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Référence : 2018 CCI 76

Date : 20180419

Dossier : 2015-3909(IT)G


ENTRE :

MARILYN ANN ASHWORTH,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience à London (Ontario), le 30 novembre 2017)

Le juge Graham

[1]  Marilyn Ashworth a fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. M. Kevan Ashworth est le mari de Mme Ashworth. Ils sont aujourd’hui séparés, mais ils cohabitaient toujours pendant la période visée.

[2]  En 2011, M. Ashworth a cédé sa moitié indivise de la maison familiale à Mme Ashworth. Le ministre du Revenu national soutient que, même si une contrepartie a été versée, celle-ci était déficitaire de 58 682 $. Au moment de la cession, M. Ashworth avait une dette supérieure à cette somme payable au ministre. Pour ce motif, le ministre a établi une cotisation pour ce montant à l’égard de Mme Ashworth en vertu de l’article 160.

[3]  Le présent appel porte exclusivement sur le montant de la contrepartie versée par Mme Ashworth en échange de la moitié indivise du bien immeuble. Les parties conviennent que la juste valeur marchande du bien immeuble était de 409 000 $. Elles conviennent aussi que, dans le cadre de la cession, Mme Ashworth a pris en charge la part de 50 % du prêt hypothécaire de 187 731 $ grevant le bien immeuble que détenait M. Ashworth. L’intimée affirme qu’il s’agit de la seule contrepartie apportée par Mme Ashworth dans le cadre de la cession. Mme Ashworth soutient avoir aussi versé une contrepartie de 103 904 $ à la société en propriété exclusive de M. Ashworth, et réglé le solde impayé des frais engagés par M. Ashworth au bénéfice de ladite société sur les cartes de crédit de Mme Ashworth. La seule question dont je suis saisi est donc celle de savoir si cette contrepartie additionnelle a été apportée.

[4]  Je suis prêt à rendre mon jugement oral, et je ne rendrai pas de motifs écrits pour le présent appel.

[5]  J’ai entendu les témoignages et les contre-interrogatoires de M. Ashworth, de Mme Ashworth et de M. Didier Bouathinh, l’agent des appels. J’ai conclu que M. Ashworth et Mme Ashworth étaient des témoins crédibles. La mémoire de Mme Ashworth était défaillante sur de nombreux détails, mais elle a apporté une explication raisonnable pour expliquer ces lacunes. Quoi qu’il en soit, j’estime que les documents associés à cette transaction, dans l’ensemble, sont révélateurs. J’ai aussi considéré M. Bouathinh comme un témoin crédible, mais son témoignage était généralement sans grande incidence.

[6]  Je me prononcerai d’abord sur la marge de crédit. Au moment de la cession du bien immeuble, le solde impayé de la marge de crédit de la société de M. Ashworth à la Banque TD était de 103 904 $. Cette marge de crédit avait été garantie par une hypothèque accessoire grevant la maison familiale, souscrite conjointement par M. Ashworth et Mme Ashworth. La situation financière de la société était précaire, mais celle-ci n’était pas en défaut de paiement sur la marge de crédit à ce moment-là.

[7]  Pour conclure la transaction, Mme Ashworth a contracté un emprunt auprès de la Banque Scotia, dont 103 904 $ ont été versés par les avocats de Mme Ashworth à la Banque TD pour rembourser la marge de crédit. Mme Ashworth affirme avoir versé la somme de 103 904 $ à M. Ashworth en contrepartie partielle pour sa moitié indivise du bien immeuble. M. Ashworth affirme avoir demandé que cette somme soit versée à la société pour rembourser la marge de crédit. Puisque M. Ashworth n’avait aucun contrôle sur les sommes inscrites au compte en fiducie détenu par les avocats de Mme Ashworth, j’estime qu’il serait plus juste d’affirmer que Mme Ashworth a accepté d’acquérir la part du bien immeuble détenue par M. Ashworth, pour une contrepartie qui comprenait les 103 904 $, à condition que M. Ashworth utilise la somme de 103 904 $ pour rembourser la marge de crédit et annuler l’hypothèque accessoire. Pour garantir que cette condition soit bel et bien remplie, le paiement est passé directement du compte des avocats de Mme Ashworth à la Banque TD.

[8]  La cotisation établie par le ministre était fondée sur le fait que M. et Mme Ashworth étaient chacun responsable de la moitié de l’hypothèque accessoire. Ainsi, le ministre a considéré que seulement la moitié du paiement de 103 904 $ pouvait être considérée comme ayant été versée en contrepartie de la transaction d’achat. Dans les faits, l’intimée a considéré que, sur la somme de 103 904 $, seulement 51 952 $ constituaient un paiement fait à M. Ashworth, et que le solde de 51 952 $ avait été prêté à la société par Mme Ashworth, sans condition de remboursement, pour faire annuler l’hypothèque accessoire. Je ne puis admettre cette qualification des faits, qui est incompatible avec la preuve orale et documentaire. Qui plus est, il n’est tout simplement pas logique de considérer que la transaction ait pu se dérouler de cette manière.

[9]  Entre la description de la transaction faite par l’intimée et celle faite par Mme Ashworth, ce qui est arrivé me paraît évident. Mme Ashworth savait que, financièrement, la société se trouvait en eaux troubles. Elle savait aussi que M. Ashworth faisait face à d’autres problèmes financiers. La transaction avait pour seule fin de protéger la maison des problèmes financiers. Le seul moyen à la disposition de Mme Ashworth pour protéger la maison familiale était de s’assurer de payer la juste valeur marchande de la maison et de faire annuler l’hypothèque accessoire. Dans ce dessein, elle a versé à M. Ashworth 103 904 $ à titre de contrepartie partielle pour l’achat, veillant à ce que cette somme soit versée pour rembourser la marge de crédit et annuler l’hypothèque accessoire.

[10]  L’intimée tente de me convaincre que Mme Ashworth aurait plutôt choisi de ne pas payer à M. Ashworth un prix d’achat juste pour la maison, pour ensuite contracter un emprunt personnel auprès de la Banque Scotia et prêter les fonds empruntés à la société afin que celle-ci rembourse l’hypothèque accessoire. Quel motif aurait pu l’inciter à choisir la seconde option? Pourquoi aurait-elle pu souhaiter se rendre coupable de cession frauduleuse tout en concédant un prêt à une société qui semblait incapable de le rembourser? Elle n’avait rien à gagner en choisissant cette option, qui l’aurait exposée à des accusations de cession frauduleuse et à des problèmes fiscaux soulevés par l’application de l’article 160, pour ne recevoir en retour qu’une créance sans valeur. Entre ces deux transactions envisageables d’après la preuve documentaire, j’opte pour celle qui me semble la plus logiquement réalisée dans les faits.

[11]  La transaction a été conclue après que M. Ashworth a consulté un syndic de faillite et un avocat. En témoignage, il a affirmé avoir accepté le plan proposé par le syndic, et que son avocat avait exécuté ces mesures.

[12]  La théorie que défend l’intimée rend M. Ashworth coupable de cession frauduleuse. Il me semble pourtant peu vraisemblable qu’un syndic de faillite ait pu lui conseiller de commettre un tel délit, ou qu’un avocat ait pu sciemment exécuter un tel stratagème. Il me semble infiniment plus plausible que le plan qui a été proposé et exécuté est celui décrit par M. Ashworth, un plan dont l’objet était expressément d’éviter la cession frauduleuse.

[13]  Le point central de ma conclusion est que je considère l’hypothèque accessoire comme une garantie accordée par Mme Ashworth pour aider son mari. Mme Ashworth n’était pas actionnaire de la société. M. Ashworth en était l’unique actionnaire. Ainsi, la garantie était au bénéfice de ce dernier, et non au bénéfice de Mme Ashworth. Certes, la garantie accordée aurait pu indirectement faire augmenter la valeur du patrimoine familial. Néanmoins, la société appartenait à M. Ashworth. Si la société avait manqué à ses obligations de paiement de la marge de crédit et que la Banque TD avait réalisé l’hypothèque accessoire, je considère que, même si la banque avait pu, de plein droit, saisir la part de la maison appartenant à Mme Ashworth, bien qu’entre M. et Mme Ashworth, une telle saisie aurait visé la part appartenant à ce dernier, puisque la garantie avait été accordée à son bénéfice.

[14]  Il ne s’agit pas d’une attribution théorique de la dette entre Mme Ashworth et M. Ashworth. Au moment de la transaction, la valeur de la maison aurait suffi à rendre cette attribution possible. J’aurais pu qualifier la transaction de manière très différente si la valeur de la maison n’avait pas suffi à permettre à M. Ashworth d’assumer l’entière responsabilité quant au paiement de la dette. Dans une telle situation, la portion qui n’aurait pas été prise en charge serait vraisemblablement devenue une dette de Mme Ashworth.

[15]  Dans mes conclusions, je suis conforté du fait que l’acquisition et le paiement de la marge de crédit ont été conclus à la même date et dans le cadre de la même transaction. Il ne s’agit pas d’une instance où un conjoint à qui on a cédé la moitié indivise d’un bien immeuble tente par la suite de justifier l’absence d’une contrepartie contemporaine en relevant une ou plusieurs transactions conclues des mois ou des années plus tard. Toutes les transactions ont eu lieu concomitamment.

[16]  Certes, il aurait été préférable pour toutes les parties d’avoir signé une convention d’achat-vente claire ainsi qu’une série de directives claires à l’intention de l’avocat. Pourtant, l’absence de tels documents ne me préoccupe pas. Je comprends que, puisque l’argent se faisait rare et que la transaction intervenait entre les membres d’une même famille, la préparation de documents ait été omise.

[17]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la totalité du montant de 103 904 $ a été versée par Mme Ashworth en contrepartie pour la moitié indivise de la maison.

[18]  Pour ce qui est des cartes de crédit, Mme Ashworth affirme avoir aussi payé une contrepartie en remboursant les sommes facturées sur ses deux cartes de crédit. Ces cartes avaient été délivrées à son nom, mais M. Ashworth a déclaré avoir reçu des cartes secondaires pour les mêmes comptes. M. Ashworth et Mme Ashworth ont tous deux affirmé que le solde des cartes était, pour l’essentiel, lié à des dépenses engagées par M. Ashworth au nom de sa société, à hauteur de 90 pour cent d’après les calculs de M. Ashworth. Aucun relevé de carte de crédit n’a été déposé en preuve à l’appui de cette déclaration. La situation durait depuis des années. Au cours de cette période, Mme Ashworth aurait dû savoir qu’il serait question des soldes des cartes de crédit dans le cadre du litige, et savoir qu’elle devrait déposer les relevés à la présente audience.

[19]  Tout en considérant comme crédibles M. et Mme Ashworth, leur estimation des frais inscrits sur les cartes de crédit relève largement de la preuve intéressée. Vu la situation financière de la famille à l’époque, il est facile d’imaginer que tant M. Ashworth que Mme Ashworth payaient une grande partie des dépenses domestiques, familiales et personnelles par cartes de crédit. Dans ces circonstances, sans les relevés de cartes de crédit, je ne suis pas disposé à conclure que le paiement des cartes de crédit constituait une contrepartie pour la cession de la moitié indivise de la maison familiale.

[20]  Vu ma conclusion sur les cartes de crédit, il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’effet de l’avance de 16 000 $ accordée sur une autre carte de crédit de Mme Ashworth pour payer le solde des cartes de crédit visées ici.

[21]  En conclusion, d’après tout ce qui précède, l’appel est accueilli, et la question est renvoyée au ministre du Revenu national pour une nouvelle cotisation, pour le motif que la contrepartie versée dans le cadre de la cession n’était déficitaire que de 6 730 $, vu la juste valeur marchande de 204 500 $ de la moitié du bien immeuble, moins la créance hypothécaire de 93 865 $ prise en charge par Mme Ashworth, et moins le paiement de 103 904 $ fait par Mme Ashworth sur la marge de crédit à la demande de M. Ashworth.

Signé à Ottawa, Canada, le 19 avril 2018.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 76

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-3909(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MARILYN ANN ASHWORTH c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

London (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 novembre 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me David J. Thompson

Avocats de l’intimée :

Me Tanis Halpape

Me Kiel Walker

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me David J. Thompson

 

Cabinet :

David J. Thompson Professional Corporation

London (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Vice-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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