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Dossier : 2009-1561(IT)G

 

ENTRE :

MORGUARD CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 2, 3 et 4 mai 2011, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Clifford L. Rand

Me David Muha

Me Christopher Slade

 

 

Avocats de l'intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me Justin Kutyan

Me Ernesto Cáceres

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition de l'appelante ayant pris fin le 30 novembre 1997 est rejeté avec dépens conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2012.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mai 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 55

Date : 20120224

Dossier : 2009-1561(IT)G

 

ENTRE :

MORGUARD CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]              Au mois de juin 2000, l'appelante a lancé sans succès une offre publique d'achat à l'égard d'Acanthus Real Estate Corporation (« Acanthus »). En l'espace de quelques semaines, elle a échoué dans son objectif en faveur d'une société affiliée à la Caisse de dépôt et placement du Québec; elle a vendu la participation de près de 20 p. 100 qu'elle détenait dans Acanthus à la société acquéresse et elle a reçu d'Acanthus 7,7 millions de dollars au titre des « frais de rupture ».

 

[2]              La question à trancher en l'espèce est de savoir si les « frais de rupture » que la société contribuable a reçus à l'égard de sa tentative infructueuse d'acquisition d'une société cotée, en 2000, doivent être considérés comme étant imputables au revenu ou s'ils doivent plutôt être considérés comme étant imputables au capital et, dans ce dernier cas, s'il s'agissait d'un gain en capital ou d'une rentrée de capital non imposable semblable à un gain fortuit. La principale thèse de l'appelante est qu'il s'agissait d'une rentrée de capital non imposable, mais l'avocat de l'appelante a veillé à éviter de parler de « gain fortuit ».

 

I.       Point préliminaire relatif à la preuve : article 100 des Règles

 

[3]              Au cours de l'instruction, il s'est posé une question au sujet de la portée de l'article 100 des Règles, qui traite du droit d'une partie de consigner en preuve des extraits des réponses données par la partie opposée lors de l'interrogatoire préalable et du droit de la partie opposée de demander la présentation d'autres extraits de l'interrogatoire préalable qui nuancent ou expliquent ces extraits. Cette question a été réglée lors de l'instruction. Pour faciliter la lecture, les commentaires que je fais sur ce point sont énoncés à l'annexe qui est jointe aux présents motifs.

 

II.      Les faits

 

[4]              Les faits pertinents objectifs sont simples; ils ne sont pas compliqués, ils ne sont pas particulièrement inhabituels et ils ne sont pas du tout uniques en leur genre dans le monde actuel des affaires; de plus, ils ne sont pas particulièrement nuancés. Les faits pertinents objectifs ne sont pas vraiment contestés, quoique chaque partie ait mis l'accent sur des aspects différents. Il y a très peu de désaccord réel entre les experts qui ont témoigné au sujet des offres publiques d'achat et notamment au sujet des frais de rupture. Il n'est pas nécessaire de tirer des conclusions au sujet de leur crédibilité.

 

[5]              La contribuable est une société cotée canadienne. Avant les années ici en cause, elle s'appelait Acklands Limited (« Acklands »). Après les années en cause, elle a changé de raison sociale pour adopter celle de Morguard Corporation (« Morguard ») après avoir acquis Morguard Investments Ltd. de la façon décrite ci‑dessous. Au cours des années en question, elle s'appelait Acktion Corporation (« Acktion »).

 

[6]              Acklands et ses sociétés affiliées exploitaient des entreprises de distribution de pièces d'automobiles et de produits industriels. Après avoir exploité ces entreprises pendant un bon nombre d'années, Acklands a décidé de cesser d'exploiter ses entreprises existantes et de vendre au comptant toutes ses participations dans les entreprises de pièces d'automobiles et de produits industriels. Elle l'a fait alors que M. Rai Sahi était président et directeur général ainsi qu'un actionnaire important de la société. Après avoir consulté ses principaux actionnaires institutionnels, Acklands, sous la direction de M. Sahi, a changé de raison sociale pour adopter celle d'Acktion et elle a commencé à utiliser le produit élevé en argent tiré de la vente de ses entités existantes en vue d'acquérir une participation lui assurant le contrôle dans un certain nombre de sociétés immobilières qui possédaient et géraient des immeubles locatifs à usage résidentiel ou commercial.

 

[7]              Acktion a vendu toutes les participations qu'elle détenait dans les entreprises de distribution de pièces d'automobiles et de produits industriels. Elle s'en était pleinement départie avant la présentation de l'offre d'achat en question, en 2000. Conformément à sa nouvelle stratégie d'entreprise, Acktion n'a pas vendu sa filiale immobilière existante qui possédait les entrepôts et les magasins utilisés par les entreprises dont elle était alors propriétaire. Ces immeubles ont uniquement été loués aux nouveaux acheteurs.

 

[8]              Acktion a commencé à mettre en oeuvre sa nouvelle stratégie d'entreprise, qui consistait à devenir propriétaire, directement ou indirectement, de sociétés immobilières, ou à en acquérir le contrôle, plusieurs années avant l'année ici en cause. Au début de l'année 1997, Acktion a acquis, directement ou indirectement, une participation de 40 p. 100 dans Goldlist Properties Inc. (« Goldlist ») lors de son premier appel public à l'épargne. Acktion a porté sa participation dans Goldlist à 49 p. 100 en 1998 et à 66⅔ p. 100 en 1999. En 1997, Acktion a acquis une participation importante dans Morguard Real Estate Investment Trust (« Morguard REIT ») et en 1999 elle a porté cette participation à plus de 50 p. 100 des parts de Morguard REIT. En 1997, Acktion a également acquis une participation importante dans les actions ordinaires et dans les obligations convertibles de Revenue Properties Company Limited (« Revenue Properties »). Revenue Properties et Morguard REIT étaient toutes deux cotées en bourse. En 1998, Acktion a acquis 19,2 p. 100 des actions ordinaires d'Acanthus lors de son premier appel public à l'épargne. En 1998, Acktion a acheté la totalité de Devan Properties Ltd. (« Devan ») de la London Life, Compagnie d'assurance‑vie, et des actionnaires qui étaient des cadres supérieurs de la société. Devan possédait et gérait un certain nombre de centres commerciaux. L'année suivante, les immeubles de Devan ont été transmis à Morguard REIT en échange de parts additionnelles. À la fin de l'année 1998, Acktion a acquis la totalité de Morguard Investments Ltd. (« MIL »), qui était le plus gros cabinet canadien d'experts‑conseils en matière de placements immobiliers auprès de fonds de pension.

 

[9]              Acktion a effectué d'autres acquisitions immobilières. Au début de l'année 2000, elle avait fait l'acquisition de participations directes ou indirectes dans 244 immeubles, d'une superficie globale de plus de 38 millions de pieds carrés et d'une valeur de plus de trois milliards de dollars, ce qui comprenait sa participation, de près de 20 p. 100, dans Acanthus. De plus, MIL, la filiale d'Acktion, gérait 196 autres immeubles d'une superficie globale de 26,5 millions de pieds carrés et d'une valeur de près de deux milliards de dollars.

 

[10]         Les frais de rupture qui sont ici en litige découlent de la tentative qu'Acktion avait faite en vue d'acquérir toutes les actions d'Acanthus, en 2000. Par la suite, à la fin de l'année 2000, Acktion a fait une offre publique d'achat hostile en vue de porter à plus de 40 p. 100 la participation qu'elle détenait dans Revenue Properties. Cela s'est terminé en 2000; de fait, Acktion a utilisé les sommes qu'elle avait reçues d'Acanthus en vue d'acquérir les actions additionnelles de Revenue Properties, après que cette procédure d'acquisition fut devenue amicale.

 

[11]         Comme il en a été fait mention, après avoir acquis MIL, la contribuable a changé de raison sociale pour adopter celle de Morguard. Ce changement de raison sociale s'est produit après les années ici en cause.

 

[12]         La participation initiale de 19,2 p. 100 qu'Acktion détenait dans Acanthus a été acquise en 1998. Acktion avait l'intention d'augmenter cette participation. La première mesure qu'elle a prise consistait à faire en sorte que Goldlist communique avec le conseil d'administration d'Acanthus en vue de discuter d'une offre possible de l'ordre de 7,50 $ l'action. Le conseil d'administration d'Acanthus ne voulait pas appuyer une telle offre.

 

[13]         Au mois de juin 2000, Acktion a fait une offre d'achat non sollicitée pour toutes les actions restantes d'Acanthus, au prix de 8 $ l'action, payable en argent ou en actions d'Acktion.

 

[14]         Le 23 juin 2000, à la suite de négociations entre Acktion et le comité extraordinaire du conseil d'administration d'Acanthus, Acktion et Acanthus ont conclu une entente antérieure à l'acquisition afin d'appuyer Acktion et son offre et de protéger l'opération. L'entente antérieure à l'acquisition prévoyait que le conseil d'administration d'Acanthus appuierait une offre révisée d'Acktion au prix de 8,25 $ l'action. Dans l'entente antérieure à l'acquisition, Acanthus s'engageait, entre autres choses, à ne pas solliciter d'autres offres, à recommander l'acceptation de l'offre d'Acktion, à moins qu'une offre plus favorable ne soit reçue, et à renoncer au régime des droits des actionnaires d'Acanthus, lequel avait pour effet de décourager à certains égards (notamment au moyen de ce qui a été décrit comme une pilule empoisonnée) des offres hostiles ou non sollicitées.

 

[15]         Dans l'entente antérieure à l'acquisition, Acktion avait négocié des frais de rupture de 4,7 millions de dollars qu'Acanthus devait lui verser si une meilleure offre était reçue d'un tiers et si le conseil d'administration d'Acanthus cessait d'appuyer l'offre d'Acktion et approuvait ou recommandait la nouvelle offre.

 

[16]         Un communiqué de presse conjoint d'Acktion et d'Acanthus a été publié le 23 juin 2000. Acktion a envoyé par la poste la note d'information aux actionnaires d'Acanthus le 27 juin 2000.

 

[17]         Le 27 juin 2000, un tiers a présenté une offre non sollicitée à l'égard de toutes les actions d'Acanthus au prix de 8,50 $ en argent. L'offre provenait de Cadim, une société appartenant à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Acanthus a avisé Acktion de l'offre de Cadim. Acktion a fait savoir qu'elle n'appuierait pas l'offre de Cadim compte tenu de sa participation de près de 20 p. 100 dans Acanthus. Le conseil d'administration d'Acanthus a décidé de ne pas appuyer l'offre initiale de Cadim.

 

[18]         Le 29 juin 2000, Cadim a porté son offre à 8,75 $ l'action. Acktion a encore une fois décidé de ne pas appuyer l'offre révisée de Cadim et de ne pas vendre à celle‑ci les actions qu'elle détenait dans Acanthus conformément à l'offre révisée. Depuis qu'elle avait présenté son offre initiale, Acktion avait acquis des actions additionnelles d'Acanthus, portant sa participation à 19,9 p. 100.

 

[19]         Le 30 juin 2000, Acanthus a avisé Acktion qu'elle appuierait la nouvelle offre de Cadim parce qu'il s'agissait d'une offre supérieure à celle d'Acktion. Ce jour-là, Acanthus a cessé d'appuyer l'offre d'Acktion et a versé à cette dernière les frais de rupture de 4,7 millions de dollars.

 

[20]         Acktion a ensuite informé Acanthus qu'elle était prête à réviser encore une fois son offre. Acktion et Acanthus ont négocié des révisions additionnelles à l'entente antérieure à l'acquisition. Le 2 juillet 2000, Acktion et Acanthus ont conclu une entente modificatrice qui prévoyait, entre autres choses, qu'Acktion porterait son offre à 9 $ l'action, que toute offre supérieure faite par un tiers devrait s'élever à au moins 9,30 $ l'action, qu'Acktion aurait le droit d'égaler toute offre supérieure et que les frais de rupture seraient portés à 7,7 millions de dollars. Lors de la signature de l'entente modificatrice, Acktion a remis à Acanthus les frais de rupture de 4,7 millions de dollars.

 

[21]         Le 7 juillet 2000, l'offre révisée d'Acktion a été présentée aux actionnaires d'Acanthus.

 

[22]         Le 18 juillet 2000, Acanthus a informé Acktion que Cadim avait l'intention de présenter une offre améliorée au prix de 9,30 $ pour chaque action d'Acanthus.

 

[23]         Acktion a décidé de ne pas augmenter davantage le prix offert, mais de chercher plutôt à maximiser le prix auquel elle offrirait son appui et vendrait à Cadim la participation de 19,9 p. 100 qu'elle détenait dans Acanthus. M. Sahi a communiqué avec le président de Cadim et a négocié un prix révisé de 9,40 $ auquel Acktion appuierait une offre de Cadim et vendrait à cette dernière les actions qu'elle détenait dans Acanthus.

 

[24]         Le 21 juillet 2000, le conseil d'administration d'Acanthus a avisé Acktion qu'il avait conclu que la nouvelle offre de Cadim, de 9,40 $ l'action, était une offre supérieure; il a résilié l'entente modifiée antérieure à l'acquisition et il a joint un chèque certifié de 7,7 millions de dollars en paiement des frais de rupture.

 

[25]         Le même jour, Acktion a conclu avec Cadim une convention de dépôt par laquelle elle s'engageait à vendre ses actions à Cadim. Acktion a réalisé un gain de 4,8 millions de dollars lors de la vente à Cadim des actions qu'elle détenait dans Acanthus.

 

[26]         Le président et directeur général de la contribuable, M. Sahi, était l'unique témoin important de la contribuable. Il importe de noter qu'aucune personne ayant négocié ou renégocié les frais de rupture n'a été appelée à témoigner. M. Sahi a déclaré qu'il n'avait pas personnellement pris part à la négociation des frais de rupture initiaux de 4,7 millions de dollars ou des frais de rupture révisés de 7,7 millions de dollars. Il se concentrait sur le prix et sur l'offre qu'il cherchait à remporter afin d'acquérir Acanthus. Une obligation concernant les frais de rupture peut dissuader d'autres acquéreurs, étant donné qu'elle influe sur la valeur de la cible pour un tiers, mais M. Sahi n'avait pas participé à ces négociations. Toutefois, il est clair qu'Acktion a négocié les frais de rupture et qu'elle les a renégociés pour un montant beaucoup plus élevé à la suite de l'offre de Cadim. D'autres gestionnaires d'Acktion et les conseillers externes d'Acktion, notamment les placeurs et les avocats d'Acktion, auraient assisté à ces négociations. M. Sahi a déclaré que sa propre participation aurait été limitée à s'assurer que les frais de rupture étaient fixés selon les conditions normales, notamment quant à leur montant, pour une telle opération.

 

[27]         Selon la preuve des experts appelés par les deux parties, les frais de rupture initiaux de 4,7 millions de dollars étaient à l'intérieur de la gamme commerciale des frais de rupture normalement payables lors d'offres d'achat d'entreprises comparables. Les frais révisés de 7,7 millions de dollars se situaient à l'extrémité supérieure de la gamme, et ils excédaient peut-être quelque peu la gamme prévue.

 

[28]         Dans le rapport annuel de l'année 2000 d'Acktion, le président du conseil d'administration déclarait qu'Acktion s'était engagée à améliorer la valeur pour les actionnaires en mettant l'accent sur son entreprise immobilière fondamentale et en profitant des occasions qui se présentaient sur le marché. Il ajoutait qu'Acktion avait atteint son objectif à l'égard d'un certain nombre d'occasions en 2000, de sorte que son revenu net et ses rentrées de fonds au cours de l'année avaient augmenté, ce qui incluait les frais de rupture de 7,7 millions de dollars reçus d'Acanthus et le gain de 4,8 millions de dollars qu'Acktion avait réalisé lors de la vente des actions qu'elle détenait dans Acanthus lors de l'offre concurrente de Cadim.

 

[29]         La contribuable n'avait jamais auparavant reçu de frais de rupture, et elle n'en a pas reçus depuis. Toutes ses autres offres d'achat publiques semblent avoir été retenues. La contribuable n'a jamais vendu l'une ou l'autre des participations qu'elle avait acquises dans des sociétés immobilières, sauf pour la participation de 19,9 p. 100 qu'elle détenait dans Acanthus.

 

III.     Analyse

 

[30]         Il ressort tout à fait clairement des faits et de la preuve soumise en l'espèce, et c'est ce que je conclus expressément, que cette contribuable particulière a négocié son droit aux frais de rupture et a reçu les frais de rupture dans le cours de l'exploitation de ses activités et de son entreprise habituelles. Pendant toute la période pertinente, l'entreprise continue et récurrente de la contribuable consistait notamment à acquérir des participations importantes lui assurant le contrôle de sociétés immobilières cotées. Les acquisitions des actions d'Acanthus et l'offre d'achat relative à Acanthus suivent ce modèle, et ce, bien que la tentative d'achat ait échoué et ait donné lieu à un prix de consolation de 7,7 millions de dollars au titre des frais de rupture et à un gain de 4,8 millions de dollars lors de la vente des actions d'Acanthus. La contribuable n'était pas un chevalier blanc recherché par une cible qui résiste à une offre non sollicitée ou à une offre hostile. Dans ce dernier cas, des frais de rupture reçus par un contribuable qui n'était pas généralement lui‑même un acquéreur dans le cours de ses activités d'entreprise commerciales habituelles peuvent bien dicter une analyse différente et comporter des conséquences fiscales différentes de celles auxquelles la présente contribuable fait face à l'égard de la réception de frais de rupture.

 

A.      Rentrées de capital non imposables et gains fortuits

 

[31]         La position principale que Morguard a prise dans le présent appel est qu'elle a reçu les frais de rupture à titre de rentrée de capital non imposable.

 

[32]         La décision qui fait autorité en ce qui concerne le droit applicable à la caractérisation des sommes reçues à titre de gains fortuits non assujettis à l'impôt a été rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt R. c. Cranswick, [1982] 1 C.F. 813. Dans la décision Lavoie c. La Reine, 2009 CCI 293, 2009 D.T.C. 1183, le juge Bowie, de la présente cour, a eu l'occasion d'examiner les facteurs énoncés dans l'arrêt Cranswick. La décision du juge Bowie, y compris son application du droit énoncé dans l'arrêt Cranswick, a été confirmée par la Cour d'appel fédérale : 2010 CAF 266.

 

[33]         Dans l'arrêt Cranswick, la Cour d'appel fédérale a examiné sept facteurs qui étaient tous pertinents, bien qu'aucun n'ait été concluant. Il s'agit des facteurs suivants :

 

1.       Existait-il un droit d'action à l'égard du paiement?

 

2.       A-t-on fait un effort soutenu pour obtenir le paiement?

 

3.       A-t-on recherché ou sollicité le paiement de quelque façon que ce soit?

 

4.       S'attendait-on à recevoir le paiement?

 

5.       A-t-il été prévu que le paiement aurait une suite?

 

6.       Le paiement venait-il d'une source habituelle de revenus du contribuable?

 

7.       Le paiement constituait-il la contrepartie ou la reconnaissance de biens, de services ou de quoi que ce soit, fournis ou à fournir par le contribuable par suite de quelque activité ou poursuite de profit de la part du contribuable ou de quelque autre manière?

 

[34]         Dans le cas de Morguard, la réception des frais de rupture ne satisfait absolument pas aux conditions des facteurs l, 2, 3, 4 et 7. Le facteur 5 pourrait être invoqué d'une façon ou de l'autre étant donné que les frais de rupture font normalement partie d'offres d'achat contestées et d'offres d'achat amicales. Quant au facteur 6, il est du moins possible de dire que des frais de rupture similaires constituaient une source de revenu éventuelle habituelle étant donné la stratégie d'acquisition d'entreprises de Morguard. Si les facteurs énoncés dans l'arrêt Cranswick sont examinés et soupesés, Morguard n'a certes pas reçu un gain fortuit non imposable.

 

[35]         L'argument invoqué par la contribuable est un peu plus nuancé, peut-être bien par nécessité, qu'il ne le serait selon une analyse traditionnelle du gain fortuit. Morguard soutient que les frais de rupture qui ont été reçus devraient avant tout être considérés comme imputables au capital plutôt qu'au revenu. Elle affirme ensuite que la rentrée de capital n'était pas liée à une disposition qu'elle aurait faite de quelque bien, de sorte que cette rentrée ne peut pas donner lieu à un gain en capital imposable. Enfin, elle affirme qu'aucune autre disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu ne dispose qu'une telle rentrée de capital qui n'est pas liée à la disposition d'un bien constitue un revenu. Il est possible de noter que, pour qu'une rentrée de fonds soit considérée comme un gain fortuit selon les facteurs énoncés dans l'arrêt Cranswick, il faudrait également que chacun des trois éléments de l'argument invoqué par Morguard soit présent pour que cette rentrée de fonds ne soit pas imposable et pour qu'elle soit de toute façon considérée comme un gain fortuit.

 

[36]         Comme il en sera fait mention en détail ci-dessous, même cet argument nuancé de la contribuable ne saurait être retenu étant donné que je ne reconnais pas que les frais de rupture puissent à juste titre être considérés comme une rentrée de capital. Quoi qu'il en soit, je suis encore d'avis que l'analyse traditionnelle préconisée dans l'arrêt Cranswick est celle qu'il faut suivre dans le cas d'une rentrée de fonds se rattachant à une entreprise et que, dans ce cas‑ci, elle donne une réponse claire et exacte sur ce point.

 

B.      Un revenu par opposition à un capital

 

[37]         La question de savoir si une rentrée de fonds doit être considérée comme imputable au revenu par opposition au capital n'est souvent pas particulièrement prévisible. Il n'y a pas toujours de critère établissant une ligne de démarcation nette qu'il soit facile d'appliquer. De fait, la jurisprudence relative à la caractérisation d'une rentrée de fonds au titre du revenu par opposition au capital peut parfois sembler difficile à concilier en se fondant uniquement sur les motifs écrits, et chaque partie peut trouver des décisions qui semblent étayer sa position. Dans des cas tels que celui‑ci en particulier, j'estime qu'il est utile de tenir compte de l'observation de Montesquieu lorsqu'il affirme que ce qui manque aux orateurs en profondeur, ils vous le donnent en longueur. Il ne sert à rien dans ce cas‑ci de chercher à soupeser les ressemblances et les différences dans une myriade de décisions factuelles détaillées.

 

[38]         Selon moi, il suffit d'énoncer le critère juridique permettant de déterminer ou de distinguer les sommes reçues au titre du capital et celles qui sont reçues au titre du revenu et de tenir compte des décisions dans lesquelles des paiements essentiellement similaires ont été examinés. Étant donné qu'il est maintenant établi (en règle générale du moins), selon la façon moderne de caractériser un revenu d'entreprise, que des frais de rupture tels que ceux qui sont ici en cause sont habituellement des dépenses d'entreprise que le payeur peut déduire, je dois me demander dans quelles circonstances il convient de considérer pareils frais comme un revenu d'entreprise ordinaire du bénéficiaire.

 

[39]         Des descriptions plus détaillées des tenants et des aboutissants des frais de rupture sont données dans les rapports d'expert que chaque partie a produits ainsi que dans la décision CW Shareholdings Inc. v. WIC Western International Communications Ltd. (1998), 39 O.R. (3d) 755, [1998] O.J. no 1886 (QL), en particulier à la page 771.

 

[40]         Il est reconnu que l'arrêt moderne qui fait autorité en ce qui concerne la caractérisation de rentrées de fonds exceptionnelles ou inhabituelles dans le contexte commercial est un arrêt de la Cour suprême du Canada, Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196, qui confirme no A‑4‑94, 19 septembre 1996, [1996] A.C.F. no 1243 (QL) (C.A.F.), et no 92‑1804(IT)G, 31 décembre 1993, [1993] A.C.I. no 874 (QL) (C.C.I.). Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si un « paiement d'incitation à la location » versé à Ikea par l'un des propriétaires de ses magasins avait été reçu par Ikea au titre du revenu ou s'il avait été reçu au titre du capital. La Cour suprême du Canada, comme les deux tribunaux d'instance inférieure, a conclu que le paiement était imputable au revenu.

 

[41]         L'approche, le raisonnement et les conclusions de droit générales énoncés dans des décisions bien antérieures, Neonex International Ltd. c. La Reine, no A‑648‑77, 22 juin 1978, [1978] A.C.F. no 514 (QL) (C.A.F.), et Firestone Management Limited v. M.N.R., 65 D.T.C. 587, lesquelles portaient sur la caractérisation de montants payés lors d'une tentative d'acquisition qui avait échoué, doivent être examinés et considérés avec prudence compte tenu de l'approche énoncée beaucoup plus récemment par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ikea.

 

[42]         Dans l'affaire Ikea, le juge de première instance, soit le juge Bowman (tel était alors son titre), a conclu qu'il ne fallait pas considérer la rentrée de fonds comme étant liée à la fin, de la nature du capital, d'obtenir les baux à long terme qui étaient nécessaires à l'entreprise de l'appelante, mais qu'il s'agissait de corollaires nécessaires de l'exploitation de l'entreprise. De même, en ce qui concerne Morguard, j'estime qu'il est fort approprié de considérer la réception réelle ou éventuelle de frais de rupture et d'autres montants qui deviennent payables en sa faveur en vertu d'une entente qu'elle a négociée aux fins d'une acquisition éventuelle recherchée conformément à sa stratégie d'entreprise commerciale particulière comme des corollaires nécessaires de l'entreprise, même si ces montants ne sont en fait reçus qu'à l'occasion. Une approche ou une analyse qui lierait cette rentrée de fonds uniquement à une acquisition particulière à long terme serait trop stricte et trop isolée, et encore plus dans le cas d'une tentative d'acquisition infructueuse. Les frais de rupture constituaient un montant reçu dans le cours des activités d'entreprise et des activités commerciales de Morguard, ainsi que de la structure et de la stratégie d'entreprise que celle‑ci avait choisies, à peu près de la même façon que les dividendes, les loyers ou les frais de gestion. Une fois le montant payé, Morguard pouvait l'utiliser à sa guise dans son entreprise. De toute évidence, lorsque la modification de l'entente antérieure à l'acquisition a été négociée en vue d'augmenter de beaucoup le montant des frais de rupture en le portant de 4,7 millions à 7,7 millions de dollars, la possibilité de recevoir les frais de rupture était devenue une fin qui faisait partie intégrante de l'entente antérieure à l'acquisition, quoique peut-être de façon secondaire. Il était raisonnable de s'attendre à ce que la possibilité accrue de recevoir les frais constitue l'une des fins principales de la renégociation de la disposition de l'entente portant sur les frais de rupture.

 

[43]         Le juge Iacobucci, de la Cour suprême du Canada, a expressément reconnu que les motifs exhaustifs et limpides du juge Bowman, auxquels il souscrivait fondamentalement, avaient été d'une aide précieuse. En outre, le juge Iacobucci était d'avis que le juge Bowman avait eu entièrement raison de conclure que le paiement avait clairement été reçu dans le cours d'activités commerciales ordinaires d'Ikea et que, dans les faits, il était inextricablement lié à ces activités, et en outre qu'on ne pouvait sérieusement prétendre que ce paiement était de nature capitale. Si l'approche que la Cour suprême du Canada a approuvée dans l'arrêt Ikea (au paragraphe 33) est appliquée aux faits de l'affaire, la réception par Morguard des frais de rupture doit être considérée comme imputable au revenu. En l'espèce, il n'existe pas de rapport plus étroit avec une fin de nature capitale qu'il n'en existait dans l'affaire Ikea.

 

[44]         Plus récemment, dans l'arrêt Imperial Tobacco Canada limitée c. Canada, 2011 CAF 308, la Cour d'appel fédérale a réaffirmé les principes permettant de faire une distinction entre les paiements imputables au capital et ceux qui sont imputables au revenu. En plus de citer un certain nombre des décisions plus anciennes mentionnées par les tribunaux dans l'arrêt Ikea, la Cour d'appel fédérale a cité la décision Imperial Tobacco Canada limitée (successeur de Shoppers Drug Mart limitée par suite d'une fusion) c. La Reine, 2007 CCI 636. Dans les affaires Imperial Tobacco de 2011 et de 2007, des paiements exceptionnels avaient été effectués lors d'une réorganisation du capital d'une entreprise, de sorte qu'il fallait décider si le paiement était plus étroitement lié à des opérations en capital qu'à l'entreprise elle‑même. Dans ces affaires, des questions semblables à celles qui se posaient dans l'affaire Ikea et dans l'espèce étaient soulevées et ces questions ont été tranchées d'une façon compatible avec l'approche préconisée dans l'arrêt Ikea.

 

[45]         Dans la décision BJ Services Company Canada, la successeure de Nowsco Well Service Ltd. c. La Reine, 2003 CCI 900, la présente cour a considéré des frais de rupture qu'une société cible avait payés dans des circonstances similaires comme faisant partie des activités quotidiennes habituelles d'une société cotée, de sorte qu'ils étaient déductibles. Voir également Boulangerie St‑Augustin Inc. c. La Reine, 95 D.T.C. 56 (C.C.I.), conf. par 97 D.T.C. 5012 (C.A.F.), et International Colin Energy Corporation c. La Reine, no 2001‑4244(IT)G, 4 novembre 2002, [2002] A.C.I. no 585 (QL) (C.C.I.). Les décisions BJ Services, International Colin Energy et Boulangerie St‑Augustin représentent une approche sensée, valable et réaliste du point de vue économique à l'égard de la caractérisation de dépenses engagées par une société lors d'une tentative d'acquisition infructueuse. Une analyse et une approche comparables donnant lieu à une caractérisation du montant en cause au titre du revenu ne seront pas toujours nécessairement appropriées pour celui qui reçoit les frais de rupture. Dans des cas tels que celui de Morguard, où le bénéficiaire s'occupe essentiellement d'acquisitions, une approche fondée sur le droit et sur le sens commun semblable à celle qui a été adoptée par la Cour dans la décision BJ Services est appropriée; elle donne un contexte plus détaillé aux fins de l'analyse à effectuer en l'espèce et elle confirme en outre que, selon une application appropriée de l'approche préconisée dans l'arrêt Ikea, les frais de rupture que Morguard a reçus constituaient pour cette dernière un revenu, étant donné que les activités commerciales ordinaires de Morguard consistaient notamment à procéder à l'acquisition de sociétés comme elle l'a fait lors de son offre d'achat d'Acanthus, qui a donné lieu aux frais de rupture.

 

[46]         Pour les motifs susmentionnés, l'appel interjeté par la contribuable doit être rejeté. Eu égard aux circonstances, je n'ai pas à trancher au fond les autres arguments invoqués par l'intimée, à savoir que le principe de la substitution ou l'alinéa 12(1)x) exigent que les frais de rupture soient inclus dans le revenu de Morguard. Toutefois, je tiens du moins à dire qu'il m'est impossible de conclure que la totalité de la preuve permet de conclure que tout le montant des frais de rupture, de 7,7 millions de dollars, devait servir à dédommager Morguard des frais et des dépenses qu'elle avait supportés en vue d'organiser l'offre ou qu'il devait servir de montant substitutif ou approximatif à l'égard de ces frais et dépenses. En outre, il n'est pas clair, à mes yeux, que des frais de rupture soient suffisamment semblables à un montant accordé au titre de dommages-intérêts ou d'une indemnité pour qu'il soit possible d'invoquer le principe de la substitution.

 

[47]         L'appel interjeté par la contribuable est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2012.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mai 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


ANNEXE

 

[1]              Au cours de l'instruction, il s'est posé une question au sujet de la portée de l'article 100 des Règles, qui traite du droit d'une partie de consigner comme élément de preuve des extraits des réponses données par la partie opposée lors de l'interrogatoire préalable et du droit de la partie opposée de demander la présentation d'autres extraits de l'interrogatoire préalable qui nuancent ou expliquent ces extraits. Cette question a été réglée lors de l'instruction.

 

[2]              L'intimée a dûment donné avis de son intention de consigner en preuve certains extraits de l'interrogatoire préalable du représentant de l'appelante. L'appelante a dûment donné avis des extraits additionnels qui, selon elle, nuançaient ou expliquaient les extraits que l'intimée devait consigner en preuve. Lors de l'instruction, l'intimée a décidé de ne pas consigner en preuve tous les extraits au sujet desquels elle avait donné un avis. Lorsque l'appelante a cherché à consigner en preuve les passages additionnels à l'égard desquels elle avait donné avis, l'intimée s'y est opposée. Tous les extraits additionnels que l'appelante voulait faire consigner en preuve avaient été identifiés dans son avis comme des extraits nuançant des extraits visés par l'avis de l'intimée que cette dernière a finalement décidé de ne pas consigner en preuve lors de l'instruction. Il fallait donc examiner la question de savoir si les extraits additionnels que l'appelante voulait consigner en preuve nuançaient ou expliquaient les extraits de l'intimée, comme l'exige le paragraphe 100(3) des Règles. La façon dont la question de la conformité avec le paragraphe 100(3) se posait en l'espèce donne également lieu à certaines considérations relatives à l'équité entre les parties.

 

[3]              Les extraits que l'intimée a consignés en preuve et qui ont donné lieu à ce différend procédural traitent de points au sujet desquels le témoin, M. Sahi, a témoigné à l'instruction. Les deux parties ont eu la possibilité de demander à M. Sahi ce qu'elles voulaient lors de l'interrogatoire principal, du contre‑interrogatoire et du réinterrogatoire, et elles se sont prévalues de cette possibilité. L'intimée soutient que l'article 100 des Règles lui donne néanmoins la possibilité, sans restriction aucune, de consigner en preuve des extraits de l'interrogatoire préalable de M. Sahi à ce sujet, et ce, même si le témoignage présenté par celui‑ci à l'instruction ne renfermait aucune incertitude, aucune ambiguïté ni aucune incohérence. L'appelante n'a pas contesté la chose. Toutefois, l'intimée maintient que l'appelante a uniquement droit à une possibilité fort restreinte de consigner en preuve des extraits additionnels portant sur le même point.

 

[4]              Les dispositions pertinentes de l'article 100 des Règles prévoient ce qui suit :

 

[Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale)]

 

Utilisation de l'interrogatoire préalable à l'audience

 

Use of Examination for Discovery at Hearing

 

100(1) Une partie peut, à l'audience, consigner comme élément de sa preuve, après avoir présenté toute sa preuve principale, un extrait de l'interrogatoire préalable :

 

a) de la partie opposée;

 

b) d'une personne interrogée au préalable au nom, à la place ou en plus de la partie opposée, sauf directive contraire du juge,

 

si la preuve est par ailleurs admissible et indépendamment du fait que cette partie ou que cette personne ait déjà témoigné.

 

100(1) At the hearing, a party may read into evidence as part of that party's own case, after that party has adduced all of that party's other evidence in chief, any part of the evidence given on the examination for discovery of

 

(a) the adverse party, or

 

(b) a person examined for discovery on behalf of or in place of, or in addition to the adverse party, unless the judge directs otherwise,

 

if the evidence is otherwise admissible, whether the party or person has already given evidence or not.

 

 

[...]

 

 

. . .

 

(3) Si un extrait seulement d'une déposition recueillie à l'interrogatoire préalable est consigné ou utilisé en preuve, le juge peut, à la demande d'une partie opposée, ordonner la présentation d'autres extraits qui la nuancent ou l'expliquent.

 

(3) Where only part of the evidence given on an examination for discovery is read into or used in evidence, at the request of an adverse party the judge may direct the introduction of any other part of the evidence that qualifies or explains the part first introduced.

 

 

[5]              Le paragraphe 100(3) des Règles a été fort bien décrit par le juge en chef de notre cour à l'annexe qui accompagnait ses motifs dans la décision GlaxoSmithKline Inc. c. La Reine, 2008 CCI 324. L'intimée cherche à nuancer la description que le juge en chef a faite des considérations applicables au paragraphe 100(3) des Règles de la Cour en renvoyant à des décisions que la Cour fédérale a rendues au sujet de l'article 289 des Règles de la Cour fédérale.

 

[6]              Dans la décision GlaxoSmithKline, le juge en chef a de fait examiné les décisions Odynsky[1] et Fast[2] ainsi que l'article 289 des Règles de la Cour fédérale. Il reconnaît que les deux dispositions ont le même objet.

 

[7]              L'article 100 des Règles de notre cour et l'article 289 des Règles de la Cour fédérale peuvent avoir le même objet, mais ils sont libellés en des termes fort différents et ils semblent avoir des portées différentes; leurs applications sont structurellement différentes et ils peuvent donner lieu à des interprétations différentes. Dans GlaxoSmithKline, notre Cour a tenu compte de la disposition des Règles de la Cour fédérale et de la façon dont cette cour‑là a interprété cette disposition, et la disposition des Règles de la Cour fédérale et l'interprétation de cette cour continuent d'être des considérations pertinentes. Toutefois, les tribunaux ont le droit d'élaborer leurs propres pratiques au sujet de leurs règles, comme ils ont le droit d'établir leurs propres règles.

 

[8]              Je souscris entièrement à l'approche détaillée précise que le juge en chef Rip a adoptée dans la décision GlaxoSmithKline en vue de décider s'il existe un lien réel entre l'extrait consigné en preuve et l'extrait supplémentaire que l'on cherche à consigner, et si l'extrait supplémentaire nuance ou explique l'extrait déjà consigné. En appliquant le paragraphe 100(3) des Règles, j'ai tenu compte des questions suivantes :

 

1)       si les extraits additionnels que la partie veut consigner en preuve assurent la continuité des idées ou de l'objet dont le témoin a traité dans les extraits de l'interrogatoire préalable consignés en preuve par la partie opposée;

 

2)       si l'extrait consigné en preuve par la partie opposée est complet en lui‑même et peut servir la fin pour laquelle la partie opposée l'a consigné en preuve; autrement dit, si les extraits additionnels font avancer ou complètent la fin visée par la partie opposée, ou s'ils la discréditent ou la contrecarrent;

 

3)       si les extraits additionnels que la partie veut consigner en preuve permettent à la Cour de mieux comprendre ce que le témoin a dit sur le point particulier en question dans les réponses qu'il a données lors de son interrogatoire préalable et assurent l'équité pour les deux parties.

 

[9]              En paraphrasant ainsi le juge en chef dans la décision GlaxoSmithKline, je me rends bien compte que, quant à la troisième considération, le juge en chef a dit qu'en cherchant à assurer l'exhaustivité, il faut tenir compte de la « réponse » que le témoin a donnée sur l'« objet de l'examen » lors de l'interrogatoire préalable et non de la réponse précise qu'il a donnée à la question précise qui était posée et que la partie opposée a consignée en preuve. Cela me convainc que la Cour n'a pas à aborder l'article 100 des Règles de la même façon que la Cour fédérale peut le faire à l'égard de l'article 289 de ses règles, lequel est similaire, mais différent. Plus précisément, le paragraphe 100(3) des Règles n'est pas si strictement restreint et limité au caractère exhaustif de la réponse que le témoin a donnée à la question précise qui a été consignée en preuve; il peut s'étendre à toutes les réponses que le témoin a données aux questions portant sur l'objet de l'examen dans des circonstances appropriées. À cet égard, le paragraphe 100(3) des Règles de la Cour peut donner lieu à un examen plus étendu que dans le cas de l'article 289 des Règles de la Cour fédérale, tel qu'il en a été fait mention dans les décisions Odynsky et Fast, ainsi que dans la décision plus récente qui a été rendue dans l'affaire Weatherford[3], dont les motifs ont été rendus après ceux de la décision GlaxoSmithKline. Il reste que les deux dispositions servent la même fin.

 

[10]         L'application des considérations mentionnées dans la décision GlaxoSmithKline ne veut pas pour autant dire que toutes les réponses qu'un témoin donne sur le même objet seront toujours autorisées en vertu du paragraphe 100(3) des Règles. Toutefois, dans un cas comme celui‑ci, où l'objet des extraits que l'intimée a consignés en preuve a pleinement été traité par le témoin lors de l'interrogatoire principal et du contre-interrogatoire dont celui‑ci a fait l'objet dans la salle d'audience, où l'intimée ne soutient pas que les extraits consignés en preuve démontrent qu'il existe quelque incohérence, et où l'intimée a consigné en preuve des extraits de l'interrogatoire préalable pour s'assurer que la Cour ait une idée plus claire de ce qui a été dit à ce sujet, ce qui n'aurait peut‑être pas été aussi clair dans le témoignage que le témoin a présenté dans la salle d'audience, la partie qui consigne l'extrait en preuve peut s'attendre à avoir de grosses difficultés à surmonter lorsqu'elle affirme que les extraits additionnels que l'appelante veut consigner en preuve serviraient uniquement la même fin.

 

[11]         L'intimée affirme expressément que sa position est essentiellement la suivante : le paragraphe 100(1) des Règles lui donne le droit de consigner en preuve certains extraits de l'interrogatoire préalable qui répètent le témoignage que le témoin a présenté dans la salle d'audience sur un point donné en utilisant des mots différents, mais le paragraphe 100(3) des Règles ne permet pas à l'appelante de faire la même chose avec les extraits additionnels qu'elle a consignés en réponse. L'équité fondamentale me dit que, même si cela était généralement exact, on obtiendrait en l'espèce un résultat injuste sur des points dont le témoin a pleinement traité lorsqu'il a témoigné devant la Cour d'une façon cohérente et compréhensible.

 

[12]         Ayant fait savoir aux parties, en réponse à l'objection, que je n'étais pas disposé à ajouter aux motifs et aux considérations que le juge en chef a énoncés dans la décision GlaxoSmithKline et que j'étais disposé à les appliquer tels quels sans tenir compte de quelque chose que le juge n'a pas dit au sujet des décisions rendues par la Cour fédérale dans les affaires Odynsky et Fast, et encore moins dans la décision ultérieure Weatherford, les parties ont pu régler elles-mêmes la question des extraits additionnels que l'appelante voulait consigner en preuve et nous avons pu procéder.

 

[13]         Bref, le point en question a été traité à fond à l'instruction, l'intimée a décidé de revenir sur la question avec des extraits de l'interrogatoire préalable, et si je dois avoir une compréhension juste et complète de toutes les façons essentiellement similaires dont il est possible de traiter d'une question, j'estime que l'équité quant à la procédure et quant au fond est mieux assurée en pareil cas si l'on prend connaissance des extraits additionnels que l'appelante veut consigner en preuve portant sur le même point.

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 55

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2009-1561(IT)G

 

INTITULÉ :                                       MORGUARD CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :               Les 2, 3 et 4 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 24 février 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Clifford L. Rand

Me David Muha

Me Christopher Slade

 

 

Avocats de l'intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me Justin Kutyan

Me Ernesto Cáceres

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Noms :        Clifford L. Rand

                                       David Muha

                                       Christopher Slade

 

                   Cabinet :      Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

                                       Toronto (Ontario)

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Odynsky, no T‑2669‑97, 18 août 1999, [1999] A.C.F. no 1389 (QL) (C.F. 1re inst.).

 

[2]           Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Fast, 2002 CFPI 542.

 

[3]           Weatherford Artificial Lift Systems Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2008 FC 1271.

 

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