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Dossier : 2014-4391(GST)G

ENTRE :

ROBERT TOZER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appel entendu le 13 avril et le 12 mai 2017 à Montréal (Québec).

Devant l’honorable juge Guy R. Smith




MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

I. Aperçu

[1] Robert Tozer porte en appel les avis de cotisation établis par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la « LTA ») à l’égard de sa responsabilité en tant qu’administrateur d’Atcon Construction Inc. (« Atcon ») et de 058545 N.B. (« NB Inc. »).

[2] L’avis de cotisation en date du 7 novembre 2014 imposait à l’appelant des intérêts et pénalités de 270 378 $ pour le mois de mars 2009 pour la TPS nette non payée d’Atcon. L’avis de cotisation en date du 7 mars 2013 imposait à l’appelant des intérêts et pénalités de 240 093 $ pour les mois d’avril, mai et juin 2009 pour la TPS nette non payée de NB Inc. (anciennement connue sous le nom d’Envirem Technologies Inc.).

[3] L’appelant affirme qu’il ne peut être tenu responsable parce que les cotisations sont prescrites en vertu du paragraphe 323(5) de la LTA, car elles ont été établies plus de deux ans après qu’il ait cessé d’être administrateur des deux entreprises et, subsidiairement, qu’il n’est pas responsable, car il a agi avec le niveau de soin, de diligence et de compétence prévu au paragraphe 323(3) de la LTA.

II. Les faits à l’origine du litige

A. Historique du Groupe Atcon

[4] L’appelant a témoigné lors de l’audience, mais il n’a appelé aucun autre témoin. En 1978, il a établi le groupe d’entreprises Atcon (« Groupe Atcon ») à Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Cette petite entreprise, qui construisait des fondations en ciment pour maisons, a connu des débuts modestes. Elle comptait, au début, deux employés.

[5] Mais le Groupe Atcon a vite pris de l’expansion et au milieu des années 2000, il comptait plus de 2 000 employés et des ventes annuelles d’environ 255 millions de dollars. Il comptait quatre secteurs d’activité : les services de construction, les services de fabrication industrielle, les services de gestion environnementale des déchets et la production et vente de contreplaqué. Les services de construction représentaient son activité de base et près de 80 % des recettes du groupe. Il exerçait ses activités au Canada, en particulier dans les régions éloignées et industrielles. Il était aussi propriétaire d’usines de contreplaqué au Nouveau-Brunswick et en Suède.

[6] Atcon et NB Inc. représentaient les entreprises exploitantes du Groupe Atcon. Le premier offrait des services de construction et le second, des services de gestion environnementale des déchets.

[7] Malheureusement, en raison de l’effondrement du marché immobilier nord‑américain et de la crise financière mondiale qui ont suivi en 2008 et 2009, le Groupe Atcon a connu d’importants problèmes de flux de trésorerie. En mars 2010, les deux entreprises ont fait cession de leurs biens.

B. Rôle de l’appelant au Groupe Atcon

[8] L’appelant possède un diplôme d’études secondaires. Avant d’établir le Groupe Atcon, il était travailleur de la construction et charpentier. Pendant les périodes visées, il était le seul administrateur de chaque entreprise, ainsi que le président et directeur général (« PDG »).

[9] Pendant les années menant à la crise immobilière et financière, le rôle principal de l’appelant était la recherche de clients. Il était sur la route de 175 à 200 jours par année à visiter des clients potentiels et des clients actuels pour aborder leurs préoccupations concernant des projets en cours. L’appelant se décrivait comme étant un [traduction] « travailleur solo » pour ce qui est du marketing du Groupe Atcon et de ses services.

[10] L’appelant se fiait au chef de l’exploitation et à la directrice financière (« DF ») du Groupe Atcon pour s’occuper de la gestion quotidienne des entreprises du groupe. Le chef de l’exploitation et la DF travaillaient au siège social du Groupe Atcon, à Miramichi. L’appelant a indiqué que la DF, Katrina Donovan, était chargée de l’observance fiscale globale. Une équipe de six à huit comptables appuyait Mme Donovan dans son rôle.

C. Début des difficultés financières du Groupe Atcon

[11] L’appelant a témoigné que le Groupe Atcon a éprouvé des problèmes de flux de trésorerie pour la première fois à la fin de 2008 et que ces problèmes ont empiré de façon « agressive » en 2009.

[12] Au début de 2008, l’entreprise de contreplaqué du Groupe Atcon a perdu sa rentabilité en raison de l’effondrement du marché de l’immobilier en Europe et en Amérique du Nord. Cela n’était pas un problème insurmontable, car l’entreprise de contreplaqué ne représentait qu’une petite partie de ses activités. Toutefois, vers la fin de 2008, le groupe a commencé à éprouver de graves problèmes de trésorerie en raison de la perspective défavorable pour ses activités de base : la prestation de services de construction. Même si l’entreprise de construction est demeurée stable tout au long de 2008, car elle avait un arriéré de projets, le groupe n’a pas été en mesure d’obtenir de nouveaux contrats pour 2009. L’appelant a attribué cette situation à une baisse soudaine du prix du pétrole (d’un sommet d’environ 147 $ US en juillet 2008 à un minimum de 34 $ US en janvier 2009) qui a réduit le besoin de ses services, car plusieurs de ses contrats provenaient de compagnies du secteur pétrolier et gazier de l’Alberta.

[13] L’intimée a suggéré à l’appelant que le Groupe Atcon aurait plutôt commencé à éprouver des difficultés financières à la fin de 2007 et a mentionné une ordonnance de mars 2010 de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick (mentionnée en détail plus loin), qui désignait Ernst & Young Inc (« EY ») comme séquestre pour certaines des entreprises du Groupe Atcon. Dans ses motifs pour l’ordonnance, le juge Riordon indiquait que les lettres de défaut du principal créancier du groupe, la Banque de Nouvelle-Écosse (« BNE »), avaient été émises dès le 19 octobre 2007.

[14] L’appelant n’est pas d’accord et indique que le juge était dans le tort quant au début des difficultés financières du Groupe Atcon. Il affirme que le groupe n’a éprouvé aucune difficulté de trésorerie avant la fin de 2008. Il est d’avis que la BNE ne se préoccupait pas de la capacité du Groupe Atcon de payer ses prêts avant la fin du deuxième trimestre de 2009. Il affirme, de plus, que’il n’était pas possible que la BNE se soit préoccupée de la position de liquidité du Groupe Atcon en 2007, car elle a augmenté la ligne de crédit du groupe tout au long de cette année et de 2008 et encore, à deux reprises, en 2009.

D. Actions de l’appelant entre le début des difficultés financières du Groupe Atcon et la faillite subséquente

(1) Conduite générale

[15] L’appelant a témoigné que sa première réaction aux défis financiers du Groupe Atcon était d’augmenter ses efforts dans le but d’obtenir plus de contrats. Il a indiqué qu’il a simultanément passé beaucoup de temps à se rendre de projet en projet dans le but de les rendre aussi profitables que possible. Il a témoigné qu’il a consacré peu de temps à la production des rapports financiers du groupe et qu’il se fiait au chef de l’exploitation et à la DF pour gérer ce processus. Même s’il convient qu’il a probablement reçu des rapports financiers internes périodiques de ses subordonnés, il admet ne pas avoir passé beaucoup de temps à les examiner. Il se fiait à la DF et aux comptables du groupe pour s’occuper de ces questions dans le cadre de leurs fonctions d’emploi.

[16] L’appelant a indiqué qu’il a seulement commencé à poser de questions précises au sujet des problèmes de trésorerie du Groupe Atcon qu’au milieu ou vers la fin de 2009. De même, il a témoigné seulement avoir été mis au courant de l’omission d’Atcon et de NB Inc. de payer la TPS en août ou septembre 2009, alors qu’il a correspondu avec l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») et rencontré son représentant pour discuter des sommes non payées.

(2) Activités de financement et de restructuration

[17] L’appelant a été le fer de lance de diverses activités de financement et de restructuration visant à permettre au Groupe Atcon d’améliorer sa liquidité. Pendant la première moitié de 2008, le Groupe Atcon a mis son entreprise de contreplaqué de Suède en vente. Bien qu’il ait reçu une offre, celle-ci a été retirée lors du début de la crise du logement en Europe. L’appelant a témoigné que le Groupe Atcon se fiait à la conclusion de cette transaction lorsqu’il a commencé à éprouver des problèmes de trésorerie à la fin de 2008. Lorsque la transaction s’est effondrée, il a dû contracter des prêts à intérêt élevé.

[18] Le Groupe Atcon a emprunté environ 40 millions de dollars de McKenna Gale Capital (« McKenna ») et Roynat Capital (« Roynat »), filiale en propriété exclusive de BNE, mais les modalités du prêt stipulaient que le taux d’intérêt pourrait augmenter jusqu’à 20 % au cours des six mois suivants. BNE a continué de fournir les lignes de crédit d’exploitation.

[19] Vers le début de 2009, le Groupe Atcon était arrivé au point où il avait besoin d’aide financière supplémentaire pour poursuivre ses activités, en particulier en raison des paiements d’intérêts onéreux dus à McKenna et Roynat.

[20] Comme un nombre très élevé des employés du Groupe Atcon venaient du Nouveau-Brunswick, l’appelant a engagé des discussions avec la province du Nouveau-Brunswick dans le but d’obtenir un soutien financier. Ces discussions ont porté des fruits et le 30 juin 2009, le Groupe Atcon a obtenu une garantie de prêt de 50 millions de dollars et conclu une entente de refinancement avec BNE.

[21] Ce nouvel accord de crédit a augmenté la ligne de crédit disponible d’Atcon auprès de BNE et lui a accordé quatre prêts à terme supplémentaires totalisant 50 millions de dollars. L’appelant a dirigé le groupe à se servir de ces fonds pour rembourser les prêts à intérêt élevé de McKenna et Roynat. Lorsque les fonds furent complètement remboursés. Il restait au Groupe Atcon environ 4 millions de dollars dont on prévoyait se servir comme fonds de roulement.

[22] En juillet 2009, BNE a retenu les services d’EY comme consultant pour examiner les données financières du Groupe Atcon et évaluer sa capacité de continuer à titre d’entreprise en exploitation. Pour ce faire, EY a travaillé au siège social du Groupe Atcon, à Miramichi, tout au long de juillet et août 2009. L’appelant a indiqué que pendant ce temps, les représentants d’EY lui indiquaient que l’examen était destiné à aider l’entreprise à relever ses défis financiers.

[23] Un plan de restructuration a été finalisé autour du 11 septembre 2009 (le « plan no 1 »). Sa raison d’être était d’aider le Groupe Atcon à relever ses défis financiers en se recentrant sur ses activités de base, soit la prestation de services de construction et de fabrication industrielle, et en vendant l’entreprise connexe. Il prévoyait aussi la distribution d’une partie du produit de la vente à l’ARC afin d’acquitter une partie de la dette fiscale en souffrance.

[24] En septembre 2009, le Groupe Atcon a conclu une entente d’abstention avec BNE (une copie n’était pas disponible lors de l’audience) qui accorderait au groupe l’occasion de mettre le plan no 1 en œuvre. Aux modalités de cette entente, la banque s’engageait à n’entreprendre aucune mesure d’exécution contre le Groupe Atcon pour les sommes dues jusqu’après le 31 janvier 2010.

[25] Il n’est pas entièrement clair qui a préparé le plan no 1. Lors du procès, l’appelant a témoigné qu’il s’agissait d’un document interne préparé par le chef de l’exploitation et la DF en juin 2009 et non à la demande d’un créancier. Cependant, dans un affidavit en date du 12 mars 2010 et accompagnant une demande en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »), il indiquait que le plan avait été élaboré par EY, au nom de BNE, et présenté pour l’acceptation du Groupe Atcon. De plus, les représentations faites à l’ARC à l’époque suggéraient que EY avait participé de façon active à l’élaboration du plan no 1.

[26] Quoi qu’il en soit, dans le cadre de la mise en œuvre du plan no 1, des démarches ont été entreprises, en septembre 2009, pour établir un comité consultatif (le « Comité consultatif »), comme l’avait demandé la province du Nouveau-Brunswick. EY et le Comité consultatif devaient superviser la mise en œuvre du plan no 1 par l’appelant et le Groupe Atcon. Deuxièmement, BNE et le Groupe Atcon ont convenu d’une modification à l’accord de crédit du 30 juin 2009 selon laquelle la banque fournirait un prêt à terme supplémentaire de 9,4 millions de dollars pour faciliter l’exécution du plan no 1 par le Groupe Atcon.

[27] En octobre 2009, BNE a demandé au Groupe Atcon de signer une entente de surveillance. L’appelant a témoigné qu’aux modalités de cette entente, son pouvoir de prise de décision en tant qu’administrateur était très limité. Par exemple, il ne pouvait pas autoriser de débours de plus de 10 000 $ ou présenter de soumission sans l’approbation préalable d’EY. Il n’était pas heureux de cette perte de contrôle, mais n’a pas contesté l’entente, car il ne croyait pas pouvoir faire quoi que ce soit. L’appelant ne se rappelle pas qui a signé l’entente de surveillance au nom du groupe et l’entente elle-même n’a pas été produite comme preuve.

[28] L’appelant a témoigné qu’après la signature de l’entente de surveillance, EY a mis à pied ou lui a dit de mettre à pied certains employés, y compris le chef de l’exploitation. EY lui a aussi demandé de vendre certains biens clés pendant une période qu’il considérait comme étant inopportune, ce qui a mené à des produits inférieurs à ce qu’on aurait autrement pu obtenir. Enfin, l’appelant a indiqué qu’EY était insensible à ses suggestions de vendre l’équipement lourd. L’appelant maintient que si EY lui avait accordé permission de façon opportune, les produits de ces ventes auraient été suffisants pour permettre au Groupe Atcon de rembourser ses diverses dettes. Il a dit ne pas pouvoir indiquer au Groupe Atcon de refuser d’obtempérer aux demandes d’EY pendant ce temps, car le groupe dépendait des prêts de BNE pour poursuivre ses opérations.

[29] Vers la fin de décembre 2009, l’appelant s’est rendu à l’évidence que le plan no 1 ne porterait pas de fruit. Dans le but de maintenir le soutien financier, un deuxième plan de restructuration (« plan no 2 ») a été préparé et présenté à BNE et à la province du Nouveau-Brunswick pour approbation. Tout comme pour le plan no 1, l’appelant a présenté des éléments de preuve quelque peu contradictoires sur l’origine de ce plan révisé. Il a témoigné que le Comité consultatif avait préparé le plan no 2. Cependant, dans l’affidavit du 12 mars 2010 mentionné plus tôt, il a indiqué que le Groupe Atcon avait préparé le plan no 2 sous la direction du Comité consultatif. Au bout du compte, le plan révisé a été approuvé par BNE et la province.

(3) Interactions avec l’ARC

[30] Au moyen de lettres en date du 3 septembre 2008 et adressées à l’appelant, l’ARC a indiqué que certaines compagnies du Groupe Atcon, y compris Atcon et NB Inc., affichaient des soldes impayés au titre de l’impôt des sociétés, des retenues à la source des employés et/ou de la TPS. En particulier, la lettre concernant Atcon indiquait que la compagnie devait 751 425 $ en TPS non payée. La lettre concernant NB Inc. indiquait que la compagnie devait un arriéré d’impôts et de retenues à la source non versés de 26 713 $ et 19 074 $, respectivement. Elle ne mentionnait toutefois pas de somme de TPS non payée.

[31] Les lettres du 3 septembre 2008 indiquaient aussi que l’ARC étudiait la possibilité de cotiser l’appelant personnellement pour ces soldes en raison de son statut d’administrateur. Elles étaient adressées et ont été envoyées au siège social du Groupe Atcon. De plus, elles précisaient que les soldes impayés avaient déjà été portés à l’attention de l’appelant, mais qu’aucune mesure n’avait été prise depuis ce temps. Par conséquent, elles avertissaient l’appelant que toute omission de répondre pourrait donner lieu à l’établissement d’une cotisation personnelle contre lui sans autre préavis.

[32] L’appelant a témoigné qu’il se fiait à Mme Donovan, en tant que DF, pour l’aviser de toute dette que ne pouvait acquitter le Groupe Atcon et que si la DF ne l’avisait pas de ces questions, les dettes avaient vraisemblablement été payées. Il a nié avoir personnellement reçu la lettre du 3 septembre 2008 ou ne se rappelle que Mme Donovan les [sic] ait portées à son attention.

[33] Le 3 juillet 2009, Heather Smith, agente de recouvrement de l’ARC, a été désignée pour recouvrer les sommes non payées des compagnies du Groupe Atcon. Ces sommes comprenaient la TPS non payée d’Atcon et NB Inc. Elle a témoigné que selon son examen des dossiers des compagnies à l’époque, Atcon et NB Inc. avaient toutes deux des soldes impayés au titre de l’impôt des sociétés, des retenues à la source et de la TPS. En outre, les deux entreprises avaient tendance à produire des déclarations de TPS avec soldes débiteurs, mais sans payer les sommes dues, puis d’attendre d’appliquer les crédits de taxe sur les intrants aux sommes dues pour le cycle mensuel suivant. Par exemple, M. Smith a témoigné que pour Atcon, d’avril 2008 à 2009, le solde de TPS impayé pour la compagnie vacillait sans cesse et à un moment donné était descendu à zéro. Cependant, ces fluctuations étaient dues à des déclarations à solde créditeur, non pas à des paiements réels effectués par la compagnie.

[34] Mme Smith a témoigné que peu de temps après qu’on lui ait attribué les dossiers du Groupe Atcon, son bureau a reçu une télécopie de Mme Donovan demandant d’engager une discussion pour établir une entente de paiements pour la dette fiscale du Groupe Atcon. Le 19 août 2009, Mme Donovan et M. George Kinsmen d’EU ont rencontré Mme Smith et son équipe afin de discuter de la façon dont le Groupe Atcon s’acquitterait de ses dettes fiscales. Mme Smith a été informée que M. Kinsmen représentait BNE pour aider le groupe à élaborer et mettre en œuvre un plan de restructuration pour faire en sorte que tous les créanciers soient payés, y compris l’ARC. L’appelant n’a pas assisté à cette réunion. Le plan de restructuration mentionné lors de cette réunion est éventuellement devenu le plan no 1.

[35] Au moyen d’une lettre de suivi adressée à Mme Donovan et en date du 26 août 2009, Mme Smith a indiqué que l’ARC n’était pas disposée à accepter les modalités de remboursement proposées, car elle ne disposait pas d’une représentation claire des flux de trésorerie prévus du Groupe Atcon. De plus, Mme Smith avait indiqué que l’ARC se préoccupait de sa priorité par rapport aux autres créanciers.

[36] Les 17 et 30 septembre et le 26 novembre 2009, l’appelant a participé à de nouvelles discussions avec Mme Smith concernant le paiement des dettes fiscales du Groupe Atcon. Lors de ces réunions, l’appelant a informé l’ARC qu’il tentait d’obtenir des fonds pour faire les paiements, y compris une somme non réglée d’un important client et des montants découlant d’une réclamation d’assurance. Encore une fois, les parties ne se sont pas entendues pour une entente de paiements, car on n’avait toujours pas réglé les enjeux recensés dans la lettre de Mme Smith du 26 août 2009.

[37] Le 1er décembre 2009, BNE a émis une [traduction] « lettre de réconfort » où elle confirmait qu’elle permettrait au Groupe Atcon de distribuer certains des produits de la vente de ses actifs à l’ARC, conformément au plan no 1. Au moyen d’une lettre en date du 9 décembre 2009 et adressée à l’appelant, l’ARC indiquait au Groupe Atcon qu’elle s’attendait à ce qu’il lui fasse certains paiements en conformité au plan no 1. Ces paiements prendraient la forme d’une série de paiements fixes se terminant par une dernière échéance plus importante de 1,1 million de dollars, en plus d’une partie du produit de la vente des entreprises et des actifs non de base du Groupe Atcon. Par sa lettre du 9 décembre 2009, l’ARC ne faisait que reconnaître l’existence du plan no 1 et indiquer qu’elle en comprenait les modalités, mais elle ne constituait pas, selon Mme Smith, l’acceptation de cette entente de paiements.

[38] Entre le 16 décembre 2009 et le 1er mars 2010, l’appelant a correspondu de façon régulière avec Mme Smith et lui a fourni des renseignements sur ce qu’il faisait pour financer les paiements fixes à l’ARC. L’éventuelle responsabilité de l’appelant, à titre d’administrateur, pour les dettes fiscales du Groupe Atcon lui a été répétée pendant cette correspondance. L’intention de l’ARC d’enregistrer des jugements contre le Groupe Atcon, à laquelle l’appelant s’opposait fermement, a aussi fait l’objet de la correspondance.

[39] Mme Smith a témoigné qu’on ne lui avait jamais dit, à partir du moment où on lui a demandé de recouvrer des sommes du Groupe Atcon, que les paiements à l’ARC devaient être approuvés au préalable par EY. Elle a indiqué que dès qu’elle discutait de paiements éventuels avec le Groupe Atcon, c’était avec une combinaison quelconque de l’appelant, de la DF ou d’EY. Cependant elle n’en a jamais discuté avec EY seulement. On ne lui a jamais dit que l’appelant ou le groupe n’étaient pas libres de faire les paiements, même si elle a admis ne jamais avoir demandé si l’appelant avait le contrôle financier du Groupe Atcon. Elle a tenu pour acquis qu’il l’était, à titre d’administrateur.

[40] En fin de compte, le Groupe Atcon a effectué tous les paiements fixes qu’il s’était engagé à faire (sauf pour un manque à gagner de 400 000 $ dans la dernière échéance plus importante) et l’ARC a reçu un total de 2,7 millions de dollars.

E. Faillite du Groupe Atcon

[41] Le 25 février 2010, BNE a demandé à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick de rendre une ordonnance nommant EY comme séquestre et séquestre-gérant pour l’ensemble des biens réels et personnels des diverses compagnies Atcon (à l’exception d’Atcon et de NB Inc.), en vertu de l’article 243 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la « LFI »). Des instances parallèles avaient aussi été entreprises par BNE pour porter Atcon et NB Inc. sous le coup de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36, telle que modifiée (« LACC »).

[42] Le 1er mars 2010, le juge Riordon a rendu une décision (la « décision rendue à l’audience ») concernant l’ordonnance du 2 mars 2010. Par conséquent, une ordonnance de mise sous séquestre (l’« ordonnance de mise sous séquestre ») confirmant la nomination d’EY à titre de séquestre et séquestre-gérant a été prises ce jour. Il a aussi signé une ordonnance accordant à Atcon et NB Inc. la protection de la LACC.

[43] L’appelant a témoigné que peu de temps après la nomination d’EY, on lui a refusé l’accès au siège social de Miramichi et à partir de ce point, il ne pouvait le faire que sur invitation du séquestre, comme lorsqu’EY lui a demandé de l’aide avec des créances.

[44] Le 12 mars 2010, l’appelant a signé un affidavit appuyant une requête visant à accorder au Groupe Atcon la protection de la LACC et à nommer BDO Canada Limited comme contrôleur. Le 30 mars 2010, le juge Riordon a signé une ordonnance visant notamment à incorporer Atcon et NB Inc. à l’ordonnance de mise sous séquestre du 2 mars 2010, mais ce faisant, il a rejeté la requête de l’appelant. Le 23 avril 2010, le juge Riordon a signé une ordonnance selon laquelle le séquestre était autorisé et a reçu instruction de se mettre en faillite, conformément à la LFI, au nom d’Atcon et de NB Inc.

[45] Kevin Jensen, agent des cas complexes de l’unité d’insolvabilité de la direction des recouvrements de l’ARC, a témoigné que les dossiers du Groupe Atcon lui avaient été attribués le ou autour du 1er mars 2010 et que la participation de Mme Smith avait pris fin à ce moment. M. Jensen a confirmé le témoignage de l’appelant selon lequel il l’a aidé à recouvrer des sommes importantes dues au Groupe Atcon pour s’acquitter de ses dettes fiscales. Il a indiqué que le 26 mars 2010, l’appelant avait communiqué avec lui pour lui fournir des renseignements sur une créance potentielle d’un client important. L’ARC a pu recouvrer 2 millions de dollars à l’aide de cette information. Mais les sommes recouvrées n’ont pas été appliquées à la TPS non versée due par Atcon et NB Inc. pour les périodes visées.

F. Cotisations du ministre

[46] Le 9 juillet 2009, le ministre a établi une cotisation à l’égard d’Atcon pour la TPS non versée pour le mois de mars 2009. Comme on l’a déjà mentionné, le 7 novembre 2014 le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelant pour la TPS nette non versée d’Atcon pour le montant dû ce mois-là.

[47] De même, les 9 et 12 juillet et le 22 septembre 2009, le ministre a établi des cotisations à l’égard de NB Inc. (ou l’entreprise prédécesseure) pour la TPS non versée pour les mois d’avril, mai et juin 2009, respectivement, et une cotisation a été établie à l’égard de l’appelant pour la somme due le 7 mars 2013.

[48] L’interrogatoire préalable de M. Jensen a été versé au dossier lors du procès dans le but d’expliquer les fondements des cotisations du ministre à l’égard de l’appelant. M. Jensen a expliqué que l’appelant était personnellement responsable de la TPS nette non versée d’Atcon et de NB Inc. pour les mois mentionnés ci‑dessus, car il était administrateur des compagnies pendant ces périodes et que les moyens de défense de prescription et de diligence raisonnable ne s’appliquaient pas.

[49] M. Jensen a indiqué que le ministre était d’avis que l’appelant avait perdu contrôle d’Atcon et de NB Inc. le 2 mars 2010, lorsque le juge Riordon avait émis des ordonnances mettant ces deux compagnies et le Groupe Atcon sous séquestre. Par conséquent, même si l’appelant est demeuré administrateur, le ministre a accepté la position de l’appelant selon laquelle il ne devrait pas être tenu responsable des cotisations de dettes fiscales établies à l’égard des compagnies après le 2 mars 2010.

[50] Comme on l’a noté précédemment, les avis de cotisation du ministre à l’égard d’Atcon et de NB Inc. ont été émis en 2009, avant la date de faillite. Comme ces cotisations ont été établies avant le 2 mars 2010, le ministre maintient que l’appelant demeurait personnellement responsable pour la TPS nette non versée décrite dans les présentes.

III. Discussion

[51] L’article 323 de la LTA prévoit ce qui suit :

323(1) Responsabilité des administrateurs – Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

[…]

(3) Diligence – L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente
dans les mêmes circonstances
.

[…]

(5) Prescription – L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

[Non souligné dans l’original.]

a) Moyen de défense de prescription

[52] L’appelant affirme qu’il ne devrait pas être tenu personnellement responsable pour la TPS non versée en vertu du paragraphe 323(5), car il a cessé d’être administrateur le 2 mars 2010 en raison de l’ordonnance rendue à cette date. Il maintient qu’il n’avait plus contrôle des activités de l’une ou l’autre des entreprises. Même s’il avait toujours le titre [traduction] d’« administrateur », il n’exerçait plus cette fonction aux fins du droit des sociétés ou du droit fiscal.

[53] Pour étayer sa position, l’appelant invoque les motifs exposés oralement à l’aide desquels la Cour avait expliqué que : [traduction] « [l]’effet d’une ordonnance de mise en séquestre est de supplanter ceux qui auraient le contrôle légal si un séquestre n’avait pas été nommé, comme les administrateurs d’une société ou toute autre personne ayant le contrôle légal de cette entreprise. »

[54] L’appelant mentionne aussi l’ordonnance du 2 mars 2010 qui confirmait EY à titre de séquestre et lui conférait les pouvoirs que seuls les administrateurs exercent normalement, selon le droit des sociétés, y compris [traduction] « de prendre possession et contrôle des actifs de toute entreprise touchée du Groupe Atcon et des produits, reçus et débours découlant de ces actifs ».

[55] L’appelant reconnaît que l’ordonnance du 2 mars 2010 a été rendue dans le contexte d’une procédure des lois en matière d’insolvabilité, mais il maintient néanmoins que notre Cour commettrait une erreur de droit si elle ignorait l’ordonnance et n’y donnait pas effet. En fin de compte, l’appelant affirme que l’ordonnance avait comme effet pratique de le [traduction] « congédier » en tant qu’administrateur dès le 2 mars 2010.

[56] L’appelant maintient que cette conclusion est conforme à la position du ministre de ne pas établir de cotisation à son égard pour la TPS nette non versée exigible d’Atcon et de NB Inc. pour les périodes prenant fin après les périodes faisant l’objet de l’appel. En particulier, il invoque la preuve de M. Jensen selon laquelle le ministre considérait que l’appelant avait perdu le contrôle financier des entreprises le 2 mars 2010, lorsqu’elles avaient été mises sous séquestre.

[57] En fin de compte, l’appelant est d’avis que le juge Riordon avait le pouvoir, en vertu de la LFI et de sa compétence inhérente en tant que juge d’une cour supérieure provinciale, de le destituer de sa charge d’administrateur. Comme elle n’a pas été portée en appel, l’ordonnance du 2 mars 2010 est finale et exécutoire pour toutes les parties. L’appelant invoque en particulier deux instances de rectification pour étayer cette position.

[58] Dans l’affaire précédente de Dale c. Canada, [1997] 3 C.F. 235 (CAF) (« Dale »), une société avait omis de produire des lettres patentes supplémentaires autorisant l’émission d’actions privilégiées dans le contexte d’un transfert en franchise d’impôt prévu à l’article 85, donnant lieu à des conséquences fiscales inattendues. L’actionnaire a demandé et obtenu un ordre rectificatif de la cour supérieure provinciale. Dans le cadre de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, le juge Robertson (s’exprimant au nom de la majorité) indiquait (aux pages 14 et 15) que « la Cour de l’impôt et la Cour sont tenues de donner effet aux ordonnances rendues par les cours supérieures provinciales », car une ordonnance « rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée. »

[59] Dans Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., [2013] 3 R.C.S. 838 (« AES »), les actionnaires avaient déposé une demande de rectification devant la cour supérieure provinciale à la suite d’une réorganisation d’entreprise ayant donné lieu à des conséquences fiscales inattendues. La Cour d’appel du Québec avait accordé la demande en concluant qu’elle était autorisée à corriger les écarts entre les intentions communes des parties et l’intention déclarée dans les documents. La Cour suprême du Canada a confirmé cette décision en indiquant (au paragr. 43) que pour déterminer la validité d’une nouvelle cotisation, la Cour canadienne de l’impôt doit « évaluer les conséquences des jugements rendus par les cours civiles au sujet des opérations à l’origine des avis de cotisation. »

[60] Pour l’essentiel, l’appelant invoque Dale et AES pour appuyer la proposition selon laquelle si une cour supérieure rend une ordonnance qui destitue un administrateur de ses fonctions et que cette ordonnance n’est pas portée en appel, elle est exécutoire pour le ministre aux fins du paragraphe 323(5) de la LTA.

[61] La question dont est saisie notre Cour est celle de savoir si l’ordonnance du 2 mars 2010 a en effet destitué l’appelant de son poste d’administrateur des entreprises visées à cette date. L’intimée affirme que ce n’est pas le cas et invoque plusieurs décisions.

[62] Il semble qu’un certain nombre de décisions précédentes de notre Cour, y compris plusieurs mentionnées dans la décision de Bonch c. Canada, [2003] G.S.T.C. 11, avaient en effet adopté la position qu’aux fins de la prescription de deux ans (prévue à l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont le libellé est semblable), il n’était pas nécessaire qu’un administrateur démissionne ou se conforme aux dispositions de la loi sur les compagnies applicable, car l’objectif de la prescription était « de permettre aux administrateurs de ne pas être exposés pendant une période indéterminée aux procédures en recouvrement » (paragr. 5) et qu’une telle interprétation rigide risquerait « d’ôter toute signification au délai de prescription applicable » (paragr. 7). Toutefois, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale [2002] A.C.I. no 687 (QL) et la Cour a conclu qu' un administrateur de jure ne cessait d'être administrateur que le jour où il avait rempli les conditions pour ce faire, établies par la Loi régissant la constitution de la compagnie pour qui il est administrateur.

[63] La Cour d’appel fédérale avait déjà rendu la décision Kalef c. Canada, [1996] 2 C.T.C. 1, invoquée par l’intimée, qui avait examiné la responsabilité d’un administrateur dans le contexte de la faillite de l’entreprise. La Cour avait conclu qu’il n’est pas nécessaire qu’une personne puisse exercer le pouvoir d’un administrateur ou un contrôle direct sur la société pour être un administrateur. Dans cette instance, la Cour avait noté que l’administrateur n’avait pas démissionné conformément aux dispositions de la loi sur les compagnies applicable et que :

15. […] Bien qu’il puisse être loisible au législateur fédéral de s’écarter expressément des principes du droit des compagnies pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, je ne crois pas que l’on doive lui imputer une telle intention. Compte tenu du silence de la Loi de l’impôt sur le revenu, je crois qu’il convient de se guider sur la loi sur les compagnies applicable […]. Un administrateur ne peut pas et ne devrait pas bénéficier des avantages de la constitution en personne morale […] sans accepter aussi les responsabilités que cette loi lui impose […]

[Non souligné dans l’original.]

[64] Dans la décision suivante de Butterfield c. Canada, [2010] G.S.T.C. 185, la Cour d’appel fédérale a mentionné « le principe établi selon lequel la faillite ne met pas fin à l’exercice de la charge d’administrateur » (au paragr. 4) et rejeté l’argument d’un administrateur selon lequel il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé lorsque les syndics l’avaient empêché d’exercer les fonctions d’un administrateur. Un certain nombre de décisions récentes de notre Cour ont adopté cette position, y compris Sud c. La Reine, 2017 CCI 106 (au paragr. 48) et Grant c. La Reine, 2017 CCI 121 (aux paragraphes 22 à 24).

[65] Atcon et NB Inc. étaient constituées en personnes morales aux termes de la Loi sur les corporations commerciales du Nouveau-Brunswick, LN-B 1981, ch. B‑9.1 (« LCCNB »). Le paragraphe 66(1) prévoit ce qui suit :

66(1) Le mandat d’un administrateur prend fin en raison :

a) de son décès ou de sa démission;

b) de sa révocation aux termes de l’article 67; ou

c) de la survenance de son inhabilité à l’exercer, aux termes du paragraphe 63(1).

66(2) Une démission d’un administrateur prend effet à la date de son envoi par écrit à la corporation ou à la date qui est indiquée dans la démission, selon la dernière éventualité.

[66] L’article 67 stipule que les actionnaires peuvent démettre un administrateur de ses fonctions de façon générale à l’aide d’une résolution ordinaire et le paragraphe 63(1) rend inaptes certaines personnes, comme les personnes qui ont le statut de failli, n’ont pas dix-neuf ans révolus, sont faibles d’esprit ou ont été déclarés coupables d’une infraction criminelle impliquant une fraude. Rien n’indique que l’appelant répondait à l’une ou l’autre de ces exigences.

[67] L’appelant peut-il invoquer AES et Dale pour arguer que même s’il n’avait pas démissionné conformément aux exigences de la LCCNB, l’ordonnance du 2 mars 2010 lie effectivement le ministre pour ce qui est de la période de prescription de deux ans?

[68] J’ai conclu que cet argument doit être rejeté. Comme l’a reconnu l’appelant, l’ordonnance du 2 mars 2010 a été rendue dans le contexte d’une procédure d’insolvabilité sous le régime de la LFI. Elle doit donc être considérée dans ce contexte. La LCCNB contient des dispositions législatives parallèles, notamment à la partie VII, intitulée « Séquestres et séquestres-gérants ». Elle comprend la disposition suivante :

54. Si un séquestre-gérant est nommé par la Cour (...), les pouvoirs des administrateurs de la corporation que le séquestre-gérant est autorisé à exercer ne peuvent plus être exercés par les administrateurs tant que le séquestre-gérant n’a pas été libéré.

[Non souligné dans l’original.]

[69] En d’autres termes, même si le paragraphe 60(1) de la LCCNB stipule que « […] un ou plusieurs administrateurs gèrent l’activité et les affaires internes de la corporation », ces pouvoirs sont déplacés et ne peuvent être exercés par les administrateurs tant que le séquestre ou le séquestre-gérant n’a pas été libéré. L’article 59 stipule ensuite que dès qu’il s’est acquitté de ses fonctions, le séquestre-gérant doit « envoyer un exemplaire du rapport final à chacun des administrateurs de la corporation », ce qui appuie clairement la notion selon laquelle les administrateurs qui n’ont pas effectivement démissionné continuent d’exercer leur charge aux fins du droit provincial, en dépit de l’ordonnance judiciaire nommant EY séquestre-gérant.

[70] Je suis d’avis que les motifs rendus à l’audience du juge Riordan et l’ordonnance du 2 mars 2010 ne contiennent rien qui indiquerait le contraire. Pour ces motifs et conformément aux pouvoirs précités, je conclus que l’appelant n’a pas cessé d’être administrateur de jure (MacDonald c. La Reine, 2014 CCI 308, au paragr. 30) et à ce titre, il ne peut invoquer le paragraphe 323(5) de la LTA.

b) Moyen de défense de diligence raisonnable

[71] Subsidiairement, l’argument de l’appelant est qu’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir l’omission de verser la TPS des sociétés que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[72] L’appelant mentionne les récentes décisions de la Cour d’appel fédérale dans La Reine c. Buckingham, 2011 CAF 142 (« Buckingham ») et Balthazard c. Canada, 2011 CAF 331 (« Balthazard »). Dans Balthazard, le juge Mainville a résumé la question comme suit (paragr. 32) :

32. […]

a. La norme de soin, de diligence et de compétence exigée au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 461. Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d’une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci. Une norme objective ne signifie toutefois pas que les circonstances propres à un administrateur ne doivent pas être prises en compte. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ».

b. L’examen de la conduite de l’administrateur aux fins de cette norme objective commence lorsqu’il devient évident pour l’administrateur, agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et la compétence qui sont requises, que la société entame une période de difficultés financières.

c. Une société qui fait face à des difficultés financières pourrait se hasarder à réaffecter les versements dus à la Couronne afin de payer d’autres créanciers et ainsi assurer la poursuite de ses activités. C’est précisément une telle conjoncture que l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise vise à éviter. Le moyen de défense prévu au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ne doit pas servir à encourager de tels défauts de versement en permettant aux administrateurs d’invoquer une défense de soin, de diligence et de compétence lorsqu’ils financent les activités de leur société à l’aide de remises dues à la Couronne, en espérant ou non remédier plus tard à ces défauts.

d. Puisque la responsabilité des administrateurs à ces égards n’est pas absolue, il est possible qu’une société puisse ne pas effectuer des remises à la Couronne sans que la responsabilité solidaire des administrateurs soit engagée.

e. Ce qui est requis des administrateurs, c’est qu’ils démontrent qu’ils se sont effectivement préoccupés des versements fiscaux et qu’ils se sont acquittés de leur obligation de soin, de diligence et de compétence afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants en cause.

(i) Obligation de loyauté c. moyen de défense de diligence raisonnable

[73] L’appelant invoque le paragraphe 38a) de Balthazard, précité, et souligne le fait que même si la norme de soin attendue d’un administrateur est une « norme objective », la Cour d’appel fédérale a précisé que « les circonstances propres à un administrateur » ne doivent pas être ignorées et doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ».

[74] L’appelant mentionne ensuite l’obligation de loyauté de l’administrateur et son obligation de soin sous le droit des sociétés pour arguer que la responsabilité de l’administrateur au titre de l’impôt devrait être appliquée en harmonie avec sa responsabilité aux fins du droit des sociétés (BP Canada Energy Company c. Canada (ministre du Revenu national), 2017 CAF 61, aux paragraphes 96 et 97). Par conséquent, en l’espèce, il ne suffit pas de déterminer si l’appelant s’est acquitté de son obligation de diligence pour empêcher Atcon et NB Inc. d’omettre de verser la TPS nette pour déterminer si le moyen de défense de diligence raisonnable s’applique.

[75] People Department Stores Inc. (Syndic de) c Wise, 2005 CSC 68, (2004) 3 R.C.S. 461 (« Peoples »), était une affaire de droit des sociétés devant la Cour suprême du Canada portant sur les obligations de loyauté et de diligence d’un administrateur en vertu des alinéas 122(1)a) et b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44, respectivement. L’appelant affirme que la mention de la décision People dans Balthazard reflète l’affirmation implicite de la Cour d’appel fédérale selon laquelle la responsabilité de l’administrateur au titre de l’impôt devrait être appliquée en harmonie avec sa responsabilité au regard du droit des sociétés. Par conséquent, en l’espèce, il ne suffit pas de déterminer si l’appelant s’est acquitté de son obligation de diligence pour empêcher les entreprises visées d’omettre de verser la TPS nette pour déterminer si le moyen de défense de diligence raisonnable s’applique. L’appelant affirme que la Cour doit aussi déterminer si les actions de l’appelant étaient conformes à l’obligation de loyauté en vertu du droit des sociétés, comme on le mentionne dans Peoples, dont il devait s’acquitter au regard d’une vaste gamme d’actionnaires, dont le gouvernement. L’appelant mentionne la disposition suivante de la LCCNB :

79(1) Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir

a) avec intégrité et de bonne foi, et

b) avec soin, diligence et compétence, comme le ferait en pareilles circonstances une personne raisonnablement prudente

au mieux des intérêts de la corporation.

[76] L’appelant affirme avoir satisfait l’obligation de loyauté conformément à la preuve non contestée selon laquelle il a consacré beaucoup de temps et d’effort en vue d’obtenir du travail pour le Groupe Atcon et de lui permettre de poursuivre ses activités.

[77] Dans la même veine, l’appelant indique qu’il ne pourrait pas y avoir d’obligation de diligence sans pouvoir d’agir susceptible de satisfaire cette obligation. Par conséquent, la Cour doit tenir compte du fait qu’il avait très peu de pouvoir de gestion des affaires financières du Groupe Atcon dès lors qu’EY a été nommé. Il affirme que sa participation active aux discussions avec l’ARC, à compter d’août 2009, sur les dettes fiscales du groupe et ses efforts pour aider l’ARC à obtenir des paiements du Groupe Atcon, même après qu’on lui ait refusé l’accès aux bureaux du groupe, étaient conformes à la conclusion selon laquelle il s’était acquitté de son obligation de diligence.

[78] L’intimée argue que la Cour ne devrait pas se fier aux principes du droit des sociétés pour appliquer le moyen de défense de diligence raisonnable. Elle note que dans Buckingham, la Cour d’appel fédérale avait clairement conclu que l’obligation de diligence contemplée au paragraphe 323(3) est une obligation de diligence spécifique due au ministre par un administrateur pour prévenir l’omission de la société de payer ses taxes; il ne s’agit pas d’une obligation de diligence générale sans bénéficiaire précis.

[79] L’affaire Buckingham a spécifiquement examiné cette question et le juge Mainville a écrit ce qui suit :

[30] La jurisprudence n’a pas été constante ces dernières années sur la question de savoir si la norme objective de soin, de diligence et d’habileté énoncée par la Cour suprême du Canada dans Magasin à rayons Peoples au regard de l’alinéa 122(1)b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C‑44 (LCSA), pouvait s’appliquer au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise dont les libellés sont presque identiques dans leurs versions anglaises et similaires dans leurs versions françaises : Bruno Hartrell c. Sa Majesté la Reine, précité, au paragraphe 12; comparer Higgins c. Canada, précité, aux paragraphes 6 à 11, avec Liddle c. La Reine, 2009 CCI 451 (CanLII), 2009 D.T.C. 1296, aux paragraphes 33 à 35. L’alinéa 122(1)b) de la LCSA est rédigé comme suit :

122. (1) Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir :

122. (1) Every director and officer of a corporation in exercising their powers and discharging their duties shall

b) avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente.

(b) exercise the care, diligence and skill that a reasonably prudent person would exercise in comparable circumstances.

[31] Bien qu’elles soient similaires, les dispositions de l’alinéa 122(1)b) de la LCSA et des paragraphes 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise ont des objets foncièrement différents. Les objets différents visés par ces diverses dispositions doivent avoir une incidence sur la norme de soin, de diligence et d’habileté applicable dans chaque cas.

[32] L’énoncé de l’obligation de soin à l’alinéa 122(1)b) de la LCSA ne précise pas une partie identifiable qui serait le bénéficiaire de l’obligation : Magasins à rayons Peoples au paragraphe 57. Par conséquent, l’identité des bénéficiaires de l’obligation de diligence visée à l’alinéa 122(1)b) de la LCSA n’est pas assujettie à une restriction et comprend tous les créanciers. Cette disposition énonce une norme de conduite à laquelle on peut raisonnablement s’attendre, elle, mais ne peut servir de fondement indépendant à un recours : BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, [2008] 3 R.C.S. 560, au paragraphe 44.

[33] En revanche, le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoient expressément que les administrateurs « sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités [se] rapportant » aux versements que la société est tenue d’effectuer. Le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 323(3) de la Loi sur la Taxe d’accise ne prévoient pas une obligation générale de diligence, mais plutôt un moyen de défense visant la responsabilité précise prévue aux paragraphes 227.1(1) et 323(1) de ces lois respectives, et il incombe aux administrateurs de démontrer que les conditions requises pour se prévaloir avec succès d’une telle défense sont remplies. L’obligation de diligence prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu vise aussi expressément à empêcher la société de faire défaut de verser des retenues d’impôts précises, notamment les retenues à la source sur les salaires. Le paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise a un objet similaire. Les administrateurs doivent établir qu’ils ont exercé le degré de soin, de diligence et d’habileté requis « pour prévenir le manquement ». L’objet de ces dispositions est clairement de prévenir les défauts de versement.

[Non souligné dans l’original.]

[80] Une analyse textuelle, contextuelle et d’objet conforme aux décisions précitées, notamment au paragraphe 33 ci-dessus, suggère que le moyen de défense de diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(1) cible un bénéficiaire précis et identifiable. À ce titre, il ne doit pas être confondu avec une obligation « ouverte » de loyauté ou de diligence en vertu du droit des sociétés, qui est destiné à une vaste gamme d’intervenants, y compris « des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et [...] l’environnement : BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, (2008) 3 R.C.S. 560, au paragraphe 39.

[81] Je conclus que la décision dans Peoples, invoquée dans la décision Balthazard, ne reflète pas une affirmation implicite de la Cour d’appel fédérale selon laquelle la responsabilité de l’administrateur au titre de l’impôt sur le revenu ou de la TPS devrait être appliquée en harmonie avec sa responsabilité au regard du droit des sociétés. Elle ne fait que stipuler que l’obligation d’un administrateur de faire preuve d’un « degré de soin, de diligence et d’habileté » devrait être évaluée en fonction d’une « norme objective » (Peoples, au paragr. 63). Quoi qu’il en soit, une telle conclusion serait contraire aux éléments du moyen de défense de diligence raisonnable décrits dans Balthazard, notamment aux paragraphes 32 c) et e) (voir aussi Maddin c. La Reine, 2014 CCI 277, au paragraphe 24, et D’Amore c. La Reine, 2012 CCI 373, aux paragraphes 27 et 32.

(ii) Période de difficultés financières?

[82] L’appelant affirme (aux motifs des paragraphes 32b) et c) de Balthazard), que l’évaluation du comportement d’un administrateur au regard du moyen de défense de diligence raisonnable ne doit commencer que lorsque l’administrateur se rend compte, de façon raisonnable, que la société entre dans une période de difficultés financières.

[83] L’appelant affirme que la Cour devrait évaluer son comportement à compter d’août 2009, lorsqu’il a pris connaissance des versements de TPS non payés et qu’il a engagé des discussions avec Mme Smith. Il maintient que 2008 n’aurait pas été le moment approprié pour évaluer son comportement, car il s’agissait d’une « bonne année » pour le Groupe Atcon et l’entreprise ne vivait donc pas de difficultés financières.

[84] L’appelant admet que le Groupe Atcon éprouvait des problèmes de trésorerie à la fin de 2008 et au début de 2009, mais il maintient qu’il s’agissait de problèmes solubles. Pour étayer sa position, il indique que BNE ne se préoccupait pas à outrance de l’endettement en souffrance, qui s’élevait à environ 66 millions à la fin de juin 2009. Dès que la garantie de prêt de 50 millions de dollars de la province du Nouveau-Brunswick fut mise en œuvre, les lignes de crédit de BNE ont été augmentées à plus de 99 millions de dollars.

[85] L’intimée affirme que les périodes pertinentes pour évaluer le comportement de l’appelant sont les mois de mars à juillet 2009 et que pendant ce temps, l’appelant s’employait à chercher des clients et à obtenir un financement et un flux de trésorerie suffisant pour maintenir les activités du Groupe Atcon. Comme rien n’indique qu’on ait pris des démarches positives pour veiller à ce que les entreprises visées fassent des paiements au titre de la TPS, le moyen de défense de diligence raisonnable ne s’applique pas à cette période.

[86] L’intimée conteste aussi l’assertion de l’appelant selon laquelle il n’était pas au courant des lettres de l’ARC commençant en septembre 2008 et indiquant que certaines compagnies du Groupe Atcon, y compris Atcon et NB Inc., n’avaient pas fait de versements au titre de la TPS. Compte tenu des sommes en cause, l’intimée suggère qu’il est invraisemblable que l’appelant n’ait pas été au courant du contenu de ces lettres.

[87] Si le comportement de l’appelant en qualité d’administrateur doit être évalué à partir du moment où il est devenu évident pour lui, « agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et la compétence », que la société entamait « une période de difficultés financières », la question qui se pose à la Cour est celle de savoir à quel point cette période a-t-elle commencé.

[88] D’une part, il est difficile de concilier le fait qu’on ait contracté des prêts intérêt élevé auprès de McKenna et Roynat à la fin de 2008 à la position de l’appelant selon laquelle le Groupe Atcon n’éprouvait pas de difficultés financières ou tout au moins de graves problèmes de trésorerie à ce moment. Toutefois, si on considère le tout de façon objective, il n’est pas impossible que l’appelant considérait ces prêts comme des mesures temporaires pour appuyer l’expansion rapide de ses activités d’affaires. Aucun relevé de gains n’a été présenté à la Cour, mais si on examine les avis de cotisation mensuels d’Atcon au titre de la TPS (qui figurent dans le cahier de preuve documentaire de l’appelant), il est évident que pour la période de mars 2008 à mars 2009, Atcon a déclaré des [traduction] « Ventes et autres recettes » d’environ 250 millions de dollars, soit une moyenne de 21 millions de dollars par mois. Il y a ensuite eu une chute soudaine à 2,2 millions de dollars en avril, puis à 5,9 millions de dollars en mai 2009; aucune donnée n’est fournie pour juin 2009.

[89] Pour ces raisons, la Cour accepte le témoignage de l’appelant et conclut que les difficultés financières ne lui étaient pas évidentes en 2008. Cela étant dit, la Cour doit tout de même déterminer à quel point, « agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et la compétence raisonnables », l’appelant aurait dû conclure que les entreprises entraient dans une période de difficultés financières en 2009.

[90] Dans Thistle c. Canada, 2015 CCI 149, (« Thistle »), le juge Owen a conclu que dans les faits, un administrateur n’avait aucune raison de croire que la société éprouvait des difficultés financières ou qu’elle était en retard dans ses versements avant de recevoir un appel de l’ARC (paragr. 98). Il a proposé la question suivante comme suit :

[99] La question à laquelle il faut encore toutefois répondre est celle de savoir si, avant l’appel téléphonique de l’ARC entre la mi‑février et la fin de février 2011, l’appelant aurait dû savoir qu’Enterprises connaissait des difficultés financières et qu’elle avait omis d’effectuer les versements de retenues salariales et de TPS/TVH dès mars 2010. Compte tenu de la norme exposée au paragraphe 46 de l’arrêt Buckingham, précité, de la Cour d’appel fédérale, il y a maintenant lieu de rechercher si la personne hypothétique, agissant raisonnablement et avec soin, diligence et habileté, aurait su qu’Enterprises commençait à éprouver des difficultés financières si elle avait été en présence de circonstances comparables à celles dans lesquelles se trouvait l’appelant. Il ne s’agit pas de poser la question de savoir si l’appelant faisait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de la possibilité qu’Enterprises éprouve des difficultés, mais plutôt de poser la question de savoir si une personne raisonnable, se trouvant dans des circonstances comparables, aurait soupçonné qu’Enterprises connaissait des difficultés financières ou omettait d’effectuer les versements requis.

[Non souligné dans l’original.]

[91] En l’espèce, je conclus qu’une « personne raisonnablement prudente, agissant raisonnablement et avec soin, diligence et compétence », se trouvant dans des circonstances comparables, aurait réalisé qu’Atcon et NB Inc. éprouvaient de graves difficultés financières au plus tard à la fin d’avril 2009. Je tire cette conclusion en fonction de l’analyse suivante :

1. Les prêts à intérêts élevés auprès de McKenna et Roynat devaient être remplacés dès que possible, compte tenu des termes qui comprenaient une augmentation à 20 % par année après 6 mois;

2. Les lignes de crédit existantes auprès de BNE se trouvaient régulièrement à leur limite supérieure et la banque n’était pas disposée à accorder au Groupe Atcon un financement supplémentaire;

3. Des discussions avec la province du Nouveau-Brunswick en étaient à leurs débuts et il n’était pas certain que celle-ci accepterait d’offrir une garantie;

4. La baisse abrupte des revenus bruts d’Atcon à 2,2 millions de dollars en avril 2009, comparativement à une moyenne d’environ 21 millions de dollars par mois au cours des 12 mois précédents;

[92] Les parties n’ont pas présenté de preuve quant à l’état de l’économie canadienne, mais je prends connaissance d’office du fait que la crise financière mondiale a atteint son apogée en mars 2009. Il est impossible que l’appelant n’ait pas été pleinement conscient de cette conjoncture, car elle coïncidait avec la chute périlleuse des recettes brutes d’Atcon, fait qui aurait été clair et évident à l’appelant à la fin d’avril ou peu de temps après.

[93] Eu égard à l’ensemble des circonstances précitées, je conclus que l’appelant aurait su qu’Atcon et NB Inc. éprouvaient de graves problèmes financiers au plus tard le 30 avril 2009 et que par conséquent, eu égard au moyen de défense de la diligence raisonnable, son comportement devrait être examiné à partir de ce point.

(iii) Mesures préventives

[94] Le témoignage de l’appelant est qu’il avait demandé à son personnel comptable, notamment sa DF, Mme Donovan (et ses six à huit comptables agréés) d’assurer le paiement des retenues à la source et des versements de TPS et qu’autant qu’il sache, cela avait été fait, nonobstant les retards signalés par Mme Smith, l’agente de recouvrement de l’ARC à qui le dossier avait été confié en juillet 2009.

[95] Dans la mesure où il y avait des retards au titre de la TPS en 2008, comme l’a témoigné Mme Smith, ces sommes ont été acquittées au complet, quoiqu’en retard, et l’appelant n’avait pas de dettes à ce titre.

[96] La preuve de l’appelant est qu’il se fiait à Mme Donovan pour traiter les versements mensuels de TPS, selon le besoin, et qu’il lui avait demandé de l’aviser en cas de difficultés. Il maintient que même les lettres de l’ARC adressées à lui personnellement lui rappelant sa responsabilité, à titre d’administrateur, pour la TPS non payée, n’ont pas été portées à son attention. Il n’a aucun souvenir d’avoir reçu ou examiné ces lettres et il insiste n’avoir été mis au courant des arriérés de TPS qu’en août 2009.

[97] L’intimée affirme que pendant les mois en question, l’appelant avait délégué ses responsabilités de surveillance à Mme Donovan et n’a pas porté attention aux versements d’impôts nécessaires. En fait, il a admis avoir reçu des rapports financiers internes de façon périodique sans y porter l’attention nécessaire.

[98] L’intimée reconnaît que les mesures positives relatives au moyen de défense de la diligence raisonnable sont peut-être différentes pour l’administrateur unique d’une petite entreprise et l’administrateur d’une entreprise complexe qui emploie des professionnels hautement qualifiés, comme c’était le cas pour l’appelant. Néanmoins, l’intimée affirme que l’appelant était au moins tenu de consulter Mme Donovan quant à l’état des versements au titre de la TPS.

[99] La question dont est saisie notre Cour est celle de savoir si l’appelant était en droit de déléguer ses tâches de supervision à ses subordonnés, notamment Mme Donovan. L’intimée invoque Kaur c. La Reine, 2013 CCI 227, où le juge Hogan avait conclu qu’un administrateur ayant admis avoir été au courant des difficultés financières d’une entreprise et sachant qu’elle ne serait pas en mesure de s’acquitter de ses obligations de versement de TPS ne pouvait invoquer un moyen de défense de la diligence raisonnable et, notamment, qu’il ne pouvait pas déléguer cette responsabilité à un subordonné :

[18] Ainsi, pour faire valoir avec succès le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, l’administrateur doit démontrer qu’il a pris des mesures concrètes pour prévenir le défaut de la personne morale de verser les sommes en cause. Il ne peut déléguer intégralement cette tâche de surveillance à l’égard de la TPS à un subordonné, comme cela a été fait en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[100] L’appelant invoque l’affaire précitée de Smith c. Canada, 2001 CAF 84 (« Smith »), où le juge Noël (maintenant juge à la Cour fédérale), a examiné le droit d’un administrateur d’invoquer le moyen de défense de la diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la LTA. Il a offert les commentaires suivants (page 5) :

En évaluant objectivement l’aspect raisonnable de la conduite d’un administrateur, il y a lieu de tenir compte de facteurs comme le volume, la nature et la complexité des affaires de la société, ainsi que de ses coutumes et pratiques. Plus une entreprise est importante et complexe, plus il sera raisonnable que les administrateurs se partagent les responsabilités, ou qu’ils délèguent le règlement de certaines questions au personnel de la société et à des conseillers extérieurs auxquels ils accordent leur confiance.

[101] Il n’est pas clair s’il s’agit toujours d’une déclaration exacte du droit, en particulier à la lumière du fait que cette décision, et bien d’autres avant elle, tentait de faire la distinction entre les obligations d’administrateurs actifs et inactifs. Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale dans Sa Majesté la Reine c. Chriss, 2016 CAF 236 (« Chriss »), ces distinctions ne sont plus pertinentes :

[21] Comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Buckingham, des normes plus strictes constituent une mesure incitative qui force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d’administration au moyen de l’établissement de bonnes règles de régie d’entreprise. De telles normes empêchent aussi la nomination d’administrateurs inactifs qui ne remplissent pas leurs obligations d’administrateurs en laissant aux administrateurs actifs le soin de prendre les décisions. Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s’acquitter des devoirs qui s’attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l’exécution de ses obligations en invoquant son inaction.

[Non souligné dans l’original.]

[102] Comme Chriss a établi qu’un administrateur doit « activement s’acquitter » de ses devoirs, il semble suivre logiquement qu’un administrateur ne peut pas simplement déléguer ses devoirs de supervision à un subordonné, du moins pas sans preuve d’un système de gestion établi comprenant, par exemple, la production périodique de rapports. Si un tel système avait été adopté pour prévenir l’omission de la société de faire les versements, l’administrateur pourrait démontrer qu’il ou elle était « effectivement préoccupé[...] des versements fiscaux » (Balthazard, au paragr. 32 e)).

[103] Au bout du compte, je conclus qu’il existe une lacune dans la preuve. Ayant conclu que l’appelant doit avoir su, au plus tard à la fin d’avril 2009, que le Groupe Atcon éprouvait de graves difficultés financières, il lui incombait de convaincre la Cour qu’on avait en effet adopté un système de gestion. Les éléments de preuve présentés à ce sujet étaient intéressés et surtout, non corroborés. Ils ne convainquent aucunement notre Cour que l’appelant se soit « activement acquitté » de ses devoirs ou qu’il ait pris des mesures pour prévenir l’omission d’Atcon et de NB Inc. d’effectuer les versements au titre de la TPS après le 30 avril 2009.

(iv) Mesures correctives

[104] Même si le paragraphe 323(3) mentionne « autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement » [non souligné dans l’original], l’appelant affirme que le moyen de défense de la diligence raisonnable ne se limite pas aux mesures préventives de l’administrateur. Il y a aussi lieu de tenir compte des mesures correctives.

[105] L’appelant mentionne les nombreuses réunions qui ont eu lieu entre Mme Smith, l’agente de recouvrement de l’ARC, et son chef de l’exploitation et sa DF à partir d’août 2009, ainsi que ses propres rencontres avec elle à l’automne 2009. L’appelant maintient que la préparation d’une entente de paiements ayant mené au paiement d’environ 2,7 millions de dollars à l’ARC avant la faillite et ses efforts subséquents à aider M. Jensen dans ses efforts de recouvrement en général (et en particulier le recouvrement d’une somme exigible de 2,0 millions de dollars), suggère qu’il s’est acquitté de son obligation de diligence raisonnable.

[106] L’appelant invoque les paragraphes 41 et 42 de l’arrêt Balthazard, où la Cour d’appel fédérale a noté que l’appelant avait négocié une entente de paiements permettant au ministre d’obtenir le plein paiement des versements de TPS en souffrance et que « [d]ès que les montants sont versés par la société en cause, même tardivement, la responsabilité de l’administrateur cesse à l’égard de ces montants au titre de l’article 323 » (paragr. 42).

[107] L’appelant maintient que ce même raisonnement devrait s’appliquer en l’espèce. Il affirme que même s’il n’avait aucun contrôle financier du Groupe Atcon en raison de la présence d’EY, il a négocié une entente de versements avec le ministre et a aidé le Groupe Atcon à s’acquitter de presque toutes les sommes convenues dans le cadre du plan no 1. Il affirme que ces actions indiquent qu’il se préoccupait activement des versements fiscaux du Groupe Atcon. Qui plus est, il s’agissait de mesures correctives suffisamment importantes pour que la Cour conclue que le moyen de défense de la diligence raisonnable s’appliquait.

[108] En conclusion, l’appelant affirme que si on tient compte de la conjoncture mondiale, ses actions relativement aux dettes de TPS en souffrance d’Atcon et de NB Inc. étaient conformes à celles d’un administrateur raisonnablement prudent et diligent. Par conséquent, il devrait pouvoir invoquer le moyen de défense de la diligence raisonnable.

[109] Dans l’affaire Balthazard, la Cour d’appel fédérale a examiné la preuve et conclu que, selon la preuve au dossier, l’administrateur s’était préoccupé des versements d’impôt et avait pris des « mesures correctives » (paragr. 40). Cependant, ces commentaires portent en particulier sur les versements de TPS découlant d’un recalcul de l’impôt, par les autorités, après la faillite et qui, par conséquent, n’avaient pas été inclus dans les ententes de versements.

[110] La période cruciale en question dans Balthazard, était celle des mois menant à la faillite. Le juge Mainville a noté ce qui suit :

[50] […] Il est donc important pour les administrateurs de prendre rapidement les décisions qui s’imposent s’ils veulent soutenir avec succès une défense de diligence à l’encontre de leur responsabilité solidaire.

[51] Dans ce cas-ci, le délai de près de quatre mois entre la date d’échéance du versement du 30 octobre 2006 et la proposition aux créanciers du 23 février 2007 reste largement inexpliqué. L’appelant a communiqué avec les autorités fiscales autour du 30 octobre 2006 afin de tenter de convenir d’un étalement, mais ces discussions n’ont pas mené à une entente. Au cours des mois de novembre et décembre, l’appelant ne pouvait ignorer la situation très précaire de l’entreprise, et il lui appartenait donc de prendre les mesures appropriées pour limiter les pertes du fisc. Il a effectivement pris les mesures pour qu’une proposition soit faite aux créanciers, mais celle-ci fut seulement soumise à la fin de février 2007. Il y a là manque de diligence au sens du paragraphe 323(3) de la LTA qui ne permet pas à l’appelant d’échapper à sa responsabilité solidaire pour le versement de la taxe nette due le 30 octobre 2006 et visant la période du 1er juillet 2006 au 30 septembre 2006.

[Non souligné dans l’original.]

[111] En l’espèce, il est en effet regrettable que les fonds recueillis et versés à l’ARC en raison des efforts de l’appelant n’aient pas été appliqués aux avis de cotisation faisant l’objet du présent appel. Cependant, tout comme le juge Mainville dans Balthazard, je conclus que l’écart entre la fin d’avril 2009 et la fin d’août 2009 « reste largement inexpliqué ». Comme il faut tenir pour acquis que l’appelant savait que le Groupe Atcon éprouvait de graves difficultés financières à la fin d’avril 2009, les mesures correctives entreprises à l’automne de 2009 et au début de 2010 ne font rien pour le décharger de l’obligation de prendre des mesures préventives dès que ces difficultés financières auraient dû lui être évidentes.

[112] Par conséquent, je suis d’accord avec les observations de l’intimée selon lesquelles il faut se concentrer sur les mesures préventives prises par l’appelant après le 30 avril 2009 et que les mesures correctives prises après août 2009 ne le déchargent pas de ces obligations.

(v) Moyen de défense de la diligence raisonnable / Conclusion

[113] L’arrêt Balthazard établit un cadre juridique pour déterminer les circonstances dans lesquelles un administrateur peut invoquer le moyen de défense de la diligence raisonnable décrite au paragraphe 323(3) et ce faisant, il reconnaît aussi le fait que la responsabilité de l’administrateur pour la TPS « n’est pas absolue » (paragr. 32d)).

[114] La responsabilité d’un administrateur « n’est pas absolue » en ce qu’un tel administrateur peut être déchargé de l’obligation conjointe pour les versements fiscaux non payés en fonction du moyen de défense de la diligence raisonnable. Toutefois, la Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités et au moyen de preuves fortes et crédibles, que des mesures préventives ont été prises pour prévenir le manquement.

[115] Comme on l’a noté au paragraphe 103 ci-dessus, le témoignage de l’appelant concernant cette période critique ne réussit pas à convaincre la Cour que des mesures préventives suffisantes ont été prises. La suggestion selon laquelle il ne savait pas que la TPS n’avait pas été payée jusqu’à un moment donné au mois d’août manque totalement de crédibilité. Même s’il était authentique et généralement crédible, je considère le témoignage de l’appelant était intéressé et parfois vague et incohérent relativement à certaines questions essentielles. En l’absence de preuve corroborante, son témoignage ne peut, à lui seul, l’emporter.

IV. Conclusion

[116] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli et la question est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation aux motifs que l’appelant est responsable pour la TPS nette non versée, les intérêts et les pénalités d’Atcon ou de NB Inc. dues le ou après le 1er mai 2009.

[117] Tout compte fait, j’exerce mon droit de ne pas accorder de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mars 2018.

« Guy Smith »

 


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