, soit réputée être une fourniture de services financiers.

[14]  L’expression « groupe étroitement lié » est définie ainsi :

123 (1) groupe étroitement lié – Groupe de personnes morales dont chaque membre est un inscrit résidant au Canada et est étroitement lié, au sens de l’article 128, à chacun des autres membres du groupe. […]

[15]  En revanche, l’article 132 prévoit ce qui suit :

132 (1) Personne qui réside au Canada – Pour l’application de la présente partie, sont réputés résider au Canada à un moment donné :

a) la personne morale constituée ou prorogée exclusivement au Canada; […]

(2) Présomption de résidence – Pour l’application de la présente partie, la personne non résidante qui a un établissement stable au Canada est réputée y résider en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise de l’établissement.

(3) Présomption de non-résidence – Pour l’application de la présente partie, la personne qui réside au Canada et qui a un établissement stable à l’étranger est réputée être une personne non résidante en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise de l’établissement.

(4) Fournitures entre établissements stables – Pour l’application de la présente partie, dans le cas où une personne exploite une entreprise par l’intermédiaire de son établissement stable au Canada et d’un autre établissement stable à l’étranger, les présomptions suivantes s’appliquent :

a) le transfert d’un bien meuble ou la prestation d’un service par l’établissement au Canada à l’établissement à l’étranger est réputé être une fourniture;

b) en ce qui concerne cette fourniture, les établissements sont réputés être des personnes distinctes sans lien de dépendance.

[16]  De manière générale, l’expression « service financier » est définie au paragraphe 123(1) comme suit :

k) une fourniture réputée par le paragraphe 150(1) ou l’article 158 être une fourniture de service financier.

(v) Annexes pertinentes : annexe V (fournitures exonérées) et annexe VI (fournitures détaxées)

[17]  D’abord, en ce qui a trait précisément aux fournitures exonérées, y compris les services financiers :

Annexe V [Fournitures exonérées], Partie VII – Services financiers

1 La fourniture de services financiers qui ne figurent pas à la partie IX de l’annexe VI.

2 La fourniture réputée par le paragraphe 150(1) de la loi être une fourniture de service financier.

[18]  Ensuite, en ce qui a trait aux fournitures détaxées de manière générale :

Annexe VI [Fournitures détaxées], Partie V – Exportations

7 La fourniture d’un service au profit d’une personne non-résidente, à l’exclusion des fournitures suivantes […] [Les exclusions ne s’appliquant pas.]

[19]  Enfin, en ce qui a trait précisément aux fournitures détaxées, y compris les services financiers :

Annexe VI [Fournitures détaxées], Partie IX – Services financiers détaxés

1 La fourniture d’un service financier, à l’exception d’une fourniture figurant à l’article 2, effectuée par une institution financière au profit d’une personne non résidante [...] [Non souligné dans l’original.]

[20]  Il convient de souligner que les termes « activités » et « personnes distinctes » ne sont pas définis dans la LTA.

b) Notes techniques, bulletins et autres commentaires

[21]  On ne retrouve aucune jurisprudence permettant de la concilier les paragraphes 132(2) et 150(1) : le choix fait au titre de l’article 150 et l’annexe V s’appliquent‑ils universellement à chaque fourniture, l’emportant ainsi sur la détaxation prévue à l’article 132 et à l’annexe VI par ailleurs applicable aux services exportés ou aux services financiers exportés? Bien qu’il  y ait peu de jurisprudence portant directement sur cette question, les notes techniques et les observations qui suivent aident à l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique des notions en litige.

(i) Exportations en tant que fournitures détaxées

[22]  À titre d’exemple, les notes techniques et documents publiés lors de l’adoption de la LTA précisent ce qui suit [1]  :

1. Vue d’ensemble du système

[…]

Comme la TPS s’appliquera à la consommation intérieure, elle touchera les importations, mais non les exportations. Dans le nouveau système, la taxe de vente sera entièrement éliminée sur les exportations canadiennes – une amélioration sensible par rapport à la situation actuelle. On obtiendra ce résultat en n’imposant aucune taxe sur les ventes à l’exportation tout en permettant aux exportateurs d’obtenir des crédits pour taxe sur intrants. (À la page 49.)

[…]

[c) Fourniture détaxée]

[…]

Conformément au principe selon lequel la taxe doit s’appliquer uniquement à la consommation au Canada, les exportations de produits et services seront détaxées (voir la section 2.6). Cela permettra d’éliminer entièrement la TPS sur les exportations. (À la page 56.)

[…]

2.6 Exportations

Étant donné que la TPS ne vise que la consommation de produits et services au Canada, les fournitures faites au Canada, mais constituant des exportations, seront classées comme des fournitures détaxées et ne supporteront pas la taxe. (Sur le plan technique, il n’est pas nécessaire de détaxer les exportations qui constituent des fournitures faites à l’extérieur du Canada, puisqu’elles sortent du champ d’application de la TPS de toute manière.) Afin d’éliminer entièrement la taxe de vente sur les exportations, les exportateurs pourront demander un crédit pour taxes sur intrants au titre de la taxe payée ou payable sur les achats de produits et de services liés à leurs activités commerciales. Cela permettra, en fin de compte, de rembourser aux exportateurs la taxe payée sur leurs achats. (Aux pages 74 et 75.)

[23]  De même, en ce qui concerne les services exportés et les activités internationales, le même document technique prévoit ce qui suit [2]  :

(iii) Services exportés

Les services financiers fournis à des personnes qui ne résident pas au Canada afin d’être utilisés hors du Canada seront détaxés, comme toutes les autres exportations de produits et de services. En conséquence, les prestataires de services financiers pourront demander un crédit pour taxe sur intrants au titre des achats taxés utilisés dans la fourniture de services exportés. Les entreprises canadiennes qui fournissent des services financiers resteront ainsi compétitives sur les marchés internationaux. (À la page 153.)

[…]

(ii) Activités internationales

Les institutions financières canadiennes offrent leurs services à la fois aux personnes qui résident et qui ne résident pas au Canada. Les services fournis à des personnes qui ne résident pas au Canada afin d’être utilisés à l’étranger seront détaxés. De ce fait, les banques, les compagnies de prêts et de fiducie et les coopératives financières pourront demander un crédit pour taxe sur intrants dans la mesure où leurs achats taxables sont destinés à servir dans la fourniture de produits ou de services détaxés à des personnes qui ne résident pas au Canada et à des succursales étrangères d’institutions financières canadiennes afin d’être utilisés à l’étranger. […]

Les frais facturés pour divers services financiers seront considérés comme une fourniture détaxée dans la mesure où les services sont rendus à une personne qui ne réside pas au Canada et doivent être utilisés à l’étranger. La fourniture d’un service financier à une succursale canadienne d’une société étrangère sera considérée comme une fourniture effectuée au Canada et sera donc exonérée de la TPS. Inversement, la fourniture de services financiers à une succursale étrangère d’une entreprise canadienne sera considérée comme une exportation et, donc, détaxée. (Aux pages 154 et 155.)

[24]  Ces notes et publications ont amené des auteurs se prononçant sur le sujet à conclure qu’un établissement canadien stable à l’étranger (une succursale non résidante en l’espèce) est réputé être non seulement une personne non résidante [3] , mais également une personne distincte [4]  :

[traduction]

La personne qui réside au Canada est réputée être une personne non résidante en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise d’un établissement stable situé à l’extérieur du Canada. Dans ce cas, l’établissement stable à l’étranger est réputé être une personne.

Cela est dû au paragraphe 132(3), qui prévoit qu’une personne qui réside au Canada, y compris une société, est réputée être une personne non résidante en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise d’un établissement stable situé à l’extérieur du Canada. L’établissement stable à l’étranger est alors réputé être une personne distincte et, de ce fait, il n’y a aucune question quant au statut de l’établissement stable au Canada de la société.

(ii) Services financiers « réputés » être des fournitures exonérées

[25]  En revanche, il a également été dit que la portée du choix fait au titre de l’article 150 est quasi globale [5]  :

En vertu de l’article 150, deux personnes morales membres d’un même groupe étroitement lié dont une institution financière désignée (à savoir, les personnes visées à l’alinéa 149(1)a) de la Loi) est membre peuvent faire un choix conjoint pour que certaines fournitures de biens et de services effectuées entre elles soient réputées être des fournitures de services financiers. Ainsi, le membre qui effectue la fourniture assume la taxe sur tous les intrants imputables à la fourniture des biens ou des services à l’autre membre du groupe; il ne peut demander un crédit de taxe relativement à ces intrants et ne facture pas la taxe à cet autre membre du groupe.

c) Jurisprudence pertinente

[26]  Bien qu’il ne s’agisse pas précisément de la question en l’espèce, la portée limitée du paragraphe 132(2) a été examinée dans le contexte où les articles 150 et 132 semblent incompatibles. Dans la décision SWS Communication Inc. [6] , le juge Hogan a écrit ce qui suit :

Il ressort clairement du texte du paragraphe 132(2) que, lorsqu’une personne non résidante a un établissement stable au Canada, elle est réputée y résider en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise de l’établissement, mais uniquement à cet égard. En d’autres termes, une personne non résidante demeure une personne non résidante, sauf en ce qui concerne les activités exercées par l’entremise de l’établissement stable de la personne au Canada. À mon avis, un service est fourni à l’établissement stable au Canada d’une personne non résidante lorsqu’il est consommé ou utilisé dans la poursuite des activités exercées au Canada par l’entremise de l’établissement stable.

[27]  Le paragraphe 132(3), sur lequel nous nous penchons, est l’image réfléchie du paragraphe 132(2). Les deux emploient le même libellé en ce qui concerne les « activités », mais le paragraphe (3) porte sur les établissements stables « à l’étranger », alors que le paragraphe (2) concerne les « activités exercées au Canada ». Comme nous l’avons vu précédemment, le juge Hogan fait ressortir que non seulement un établissement stable doit exister, mais les services doivent être fournis dans l’exercice de ses activités pour que la portée limitée relative à la résidence réputée s’applique.

III. Résumé des observations des parties

a) Intimée

[28]  Dans son refus des CTI demandés par la succursale étrangère, l’intimée, en établissant la nouvelle cotisation, s’est appuyée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique pour conclure que l’article 150 et les annexes connexes l’emportaient sur l’article 132 et les annexes connexes. Dans ses observations, l’intimée affirme ce qui suit :

[traduction]

L’article 2 de la partie VII de l’annexe V prévoit que les fournitures réputées être des fournitures de services financiers en application du paragraphe 150(1) sont des fournitures exonérées :

La fourniture réputée par le paragraphe 150(1) de la loi être une fourniture de service financier.

Par l’effet conjugué du paragraphe 150(1) et de l’article 2 de la partie VII de l’annexe V, toutes les fournitures taxables effectuées entre des membres d’un groupe étroitement lié qui ont fait un choix sont réputées être des fournitures exonérées. Les notes explicatives concernant l’article 150 précisent ceci :

Le paragraphe 150(1) dispose que deux membres d’un groupe étroitement lié peuvent faire un choix conjoint pour que chaque fourniture (bail ou service) effectuée entre eux et qui constituerait par ailleurs une fourniture taxable, soit considérée comme une fourniture de service exonérée. Une fourniture (bail ou service) importée par une entreprise canadienne ne peut pas faire l’objet de l’exonération et doit, par conséquent, être considérée comme une fourniture taxable assujettie à la TPS en vertu de la section IV (articles 217 à 220) de la loi sur une base d’autocotisation.

Le législateur a prévu une exception à l’article 150 concernant les fournitures taxables importées (qui à l’origine faisaient l’objet du paragraphe 150(1), puis du paragraphe 150(2)). Si le choix devait s’appliquer aux fournitures taxables importées, il en résulterait un évitement complet de la taxe, ce qui favoriserait l’importation au détriment de l’acquisition d’intrants au pays. Par conséquent, la situation est expressément exclue de l’application du choix [fait au titre de l’article 150].

L’objectif du choix prévu à l’article 150 est d’assurer un traitement cohérent des fournitures à l’intérieur d’un groupe d’entreprises, comme ce serait le cas si les services étaient fournis à l’interne par des employés. L’intention du législateur était que le membre fournisseur qui fait ce choix, à savoir l’appelante dans le cas qui nous occupe, assume la taxe sur tous les intrants, ne puisse pas demander de CTI et ne facture pas la taxe à cet autre membre du groupe.

[29]  L’intimée fait valoir que le paragraphe 132(3) ne s’applique pas aux services exportés qui sont « réputés » être des services financiers comme il s’appliquerait par ailleurs aux fournitures exportées et aux services financiers exportés; ces derniers ne sont pas expressément « réputés » être des services financiers du fait du paragraphe 150(1). Les services qui, par le choix fait au titre de l’article 150, sont réputés être des services financiers sont exclusivement et uniformément des fournitures exonérées aux termes du libellé précis de l’article 2 de la partie VII de l’annexe V.

b) Appelante

[30]  En réponse, l’appelante affirme ce qui suit :

[traduction]

N’eût été le choix fait au titre du paragraphe 150(1), il est clair que WMI aurait droit aux CTI pour les fournitures exportées de services administratifs effectuées en faveur des succursales non résidantes de la CIBC, étant donné que ces fournitures constitueraient des fournitures détaxées puisque la CIBC serait considérée comme une personne distincte non résidante pour ce qui est de ses succursales non résidantes.

Lorsqu’il a prévu un choix au paragraphe 150(1), le législateur avait l’intention d’alléger le fardeau administratif, et non de modifier l’économie globale de la Loi pour soustraire toutes les exportations à la TPS. WMI fait valoir que, conformément à cette intention, le choix fait au titre du paragraphe 150(1) ne transforme pas les fournitures détaxées en fournitures exonérées. Ce choix n’a pas été prévu pour priver WMI des CTI de manière punitive ni pour altérer le principe fondamental de la Loi voulant que les exportations soient détaxées.

L’interprétation de la Couronne ne devrait pas être retenue parce qu’elle est contraire à la prémisse fondamentale de la Loi et n’est pas compatible avec le texte, le contexte et l’objet du paragraphe 150(1).

[31]  Cet extrait de l’avis d’appel modifié de l’appelante résume ses motifs d’appel généraux :

 

[traduction]

1. D’abord, la CIBC est une personne distincte réputée en ce qui concerne ses activités à l’étranger en application du paragraphe 132(3), elle ne peut pas être membre d’un groupe étroitement lié en ce qui concerne ces activités et, par conséquent, il n’était pas possible pour elle de faire un choix au titre du paragraphe 150(1) pour que les fournitures liées à ces activités soient réputées être des services financiers (l’argument de la « personne distincte réputée »);

2. Subsidiairement, si l’article 150 devait s’appliquer, les services financiers réputés seraient néanmoins des fournitures détaxées en application de l’annexe VI plutôt que des fournitures exonérées en application de l’annexe V.

c) Questions en litige formulées de nouveau

[32]  À titre de rappel, les questions en litige sont les suivantes :

(i) Le choix fait au titre de l’article 150 s’applique-t-il aux fournitures effectuées en faveur d’une succursale non résidante et a-t-il pour effet que ces fournitures soient réputées être des services financiers?
(ii) Si le choix fait au titre de l’article 150 s’applique, les services financiers exportés constituent-ils des fournitures exonérées en application de l’annexe V ou des fournitures détaxées en application de l’annexe VI?

IV. Analyse et décision

A. Est-ce que « chaque fourniture » constitue un service financier?

[33]  Bien que l’ambiguïté ne paraisse pas dans chacun des articles isolément, lorsqu’ils sont mis en parallèle, comme dans le présent appel, il y a incompatibilité. Les articles 132 et 150 comportent chacun la mention « [p]our l’application de la présente partie », mais il s’agit de la même « partie », soit la partie IX de la LTA et les annexes applicables, à savoir les annexes V à X. De même, les articles se contredisent sur la question de savoir si des CTI peuvent être réclamés sur des services exportés, qu’il s’agisse de services tout court, de services financiers ou de services financiers réputés. La solution ne peut être que l’une des suivantes : soit la prépondérance est accordée à un article ou à une annexe, soit les deux articles sont jugés compatibles. Pour en venir à une telle décision, il faut procéder à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la LTA, de la « partie » pertinente, et des articles et des annexes apparemment en conflit.

a)  Analyse textuelle

(i) Article 150 et paragraphe 150(1)

[34]  L’article 150 et l’élément catalyseur qu’est le choix fait au titre du paragraphe 150(1) seront principalement analysés par rapport à l’article 132 et à la LTA dans son ensemble. Le libellé de l’article 150 prévoit que, une fois le choix fait conformément aux modalités prescrites, chaque fourniture entre les deux parties qui, n’eût été ce paragraphe, aurait été une fourniture taxable est alors réputée être une fourniture de services financiers. Cette présomption, indépendamment de l’argument de la personne distincte réputée invoqué par l’appelante, amène le lecteur à consulter les annexes de la LTA. Il convient alors de se demander laquelle des annexes s’applique : la partie VII de l’annexe V, concernant la fourniture exonérée de services financiers, ou la partie V de l’annexe VI, concernant la fourniture détaxée de services financiers exportés?

[35]  L’intimée soutient que l’annexe V est la seule qui s’applique puisque l’article 2 de la partie VII de l’annexe V (« annexe sur les fournitures exonérées ») renvoie clairement au paragraphe 150(1). La partie VII mentionne à deux reprises les services financiers exonérés : à l’article 1 et à l’article 2. Bien que répétitifs, ces deux articles, et leurs annotations, concernant ce type de fourniture exonérée sont rédigés ainsi [7]  :

1. La fourniture de services financiers qui ne figurent pas à la partie IX de l’annexe VI.

2. La fourniture réputée par le paragraphe 150(1) de la loi être une fourniture de service financier.

[traduction]

Annotations : Consultez les annotations de la définition « services financiers »  au paragraphe 123(1). La partie VII de l’annexe V permet qu’une fourniture détaxée au titre de la partie IX de l’annexe VI ait préséance, de sorte que des crédits de taxe sur les intrants peuvent être réclamés sur les intrants (voir les annotations des définitions « fourniture exonérée » et « fourniture détaxée » au paragraphe 123(1)). L’article 2 de la partie VII de l’annexe V l’emporte sur cette règle lorsque les sociétés d’un groupe étroitement liées font un choix au titre du paragraphe 150(1), auquel cas, aucun CTI n’est permis, même si la fourniture relève de la partie IX de l’annexe.

[36]  Le texte, dans l’ensemble, semble indiquer de façon convaincante dans quelle direction penche le droit, à moins que l’argument de la personne distincte réputée ne soit retenu et rende le choix fait au titre de l’article 150 inapplicable ou que le contexte général ou l’objet de la LTA ne mènent à une autre conclusion.

(ii) Article 132 et paragraphe 132(3)

[37]  Le paragraphe 132(3) prévoit qu’une personne résidante qui a un établissement stable à l’étranger « est réputée être une personne non résidante en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise de l’établissement ». Ce libellé a indirectement pour effet de faire de ces services exportés des services détaxés en application de l’article 7 de la partie IX de l’annexe VI [services fournis à des non‑résidants – généralités] (« annexe sur les fournitures détaxées »). Il est à noter que le paragraphe 132(3) emploie le terme « activités » et non « activités commerciales » relativement aux non‑résidants réputés. Le paragraphe 165(1), la plus importante disposition d’assujettissement à la TPS de la LTA, prévoit que seul « l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada » est tenu de payer la taxe. En clair, les fournitures (par ailleurs taxables) effectuées à l’extérieur du Canada ne sont pas assujetties à la TPS.

[38]  Également, l’article 142 de la LTA fait mention du lieu de la fourniture. Selon cet article, un service est réputé être fourni à l’extérieur du Canada si, s’agissant d’un service qui n’est pas par ailleurs visé par la disposition, « il est, ou sera, rendu entièrement à l’étranger ». De surcroît, le texte annoté apporte des précisions sur les exportations détaxées [8]  :

[traduction]

Annotations : Une fourniture détaxée (voir la liste à l’annexe VI) est, en théorie, une fourniture taxable taxée à un taux nul. La fourniture détaxée n’a essentiellement aucune TPS ou TVH intégrée dans ses coûts puisque toute la TPS/TVH payée sur les intrants peut être réclamée par le fournisseur en tant que crédit de taxe sur les intrants en application du paragraphe 169(1) (sous réserve de l’article 236.01). Il convient de souligner qu’une fourniture effectuée à l’extérieur du Canada (voir les paragraphes 142(2) et 143(1), l’article 144 et les paragraphes 179(2) et (3)) n’est pas en théorie une fourniture détaxée; elle n’est tout simplement pas taxée puisqu’elle n’est pas visée par le paragraphe 165(1). En pratique, elle est presque identique à la fourniture détaxée (les principales différences se trouvent à l’article 249 et portent sur la fréquence des déclarations; une autre différence est qu’une exemption qui exclut une fourniture détaxée, comme aux alinéas 2a) et 23a) de la partie VI de l’annexe V, n’exclura pas la fourniture effectuée à l’extérieur du Canada).

(iii) Services exportés et services financiers sous le régime de la LTA

[39]  Les biens et services fournis à l’extérieur du Canada ne sont pas taxés du fait du paragraphe 165(1). Conformément à l’annexe VI, qui prévoit également que des biens et services autres que des exportations sont considérés comme étant des fournitures détaxées, les fournitures effectuées au Canada mais qui sont ensuite exportées deviennent, de l’effet des dispositions, des fournitures détaxées. Sous réserve de certaines exceptions limitées, il en est ainsi pour des motifs fondamentalement téléologiques, lesquels seront examinés plus loin.

[40]  Il demeure une dichotomie entre les services financiers fournis au pays et ceux qui sont exportés. Les services financiers sont soit exonérés (annexe V), soit détaxés (annexe VI). Tout dépend de l’endroit où ils sont fournis, c'est-à-dire à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada. Indépendamment de l’argument contextuel de la personne distincte réputée, les services financiers réputés visés au paragraphe 150(1) peuvent être soit exonérés en application de l’annexe V soit détaxés en application de l’annexe VI.

[41]  Pour choisir l’une ou l’autre annexe et pour analyser l’argument de la personne distincte réputée, un simple examen attentif du texte [9] pourrait s’avérer insuffisant. Lorsque le libellé est sans équivoque, les mots jouent un rôle primordial, mais lorsque deux sens sont possibles, leur rôle est moins important. En bref, la Cour doit procéder à une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de manière à interpréter les dispositions de la LTA, pour ce qui est de l’économie générale de celle‑ci, comme formant un tout harmonieux [10] .

b)  Concilier les contextes et les objets des articles 150 et 132

[42]  Sur le plan téléologique, l’article 150 prévoit un traitement fiscal équivalent entre les fournitures effectuées en faveur d’une personne (institution financière) par un membre du groupe étroitement lié auquel elle appartient et les fournitures effectuées « à l’interne » par une même personne. Bien que les CTI ne soient pas autorisés relativement aux services fournis à une entité étroitement liée, le fournisseur n’est pas tenu de facturer ni de percevoir la TPS [11] . Le paragraphe 132(2) a l’effet contraire. Il crée une distinction entre une entité et sa propre succursale « filiale » non résidante, de sorte qu’une fourniture exportée est réputée avoir été effectuée entre elles, ce qui donne le droit de réclamer des CTI.

[43]  Par contre, l’affirmation selon laquelle l’argument de la personne distincte réputée d’une succursale non résidante donne le même résultat ne me convainc pas. Il n’y a pas de « caractère distinct » au paragraphe 132(3). Ce paragraphe prévoit qu’une « personne qui réside au Canada » est « réputée être une personne non résidante » en ce qui concerne les « activités » qu’elle exerce par l’entremise de l’établissement stable. Il n’y est nullement fait mention de la fourniture de biens ou de services. Ni par le contexte de ce paragraphe ni par son objet on ne peut conclure que les fournitures effectuées en ce qui concerne les activités de la personne « réputée être une personne non résidante » sont réputées être des fournitures en faveur d’une personne distincte. L’article ne prévoit pas directement non plus que les fournitures effectuées en faveur d’une succursale non résidante deviennent des fournitures détaxées. Si l’une ou l’autre de ces règles avait été expressément formulée comme à l’article 150, une conclusion fondée sur le contexte et l’objet de l’article selon laquelle les fournitures étaient réputées être détaxées ou selon laquelle il existait une personne distincte réputée aurait pu avoir pour effet de soustraire les fournitures effectuées en faveur d’une succursale non résidante de l’application du choix fait au titre de l’article 150 et aurait empêché que ces fournitures deviennent des services financiers.

[44]  En application des paragraphes 132(3) et 123(1), les activités de la succursale non résidante d’un établissement stable sont dans les faits dissociées des activités de son groupe étroitement lié au Canada, mais la personne n’est pas distincte en soi à toute autre fin; il n’est pas exclu, sur le plan contextuel, que la succursale non résidante soit « membre d’un groupe étroitement lié ». Cela vaut d’autant plus que le paragraphe 132(4) suit immédiatement le paragraphe 132(3). Le paragraphe 132(4) prévoit que deux établissements stables sont clairement et manifestement réputés être des personnes distinctes en ce qui concerne précisément les fournitures effectuées entre elles. Pourquoi le législateur n’aurait-il pas prévu le même mécanisme pour les succursales non résidantes dans le paragraphe précédent si son intention était là aussi de créer une présomption de personne distincte? D’après le contexte, c’est qu’il n’en avait pas l’intention. Le contexte et l’objet du paragraphe 132(3) empêchent l’existence indirecte d’une « personne distincte réputée » en ce qui concerne autre chose que les activités de la succursale non résidante. Pour créer cet effet, il aurait suffi  de répéter les mots « en ce qui concerne les fournitures exportées, la personne qui réside au Canada et son établissement stable à l’étranger sont réputés être des personnes distinctes ».

[45]  À l’opposé, pour les cas où il souhaitait la voir s’appliquer, le législateur a créé une telle présomption, notamment dans le paragraphe tout juste après. Cela contraste également, sur le plan contextuel, avec la formulation générale et sans restriction du paragraphe 150(1), lequel dispose que « chaque fourniture [est] réputée être une fourniture de services financiers ». Un tel contexte et ces objets contraires réfutent l’argument de la « personne distincte réputée ». Chaque fourniture entre WMI et la CIBC est réputée, en conséquence du choix fait au titre de l’article 150, être un service financier. Dans le contexte précis du paragraphe 150(1), si le législateur avait souhaité que les fournitures effectuées en faveur de succursales non résidantes soient exclues de l’application du choix fait au titre de l’article 150, il l’aurait fait expressément. Par exemple, les mots « chaque fourniture autre qu’une fourniture par ailleurs détaxée » auraient suffi.

B. Exemption ou détaxation des services financiers réputés

a) Existence d’une incompatibilité téléologique

[46]  Bien que la Cour ait rejeté l’argument de l’appelante sur la personne distincte réputée, elle n’ignore pas qu’une fourniture détaxée exportée est devenue une fourniture exonérée. Par conséquent, un service exporté, qui n’a pas été consommé au Canada, a été assujetti à la TPS, laquelle n’a pu être ni remboursée ni recouvrée. Cela va à contre‑courant du grand principe voulant que les fournitures effectuées à l’extérieur du Canada ne soient pas assujetties, ab initio, à la TPS et, en conséquence, que les fournitures effectuées au Canada, mais exportées, soient détaxées. Si on accepte l’observation de l’intimée concernant l’effet conjugué de l’article 150 et de l’article 2 de l’annexe sur les fournitures exonérées, une fourniture exportée qui est un service financier exporté est alors assujettie à la TPS, nonobstant deux principes clairs de la LTA. Le premier principe est prépondérant, téléologique et fondamental : les fournitures exportées ne sont pas assujetties à la TPS [12] . Le deuxième est contextuel et concerne les services financiers, hormis, selon ce que soutient l’intimée, ceux qui sont des services financiers « réputés » en application de l’article 150. De manière générale, les services financiers rendus au Canada sont des fournitures exonérées, mais ceux fournis à l’extérieur du Canada ou exportés sont détaxés [13] . La question demeure de savoir comment concilier l’application modifiée que fait le ministre de l’article 150 et de l’annexe V avec ces principes. La Cour reconnaît la logique méthodique et simple, que soutient une interprétation textuelle, de l’inclusion des services financiers réputés suivant une application stricte du texte de l’article 2 de la partie VII de l’annexe V. Par contre, une telle conclusion ne respecte pas invariablement l’objet législatif du paragraphe 165(1), de l’article 142, des parties de l’annexe VI concernant les services exportés et, plus précisément, de la partie IX de l’annexe VI dans le contexte de services financiers exportés, services qui sont expressément mentionnés à l’article 1 de la partie VII de l’annexe V.

(i) Est-il cohérent sur le plan téléologique de considérer les fournitures de services financiers « réputés » exportés comme étant exclusivement des fournitures exonérées?

[47]  Est-il cohérent sur le plan téléologique que les « services financiers réputés » visés à l’article 150, lorsqu’ils sont fournis  à des « non-résidants », donc lorsqu’ils sont exportés, deviennent exclusivement des fournitures exonérées? En application du paragraphe 132(3) et de l’article 142, les services financiers exportés sont principalement détaxés, sous réserve de certaines exceptions limitées. Il est fondamental, pour toute analyse de cette affirmation, de tenir compte de la jurisprudence prévalente selon laquelle tous les éléments de la LTA, ou d’ailleurs de toute autre loi, doivent former un tout compatible et cohérent, chacun contribuant à la réalisation de l’objet législatif visé [14] . L’article 150 prévoit que les fournitures visées sont réputées être des fournitures de services financiers. Étant donné la conclusion de la Cour qui précède, ceci n’est plus en litige. Au bout du compte, il s’agit de savoir si le service financier réputé est consommé au pays ou exporté. La disposition fondamentale d’assujettissement à la TPS de la LTA, à savoir l’article 165, n’impose pas de taxe sur les fournitures, qu’elles soient par ailleurs taxables ou non, effectuées à l’extérieur du Canada. Cela ne veut pas dire que des services financiers fournis au pays, par ailleurs détaxés en application de l’annexe VI [15] , ne seraient pas visés par l’article 150 et l’annexe V. Même en faisant fi de l’article 150, les services financiers consommés au pays constituent généralement des fournitures exonérées. L’intimée soutient que l’article 150, qui fait de chaque fourniture visée une fourniture exonérée, est cohérent sur le plan téléologique avec l’économie générale de la LTA.

[48]  C’est la singularité des fournitures effectuées à l’extérieur du Canada qui différencie les services exportés des autres services visés par la LTA; les fournitures effectuées à l’extérieur du Canada ne sont pas assujetties à la taxe sous le régime de la LTA. Le mécanisme consistant à faire des fournitures exportées des fournitures détaxées lorsque de telles fournitures, y compris des services financiers, proviennent du Canada, mais sont exportées,  permet le remboursement de la TPS sur les fournitures qui ne sont pas consommées par un utilisateur final au Canada et qui, par conséquent, ne sont pas taxables [16] . Cela se voit dans la thèse examinée voulant que la détaxation des exportations corresponde approximativement, sans toutefois la refléter entièrement, à leur position unique dans la catégorie des fournitures détaxées [17] . Bref, ces fournitures consommées à l’étranger sont différentes des autres biens et services détaxés qui sont consommés au pays (produits alimentaires, etc.).

(ii) L’exonération et la détaxation des services financiers « réputés » peuvent-elles, sur le plan téléologique, coexister dans la LTA et les annexes?

[49]  Étant donné le libellé de l’article 2 de l’annexe sur les fournitures exonérées, il peut être soutenu qu’il existe deux courants distincts de jurisprudence pouvant désamorcer la possible divergence mentionnée précédemment entre les services financiers fournis au pays et les services financiers exportés. En premier lieu, il y a la thèse voulant que les fournitures exonérées soient prépondérantes ou l’emportent sur les fournitures détaxées [18] . En second lieu, et il s’agit d’un principe d’interprétation des lois, le libellé de l’article 150 et surtout celui de l’article 2 de la partie VII de l’annexe V prévoient expressément la non‑applicabilité de la partie IX de l’annexe VI : generalia specialibus non derogant [19] .

[50]  En ce qui concerne la première thèse, le courant de jurisprudence selon lequel les fournitures exonérées priment les fournitures détaxées est issu d’appels interjetés sous le régime de la procédure informelle. Plus important encore, ces affaires ne concernent ni des fournitures exportées ni des services financiers exportés, réputés ou non. Ces précédents diffèrent de l’espèce sur cet aspect. La distinction est importante. En premier lieu, les services financiers exportés non consommés au Canada ne sont pas assujettis à une TPS irrécouvrable. En second lieu, le mécanisme de la détaxation est utilisé pour rembourser la TPS qui a été perçue, mais qui n’était en fin de compte pas à payer. La détaxation des services financiers exportés a également un objet qui est distinct de celui visé pour la détaxation de fournitures bien précises pour des raisons de politique publique, comme les produits alimentaires, certains produits pharmaceutiques et d’autres produits semblables. Ces fournitures détaxées sont consommées au pays et seraient par ailleurs taxées selon la hiérarchie établie par la LTA. Cette détaxation intérieure est spécifique et de toute évidence mue par des objectifs de politique autres, qui vont au-delà du fait que la fourniture sera exportée et qu’elle sortira alors en toute logique du champ d’application des dispositions d’assujettissement à la TPS de la LTA.

[51]  Cela nous amène à la deuxième thèse : le principe d’interprétation des lois selon lequel les dispositions spécifiques excluent les dispositions générales. L’article 150 a pour effet de faire de chaque fourniture effectuée au sein d’un groupe étroitement lié un service financier. Tout comme le paragraphe 132(3) ne fait pas d’un établissement stable à l’étranger une entité distincte réputée, l’article 150 en tant que tel ne fait pas en sorte qu’un service financier devienne une fourniture exonérée. Cela dépend de l’annexe duquel relève le service financier : l’annexe concernant les fournitures exonérées ou l’annexe concernant les fournitures détaxées. Si le service financier est fourni au Canada, il devient exonéré [20] . Cela s’inscrit dans l’objectif de simplicité administrative de l’article 150, du choix visé à l’article 150 et de l’article 2 de l’annexe concernant les fournitures exonérées [21] , qui consiste à éviter aux membres d’un groupe étroitement liés d’avoir à facturer et à verser la TPS entre eux. Il convient de noter qu’un tel inconvénient n’existe pas par ailleurs pour les fournitures exportées (y compris les services financiers), qui ne sont pas au bout du compte des fournitures taxables effectuées au Canada et qui deviennent exemptes de taxe au moment de leur exportation grâce au mécanisme de réclamation des CTI.

[52]  En outre, l’annexe concernant les fournitures exonérées se compose de deux articles distincts. L’article 1 renvoie, pour les exclure, aux fournitures détaxées de services financiers exportés expressément énumérés dans l’annexe sur les fournitures détaxées. L’article 2 renvoie uniquement aux services financiers « réputés » du paragraphe 150(1); il n’y est fait aucune mention de l’annexe sur les fournitures détaxées. Est-ce que l’omission de ce renvoi à l’annexe sur les fournitures détaxées dans l’annexe sur les fournitures exonérées crée un écart trop grand pour que la notion de services financiers exportés « réputés » puisse être englobée par la partie IX de l’annexe sur les fournitures détaxées? Cette question se pose sur le plan téléologique puisque c’est essentiellement le cas pour tous les autres services financiers exportés. De manière générale, les services financiers exportés, de même que les fournitures exportées, ne sont pas assujettis à la TPS du fait de la détaxation.

[53]  Sans négliger l’important aspect téléologique, que peut-on tirer du contexte des annexes V et VII pour discerner l’intention du législateur? La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada, a déjà examiné des observations similaires concernant des services financiers fournis par une institution financière à une personne non résidante [22] . Dans cette affaire, même s’il ne s’agissait pas d’opposer les services financiers exonérés aux services financiers détaxés dans les deux annexes distinctes, cette Cour a résolu une incompatibilité découlant d’une ambiguïté dans une même annexe, incidemment la partie IX de l’annexe sur les fournitures détaxées de la LTA [23] . Ce qui est encore plus utile en l’espèce, elle a examiné le principe d’interprétation des lois invoqué précédemment [24] . Dans Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada, l’appelante soutenait que les services financiers énumérés dans la disposition subséquente étaient déjà compris par définition dans l’article 1 précédent. Les services financiers liés à une police d’assurance étaient exclus de l’article 1, mais étaient visés à l’article 2. S’il n’était pas lié à une police d’assurance, le service financier était détaxé, mais l’article 2 faisait que le service financier de l’appelante devenait une fourniture exonérée. Pour résoudre cette ambiguïté, la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit au paragraphe 8 :

[8] La seule façon de comprendre l’article 1 et de lui donner un sens cohérent, compatible avec les principes de taxation, de détaxation et d’exonération prévus par la Loi, c’est de voir et de reconnaître à l’article 1, dans l’exception d’une fourniture de services figurant à l’article 2, l’intention du législateur de traiter à l’article 2, d’une manière spécifique et limitative, des services financiers liés à une police d’assurance. En d’autres termes, l’article 2 est une disposition particulière et spécifique applicable aux services financiers liés à une police d’assurance. À cet article 2, le législateur a défini les conditions pour que la fourniture de tels services soit détaxée et seule la fourniture de services qui rencontre ces conditions l’est. Les autres fournitures de services financiers liés à des polices d’assurance sont, par le jeu de la Partie VII de l’annexe V intitulée « services financiers », des fournitures exonérées.

[54]  En paraphrasant et en appliquant ces analyses dans le présent appel, la Cour doit se poser une question analogue : est-ce que l’article 2 de la partie VII de l’annexe sur les fournitures exonérées, en sa qualité de disposition spéciale et spécifique, s’applique et prime l’exclusion de l’article 1 qui le précède immédiatement? Deux principes sont pertinents pour répondre à cette question : le législateur est souverain dans sa pensée et il ne parle pas pour ne rien dire. Le législateur connaissait la règle générale voulant que la TPS soit remboursée par des CTI sur les exportations. C’était la situation qui existait alors : l’article 1 de la partie VII de l’annexe sur les fournitures exonérées et la partie IX de l’annexe sur les fournitures détaxées coexistaient avant l’adoption de l’article 2. Si l’article 2 de la partie VII de l’annexe sur les fournitures exonérées n’avait pas été adopté, selon la logique et les principes d’interprétation, les services financiers « réputés » du fait de l’article 150 et du choix y étant prévu auraient simplement relevé soit de l’annexe sur les fournitures exonérées, soit de l’annexe sur les fournitures détaxées; les services financiers « réputés » consommés au pays auraient relevé de l’annexe V et ceux exportés, de l’annexe VI conformément à l’exception prévue à l’article 1 de la partie VII de l’annexe concernant les fournitures exonérées. Mais l’article 2 a été adopté, et celui-ci porte spécifiquement, pour les assujettir à une exception, sur les services financiers « réputés » en application du paragraphe 150(1). Ainsi, le critère assujettissant le service financier plus général à l’annexe V ou à l’annexe VI n’est plus le fait qu’il soit consommé au pays ou à l’étranger, mais sa qualité de service financier « réputé », laquelle l’assujettit exclusivement à l’annexe sur les fournitures exonérées en tant que fourniture exonérée.

[55]  Étant donné que le précédent établi dans l’arrêt Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada [25] est clair, l’article 2 de la partie VII de l’annexe sur les fournitures exonérées l’emporte sur l’article 1 qui précède et sur son renvoi à ce qui ne figure pas à la partie IX de l’annexe VI sur les fournitures détaxées. Une fourniture taxable provenant du Canada qui est également réputée être un service financier en application du choix fait au titre de l’article 150 est une fourniture exonérée, même s’il s’agit d’une fourniture exportée faite en faveur d’une succursale non résidante. Par conséquent, nul n’a droit à des CTI à l’égard de ces services financiers.

V. Conclusion et dépens

[56]  La Cour reconnaît que la conclusion tirée en l’espèce n’est pas parfaitement équilibrée et symétrique. Bien qu’aucune incohérence, absurdité ou ambiguïté ne soit créée, il existe une incompatibilité entre les plans contextuel et téléologique. En premier lieu, les services exportés, y compris les services financiers exportés, demeurent exempts de TPS sous le régime de la LTA, sauf en ce qui concerne les exportations de services financiers réputés. L’objectif fondamental de la LTA de taxer uniquement les fournitures effectuées et consommées au Canada n’est pas préservé intégralement. En second lieu, le choix fait au titre de l’article 150, envisagé sur les plans législatif et téléologique pour simplifier l’administration en exonérant les fournitures intérieures effectuées entre des entités au sein d’institutions financières désignées, entraîne la perception d’une TPS irrécouvrable sur des fournitures de services exportés et consommés à l’étranger; une taxe à la consommation censée s’appliquer au pays rend maintenant moins concurrentielle une « sous-espèce » de services financiers exportés. En troisième lieu, le Trésor fédéral reçoit un avantage inattendu, soit la TPS sur des services exportés qui ne sont aucunement destinés à être consommés au Canada. En général, l’intention n’était pas de percevoir ces sommes, conformément à un principe fondamental et téléologique de cette loi fiscale extrêmement importante. Le législateur n’a jamais eu l’intention de taxer irrévocablement sous le régime de la LTA les fournitures exportées sous forme de services financiers. Toutefois, compte tenu de l’arrêt clair, analogue et directif de la Cour d’appel fédérale dans Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada sur l’interprétation contextuelle spécifique de la LTA, la Cour ne peut pas étendre ce principe fondamental aussi loin qu’il serait nécessaire pour accueillir cet appel, même au nom de la cohérence téléologique uniforme et générale.

[57]  Par conséquent, l’appel est rejeté. Les services exportés fournis par WMI aux succursales non résidantes de la CIBC sont des fournitures exonérées. Les dépens sont accordés à l’intimée conformément au tarif établi, sous réserve du droit des deux parties de présenter des observations écrites en sens contraire dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mai 2018.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 103

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-2606(GST)G

INTITULÉ :

CIBC WORLD MARKETS INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 mai 2018

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Al-Nawaz Nanji

Avocate de l’intimée :

Me Justine Malone

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Al Meghji

Me Al-Nawaz Nanji

 

Cabinet :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Gouvernement du Canada, ministère des Finances, Taxe sur les produits et services – Document technique (août 1989), aux pages indiquées dans le texte.

[2] Ibid., aux pages indiquées dans le texte.

[3] Steven D’Arcy, « GST Hot Topics – 1997 », 1997 CICA Commodity Tax Symposium (Institut Canadien des Comptables Agréés, du 22 au 24 septembre 1997), aux pages 42 à 45.

[4] Steven K. D’Arcy, « Establishment in More than One Country » (28 septembre 1999), 132 Canadian GST Monitor (CCH), aux pages 1 et 2.

[5] Gouvernement du Canada, Notes techniques révisées sur la taxe sur les produits et services, 10 juillet 1997, à la page 45.

[6] SWS Communication Inc. c. La Reine, 2012 CCI 114, au paragraphe 19.

[7] David M. Sherman, Goods and Services Tax Annotated, 2017, 30e édition, p. 1006.

[8] Sherman, op. cit., à la page 138.

[9] Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada, [2006] 2 R.C.S. 447, aux paragraphes 24 à 29.

[10] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] R.C.S. 54, au paragraphe 10.

[11] Notes techniques révisées sur la taxe sur les produits et services, précitées, à la page 45.

[12] Lors de l’adoption de la TPS, le ministre des Finances de l’époque en avait fait l’annonce, ce qui se reflète dans les notes techniques précitées à la note 1.

[13] Respectivement, article 1 de la partie VII de l’annexe V et partie IX de l’annexe IX.

[14] R. c. L.T.H., [2008] 2 R.C.S. 739; 2008 CSC 49, au paragraphe 47, citant « Sullivan on the Construction of Statutes » (4e éd. 2002, à la page 168).

[15] Par exemple, la fourniture d’un service financier effectuée par une institution financière à une personne non résidante au Canada ou la fourniture de certains services financiers à des compagnies d’assurance; voir annexe VI, partie IX de la LTA.

[16] Paragraphe 165(1) de la LTA et voir paragraphes 39, 40 et 41.

[17] Voir paragraphe 38.

[18] Buccal Services Ltd. c. Canada, [1994], GSTC 70; Dr. Brian Hurd Dentistry Professional Corporation c. La Reine, 2017 CCI 142.

[19] Ce qui se traduit à peu près par « le particulier l’emporte sur le général ».

[20] Effet conjugué de l’article 1 de la partie VII de l’annexe V.

[21] Notes techniques du ministère des Finances (mai 1990), article 150 et (juillet 1997) paragraphe 150(1).

[22] Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada, 2006 CAF 161.

[23] Ibid., aux paragraphes 3 et 4.

[24] Voir note 21.

[25] Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada, précité, paragraphes 9 et 10.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.