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Dossier : 2015-10(IT)G

ENTRE :

CLAUDIO GRUBNER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Ruben Grubner (2015‑9(IT)G), le 20 juin 2017, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Frank W. Quo Vadis

Avocate de l'intimée :

Me Karen A. Truscott

 

JUGEMENT

  L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2012 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 23e jour de février 2018.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


Dossier : 2015-9(IT)G

ENTRE :

RUBEN GRUBNER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Claudio Grubner (2015‑10(IT)G), le 20 juin 2017, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Frank W. Quo Vadis

Avocate de l'intimée :

Me Karen A. Truscott

 

JUGEMENT

  L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2012 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 23e jour de février 2018.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


Référence : 2018 CCI 39

Date : 20180223

Dossiers : 2015-10(IT)G

2015-9(IT)G

ENTRE :

CLAUDIO GRUBNER,

RUBEN GRUBNER,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1]  Claudio et Ruben Grubner ont déclaré des pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise (PDTPE) de 606 000 $ relativement à des sommes qu'ils ont versées directement à l'Agence du revenu du Canada (l'ARC), à l'égard de la TPS/TVH et de retenues à la source non versées pour une société dont ils avaient été ou étaient administrateurs [1] .

Les éléments de preuve

[2]  Claudio et Ruben sont frères; ils possédaient chacun 25 % de la société Bavara Auto Haus Inc. (Bavara), qui exploitait un atelier de débosselage dans la vallée du bas Fraser, en Colombie‑Britannique. Ils étaient tous deux administrateurs de cette société depuis 2007, mais pourraient avoir démissionné en 2011. Les 50 % restants étaient détenus par une personne sans lien de dépendance, Sean Dawson, que les appelants ont présenté comme le directeur général et l'actionnaire actif de la société.

[3]  En juin 2012, les frères ont reçu des lettres de l'ARC les informant qu'elle envisageait d'établir à leur égard, en leur qualité d'administrateurs, des cotisations au titre de la TPS/TVH et des retenues à la source impayées par Bavara. Les frères ont témoigné qu'ils ne savaient pas que les sommes exigibles n'avaient pas été versées et qu'ils ont alors demandé conseil à leur comptable. Leur comptable leur a suggéré, dans les circonstances, de payer la somme exigée directement à l'ARC. Les frères Grubner n'ont pas demandé à leur comptable de témoigner; je ne connais donc pas les motifs qui ont amené le comptable à faire cette suggestion. Claudio a déclaré qu'ils avaient payé l'ARC directement parce qu'ils ne savaient pas pourquoi la société avait des difficultés financières et qu'ils n'étaient pas certains de pouvoir faire confiance à M. Dawson.

[4]  Chaque frère a donc payé la moitié des sommes non versées directement à l'ARC. Ils ont considéré qu'ils avaient consenti un prêt à Bavara en avançant les sommes dues à l'ARC, et ont donc estimé que Bavara avait une dette envers eux. Selon Claudio, cette opération a été inscrite de cette façon dans les états financiers de 2012 de Bavara. Il est vrai que les états financiers de 2012 indiquent, pour les dettes envers des personnes liées, une augmentation supérieure à l'avance faite par les frères. Les états financiers ne précisent toutefois pas en quoi consistait cette augmentation. Je remarque que les états financiers du 31 août 2012 sont datés d'octobre 2013, soit quelques mois après le dépôt des oppositions et environ une semaine avant ou après que les frères ont transféré leurs actions à M. Dawson, selon les registres de la société.

[5]  Aucun accord ni document écrit n'atteste les conditions du prêt. Claudio a témoigné que M. Dawson et lui avaient reconnu que les paiements faits par les frères à l'ARC pour les retenues non versées constituaient un prêt consenti à Bavara. M. Dawson n'a pas été appelé à témoigner.

[6]  Dans un courriel que Claudio a envoyé à M. Dawson en juillet, il apparaît clairement que Claudio entendait prêter l'argent directement à Bavara afin que cette dernière paie immédiatement les sommes non versées et souhaitait qu'un écrit atteste que les frères avaient consenti un prêt à Bavara. Pour une raison quelconque, cela n'a pas été fait. Peut-être M. Dawson a‑t‑il refusé que Bavara emprunte la somme; cependant, les appelants n'ont pas demandé à M. Dawson de témoigner et n'ont même pas indiqué quelle fut sa réponse à ce courriel de Claudio.

[7]  Bavara n'était pas tenue de payer aux frères des intérêts sur cette somme. Claudio a témoigné qu'ils comptaient réaliser un profit en recouvrant une somme supérieure à 606 000 $ lors de la vente de Bavara (ou de son entreprise). Claudio a déclaré que c'était ce qu'il croyait et ce qu'il prévoyait, et son frère a dit que c'était ce qu'il espérait. Claudio a dit à un moment donné que c'était ce à quoi il s'attendait, mais a fait quelque peu marche arrière et n'a pas vraiment étayé ses propos.

[8]  Claudio a également indiqué que la dette était remboursable sur demande. Lorsque les deux frères ont exigé le paiement en octobre 2012, Bavara leur a répondu en novembre par une lettre signée par M. Dawson : [TRADUCTION] « comme vous le savez, la société n'est pas en mesure de vous rembourser ces sommes — telle est la réalité ». Dans sa demande de remboursement, Claudio ne décrit pas la somme exigée comme un prêt exigible, mais comme [TRADUCTION] « la somme de plus de 600 000 $ que nous, en tant qu'administrateurs, avons dû payer au nom de la société ». Cette formulation laisse croire davantage que l'obligation de la société est un droit prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu (la LIR) ou la Loi sur la taxe d'accise, ou une dette subrogée, qu'à un prêt consenti à Bavara. Dans leurs déclarations de revenus, les deux frères ont décrit le prêt comme un [TRADUCTION] « prêt d'actionnaire — cotisation de l'ARC », ce qui n'est pas conforme aux faits à au moins un égard.

[9]  Peu d'éléments de preuve permettent de conclure qu'il était réaliste ou raisonnable pour les frères de croire, d'espérer et de prévoir recevoir une somme plus élevée lors de la vente de Bavara ou de son entreprise, ou encore de s'y attendre. Bien que Claudio ait parlé de discussions avec un tiers, il a témoigné que ces discussions n'avaient pas mené à un document écrit et qu'elles s'étaient limitées à discuter d'une éventuelle lettre d'intention, et qu'ils n'avaient jamais convenu d'un prix.

[10]  Dans un courriel envoyé à Claudio à la fin juillet 2012, le tiers intéressé, M. Van Pykstra, a indiqué vouloir discuter d'une offre avec Claudio et lui expliquer comment il en était arrivé à cette offre. Les deux hommes ont convenu de se rencontrer le lendemain, au bureau de M. Van Pykstra. Manifestement, la stratégie et les plans ont pu changer, mais on peut difficilement croire que l'échange de courriels se soit limité à une discussion de la vente des actifs ou des actions. Selon la meilleure interprétation que je puisse faire du témoignage, et en l'absence d'autres éléments de preuve, les deux parties ont discuté du prix ou de la valeur, du moins en termes de fourchettes, et leurs positions étaient très éloignées l'une de l'autre.

[11]  Dans un courriel de septembre 2012, M. Van Pykstra a parlé de changements précis quant à certaines sommes dans la lettre d'intention, tel que l'avait demandé Claudio; les chiffres mentionnés dans ce courriel ne totalisaient qu'une petite fraction d'un million de dollars. Claudio a continué de nier l'existence d'une lettre d'intention, indiquant qu'il avait seulement pu jeter un coup d'œil aux documents de travail de l'autre partie. Ni Claudio ni personne d'autre ne m'a indiqué quelle somme M. Van Pykstra avait offerte; Claudio est resté vague sur ce point lors de l'interrogatoire et a cherché à esquiver les questions sur le prix ou la valeur dont il avait discuté avec M. Van Pykstra.

[12]  Claudio a déclaré qu'il espérait demander entre 900 000 $ et 1 100 000 $. Selon le témoignage non corroboré de Claudio, les discussions ont débuté en février 2012 et se sont poursuivies jusqu'à l'été, les frères ont fait savoir qu'ils avaient versé des sommes à l'ARC, et M. Van Pykstra n'a pas voulu acheter les actions. Au cours de l'été, Claudio a eu l'impression que les discussions se poursuivaient sur un ton positif et prometteur; les choses se sont toutefois gâtées en octobre. Il a affirmé qu'ils avaient discuté de montants, sans jamais arriver à une entente écrite. Cela semble contredire le courriel envoyé précédemment par M. Van Pykstra, qui y mentionnait des montants précis. Claudio n'a pas précisé les montants dont les parties avaient discuté, ni ce qu'il avait proposé à M. Van Pykstra ou ce que M. Van Pykstra lui avait proposé. Les frères n'ont pas demandé à M. Van Pykstra de venir témoigner. Pour sa part, Ruben a affirmé qu'il avait eu connaissance de la tenue de discussions, mais qu'il n'y avait pas pris part et ne savait pas si on avait discuté de montants précis. Il semble que les discussions ne se soient pas rendues beaucoup plus loin, peut‑être parce que la personne liée n'accordait pas à l'entreprise de Bavara la valeur que Claudio lui attribuait. C'est ce que Claudio semble avoir voulu dire lorsqu'il a établi une comparaison avec l'évaluation d'une maison faite par une banque — on croit que la maison a une grande valeur, mais la banque y attribue une faible valeur.

[13]  Peu d'éléments de preuve indiquaient que la créance était devenue irrécouvrable en 2012, quoique l'entreprise fût toujours en activité. En toute franchise, s'il était raisonnable de conclure que la créance était devenue irrécouvrable à la fin 2012, il semblerait alors quelque peu irréaliste d'espérer vendre Bavara ou son entreprise pour 1 100 000 $, ou même pour une somme permettant de rembourser les 606 000 $ majorés d'une autre somme à titre de rendement sur cette somme. Ce paradoxe apparent aurait peut‑être pu être expliqué ou réfuté si on avait présenté davantage d'éléments de preuve sur la valeur de Bavara après le paiement à l'ARC, ou sur le caractère irrécouvrable de cette dette précise aux frères.

[14]  Selon les oppositions déposées en juillet 2013, Bavara était exploitée à perte depuis ses débuts, et les frères avaient déjà entamé des discussions avec M. Dawson au sujet d'une fermeture ordonnée de l'entreprise. Les pertes en 2012 ont été beaucoup plus importantes qu'en 2011, soit deux fois et demie plus élevées.

[15]  Le témoignage de Claudio Grubner concernant le prêt consenti à Bavara, l'existence d'une lettre d'intention avec M. Van Pykstra et les sommes proposées et examinées avec M. Van Pykstra ne cadre pas avec certains éléments de preuve documentaires qui ont été présentés sur des points clés.

[16]  Étant donné que les éléments de preuve qui m'ont été soumis ont des limites importantes, qu'ils ont tous été produits par les deux appelants qui ont un intérêt dans l'issue de l'appel et que peu d'entre eux étaient corroborés par des documents, certains étant même incompatibles avec les documents ou d'autres témoignages, je ne peux conclure selon la prépondérance des probabilités que Claudio et Ruben Grubner ont acquis la dette ou quelque autre obligation de Bavara en vue d'en tirer un revenu.

[17]  Il n'y avait aucun intérêt à payer sur cette dette et il m'est impossible de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu'il était réaliste ou raisonnable que les appelants s'attendissent à obtenir un rendement supérieur lors de la vente des actions de Bavara ou de son entreprise au moment où ils ont versé le paiement à l'ARC. Cela fait que les appels ne peuvent être accueillis puisque, selon le sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR, la perte résultant de la disposition d'une créance ou d'un autre droit est réputée nulle, sauf si la créance ou le droit a été acquis en vue de tirer un revenu. Cet élément à lui seul justifie le rejet des appels. Si la perte est nulle, il ne peut y avoir de PDTPE.

[18]  Pour que les appelants puissent déduire une PDTPE, il faudrait qu'il soit établi que leurs droits à l'encontre de Bavara étaient un titre de créance et non un autre droit, par exemple un droit de recouvrement en vertu des lois fédérales sur la TPS ou l'impôt sur le revenu, ou peut‑être un droit de subrogation. Je ne peux conclure que cette dette serait considérée comme un titre de créance aux termes du droit applicable, qui, je suppose, serait celui de la Colombie‑Britannique. L'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu dispose clairement qu'une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise doit résulter d'une créance. De plus, pour qu'il y ait une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise, il faut avoir disposé d'une créance. Les appelants invoquent une disposition réputée selon la règle sur les créances irrécouvrables prévue à l'article 50 de la LIR, laquelle ne s'applique expressément qu'aux créances et non à d'autres droits ou obligations. Cet autre élément fait également que les appels ne peuvent être accueillis.

[19]  En conclusion, les appelants n'ont pas présenté à la Cour des éléments de preuve suffisamment crédibles, cohérents ou corroborés pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits nécessaires pour étayer leurs réclamations visant des PDTPE. De plus, les appelants n'ont pu établir que leurs réclamations envers Bavara étaient des créances, ce qui est une exigence en application de la règle de la disposition réputée dans le cas de créances irrécouvrables ainsi qu'aux termes de la définition d'une PDTPE.

[20]  Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Montréal (Québec), ce 23e jour de février 2018.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 39

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2015-10(IT)G

2015-9(IT)G

 

INTITULÉS :

CLAUDIO GRUBNER,

RUBEN GRUBNER c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 20 juin 2017

 

MOTIFS DES JUGEMENTS :

L'honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DES JUGEMENTS :

Le 23 février 2018

 

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

Avocat des appelants :

Me Frank W. Quo Vadis

Avocate de l'intimée :

Me Karen A. Truscott

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

[EN BLANC]

 

Pour les appelants :

Me Frank W. Quo Vadis

 

Cabinet :

Koffman Kalef LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l'intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Les appels ont été entendus ensemble et plaidés à Vancouver. Les observations écrites des appelants ont été reçues en août 2017.

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