Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2014-2846(GST)I

ENTRE :

PAUL HARVEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 25 et 26 septembre 2017,
à Chicoutimi (Québec).

Devant : L'honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Éric Le Bel

Avocat de l'intimée :

Me Bobbie Dion

 

JUGEMENT

  L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 28 avril 2014 et porte le numéro F‑052004, est accueilli, sans dépens, et le tout est renvoyé au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en fonction de la conclusion de la Cour que l’immeuble en question avait une juste valeur marchande de 271 000 $ au moment de la date de référence, selon les motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 2018.

« Guy Smith »

Juge Smith

 


Référence : 2018 CCI 67

Date : 20180409

Dossier : 2014-2846(GST)I

ENTRE :

PAUL HARVEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

I. Sommaire

[1]  Paul Harvey, l’appelant dans cette instance, interjette appel d’une cotisation établie par le Ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C., 1985, ch. E-15.

[2]  La disposition législative en question est une mesure de recouvrement qui permet au ministre de cotiser une personne lorsque celle‑ci reçoit un bien d’un débiteur fiscal avec qui elle a un lien de dépendance, en échange d’une contrepartie insuffisante, c’est‑à‑dire pour moins que la juste valeur marchande (la « JVM ») du bien au moment du transfert.

[3]  L’appelant a acquis une propriété située au 45, rue Whistler, à Saint‑David‑de‑Falardeau, au Québec (« l’immeuble ») le 19 avril 2012 (la « date de référence »), de monsieur Frédéric Girard, qui était alors le conjoint de sa fille. Au moment de la cession, monsieur Girard était endetté envers le ministre pour la somme de 163 806,23 $.

[4]  L’appelant ne remet pas en cause la présence d’un transfert, d’une contrepartie, d’un lien de dépendance ou d’une dette fiscale sous‑jacente et donc la question en litige porte uniquement sur la JVM de la contrepartie.

[5]  Bien que la valeur de la contrepartie au moment de la cession fût de 220 000 $, l’appelant prétend pour les fins de ce litige, que la JVM de l’immeuble était réellement 207 000 $. Le ministre pour sa part, maintient qu’elle était de 271 000 $, soit un écart de 64 000 $.

II. Le témoignage de l’appelant

[6]  Il y avait trois témoins, dont l’appelant, qui a été cité à comparaître par l’intimée.

[7]  Il y avait aussi deux témoins experts, dont monsieur Jean‑Michel Tremblay, évaluateur agréé pour le compte de l’appelant et madame Julie Gauvin‑Lamontagne, évaluateur agréé, pour le compte de l’intimée.

[8]  Les deux témoins experts ont procédé à une évaluation de l’immeuble selon la méthode du coût et celle de la parité. Je vais d’abord revoir le témoignage de l’appelant et par la suite, sous la prochaine rubrique, revoir le témoignage des témoins experts.

[9]  L’appelant a tenté d’expliquer les circonstances entourant l’achat de l’immeuble en disant qu’il cherchait une maison secondaire pour sa retraite. Il s’intéressait au secteur du Valinouët, un centre du ski alpin, ou il avait des amis. Il estimait de plus que sa fille et ses petits‑enfants continueraient de s’en servir pour faire du ski et ils ont d’ailleurs continué de fréquenter les lieux après la cession, accompagnés de monsieur Girard.

[10]  L’appelant voulait louer le sous‑sol qui, selon lui, était seulement terminé à 40‑50% au moment de la prise de possession. De plus, il y avait plusieurs vices de structures et des lacunes au niveau de la disposition des pièces.

[11]  Selon les fiches de ventes déposées en preuve par l’intimée, l’immeuble avait été mis en vente à trois reprises avant la date de référence, soit en 2008 au prix de 235 000 $, en 2009 au prix de 225 000 $ et finalement en 2010 au prix de et 279 000 $, alors que le garage attaché n’était pas encore construit. Selon la fiche de 2009, le sous‑sol était complètement aménagé en loyer tandis que celle de 2010 indiquait qu’il était « partiellement aménagé, complet ».

[12]  Lors du contre‑interrogatoire, l’appelant a indiqué qu’il n’avait pas participé à la préparation de ces fiches et n’en avait pas pris connaissance. Selon lui, le sous‑sol n’était pas aménagé en 2009, contrairement à ce qui y était indiqué.

[13]  L’appelant a ajouté qu’au début 2017, il a contesté le nouveau rôle d’évaluation pour s’assurer que le calcul des taxes foncières soit basé sur la réelle valeur de l’immeuble. Il a utilisé le rapport d’évaluation de monsieur Tremblay (daté du 11 avril 2016) et suite à cette demande, la valeur inscrite au rôle est passée de 337 600 $ à 235 300 $.

[14]  Dans la mesure où la crédibilité de l’appelant est pertinente à la détermination de le JVM de l’immeuble, je vais dire que j’entretiens un certain doute quant à l’ensemble de son témoignage. En particulier, je doute qu’il cherchait réellement une maison secondaire pour sa retraite et je conclu qu’il s’agissait plutôt d’un accommodement pour le débiteur fiscal, conjoint de sa fille et de ses petits‑enfants. Il me semble que cette conclusion est plutôt évidente étant donné qu’ils ont continué de fréquenter les lieux après la date de la cession.

[15]  De plus, nonobstant sa description des travaux non‑complétés et des nombreux vices de structures, l’appelant n’a offert que très peu de détails quant à sa démarche pour établir un prix d’achat qui reflèterait réellement la JVM de l’immeuble. Il me semble invraisemblable qu’il a accepté de conclure la transaction sans prendre connaissance des fiches de vente et de leur contenu.

[16]  Il me semble aussi peu probable qu’il avait réellement l’intention de louer le sous-sol puisqu’il ne l’avait pas encore fait au moment de l’audience, soit plus de cinq ans après la date de clôture. Il en va de même pour la demande d’ajustement des taxes foncières. Bien que compréhensible, le long délai entre cette démarche et la date de la cession, laisse planer le doute et suggère que la demande a tout simplement été fait en vue du présent litige. Conséquemment, j’accorde très peu de poids à sa description des lieux, notamment à la condition du sous‑sol au moment de la date de référence.

[17]  Eu égard à ce qui précède, la Cour doit s’en remettre aux témoignages des experts.

III. Analyse

[18]  Dans ce litige, la Cour doit déterminer la valeur de l’immeuble à la date de référence dans des circonstances où les deux témoins experts sont en désaccord sur plusieurs éléments essentiels dont l’état des lieux au moment de la cession, la valeur des ajustements, la méthode de réconciliation et la valeur attribuable aux travaux à effectuer.

[19]  Bien que les deux experts aient complété une évaluation de l’immeuble selon la méthode du coût et celle de la parité, ils s’entendaient pour dire que la méthode de la parité était la meilleure façon d’évaluer la JVM.

[20]  En effet, les deux experts ont recensé plusieurs propriétés semblables à l’immeuble qui permettent de faire des comparaisons. Lorsque de telles données sur le marché sont disponibles, la méthode du coût n’est pas une technique fiable pour déterminer la juste valeur marchande : Qureshi c. La Reine, 2006 CCI 485, par. 6 (procédure informelle) (« Qureshi »). De plus, l’immeuble n’est pas une construction neuve qui justifierait l’utilisation de la méthode du coût : 9103‑9438 Québec Inc. c. La Reine, 2004 CAF 158, par. 33 (procédure informelle) (« 9103‑9438 Québec Inc. »).

[21]  Je vais donc m’attarder à la méthode de parité pour les fins de cette analyse.

[22]  Notons d’abord que la Cour est libre d’accepter, en totalité ou en partie, les opinions des experts à propos de la JVM de l’immeuble ou d’en estimer la valeur elle-même compte tenu de la preuve acceptable : Petro‑Canada c. Canada, 2004 CAF 158, par. 48.

[23]  Dans Pinelli c. La Reine (1998) A.C.I. no 583 (QL), par. 19 (procédure informelle), le juge McArthur a expliqué que la Cour pouvait déterminer elle-même la JVM, malgré qu’elle ne puisse se contenter d’adopter une valeur qui serait un simple compromis :

Pour en arriver à une valeur, je fais mienne la déclaration maintes fois citée du juge Walsh dans l'arrêt Succession de feu Bibby c. La Reine, C.F., 1re inst., no T-358782, 17 mars 1983, à la page 19 (83 D.T.C. 5148 : à la page 5157), où l'on peut lire ce qui suit :

Bien qu'il ait été souvent jugé qu'un tribunal ne devait pas, après avoir étudié tous les témoignages d'expert et autres preuves, se contenter d'adopter un chiffre qui soit un compromis entre les chiffres proposés par les parties au procès, il a aussi été dit que le tribunal pouvait, lorsqu'il ne jugeait pas la preuve d'un expert totalement satisfaisante ou concluante et les ventes comparables particulièrement valables, se faire sa propre opinion sur l'évaluation à condition que toute la preuve contradictoire soit toujours étudiée de façon soigneuse. Le chiffre auquel le tribunal parvient ne doit pas nécessairement être celui qu'a suggéré l'expert ni celui que les parties souhaitent voir adopter.

[Mon soulignement.]

i. Le choix des comparables

[24]  Lorsqu’il est question de définir l’expression « juste valeur marchande », les tribunaux reprennent généralement la définition du juge Cattanach exprimée dans la décision Henderson c. Minister of National Revenue (1973), 73 D.T.C. 547 (Fed T.D.), p. 5476, dont l’extrait a été traduit et repris dans la décision Qureshi, supra :

La Loi ne donne aucune définition de l'expression « juste valeur marchande »; celle-ci a été définie de diverses façons, généralement selon ce qu'avait à l'esprit la personne cherchant à formuler la définition. Je ne crois pas nécessaire d'essayer de donner une définition précise de cette expression telle qu'employée dans la Loi; il suffit, me semble-t-il, de dire qu'il y a lieu de donner à ces mots leur sens ordinaire. Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d'un bien peut raisonnablement s'attendre à tirer s'il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n'étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d'acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n'ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d'acheter ou de vendre. J'ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l'expression « juste valeur marchande » comprend ce que j'estime être l'élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix établi par le jeu de la loi de l'offre et de la demande entre des acheteurs et de vendeurs avertis et désireux d'acheter et de vendre. On voit que la définition donnée de l'expression « juste valeur marchande » est également applicable à l'expression « valeur marchande ». D'ailleurs, il n'est pas sûr que l'emploi du mot « juste » ajoute quoi que ce soit aux mots « valeur marchande ».

[Mon soulignement.]

[25]  La détermination de la JVM pour un expert n’est pas science exacte et « les règles de l’art font une place considérable aux appréciations subjectives des experts » : Beaudry c. La Reine, 2003 CCI 464, par. 16. Cette prémisse est d’autant plus vraie pour la méthode de parité où les experts exercent largement leur discrétion, notamment dans le choix des comparables et dans l’évaluation des ajustements. D’ailleurs, plusieurs décisions font état des faiblesses de la méthode de parité en raison de la difficulté de trouver des ventes vraiment comparables : 9103‑9438 Québec Inc., supra.

[26]  C’est pour cette raison que la qualité d’un comparable se juge par le peu d’ajustements nécessaires aux fins de la comparaison : Cliche c. La Reine, 2005 CCI 622, par. 45, 46 et 65. Cette proposition semble assez fondamentale, car l’objectif ultime de la méthode de parité vise à trouver des ventes qui se rapprochent le plus de la propriété sous étude. Les deux experts conviennent d’ailleurs qu’un comparable devient aléatoire lorsque les ajustements sont trop importants.

[27]  En l’espèce, les rapports entre la valeur absolue des ajustements sur le prix de vente des comparables choisies par les deux experts sont les suivants (les ventes choisies à l’étape de la réconciliation sont marqués d’un « C ») :

Adresse civique

Les ventes comparables de monsieur Tremblay

Les ventes comparables de Madame Gauvin‑ Lamontagne

54-56, rue Davos

43% C

-

37 rue Whistler

54% C

64%

155 rue Banff

49% C

60%

41 rue Whistler

58% C

-

132 rue Chamonix

41%

-

107 rue Tremblant

46% C

-

13 rue Whistler

51%

43%

12 rue Whistler

41% C

-

20, rue Sestrières

29%

18% C

112 rue Courmayeur

62%

-

247 rue Banff

-

43%

15 rue de Courcheval

-

33%

Moyenne

47%

44%

[28]  Dans son rapport d’examen et lors de son témoignage, monsieur Tremblay a critiqué le choix des comparables de madame Gauvin‑Lamontagne en raison des ajustements de grande envergure. Pourtant, il a choisi des propriétés nécessitant en moyenne des ajustements considérablement plus élevés. À mon avis, cette critique de monsieur Tremblay mine grandement sa crédibilité en tant qu’expert, d’autant plus qu’il a considéré ces propriétés à l’étape de la réconciliation.

[29]  Effectivement, lors de sa réconciliation, monsieur Tremblay a calculé la JVM selon une moyenne de plusieurs de ses comparables, tandis que madame Gauvin‑Lamontagne a exercé son jugement pour fonder son évaluation sur son meilleur comparable. En effet, selon le Traité de l’évaluation foncière de monsieur Jean‑Guy Desjardins (Montréal, Wilson & Lafleur, 1992, p. 522), il faut éviter de faire appel à une formule mécanique quantitative à cette étape, car la réconciliation requiert le jugement et l’analyse de l’évaluateur.

[30]  De plus, je considère que le choix des comparables de madame Gauvin‑Lamontagne est supérieur à ceux de monsieur Tremblay. En effet, il semble s’être basé en grande partie sur la catégorie de finition des propriétés dans le choix de ses comparables, tandis que madame Gauvin‑Lamontagne s’est fondée sur les types de résidences : unifamiliale, duplex, copropriété, avec ou sans sous-sol.

[31]  Ainsi, je partage l’opinion de madame Gauvin‑Lamontagne voulant qu’il soit plus judicieux de sélectionner des ventes de propriété de même type et de faire des ajustements par la suite. Monsieur Tremblay a admis lui-même qu’il est plus complexe d’attribuer une valeur à une caractéristique structurelle différente qu’à une question de finition extérieure ou intérieure. Malgré cette difficulté, monsieur Tremblay a sélectionné quatre propriétés (37 rue Whistler, 155 rue Banff, 132 rue Chamonix, 107 rue Tremblant) avec une dalle ou un vide sanitaire, c’est‑à‑dire sans sous‑sol, dont trois ont été considérées à l’étape de la réconciliation. Il a aussi inclus un duplex. Dans son rapport d’examen, madame Gauvin‑Lamontagne a aussi fait la démonstration que son homologue a sous‑estimé les ajustements attribuables aux caractéristiques structurelles de l’immeuble.

[32]  Bref, je suis d’avis que le choix de madame Gauvin‑Lamontagne de fonder son évaluation sur la vente de la propriété située au 20 rue Sestrières était justifié car il s’agit de celle qui a nécessité le moins d’ajustement tant par elle que par monsieur Tremblay. Je suis d’avis qu’elle n’a pas commis d’erreur dans les ajustements relatifs à cette propriété.

ii. L’aménagement du sous‑sol

[33]  L’aménagement du sous-sol de l’immeuble a donné lieu à de nombreux ajustements par les deux témoins experts. Les deux se sont fiés aux informations transmises par monsieur Harvey qui était le seul témoin à avoir vu le sous-sol à la date de référence.

[34]  Tel qu’indiqué ci-haut, monsieur Harvey a dit qu’au moment de la transaction, le sous‑sol était fini à 40‑50% et la salle de bain était vide avec les conduits prêts à recevoir et les escaliers étaient formés de planches de deux par huit. Je note cependant, qu’il n’a pas émis de commentaires sur le revêtement du plancher du sous‑sol.

[35]  Mais madame Gauvin‑Lamontagne a aussi consulté les fiches de ventes qui indiquaient que la superficie du plancher du sous-sol était couverte par des céramiques. Selon elle, un sous-sol est fini lorsqu’il y a une finition aux murs et aux plafonds. Elle a donc conclu que le sous-sol de l’immeuble était aménagé à 85 %.

[36]  À la lumière de la preuve présentée, je suis d’avis que le sous-sol à la date de référence, était aménagé à 85%. Selon le rapport de mise à jour de monsieur Tremblay, il y avait au moins du gypse aux murs et aux plafonds, ce qui remplit les exigences d’un sous-sol « fini ». Il n’y a eu aucune indication que l’état du plancher du sous-sol ait été modifié entre la mise en vente en 2010 et la date de référence.

[37]  Bref, je suis d’avis que la démarche de madame Gauvin‑Lamontagne était appropriée. Un ajustement selon la valeur contributive du sous-sol, plutôt que le coût, est aussi adéquat dans le cas de la JVM d’un immeuble puisqu’il faut évaluer les attributs d’une propriété selon la valeur qu’accorderait un acheteur potentiel.

iii. L’évaluation des meubles

[38]  Les deux experts ne s’entendaient pas sur les ajustements relatifs aux meubles des comparables. L’immeuble en question a été vendu sans meubles, tandis que tous les comparables choisis par les deux experts ont été vendus meublés.

[39]  Monsieur Tremblay a expliqué qu’il a évalué la valeur des meubles de plusieurs transactions selon leur coût à neuf déprécié en fonction des meubles énumérés dans les fiches de ventes et de la superficie aménagée des différents comparables. Il demeure incertain s’il a véritablement appelé les acheteurs pour déterminer la valeur des meubles.

[40]  Madame Gauvin‑Lamontagne a quant à elle tenté de contacter tous les acquéreurs de ses propriétés comparables. À l’audience, l’intimée a déposé en preuve l’acte de vente de la propriété située au 247 rue Banff qui contenait une répartition du prix de vente selon les biens vendus. Les parties à cette transaction ont fixé le prix de vente des mobiliers à 3 200 $ pour une demeure ayant une superficie habitable de 1 818 pieds carrés.

[41]  Je suis d’avis que cette transaction est représentative de la valeur réel des meubles usagés lors de la vente d’une propriété. Effectivement, je suis d’avis qu’il s’agit d’un fait notoire qu’un meuble perd énormément de sa valeur peu de temps après son achat. Puis, dans un contexte d’un achat de plusieurs meubles usagés dans une résidence, il est évident que l’impossibilité pour l’acheteur de choisir ses meubles à la pièce fait baisser le prix pour un lot de meubles usagés.

[42]  Concernant la vente du 20 rue Sestrières, monsieur Tremblay a jugé qu’un montant de 5 000 $ pour tous les meubles était nettement sous-évalué. Il a expliqué cet écart par le fait que madame Gauvin‑Lamontagne a seulement considéré les électroménagers alors qu’il a inclus l’ensemble des meubles, dont les électroménagers et un spa, conformément à l’acte de vente. Madame Gauvin‑Lamontagne s’est quant à elle fiée aux informations recueillies auprès de l’acheteur. Bref, il aurait été utile pour la Cour de prendre connaissance de cet acte de vente, mais malheureusement, il n’a pas été produit à l’audience.

[43]  En résumé, la démarche de madame Gauvin‑Lamontagne pour effectuer les ajustements relativement aux meubles est beaucoup plus appropriée et les valeurs retenues sont plus vraisemblables. Les résultats invariables de 15 000 $ de monsieur Tremblay pour plusieurs propriétés ayant des superficies habitables différentes soulèvent encore un doute quant à la rigueur de son travail alors qu’il a effectué son évaluation en fonction desdites superficies.

iv. Les travaux intérieurs et extérieurs

[44]  Les deux experts ont remarqué la nécessité de travaux de rénovation pour le maintien de la valeur de l’immeuble due à des vices de construction et des défauts de finition. Monsieur Tremblay a sollicité une soumission d’un entrepreneur pour corriger le plancher du rez-de-chaussée, peinturer le clabord extérieur, réparer l’escalier et installer un échangeur d’air. L’entrepreneur Louis Sénéchal de la société Methodex a soumissionné pour un montant de 27 945 $ plus taxes en date du 31 mars 2016.

[45]  Monsieur Tremblay considérait qu’environ 10 600 $ des travaux intérieurs et 8 500 $ des travaux extérieurs aurait un impact sur la valeur de l’immeuble, tandis que madame Gauvin‑Lamontagne, à la suite de corrections et d’ajouts de certains travaux, estimait qu’un montant de 13 000 $ était attribuable à la valeur de l’immeuble.

[46]  Je note que l’entrepreneur en question avait préalablement préparé une soumission en date du 11 juin 2014 et que c’est à la demande de madame Gauvin‑Lamontagne qu’il a revu et corrigé cette soumission. Cependant, elle a souligné que la nouvelle soumission contenait encore plusieurs erreurs, notamment dans le calcul des superficies, la durée anticipée des travaux et conséquemment les coûts.

[47]  En bref, j’estime que le travail de madame Gauvin‑Lamontagne était plus rigoureux, crédible et précis, car elle a remis en cause les mesures contenues dans la soumission. Elle a spécifiquement exclu les éléments de la soumission n’affectant pas la valeur de l’immeuble et a ajouté certains travaux nécessaires, tandis que monsieur Tremblay s’est fondé sur les données erronées de la soumission.

[48]  En raison des nombreuses erreurs dans la soumission, je suis d’avis que les correctifs apportés par madame Gauvin‑Lamontagne sont justifiés. Je conviens toutefois qu’elle aurait dû ajouter des frais d’administration, et le montant de 2 000 $ qu’elle a admis à l’audience m’apparait raisonnable.

v. La correction de l’évaluation foncière

[49]  Tel qu’indiqué ci-haut, monsieur Harvey a expliqué qu’il avait contesté le nouveau rôle d’évaluation dans le but de payer des taxes foncières sur ce qu’il estimait être la réelle valeur de l’immeuble. Il a utilisé le rapport d’évaluation daté du 11 avril 2016 pour demander la correction à la municipalité.

[50]  Concernant la valeur de l’évaluation municipale, dans la décision Beaudry c. La Reine, 2003 CCI 464, par. 48, (« Beaudry »), le juge Tardif a tenu ces propos :

Le Tribunal tient également compte de l'évaluation municipale qui certes ne constitue pas une référence d'une fiabilité absolue, mais essentiellement une donnée pouvant avoir une certaine valeur. Il peut y avoir des particularités qui échappent aux responsables du rôle d'évaluation municipale.

[51]  Dans la décision K. M. Construction et Rénovation Inc. c, La Reine, 2015 CCI 206, par. 29 (procédure informelle) (« K.M. Construction »), la juge en chef adjointe Lamarre a recensé certaines décisions traitant de la valeur de l’évaluation municipale et a souligné que l’évaluation municipale ne reflète généralement pas la JVM d’un bien dans un marché libre et en pleine concurrence.

[52]  Lors de sa plaidoirie, le procureur de l’appelant a argumenté qu’une contestation réussie de l’évaluation municipale suggère que cette évaluation était exagérée au départ. Son argument est fondé sur le passage suivant de l’affaire K.M Construction interprétant la décision dans l’affaire Beaudry :

Le fait de ne pas contester l'évaluation municipale a aussi été considéré comme laissant croire que le montant établi selon l'évaluation municipale n'était pas exagéré (Beaudry, précité, paragraphe 49).

[53]  Monsieur Harvey a expliqué à l’audience qu’il avait soumis le rapport d’évaluation daté du 11 avril 2016 pour convaincre la municipalité de corriger l’évaluation foncière. Je ne vois pas en quoi l’évaluation municipale peut apporter de nouveau au débat lorsque Cour a eu l’occasion d’examiner ce rapport en profondeur et je note par ailleurs, que dans l’affaire Beaudry, l’expert de l’intimée s’était essentiellement fondé sur l’évaluation municipale tandis que dans cette instance, madame Gauvin‑Lamontagne a fait sa propre évaluation selon les règles de l’art en la matière.

IV. Conclusion

[54]  Après avoir soigneusement étudié la preuve, je suis d’avis que la démarche suivie de madame Gauvin‑Lamontagne dans la détermination de la JVM était appropriée et conduit à une évaluation exacte de l’immeuble.

[55]  En somme, j’estime que son expertise représente fidèlement la JVM à la date de référence et que son lien d’emploi avec Revenu Québec ne la disqualifie pas en soi comme témoin expert : WBLI c. Abbot and Haliburton, 2015 CSC 23, par. 49.

[56]  Elle était donc fondée à établir la JVM à 312 000 $ selon la méthode de parité et, tenant compte des vices de construction de 26 000 $, admis de part et d’autre, de la valeur contributive des travaux de 13 000 $ et des frais d’administration de 2 000 $, de conclure que la JVM de l’immeuble à la date de référence, était de 271 000 $.

[57]  Conséquemment, l’appel est accueilli, sans dépens, et la Cour ordonne que le tout soit renvoyé au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en fonction de sa conclusion que l’immeuble en question avait une juste valeur marchande de 271 000 $ au moment de la date de référence.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 2018.

« Guy Smith »

Juge Smith

 


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 67

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-2846(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PAUL HARVEY c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

les 25 et 26 septembre 2017

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

le 9 avril 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Éric Le Bel

Avocat de l'intimée :

Me Bobbie Dion

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Éric Le Bel

Cabinet :

Fradette, Gagnon, Têtu, Le Bel, Potvin

Chicoutimi, Québec

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.