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Dossier : 2012-2383(IT)G

ENTRE :

JONATHAN PECK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 26 janvier 2018 à Hamilton (Ontario)

Devant : L’honorable juge John R. Owen

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Craig Burley

Avocate de l’intimée :

Me Dominique Gallant

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009, au moyen d’un avis en date du 8 juillet 2011, est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de mars 2018.

« J.R. Owen »

Le juge Owen

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de février 2019.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 52

Date : 20180312

Dossier : 2012-2383(IT)G

ENTRE :

JONATHAN PECK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Owen

I. Introduction

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté par Jonathan Peck (l’« appelant ») à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour l’année d’imposition 2009 au moyen d’un avis en date du 8 juillet 2011 (la « nouvelle cotisation »).

[2]  En établissant la nouvelle cotisation, le ministre a refusé la perte d’entreprise de 342 682,13 $ (la « perte ») déclarée par l’appelant dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2009 (la « déclaration de revenu ») [1] et a imposé à l’appelant une pénalité de 52 852,98 $ (la « pénalité ») en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

[3]  L’appelant a aussi déposé une « demande de report rétrospectif d’une perte » (la « demande ») afin qu’une somme de 244 137 $ (la « perte autre qu’en capital »), soit le montant obtenu après avoir appliqué la perte de façon à réduire à zéro son revenu de 2009, soit reportée rétrospectivement aux années d’imposition 2008, 2007 et 2006, mais cette demande a été rejetée par le ministre [2] .

[4]  L’appelant était représenté par un avocat et a témoigné pour son propre compte. L’intimée n’a appelé aucun témoin. À la demande des avocats des deux parties, j’ai accepté que l’appelant soit d’abord interrogé par son propre avocat. L’intimée a été la première à présenter son argumentation.

II. Les faits

[5]  L’appelant, âgé de 50 ans, a obtenu son diplôme secondaire et suivi un programme collégial de cinq mois qui lui a permis d’obtenir un certificat de technicien de laboratoire. Il n’a aucune expérience en finance, en comptabilité ou en fiscalité.

[6]  L’appelant travaille à l’usine d’assemblage d’un fabricant automobile depuis 1997. À l’époque pertinente, il était chef d’équipe dans la section de la réparation des carrosseries depuis 1999. Il s’occupe des problèmes liés au travail que rencontre au quotidien son équipe, en plus de donner de la formation. Il ne prend pas de décisions administratives concernant les membres de son équipe.

[7]  Vers la fin de 2008, l’appelant et son épouse ont acheté un bungalow à titre d’immeuble d’habitation locatif. C’est l’épouse de l’appelant qui a trouvé l’immeuble et ils l’ont acheté ensemble par l’entremise d’un agent immobilier. Le 22 décembre 2008, l’appelant et son épouse ont conclu un bail (pièce A-1) avec un tiers sans lien de dépendance à qui ils ont loué le bungalow pour la somme de 1 375 $ par mois (16 500 $ par année), à compter de la date de conclusion du bail.

[8]  L’appelant a déclaré qu’au début de 2010, le locataire s’est mis à ne payer qu’une partie du loyer exigible en vertu du bail, avant d’arrêter complètement de payer son loyer en mai 2010.

[9]  Le 17 août 2010, l’appelant a entrepris des démarches officielles pour expulser son locataire : il a notamment fait signifier à ce dernier un avis de résiliation de bail pour non-paiement du loyer et déposé un certificat de signification à la Commission de la location immobilière [3] . L’avis précise que le locataire doit au total la somme de 2 750 $ au titre du loyer, soit 1 375 $ pour chacune des périodes se terminant les 22 juillet et 22 août 2010.

[10]  Le locataire était impliqué dans des activités illégales et, en 2010, il était visé par une enquête. À un moment donné, l’épouse de l’appelant aurait dit à son mari qu’elle avait vu deux personnes fouiller les poubelles de leur maison. Plus tard, deux agents d’immigration se sont présentés à leur domicile et leur ont expliqué qu’ils faisaient enquête sur le locataire et d’autres personnes concernant des activités illégales et qu’ils devaient déterminer si l’appelant participait ou non à ces activités. L’appelant ne se rappelle plus quand ces événements ont eu lieu.

[11]  À peu près à l’époque où il a commencé à avoir des problèmes avec son locataire, quelqu’un est venu le voir sur son lieu de travail, une personne qu’il connaît (SM) et qui travaille dans un secteur différent de l’usine. SM lui a dit qu’étant donné qu’il était maintenant propriétaire d’un immeuble locatif, ce serait probablement une bonne idée pour lui de faire appel à un groupe appelé Fiscal Arbitrators (FA) pour préparer sa déclaration de revenu. SM a communiqué avec l’appelant plusieurs fois à ce sujet. L’appelant ne sait pas si FA versait à SM une commission pour dénicher de nouveaux clients.

[12]  L’appelant a compris que SM donnait des leçons de guitare et avait déjà recouru aux services de FA pour préparer ses déclarations de revenu, avec des résultats favorables. SM a parlé à l’appelant du report rétrospectif des pertes, mais ce dernier a déclaré qu’il ne savait pas de quoi il s’agissait. SM lui a montré un chèque de remboursement, même si l’appelant ne le lui avait pas demandé.

[13]  L’appelant a témoigné que d’autres collègues de travail avaient dit qu’ils avaient fait appel aux services de FA, que c’était un sujet de conversation dans le lieu de travail et qu’aucune des personnes à qui il avait parlé ne lui avait dit qu’elle ne ferait pas appel à FA.

[14]  L’appelant croyait que FA était un groupe spécialisé en déclarations de revenu aussi légitime que n’importe quel autre, et qu’il pourrait lui obtenir de meilleurs résultats sur le plan fiscal avec l’aide de FA s’il le laissait préparer sa déclaration de revenu. L’appelant s’est fié à FA pour préparer sa déclaration de revenu correctement.

[15]  L’appelant a communiqué avec FA par courriel ou par la poste et ne s’est présenté à aucun bureau de FA ni à aucun séminaire organisé par FA. L’appelant a témoigné qu’il n’avait pas vu l’explication absurde avancée par FA au soutien du résultat extraordinaire obtenu sur le plan fiscal dans sa déclaration de revenu avant qu’on ne lui remette les documents à présenter à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») après que celle‑ci lui eut demandé des renseignements. L’appelant a fourni ces documents sans les remettre en question.

[16]  L’appelant a envoyé par courrier à FA tous ses renseignements fiscaux concernant l’année 2009, incluant le bail et les factures liées au bien locatif.

[17]  L’appelant a par la suite reçu de FA une trousse de déclaration de revenu (la « trousse ») [4] . La trousse comprenait une lettre d’accompagnement, une page indiquant les remboursements d’impôt attendus et le montant des honoraires facturés par FA, une page montrant les messages de diagnostic du logiciel de préparation d’impôt ainsi que la déclaration de revenu, qui comprenait (i) un état des loyers de biens immeubles (T776), (ii) un état des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale (T2125), (iii) un état des résultats des activités de mandataire, et (iv) une demande de report rétrospectif de la perte autre qu’en capital aux années d’imposition 2006, 2007 et 2008 de l’appelant (la « demande » susmentionnée).

[18]  Voici une traduction de la lettre d’accompagnement faisant partie de la trousse :

[TRADUCTION]

Le 12 avril 2010

JONATHAN PECK

118 RYMAL RD WEST

HAMILTON ON L9B 1B8

Cher JONATHAN PECK,

Veuillez trouver ci-joint deux exemplaires de votre déclaration de revenu de 2009, ainsi que les annexes et documents justificatifs. L’original doit être remis à l’Agence du revenu du Canada et la deuxième copie est à conserver dans vos dossiers.
Veuillez signer le ou les formulaires suivants et les envoyer à l’ARC :

  • T1 générale – Déclaration de revenus et de prestations

  • T1A – Demande de report rétrospectif d’une perte

Vous avez droit à un remboursement de 19 271,52 $.

Votre déclaration de revenus a été préparée en fonction des renseignements que vous nous avez fournis. Veuillez l’examiner attentivement afin de vous assurer qu’elle est complète et exacte.

Nous sommes heureux de vous compter parmi les clients des services fiscaux offerts par et de vous aider à remplir votre déclaration de revenu pour l’année 2009. Pour toute question ou préoccupation concernant votre déclaration de revenu, le cabinet ou tout autre service que nous pourrions vous offrir, veuillez communiquer avec le soussigné au

Sincèrement,

La lettre d’accompagnement n’est pas signée, des mots manquent au dernier paragraphe, elle ne mentionne pas FA et n’indique pas qui a préparé la trousse ou qui l’a envoyée à l’appelant. Ce dernier se rappelle avoir lu qu’il avait droit à un remboursement de 19 271,52 $, mais il dit n’avoir remarqué aucun problème dans la lettre d’accompagnement.

[19]  Ce qui suit est une traduction de la deuxième page de la trousse :

[TRADUCTION]

JONATHAN PECK

Données fiscales

Économie ou remboursement d’impôt estimé

Année    Montant

  2009  19 271,52 $

  2008  23 816,26 $

  2007  19 481,66 $

  2006  21 995,73 $

Total  84 565,17 $

Honoraires à payer  16 913,03 $ *

Montant net  67 652,14 $

  La somme de 16 413,03 $ devient exigible sur RÉCEPTION de TOUT remboursement/cotisation

  *Veuillez noter que les paiements peuvent être faits en 2 versements ou plus, et que le montant de chaque versement est dû immédiatement après la réception de TOUT remboursement ou de TOUTE cotisation.

[20]  Les honoraires de FA s’élevaient à 20 % du remboursement d’impôt total de 84 565,17 $. Les remboursements d’impôt indiqués pour les années 2009, 2008, 2007 et 2006 équivalaient à l’ensemble de l’impôt payé par l’appelant pour ces années d’imposition.

[21]  L’appelant ne se rappelle pas les détails de l’entente de paiement qu’il a conclue avec FA, mais il croit qu’il devait payer immédiatement la somme de 500 $ en plus de verser un pourcentage du remboursement d’impôt qu’il recevrait. L’appelant avait déjà eu recours aux services d’autres spécialistes en déclarations de revenu et ces autres spécialistes exigeaient des honoraires fixes à moins qu’ils ne consentent en plus une avance sur le remboursement d’impôt.

[22]  La troisième page de la trousse est une copie imprimée des messages de diagnostic du logiciel de préparation de déclarations de revenu. Certains d’entre eux étaient des messages d’alertes et d’erreurs en langage clair. Ce qui suit est une traduction de messages d’alertes et d’erreurs. Le numéro d’assurance sociale de l’appelant a été expurgé :

[TRADUCTION]

Nom : PECK, JONATHAN  NAS :  [Expurgé]

Messages de diagnostic :

Alerte :

127 – Le contribuable ne réclame pas le crédit d’impôt pour la TPS/TVH.

154 – Si le contribuable est un citoyen canadien, répondez aux questions concernant la citoyenneté canadienne et l’autorisation de transmettre des renseignements à Élections Canada à l’onglet T1-1.

262 – Classification type des industries manquante.

Recherche d’erreurs

445 – Numéro de téléphone du contribuable manquant. Veuillez vérifier.

1022 – T2125 – Code postal manquant.

1023 – T2125 – Adresse manquante.

1024 – T2125 – Ville, province ou territoire manquant.

1025 – T2125 – Nom de l’entreprise manquante.

[23]  La quatrième page de la trousse est intitulée « Sommaire de la déclaration de revenu 2009 » (le « sommaire »). Le texte qui suit est une traduction de la partie du sommaire qui suit immédiatement la case contenant les renseignements personnels de l’appelant en haut de la page :

[TRADUCTION]

Revenu total
Revenu d’emploi  101    76 945,13
Revenu de location    Brut 160  21 600,00  Net   126    21 600,00
Revenu d’entreprise  Brut 162 116 283,25    Net    135  - 342 682,13
          Revenu total 150 - 244 137,00
Revenu net
Facteur d’équivalence    206  7 993,00
      Revenu net 236 <Néant>
Revenu imposable
        Revenu imposable 260
<Néant>
Crédits d'impôt non remboursables fédéraux
Montant personnel de base    300  10 320,00
Cotisations d’employé au RPC ou au RRQ    308  2 118,60
Cotisation à l’assurance emploi    312    731,79
Montant canadien pour emploi    363  1 044,00
Total des crédits d’impôt non remboursables fédéraux    335  14 214,39
  Multiplier le montant de la ligne 335 par 15 % =  338   2 132,16
  Total des crédits d’impôt non remboursables fédéraux  350    2 132,16

Remboursement ou solde dû
Impôt fédéral    406  <NÉANT> 
   Impôt fédéral net  420  <NÉANT>
  Montant total à payer435  <NÉANT>

Impôt total retenu  437  18 346,52
Prestation fiscale pour le revenu de travail    453  925,00
  Total des crédits  482  19 271,52     19 271,52
         Ligne 435 moins ligne 482  -19 271,52
    Remboursement 484    19 271,52

[24]  Le sommaire montre que le revenu locatif brut et le revenu locatif net s’élèvent à 21 600 $, et que le revenu d’entreprise brut est de 116 283,25 $ et le revenu d’entreprise net, de (342 682,13 $). Le revenu de location brut excède de 5 100 $ le loyer annuel prévu dans le bail.

[25]  La déclaration de revenu se trouve à la suite du sommaire. Elle comprend les formulaires T2125 et T776, la demande et l’état des activités du mandataire. Sur la page de signature de la déclaration de revenu, l’encadré réservé aux nom, adresse et numéro de téléphone du spécialiste en déclarations de revenus est vide.

[26]  L’appelant a déclaré que la trousse comportait des onglets jaunes lui indiquant où signer. Il a feuilleté les pages pour se rendre à ces onglets, mais il n’a pas examiné les documents.

[27]  L’appelant n’a pas remarqué les irrégularités de la lettre d’accompagnement, l’erreur dans le montant du revenu de location inscrit au sommaire et dans le formulaire T776, l’absence de dépenses liées au bien locatif sur le sommaire et dans le formulaire T776, le revenu et la perte d’entreprise indiqués au sommaire et dans le formulaire T2125, ni même l’absence de renseignements sur l’identité du spécialiste en déclarations qui auraient dû se trouver dans l’encadré situé à côté de la ligne de signature de la déclaration de revenu.

[28]  L’appelant ne se rappelle pas s’il a remarqué le montant total des honoraires payables à FA ou le pourcentage du remboursement d’impôt qui correspond à ces honoraires. Il a déclaré se souvenir d’un remboursement de 19 271,52 $ pour 2009, mais non des remboursements pour les années d’imposition 2008, 2007 et 2006 qui étaient inscrits sur la deuxième page de la trousse.

[29]  L’état des activités du mandataire se trouvait juste avant le formulaire T2125 dans la déclaration de revenu. Ce qui suit est une traduction de l’état des activités du mandataire. Le numéro d’assurance sociale de l’appelant a été expurgé.

[TRADUCTION]

 ÉTAT DES ACTIVITÉS DU MANDATAIRE.

Pour : JONATHAN PECK

Numéro d’assurance social : [Expurgé]

Du  Au

Période :  2009-01-01 2009-12-31

Nom de l’entreprise : JONATHAN PECK

Numéro d’entreprise (Assurance sociale) : [Expurgé]

Service d’entreprise : Mandataire

Recettes brutes :

*Sommes perçues en tant que mandataire au nom d’un mandant, et déclarées par des tiers et déjà inscrites sur les

A.  lignes 101 à 130 d’après les feuillets T4, T5, T3 et autres feuillets, etc.

98 545,13 $

T4A et autres sommes déclarées par des tiers et perçues à titre de mandataire

_________

*Sommes TOTALES perçues à titre de mandataire au nom d’un mandant et déclarées par des tiers :

98 545,13 $

*Sommes additionnelles perçues à titre de mandataire au nom d’un mandant et NON déclarées par des tiers : 17 738,12 $

B.  Ligne 162  Sommes reçues à titre de mandataire  116 283,25 $

  Moins :
  Sous-traitance et main d’œuvre

   Montant du mandataire au mandant   458 965,38 $

  Bénéfice brut  (342 682,13 $)

  Soustraire : (de A ci-dessus)

C.  Ligne 135  Montant net (- perte)  (342 682,13 $)

[30]  L’appelant a déclaré avoir signé et produit la déclaration de revenu et la demande. La copie de la déclaration de revenu signée qui a été déposée en preuve par l’intimée ne contient pas l’état des activités du mandataire.

[31]  Le formulaire T2125 joint à la déclaration de revenu signée et à la trousse indique que le produit ou service principal est un service de « mandataire ». Les lignes 8230 et 9270 dudit formulaire laissent voir d’autres revenus de 116 283,25 $ et d’autres dépenses de 458 965,38 $, respectivement. Ces autres revenus sont des « SOMMES REÇUES À TITRE DE MANDATAIRE » et ces autres dépenses sont des « MONTANTS DU MANDATAIRE AU MANDANT ».

[32]  On peut voit sur les copies signées de la déclaration de revenu et de la demande, le mot per (par) écrit à la main devant la signature de l’appelant. L’appelant a déclaré qu’il n’a pas écrit le mot per (par) lorsqu’il a signé la déclaration de revenu et la demande. Il dit qu’il ne sait pas qui a ajouté ce mot aux lignes de signature.

[33]  L’appelant a déclaré qu’il comprenait que son entreprise consistait en l’achat du bien locatif, mais qu’il n’avait pas remarqué que le sommaire, le formulaire T2125 et le formulaire T776 font état à la fois d’un revenu de location et d’un revenu d’entreprise au titre d’une activité appelée « mandataire ». L’appelant a déclaré qu’il ne savait pas à quoi faisait référence le mot mandataire dans le formulaire T2125. Il affirme qu’il comprend maintenant qu’il n’exploitait aucune entreprise en 2009.

[34]  L’appelant a déclaré qu’il avait peut-être lu l’attestation qui est au‑dessus de la ligne de signature de la déclaration de revenu avant de signer. Quoi qu’il en soit, il a signé la déclaration de revenu parce qu’il croyait que FA était un cabinet professionnel.

[35]  Par lettre en date du 17 mai 2011, l’appelant a transmis à l’ARC un formulaire T4A pour l’année 2009 ainsi qu’un sommaire T4A [5] . La somme de 458 965,38 $ est inscrite à la case 28 du formulaire T4A, « Autres revenus », avec le commentaire [TRADUCTION] « Sommes versées en contrepartie d’un travail ». L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas examiné le formulaire T4A ni le sommaire T4A avant de les transmettre à l’ARC et qu’il ne se souvenait pas s’il avait vu le montant inscrit à la case 28, qu’il n’avait pas vu le commentaire inscrit sur le formulaire T4A et qu’il n’avait pas douté des formulaires.

[36]  L’appelant a déclaré avoir peu de connaissances en fiscalité, qu’il n’a pas eu l’intention de tromper l’ARC et qu’il a fait entièrement confiance à FA.

III. Analyse

A. Le régime législatif

[37]  Le paragraphe 163(3) de la LIR prévoit que l’intimée a la charge d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui justifient la pénalité imposée à l’appelant en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR.

[38]  La disposition liminaire du paragraphe 163(2) de la LIR est ainsi rédigée :

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants [...].

[39]  Le paragraphe 163(2) de la LIR soulève deux questions.

[40]  Premièrement, l’appelant a‑t‑il fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, ou y a‑t‑il participé, consenti ou acquiescé (un « acte prohibé ») ? Un faux énoncé est un énoncé dans une déclaration qui n’est pas véridique, et une omission est le fait de ne pas déclarer quelque chose qui aurait dû être déclaré dans une déclaration.

[41]  Deuxièmement, si l’appelant a commis un acte prohibé, l’a-t-il fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde ?

B. Les normes de l’acte fait « sciemment » ou « dans des circonstances équivalant à faute lourde ».

[42]  Dans l’arrêt Wynter c.  La Reine, 2017 CAF 195, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet des deux normes établies par le paragraphe 163(2) :

[11]  Lorsque le législateur utilise d’autres termes, il est présumé avoir eu l’intention de prêter des sens différents à ces termes. En d’autres mots, le législateur ne se répète pas : voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3éd. (Toronto : Irwin Law Inc., 2016), à la p. 43. L’article 163 permet l’imposition de pénalités dans les cas où le contribuable a connaissance des faits ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. L’article n’est pas conjonctif, et ces deux termes sont présumés avoir un sens et une teneur différents.

[12]  La distinction entre la faute lourde – établie par une appréciation objective du comportement du contribuable – et l’ignorance volontaire (également appelée « aveuglement volontaire ») – établie par renvoi à l’état d’esprit subjectif du contribuable – ne date pas d’hier. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une distinction ténue qui n’est pas toujours clairement établie. Néanmoins, le législateur est présumé avoir été au courant de cette distinction.

[43]  Comme l’indique l’arrêt Wynter, le mot « sciemment » exige de la Cour qu’elle détermine si l’appelant avait une connaissance subjective qu’il faisait un faux énoncé dans sa déclaration de revenu ou dans sa demande au moment où il a signé ces documents. Il incombe à l’intimée de présenter des éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait qu’il faisait un faux énoncé lorsqu’il a signé la déclaration de revenu et la demande.

[44]  Comme l’indique également l’arrêt Wynter, la connaissance subjective de l’appelant peut être prouvée au moyen d’éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a fait preuve d’ignorance volontaire quant à la véracité des énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande. Il s’agit là d’une précision utile sur le fait que l’ignorance volontaire permet d’imputer une connaissance subjective à l’appelant et que l’ignorance volontaire et la faute lourde sont des concepts juridiques différents.

[45]  Pour établir l’ignorance volontaire, la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait subjectivement que les faux énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande étaient probablement faux, mais qu’il a délibérément choisi de ne pas se renseigner davantage parce qu’il savait subjectivement ou soupçonnait fortement que s’il se renseignait, il saurait que les énoncés étaient effectivement faux (voir les arrêts Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, à la page 584, R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, aux paragraphes 102 et 103, et Briscoe c. La Reine, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, aux paragraphes 21 à 23). Le critère de l’ignorance volontaire est résumé comme suit dans l’arrêt Wynter :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe) ; Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21. [....]

[46]  La connaissance subjective qui est requise pour justifier une conclusion de connaissance réelle ou d’ignorance volontaire renvoie à la connaissance réelle ou subjective de la personne qui commet l’acte prohibé et non à la connaissance objective ou présumée de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances (voir, de façon générale, les arrêts Shand v. The Queen, 2011 ONCA 5, au paragraphe 188, et Roks v. The Queen, 2011 ONCA 526, au paragraphe 132).

[47]  La connaissance subjective réelle et l’ignorance volontaire peuvent être établies par une preuve directe ou circonstancielle ou par une combinaison des deux. Pour déterminer s’il y a connaissance subjective réelle ou ignorance volontaire, il faut tenir compte de toutes les circonstances.

[48]  La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire, par opposition à la nature objective de la norme de la faute lourde, signifie que la conduite qui justifie une conclusion d’ignorance volontaire peut étayer une conclusion de faute lourde, mais que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Par exemple, le fait que, dans les mêmes circonstances, la personne raisonnable se serait renseignée davantage ne permet pas de conclure à l’ignorance volontaire, mais peut justifier une conclusion de faute lourde. Dans l’arrêt Briscoe, la Cour suprême du Canada explique cette distinction comme suit :

[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [TRADUCTION] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « [ignorance] volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[TRADUCTION] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [TRADUCTION] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».

[49]  La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire signifie également que les qualités personnelles de la personne peuvent être prises en compte pour déterminer si elle a fait preuve d’ignorance volontaire.

[50]  En revanche, la nature objective de la norme de la faute lourde signifie que les qualités personnelles ne sont pas pertinentes à moins que la personne établisse qu’elle est incapable d’apprécier le risque qu’elle n’a pas réussi à éviter (voir l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, au paragraphe 40). Dans l’arrêt R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, au paragraphe 38, la Cour suprême qualifie cette norme de critère objectif modifié :

[...] L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque […].

[51]  Bien qu’il soit question dans l’arrêt Roy de la norme de la négligence pénale, je ne vois aucune raison d’aborder la norme de la « faute lourde » établie au paragraphe l’article 163(2) de façon différente, puisqu’il faut, dans l’application de toute norme de négligence, déterminer si la conduite en question s’écarte de la norme objective de la personne raisonnable. L’arrêt Roy ne fait que souligner que la norme objective pertinente est celle de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la personne dont la conduite est en cause.

[52]  Le risque que l’appelant doit pouvoir apprécier – afin de pouvoir conclure à une faute lourde – est le risque de ne pas satisfaire à l’obligation qu’impose le système canadien d’autocotisation à tous les contribuables, soit celle de préparer leur déclaration de revenu avec honnêteté et intégrité, bref le risque de ne pas satisfaire à l’obligation de ne pas commettre d’acte prohibé. Dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 49 :

Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi [...]. Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable [...] et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire [...].

[Voir également : (Canada) Revenu national c. Thompson, 2016 CSC 21, au paragraphe 31, [2016] 1 RCS 381]

[53]  Par conséquent, en l’absence de preuve établissant que l’appelant ne pouvait comprendre l’obligation imposée par le régime fiscal canadien d’autocotisation de ne pas commettre d’acte prohibé, les mots « dans des circonstances équivalant à faute lourde » nous imposent de déterminer si la conduite de l’appelant représentait un écart marqué et important par rapport à la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que celles de l’appelant. Pour conclure à la faute lourde, il faut que la conduite de l’appelant démontre un degré élevé de négligence (Venne c. La Reine, (C.F. 1re inst.) [1984] A.C.F. no 314, 84 DTC 6247).

[54]  Plus important encore, la norme objective qui s’applique à la conduite de l’appelant ne varie pas selon les qualités personnelles ou la connaissance réelle de celui‑ci. Dans tous les cas, la norme qui s’applique est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant. La question qui se pose est la suivante : dans quelle mesure, le cas échéant, la conduite de l’appelant s’écarte‑t‑elle de la norme objective ?

[55]  On trouve un résumé utile, quoique bref, de l’écart qui est requis, par rapport à la norme de la personne raisonnable, pour conclure à la faute lourde dans le récent arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, où, au paragraphe 60, la Cour suprême du Canada, dans son analyse de la norme de la faute lourde décrite dans la décision Venne, reprend la déclaration suivante faite par la Cour canadienne de l’impôt au paragraphe 23 de la décision Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174 :

Le fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au‑delà du doute raisonnable l’intention coupable de se soustraire au paiement de l’impôt, mais à prouver selon la prépondérance des probabilités une telle indifférence à l’égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d’un système d’autocotisation qui contredit et insulte le sens commun.

C. Application du droit aux faits

[56]  La preuve de l’intimée établit que l’appelant a signé et produit la déclaration de revenu et qu’il a déclaré des dépenses d’entreprise fictives de 458 965,38 $, qualifiées de [TRADUCTION] « MONTANT DU MANDATAIRE AU MANDANT », ce qui s’est traduit par une perte d’entreprise de 342 682,13 $ pour l’année d’imposition 2009. En réalité, l’appelant n’a pas engagé la somme de 458 965,38 $ au titre de dépenses d’entreprise en 2009.

[57]  La preuve de l’intimée établit également que l’appelant a signé et produit auprès de l’ARC la demande dans laquelle il demande le report rétrospectif d’une perte autre qu’en capital fictive de 244 137 $ aux années d’imposition 2008, 2007 et 2006.

[58]  À la lumière de cette preuve, je conclus que l’appelant a effectivement fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenu et dans sa demande. Son avocat n’a pas prétendu le contraire.

[59]  L’avocat de l’appelant soutient cependant que les faux énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande n’ont pas été faits sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Il affirme que l’appelant a très peu de connaissances en matière fiscale, qu’il s’en est remis entièrement à FA pour préparer correctement sa déclaration de revenu et sa demande, et qu’il n’a pas eu l’intention de tromper l’ARC.

[60]  L’avocat de l’appelant prétend que, puisque ce dernier n’a pas examiné la déclaration de revenu avant de la signer et de la produire et qu’il s’est plutôt fié à FA pour veiller à ce qu’elle soit correcte, il n’a pas sciemment fait de faux énoncés dans ladite déclaration.

[61]  L’avocate de l’intimée soutient que, même si les faux énoncés faits par l’appelant dans la déclaration de revenu et la demande n’ont pas été faits sciemment, ils ont tout de même été faits dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[62]  La lettre d’accompagnement jointe à la trousse indique que la déclaration de revenu a été préparée sur la foi des renseignements fournis par l’appelant et que ce dernier doit lire attentivement la déclaration de revenu pour s’assurer qu’elle est à la fois exacte et complète. Même sans un tel avis, la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant lirait attentivement la trousse avant de signer la déclaration de revenu ou la demande.

[63]  La lettre d’accompagnement jointe à la trousse n’était pas signée, ne portait aucune adresse de retour et n’identifiait pas la personne qui avait préparé la trousse ou encore qui l’avait envoyée. La personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant se demanderait pourquoi un véritable spécialiste en déclarations de revenu n’a pas signé la lettre ou mentionné dans la lettre des renseignements aussi essentiels.

[64]  La deuxième page de la trousse indique que le remboursement d’impôt estimé de l’appelant pour les quatre années d’imposition en cause était de 84 565,17 $ et que les honoraires à payer à FA s’élevaient à 16 913,03 $, soit 20 % de cette somme. Le remboursement d’impôt total était égal à l’impôt total payé pour ces années. La personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant se méfierait d’un résultat fiscal aussi extraordinaire, surtout si le spécialiste réclame des honoraires exorbitants, calculés selon le remboursement d’impôt obtenu.

[65]  La troisième page de la trousse est un imprimé de messages de diagnostic, incluant des messages d’alerte et d’erreur en langage clair. Bien que les erreurs signalées soient mineures, la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant douterait de l’expertise d’un spécialiste qui prépare une déclaration de revenu comportant des alertes et des erreurs.

[66]  La quatrième page de la trousse est un sommaire d’une page de la déclaration de revenu. Ce sommaire fait état d’un revenu d’emploi, d’une perte d’entreprise de 342 682,13 $ et d’un revenu de location brut et net de 21 600 $. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant se demanderait pourquoi il y a un revenu de location et une perte d’entreprise extraordinairement élevée alors que la seule activité exercée était la location d’un bungalow.

[67]  Le formulaire T2125 produit avec la déclaration de revenu décrit l’activité donnant lieu à cette perte d’entreprise de 342 682,13$ comme une activité de « mandataire ». Les dépenses d’entreprise de 458 965,38 $ déclarées par l’appelant sont décrites à la ligne 9270 du formulaire T2125 comme des « MONTANTS DU MANDATAIRE AU MANDANT », et le revenu de 116 282 $ tiré de l’activité de « mandataire » est décrit à la ligne 8230 comme des « SOMMES REÇUES À TITRE DE MANDATAIRE ».

[68]  Le formulaire T776 – état des loyers de biens immeubles – produit avec la déclaration de revenu montre un revenu de location de 21 600 $.

[69]  Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant se demanderait pourquoi, outre le revenu tiré d’un bien immobilier, un revenu et des dépenses d’entreprise sont déclarés au titre de « mandataire ». Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant remettrait aussi en question la description des revenus et des dépenses déclarés au formulaire T2125, puisqu’elle ne reflète aucune activité exercée par l’appelant ni aucun revenu gagné ou dépense engagée par lui.

[70]  Les dépenses de 458 965,38 $ dont fait état le formulaire T2125 sont presque cinq fois plus élevées que le revenu total déclaré par l’appelant, et sont plus de vingt et une fois plus élevées que le revenu de location excessif déclaré par l’appelant, sans compter que la description de ces dépenses est à première vue absurde. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant aurait de sérieuses réserves devant ces dépenses et se questionnerait sur ce qui les justifie.

[71]  La trousse comprenait un état des activités du mandataire. Ce document ne fait état d’aucune activité exercée par l’appelant ni d’aucune dépense engagée par lui et il est absurde à sa face même. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant se méfierait beaucoup de la dépense d’entreprise de 342 682,13 $ décrite dans ce document.

[72]  La trousse contient d’autres indices susceptibles de mettre la puce à l’oreille de la personne raisonnable. Le sommaire montre un revenu d’entreprise fictif en plus d’un revenu de location erroné. Le formulaire T776 faisant partie de la trousse et joint à la déclaration de revenu qui a été produite ne fait état d’aucune dépense bien que l’appelant ait envoyé à FA la preuve qu’il avait engagé des dépenses. Le revenu de location déclaré dans le formulaire T776 dépasse de 5 100 $ le revenu de location tiré par l’appelant, bien que ce dernier eût transmis à FA une copie du bail. Le formulaire T2125 faisant partie de la trousse et joint à la déclaration de revenu qui a été produite fait état d’un autre revenu de 116 283,25 $ au titre des « SOMMES REÇUES À TITRE DE MANDATAIRE », bien qu’aucun revenu de la sorte n’ait été gagné par l’appelant et que le revenu tiré de la location du bungalow ait été déclaré.

[73]  FA n’a fourni à l’appelant aucune explication justifiant les économies d’impôt extraordinaires décrites à la deuxième page de la trousse ni aucune vérification indépendante visant à confirmer la validité de la position fiscale adoptée dans la déclaration de revenu. L’appelant n’a demandé ni opinion juridique ou comptable ni analyse pour appuyer la position fiscale adoptée dans la déclaration de revenu et il n’a pas non plus communiqué avec l’ARC afin de confirmer la légitimité de cette position.

[74]  Étant donné les résultats fiscaux manifestement extraordinaires en cause, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant aurait demandé une certaine forme de vérification indépendante établissant la légitimité de la position fiscale adoptée. À mon avis, compte tenu de ces résultats extraordinaires et de l’absence, dans la trousse, de toute explication rationnelle concernant ces résultats, le fait d’entendre des collègues dire qu’ils ont recouru aux services du même spécialiste en déclaration et de voir un chèque de remboursement adressé à un autre contribuable n’est pas le genre de vérification indépendante à laquelle se fierait une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant.

[75]  L’appelant a laissé entendre qu’il était occupé à régler le différend avec son locataire à peu près à l’époque où il a produit sa déclaration de revenu et qu’il s’était laissé distraire par ce problème, même s’il n’avait aucun souvenir précis de l’époque en cause. L’avis de résiliation de bail pour non-paiement du loyer [6] indique que le loyer dû par le locataire visait les périodes se terminant le 22 juillet 2010 et le 22 août 2010, alors que l’appelant a signé la déclaration de revenu le 27 avril 2010. Par ailleurs, l’appelant a témoigné que son épouse et lui n’ont été informés de l’enquête sur le locataire qu’une fois l’enquête terminée.

[76]  À la lumière de ces faits, j’estime que le différend avec le locataire n’explique pas pourquoi l’appelant n’a pas examiné la trousse, ne serait-ce que très superficiellement. Le différend avec le locataire ne permet pas non plus de conclure que la conduite de l’appelant était celle qu’aurait eue une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Qui plus est, l’appelant n’a présenté aucun élément de preuve tendant à indiquer qu’il était incapable de comprendre l’obligation que lui imposait le régime d’autocotisation canadien de ne pas commettre d’acte prohibé.

[77]  L’appelant a signé et a produit la déclaration de revenu et la demande malgré les lacunes évidentes de la lettre d’accompagnement, l’invitation, dans cette lettre, à examiner attentivement la déclaration de revenu, le remboursement attendu de tout l’impôt payé pour les années 2009, 2008, 2007 et 2006 qui est décrit à la deuxième page de la trousse, les honoraires très élevés à verser à FA en fonction du remboursement d’impôt, le revenu d’entreprise fictif et les pertes d’entreprise considérables en plus du revenu de location brut et net dont fait état le sommaire, l’erreur dans le montant des revenus de location bruts et nets déclarés dans le sommaire, l’état des activités du mandataire absurde figurant dans la trousse, le service fictif décrit dans le formulaire T2125, lequel aurait généré la perte d’entreprise, le revenu et les dépenses d’entreprise fictifs qui sont déclarés dans le formulaire T2125, en plus de la façon absurde dont ces montants sont décrits, le loyer erroné et l’absence de dépenses déclarées relativement au bien locatif dans le formulaire T776, le mot par ajouté aux lignes de signature de la déclaration de revenu et de la demande et l’omission de FA d’identifier le spécialiste en déclarations sur la page de signature de la déclaration de revenu.

[78]  À mon avis, la conduite de l’appelant, qui a décidé de signer et de produire la déclaration de revenu et la demande dans de telles circonstances, constituait un écart marqué et important par rapport à ce qu’on attend d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. L’appelant ne peut pas simplement se contenter de dire : [TRADUCTION] « Je me suis fié aveuglément à mon spécialiste en déclarations », alors que les documents produits par ce spécialiste sont aussi manifestement erronés, incomplets et insensés et que les résultats fiscaux ainsi obtenus sont aussi extraordinaires et louches.

[79]  Pour reprendre la citation de la Cour suprême dans l’arrêt Guindon, la conduite de l’appelant dans les circonstances de l’espèce témoignait d’« une telle indifférence à l’égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d’un système d’autocotisation qui contredit et insulte le sens commun ». Une telle conduite équivaut à une faute lourde.

[80]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’appelant a, dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans la déclaration de revenu et la demande. Conséquemment, l’appel de l’appelant est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de mars 2018.

« J.R. Owen »

Le juge Owen

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de février 2019.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 52

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-2383(IT)G

INTITULÉ :

JONATHAN PECK c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge John R. Owen

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 mars 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Craig Burley

Avocate de l’intimée :

Me Dominique Gallant

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom

Craig Burley

 

Cabinet :

Craig Burley

Avocat

Hamilton (Ontario)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 



[1] La pièce R‑1 est une copie de la déclaration de revenu signée par l’appelant.

[2] Une copie de la demande signée par l’appelant est incluse dans la pièce R‑1.

[3] L’avis et le certificat constituent la pièce A-3.

[4] La trousse est la pièce A‑4.

[5] Pièce R-5.

[6] Pièce A-3.

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